3.2. Interprétation des résultats
Après la présentation et l'analyse des
résultats, il s'agit ici de les interpréter qualitativement et de
les confronter à la réalité des faits pour donner un sens
aux informations en relation avec nos hypothèses et objectifs de
recherche. Ainsi, il sera interprété sur le plan
sociodémographique et socioculturel les éléments qui
peuvent être à la base du succès ou de l'échec de la
réinsertion familiale des enfants de la rue de N'djamena.
3.2.1 Au plan sociodémographique et socioprofessionnel
L'enquête a révélé du point de vu
de la tranche d'âge, que 80% des
« enquêtés » ont moins de 17 ans. Ils ont,
à l'exception de celui qui a 8 ans l'âge de la puberté
où on parle de l'adolescence et de sa crise. L'adolescence est une
période que tous les spécialistes de l'enfance reconnaissent
comme la période la plus difficile et complexe pour certains enfants.
L'enquête révèle que la plupart des enfants ont
fréquenté l'école avant de décrocher autour de
l'âge de 9 ans.
On peut donc conclure que leur présence
massive dans la rue constitue un réel danger pour eux-mêmes.
Danger pour les enfants eux-mêmes car la rue et son
milieu constitue un facteur de risque, de criminalité par l'influence
qu'elle exerce sur les adolescents par le jeu des interactions
génératrices de délinquance.
La fréquence et l'intensité des relations de
l'enfant avec ses pairs, l'assiduité de sa fréquentation sont
surtout fonction de la qualité de l'ambiance parentale par rapport
à la convivialité habituelle avec les compagnons. Le groupe de
pairs surtout quand il est vaste, peut jouer un rôle important dans
l'influence antisociale de l'adolescent lorsque ses pairs sont des marginaux,
des asociaux centrifuges.
Du point de vue de l'origine géographique des
« enquêtés » :
L'enquête a révélé que les enfants
de la rue viennent de toutes les villes du pays mais surtout des grandes
villes et cet état de fait vient confirmer l'étude sur l'ampleur
du « phénomène enfant de rue au Tchad, menée par
le gouvernement du Tchad et l'UNICEF entre novembre 2002 et Avril 2003.
- Du point de vue raison de la présence des
« enquêtés » à N'djamena :
Un des faits révélateurs de cette
présente recherche est que 50% des
« enquêtés » sont venus rester chez des
familles ou amis des parents. Si on ajoute les enfants qui ont suivi les
maîtres coraniques à N'djamena pour se retrouver finalement dans
la rue, on peut parler de 75% des « enquêtés »
qui sont des enfants confiés.
On peut donc conclure que le « confiage »
des enfants à des familles ou à des amis qui habitent en ville
pour être scolarisés est un danger et un problème majeur
qu'il faut remédier en créant des cadres de vie acceptables tels
que des écoles, des dispensaires, des centres sociaux, des centres
culturels dans les campagnes pour amoindrir le désir d'envoyer les
enfants en ville où ils se retrouvent souvent dans à la rue
à cause du mauvais accueil ou la maltraitance. Pour ces enfants, les
risques de marginalisation sont énormes s'ils ne trouvent pas de
structures de prise en charge à N'djamena où s'ils ne trouvent
pas les moyens d'assurer leurs besoins de base tels que se nourrir, se
vêtir et se soigner. L'enquête nous a permis de constater que
beaucoup d'enfants souffrent à cause du
« confiage », c'est les cas de deux enfants frères
âgés respectivement de 9 et 12 ans, issus d'une famille nombreuse
qui ont été confiés par leur père à un ami.
Les deux enfants dormaient dans un poulailler parce que la femme de leur tuteur
ne voulait pas qu'ils partagent la chambre et la natte avec son fils sous
prétexte qu'ils sont des enfants de mère sorcière.
- Du point de vue durée de la présence dans la
rue des « enquêtés »
L'enquête révèle que 70% des
enquêtés ont passé plus de 3 ans dans la rue sans
discontinuité. Cette situation montre combien ils sont exposés
aux risques de déviance et de délinquance et peuvent basculer
vers le grand banditisme.
Leur présence quasi-permanente dans la rue
expliquerait d'une part l'incapacité des parents et tuteurs d'assumer
leur responsabilité de les maintenir au foyer et d'autre part
l'inefficacité des stratégies des structures de prise en charge
devant les aider à sortir de la rue.
La stratégie selon le dictionnaire petit Larousse 1999
est « l'art de coordonner les activités, de les manoeuvrer
habilement pour atteindre un but ». Les structures de prise en charge
des enfants de la rue à l'instar de L'ATAD sont faibles en
matière de rééducation et de réinsertion familiale
des enfants vivant dans la rue. Leurs approches sont simplistes et
basées sur la morale. Elles ont plutôt tendance à
travailler avec des enfants ne présentant pas de graves problèmes
de comportement. Les objectifs qu'elles assignent aux activités dites de
rééducation et de réinsertion ne sont pas
préalablement et formellement définies encore moins
évaluées. Les ressources humaines sont inexistantes voire
inadaptées. En conclusion nous disons qu'il y a inefficacité
de l'art de coordonner des actions des structures de prise en charge des
enfants de la rue.
