Nous retrouvons alors Yvon Pesqueux dans son analyse de
l'influence du New Public Management et de l'école pensée «
libérale » qui le gouverne. L'EPLE, comme toute organisation
publique, est prestataire de services. Le but est la recherche d'une
performance accrue, d'une mobilisation optimale des moyens et des acteurs. On
va donc privilégier « le client à l'usager et l'usager sur
le citoyen » (Pesqueux, 2007). On en viendrait donc à «
désinstitutionnaliser » l'institution, à modifier sa
dimension et sa nature organisationnelle première. L'objet public EPLE
traverse cette phase, avec ses caractéristiques propres.
La charte de Pilotage des Établissements Public Locaux
d'Enseignement (février 2007), réorganise leur fonctionnement
afin qu'ils appréhendent mieux la réalité de leur terrain
d'exercice (création d'unités viables du point de vue
fonctionnel). L'EPLE fournit un service partenarial sur la scène
éducative publique. Ce service est subordonné à une
maîtrise de ses propres indicateurs de performance, à la mesure
de
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
son efficience via le « contrat » qui le lie
à l'échelon académique. Bien entendu les marqueurs sont
éducatifs (taux de redoublement, réorientations, suivi de
cohorte, sorties du système sans qualifications..) mais ils introduisent
bien une dimension autre au sein de ces organismes : le territoire, les
territoires sur lesquels il opère et qui participent de son
évaluation. Les réseaux et acteurs qui l'interpellent,
l'évaluent (de façon non institutionnelle), le positionnent sur
cette nouvelle scène locale.
Elle demeure publique mais publique au sens du territoire, des
acteurs, du service, du service rendu'
Nous sommes donc en présence d'un modèle autre,
d'une institution au territoire d'exercice plus complexe. Ce n'est pas la
notion de réseau(x) qui est ici nouvelle, c'est la commande politique et
sociale qu'ils instituent. Cette dernière engendre un modèle
managérial différent ou plutôt conforme à l'analyse
que l'on se fait de l'organisation publique locale6 aujourd'hui.
Nous proposerons alors le modèle d'une gouvernance
partenariale (Charreaux, 2007) qui, dans un nouveau contexte
d'interactions institutionnelles7 , définit l'EPLE
comme un espace en construction dont le changement n'est plus un
attribut mais devient une fin en soit. La notion de
performance8 devient de fait un attribut essentiel de la
gouvernance des EPLE.
6 On entendra par échelon Local, le socle
juridique et territorial sur lequel repose l'EPLE.
7 La collectivité territoriale de rattachement
est un exemple parmi d'autres.
8 On entendra par performance le résultat
ultime de l'ensemble des efforts d'une entreprise ou d'une organisation. Ces
efforts consistent à faire les bonnes choses, de la bonne façon,
rapidement, au bon moment, au moindre coût, pour produire les bons
résultats répondant aux besoins et aux attentes des clients, leur
donner satisfaction et atteindre les objectifs fixés par l'organisation.
Nous voyons alors apparaître les objectifs, et le contrôle des
moyens, deux axes porteurs pour notre lecture du concept.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Il nous faut alors expliciter ces analyses en prenant
l'exemple du fonctionnement des établissements secondaires et de leurs
différentes instances. Trois d'entre elles nous semblent
emblématiques de leur fonctionnement : le Chef d'établissement
ordonnateur; les instances éducatives et pédagogiques de l'EPLE ;
les relations avec les acteurs sociaux et les acteurs territoriaux.
Dans le cadre d'un EPLE, on peut trouver empiriquement quelques
éléments de « bonne gouvernance »9 :
· Le conseil d'administration ;
· Les comités spécialisés ;
· La transparence relative des informations.
Dans le modèle organisationnel actuel de l'EPLE, qui
avant la phase de décentralisation était contrôlé
par une tutelle unique, il nous faut faire un parallèle avec un hybride
des modèles shareholder (« porteur de part », fort
contrôle par l'État et mise en place d'un contrôle des
activités par la collectivité de rattachement) et stakeholder (
« parties prenantes », volonté de prise en compte de toutes
les parties , volonté de mettre en oeuvre une démarche
participative, coopérative et volonté de favoriser la confiance
).