- Du point de vue du degré d'intégration des
« enquêtés » après leur retour en
famille :
L'enquête a révélé que sur 5
enfants réinsérés en famille par l'ATAD, 3 soit
60°/° ne sont pas bien acceptés dans leurs familles comme des
membres à part entière. L'enfant de la rue est stigmatisé
et doigté comme un voleur. Le fait de séjourner dans la rue
pendant des années produit chez les familles en général un
sentiment d'échec et d'impuissance. C'est ce qu'exprime le père
de Hamid B. de la manière suivante : « ...si vous voulez
en savoir plus, demander aux voisins qu'est-ce -que je n'ai pas fait pour que
cet enfant ne reparte pas dans la rue ? mais toujours est il que depuis
qu'il est revenu il n' y a pas grand changement car il disparaît de la
maison et ne revient que la nuit... pourtant il a tout ce qu'il veut à
la maison.... je suis d'une famille noble et cet enfant nous
déçoit.... Commissaire de police de mon état, c'est avec
impuissance que j'observe le comportement d'Hamid car parfois certains enfants
de la rue qui connaissent mon fils me narguent... »
A travers ces propos, on remarque que le père d' Hamid
n'arrive pas à comprendre que lui, commissaire de police respecté
de tous, ait son fils dans rue. Une présence dans la rue susceptible de
ternir l'image de la famille
- Du point de vue proportion d'enfants
réinsérés durant les trois dernières
années :
L'enquête révèle un faible taux de
réinsertion des enfants par l'ATAD. L'effectif cumulé de
2006-2007 laisse apparaître que sur cinquante cinq (55) enfants
accueillis pendant cette période, sept (07) seulement soit 12,7% sont
accompagnés en famille. Ce faible taux peut trouver son explication dans
le manque de préparation des retours en famille mais aussi l'absence de
budget destiné à cette même activité. En effet,
l'ATAD comme la plupart des associations oeuvrant en faveur des enfants de la
rue est confronté à des défis économiques et
financiers. Cette situation empêche la réussite de la
réinsertion familiale en terme d'impact et d'effet observable.
- par rapport au projet d'avenir des
« enquêtés »
L'enquête fait ressortir que la majorité des
« enquêtés » treize (13), soit 65%
désirent retourner en famille contre 30% qui souhaite rester dans un
centre pour bénéficier d'une formation professionnelle.
En dehors du un (1) qui représente 5% de
l'échantillon, qui veut rester dans la rue, le constat qu'on peut faire
est que la plupart des enfants qui vivent dans la rue ont le désir de
retourner en famille mais ne savent pas comment renouer avec leur parent ou
bien n'ont pas les moyens de retourner en famille ; surtout pour les
enfants confiés qui se sont retrouvés dans la rue.
Il faut donc impérativement leur proposer de sortir de
la rue et c'est le devoir des pouvoirs publics et des associations de la
société civile.
- Du point de vue présence des professionnels des
structures privées d'encadrement des enfants, on note la faible
capacité de la plupart des associations enquêtées en
gestion financière des projets ; les associations sont fortement
dépendantes de l'aide extérieure (absence d'une stratégie
claire d'autofinancement) et ont trop tendance à négliger leur
propre contribution. Certains partenaires ne sont pas exigeants en la
matière. Le jour où le robinet se ferme, le projet lui aussi
s'arrête.
La plupart des associations vivent des projets ponctuels.
Cette situation empêche la réussite des projets en terme d'impacts
et d'effets observables. Cette observation est surtout valable pour les
projets destinés aux enfants vivant dans la rue ;
Les dirigeants des associations rencontrés pour la
plupart, utilisent leurs structures comme de simples instruments pour obtenir
de financements extérieurs au détriment d'une vie associative
réelle et dynamique ; l'absence des échanges entre les
associations travaillant dans les mêmes domaines ; les actions ou
les projets sont identifiés sans études préalables et donc
sans connaissance du milieu et du domaine d'intervention. Associations et
bailleurs sont plus préoccupés par la réalisation
d'activités. C'est la quantité qui importe pour justifier les
fonds débloqués mais non la qualité à
produire ;
Les projets des associations tendent beaucoup plus vers la
réparation que vers la prévention des phénomènes.
De plus ils sont réalisés dans des centres fermés
n'accueillant qu'un nombre limité d'enfants en difficulté.
L'analyse de l'enquête a établi que les
difficultés de la réinsertion familiale des enfants de la rue de
N'djamena sont liées à la pauvreté dans laquelle vivent la
plupart des familles Tchadiennes. Elles résultent de la mutation de la
société traditionnelle, mutation qui se traduit par un certain
nombre de dysfonctionnements sociaux et psychologique de la famille et aussi du
fait du manque d'organisation et de complémentarité des
différentes structures de prise en charge fréquentées par
les enfants de la rue. Elles sont liées au manque cruel de personnels
qualifiés (éducateurs spécialisés) dans la plupart
des structures de prise en charge des enfants de la rue. Elles sont
également liées au non respect des règles ou normes qui
régissent la procédure de base en matière de retour des
enfants en famille par les acteurs sociaux.
Retour à nos Hypothèses :
Nous tirons le constat que nos hypothèses sont
confirmées dans les cas présents que nous avons
étudiés. Il est donc établi que :
- Le faible rendement des interventions en
matière de réinsertion familiale des enfants de la rue s'explique
par l'inefficacité des stratégies et des actions mises en oeuvre
par les différents intervenants ;
- La faible qualification des intervenants ne permet la
mise en oeuvre d'actions éducatives efficaces ;
- Les stratégies et actions
développées par les intervenants sont insuffisantes.
|