9 Cette mention revient dans les Rapports des
Inspections Générales. Elle ne définit pas la nature de la
gouvernance mais indique l'orientation qu'elle peut ou pourrait revêtir.
Le problème demeurant la qualification exacte que l'on entend par le
vocable « bonne »: adéquate ? Dans quel cadre ? Pour quel
contrôle ? Il s'agira pour nous d'une forme de gouvernance adaptée
au contexte public que nous étudions ; avec les limites
inhérentes à cette première définition.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
On peut noter des obstacles à la mise en place d'
« une bonne gouvernance » :
· La difficulté pour définir les parties
prenantes est forte dans le domaine éducatif et d'autant plus
problématique que la constitution des parties prenantes est
évolutive.
· La transparence « relative10 »
(la culture de la rétention de l'information, les codes, les
procédures complexes, la terminologie) induisent une asymétrie
d'information profitable aux membres de l'EPLE.
La mise en place des contrats d'objectifs dans le cadre de la
réforme de l'état, vecteur possible d'un changement avec
notamment la « culture du résultat », l'utilisation des
indicateurs de performances et d'objectifs globaux, doivent pouvoir assouplir
les blocages et favoriser la « bonne gouvernance »11,
même si l'on note des difficultés dans la mise en place de la LOLF
dans le système éducatif.
Cependant, on passe d'une culture de moyens par chapitre(s)
à une culture de moyens par programme(s), limitant encore davantage la
fluidité et l'autonomie réelle, en imposant de nouvelles
contraintes, comme l'indique le Cercle de la Réforme de l'État
dans son mémento : la réforme dont l'État a besoin. De
plus, le rapport des Inspections Générales, « mise en oeuvre
de la LOLF » de juin 2006, fait apparaître cette situation
10 Notons ici qu'il ne s'agit pas d'une
volonté de rétention de d'information mais d'une probable
inadéquation du système d'information aux complexités des
demandes actuelles de ces mêmes parties prenantes.
11 Rapport sur le pilotage du système
éducatif dans les académies à l'épreuve de la LOLF
- Mars 2007-IGEN-IGAEN-IGF (site du MEN, publications, rapports)
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
(« réussite technique.... de la mise en place des
BOP/ BOP et pilotage.... des enjeux mal perçus »).
Le pilotage des EPLE est lui une réalité, sans
doute limitée au regard des pays voisins, mais il dispose d'un cadre
règlementaire (Lois de décentralisation, Lois d'orientation et
sur l'avenir de l'école).
Simple exécutant avant les lois de
décentralisation et d'orientation de 1989 puis de 2005, le dirigeant de
l'EPLE est culturellement dans un cadre où il doit rendre des comptes.
Le changement intervenant sur la nature des comptes à
rendre.
Dans une première phase de centralisme bureaucratique,
la tutelle unique de l'Etat imposait les missions, les objectifs. L'absence
d'autonomie dans la mise en oeuvre rendait donc problématique la notion
de gouvernance, bien que l'un puisse repérer des plages d'incertitude
entre les règles. Ces plages étaient alors une opportunité
d'autonomie pour les structures locales.
Les lois de décentralisation, la loi d'orientation de
1989 puis la loi sur l'avenir de l'école de 2005, la loi sur la
cohésion sociale ou la Loi du 11 février 2005 relative aux
personnes handicapées, ont créé un nouvel «
actionnaire », la Collectivité de rattachement, et
développé la prise en compte des parties prenantes (usager,
environnement économique et local, communautés urbaines).
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Le pilotage, relativement autonome, a induit la mise en place
de son contrôle par toutes les parties. La notion de gouvernance, ou,
plutôt, de « bonne gouvernance », semble ainsi émerger
de l'autonomie, certes toujours limitée, de l'EPLE.
On revient donc sur cet hybride du modèle shareholder
(«porteur de part», contrôle par l'Etat et Collectivité
de rattachement -- Conseil Général ou Régional) et du
modèle stakeholder. On se demandera alors si le contrôle toujours
« marqué » de l'Etat, dans le cas de L'EPLE, permet
d'envisager une convergence vers un modèle stakeholder, avec
ces deux types de parties prenantes :
· En arrière-plan, les parties prenantes
contractuelles qui concernent les acteurs en relation directe et
déterminée contractuellement avec l'entreprise (par exemple, les
clients, les fournisseurs, les salariés, les actionnaires).
· A la périphérie, les parties prenantes
« diffuses » qui sont les acteurs situés autour de
l'entreprise envers lesquels l'action de cette dernière se trouve
impactée mais sans pour autant se trouver en lien contractuel
véritable (par exemple, les collectivités locales, les organismes
publics, les ONG).
C'est un changement culturel, où l'on évolue
d'une situation où seul l'intérêt de l'État
(état de fait) compte, à une scène publique
partenariale dans laquelle il est impératif de valoriser
l'intérêt global des parties prenantes (avec des enjeux parfois
contradictoires)12.
12 Le Management dans les organisations publiques,
Batoli Annie, Dunod, 2004.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
En observant l'Etablissement Public Local d'Enseignement,
certains obstacles à la mise en place de cette « bonne gouvernance
» apparaissent. Peuvent-ils devenir des points d'appui?
· Le rôle dual du Chef d'Etablissement au conseil
d'Administration (représentant l'État, Président - exemple
d'hybridation des deux modèles) avec pour l'instant un contrôle
certain par la voie hiérarchique, associé à une
volonté affichée d'inclure les parties prenantes dans la
définition des objectifs, voire même de laisser la porte ouverte
à une présidence extérieure.
· La multiplicité des comités
spécialisés dans l'EPLE induit de facto une capacité de
réflexion et de proposition réelle mais parfois peu audible (par
la faible représentativité des membres et par la « toute
puissance » de l'injonction hiérarchique).
· La difficulté à définir les
parties prenantes dans le domaine
éducatif (de plus la constitution
des parties prenantes est évolutive).
· La transparence relative (la culture de la «
rétention » de l'information, les codes, les procédures
« complexes », les diverses formes de terminologie) induit une
asymétrie de l'information profitable aux membres de l'EPLE, alors
que la transparence « encourage la bonne gouvernance
»13.
· La difficulté pour les services centraux de
laisser une réelle autonomie aux Rectorats, et aux EPLE ; le formalisme
contractuel, l'incitation (ou l'injonction) à définir la
politique de l'EPLE avec les parties prenantes, tout en respectant les
objectifs nationaux.
13 Vers un nouveau mode de gestion de l'Education
Nationale inspiré des enseignements des théories de l'agence et
des parties prenantes. Pupion, Leroux, Latouille, Paumier (2006).
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
La question étant se savoir si la mise en place des
Contrats d'objectifs, dans le cadre de la réforme de l'état, avec
notamment une évaluation pluriannuelle, sera un vecteur possible d'un
changement avec de nouveaux outils (« culture du résultat »
?). L'utilisation des indicateurs de performances et d'objectifs globaux
pourra-t-elle amoindrir les blocages et favoriser la « bonne gouvernance
»14 en s'appuyant sur des démarches
d'expérimentation ? On note déjà quelques
difficultés et des résistances dans la mise en place de la LOLF
dans le système éducatif15. La notion de « bonnes
pratiques » se substitue souvent à celle de gouvernance pour
l'EPLE. Pourquoi ce changement de terme ? Cela viendrait confirmer l'analyse
selon laquelle le terme même est problématique car porteur d'une
lecture politique et managériale encore excentrée par
rapport à la notion de Service public.
Enfin, la place des attentes (institutionnelles ?) concernant
la « performance » dans la gestion quotidienne des EPLE, est une des
caractéristiques de sa gouvernance.
Sans remonter à la mise en place de la RCB
(Rationalisation des Choix budgétaires), la performance, l'efficience et
l'efficacité de la fonction publique sont une préoccupation
permanente depuis la deuxième partie du XXème
siècle.
14 Voir à ce sujet la place «
institutionnelle » du travail des Commission à l'Assemblée
Nationale dans l'article de Daniel HOCHEDEZ : La mission d'évaluation et
de contrôle (MEC) - Une volonté de retour aux sources du Parlement
: la défense du citoyen -- contribuable, n° 68 de la
Revue Française de Finances Publiques -- Décembre 1999.
15 Voir à ce sujet Réforme des
finances publiques, démocratie et bonne gouvernance, Actes de
l'Université de Finances publiques du Groupe Européen de
Recherche en Finances Publiques, Michel Bouvier (Dir). Novembre 2004,
L.G.D.J.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
Pour les favoriser, trois étapes
(déconcentration, décentralisation, contractualisation) se sont
succédées et sont en phase d'évaluation (Debene,
200616). La LOLF, qui en est la structure la plus aboutie, tout en
refondant l'essentiel des modes d'évaluation des politiques publiques,
positionne aujourd'hui l'EPLE comme un acteur central de la mise en place de
cette réforme.
Cependant, le cadre de cette « performance » n'est
pas le encore résultat d'un dialogue assumé entre les parties
prenantes (« contractuelles ou diffuses »), mais bien, la
définition par l'État (par un processus vertical), d'indicateurs
(indicateurs académiques et indicateurs nationaux...). On peut
néanmoins parler de nouvelles « bases » pour un pilotage
multi référencé et multidimensionnel au sein de la
sphère publique (voir le dialogue de gestion avec les services
académiques).
La nature même de la responsabilité de l'acteur
(qui doit être un élément fondateur dans le dialogue de
gestion), sur le terrain, n'est pas précisée.
Si on s'attache plus précisément aux 629
objectifs, aux 1284 indicateurs (Rapport sur Le pilotage du système
éducatif dans les académies à l'épreuve de la
LOLF), on peut s'interroger sur :
· la pertinence des objectifs (attentes sociales
plutôt que priorité assignée aux responsables).
16 Debène, Marc, Économie et management
: la lolf et l'éducation nationale, juin 2006.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
· la pertinence des indicateurs (sont-ils
vérifiables ? solides ? pertinent17 ?)
· la réalité et la nature profonde de cette
« culture » d'évaluation.
Pour sortir de l'approche « réponse à la
demande sociétale », le rapport nous propose plusieurs axes et
quelques pistes :
· Evaluer : taux de remplacement,
· Contrôler : taux de rendement des remplacements,
part du potentiel enseignant consacré à la classe, effectif des
classes,
· Positionner : stabilité des enseignants en ZEP,
· Diriger : définir un nombre limité
d'objectifs,
· Piloter18 : construire un tableau de
bord unique et transparent du contrôle de gestion.
Cependant, l'absence d'outils de pilotage
avérés, l'inadaptation du système d'information des EPLE,
la confusion dans les concepts utilisés et la mise à
l'écart du dialogue de gestion rendent difficile la mise en place de la
mesure de la performance attendue par les parties prenantes.
17 La question n'est pas seulement une question de
forme. Il faut s'interroger sur la nature des indicateurs tels que
définis dans les différents Contrats d'objectifs. Le
problème posé est bien la référence, le
référent (organisationnel, culturel, institutionnel ?). Comment
une structure qui commence à se construire comme organisation à
part entière sur la scène économique et sociale peut-elle
trouver un référent viable pour accroître sa propre
efficience et apprendre de ses changements ?
18 Chacun de ses items reprend les fonctions des
Personnels de Direction (texte cadre de 2001). La lecture induite de la
gouvernance serait la suivante : la gouvernance de l'EPLE est (indirectement ou
directement) celle de son premier Représentant, Le Chef d'Etablissement.
La question de la représentation, abordée en deuxième
partie de ce Mémoire, est bien un aspect central de ce mode de
gouvernance.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?
C'est bien le concept de pilotage qui retient notre attention
à l'issue cette première analyse contrastée de la
gouvernance de l'EPLE : pilotage par objectifs, pilotage «partagé
» et pilotage partenarial. Ce dernier aspect nous semble être une
des « entrées » possible dans la « sphère publique
», tant sur le plan conceptuel que sur le plan managérial. Ce sont
moins les modalités de la gouvernance publique que sa nature même
qui apparaissent et qui nous permettront de questionner la place et le
rôle des acteurs dans sa mise en oeuvre ainsi que les (en)jeux
de pouvoir(s) mis en oeuvre dans cette nouvelle scène publique.
Quelle gouvernance pour l'EPLE : de l'institution à
l'organisation, vers un nouveau
modèle public ?