II.2.2. La croissance spatiale
Il nous est quasiment impossible de décrire et
d'analyser l'évolution spatiale des villes africaines, notamment
Ouagadougou sans faire référence au modèle sur lequel
elles ont été érigées. Le 1er mars 1919,
Ouagadougou devenait la capitale de la nouvelle colonie de Haute Volta. Sous
l'impulsion du premier gouverneur, le Lieutenant François Charles Alexis
Edouard Hesling, de profondes modifications s'opérèrent dans le
paysage urbain. Afin de mieux étendre son pouvoir, il procéda
à une différenciation fonctionnelle des quartiers qui
constituaient la ville (RICARD A., 2002). Il fut ainsi construit un quartier
administratif et un quartier commercial, nettement séparés des
quartiers traditionnels et du centre historique de la ville (RICARD A., op.
cit.). Les quartiers administratifs ou européens se
différenciaient des quartiers traditionnels par leur niveau
d'équipement et d'aménagement (larges rues droites,
édifices rectangulaires). Cette différenciation de l'espace en
quartiers centraux privilégiés en matière
d'équipements par rapport aux quartiers périphériques, a
fini par influencer fortement la répartition des services sociaux de
base, et par s'imposer comme une approche d'urbanisme. Elle aura des
implications sur les conditions d'approvisionnement en eau de la ville que nous
évoquerons dans les lignes à venir.
La croissance accélérée de la population
a entraîné un développement rapide du tissu urbain. La
ville de Ouagadougou s'étend à une allure inquiétante
depuis les années 1970. Comme nous l'avons déjà
évoqué, cette extension est imputable à deux dynamiques
parallèles : l'une dite légale parce que planifiée et
contrôlée par l'Etat et l'autre dite irrégulière
produisant les zones irrégulières. Ces deux dynamiques ont pour
point commun un mode de construction horizontal qui se traduit par une
superficie qui passe de 32,7 km² en 1960 à 87,6 km² en 1980,
pour atteindre 170,5 km² en 1990 et 201 km² en 2000 (UR CTEM, 2006).
L'évolution spatiale peut se percevoir à travers la carte 2.
Avant 1960, la croissance spatiale de la ville était
modérée puisque le flux migratoire était faible et plus
orienté vers le centre ville (Bilibambili, Dapoya, Paspanga, Ouidi).
De 1960 à 1984, à la faveur de
l'indépendance et des sécheresses des années 1970, le
phénomène migratoire prit une ampleur considérable,
engendrant une extension démesurée de l'espace urbain avec pour
corollaire, le développement des quartiers irréguliers. Au cours
de cette période, les rares opérations de lotissement ne
s'inscrivaient dans aucune logique ou programme d'ensemble. A peine plus de 1
000 ha ont été restructurés, soit 20 ha par an (YRA A.,
2002), bien que la nécessité s'en soit faite
énormément sentir.
Carte 2: Croissance
spatiale de Ouagadougou de 1932 à 2003
La période allant de 1984 à 1991 a
été caractérisée par les lotissements populaires
à grande échelle, organisés par le pouvoir
révolutionnaire. Cela a permis de dégager 64 000 parcelles sur un
espace de 3 000 ha (MIHU, 1999, cité par YRA A., 2002) et contribua
à accroître de façon considérable l'espace urbain en
changeant sa physionomie. Cependant, cela a introduit une spéculation
foncière qui a relégué les pauvres en
périphérie et maintenu les pratiques d'occupation illégale
de l'espace urbain (OUATTARA A., 2004).
De 1991 à 2003, d'énormes efforts furent
consentis par les autorités à travers le plan de
développement des villes moyennes sensé retenir les populations
rurales et freiner l'extension démesurée qui avait repris corps
depuis le début des années 1990. Comme la
précédente opération, le succès fut passager. En
effet, l'intégration des villages périurbains dans le territoire
communal a favorisé l'extension des limites de l'urbanisation
régulière et irrégulière (Graphique 2).
Graphique 2 : Evolution de
la surface urbaine
Source : UR CTEM, 2006
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La lecture de la figure révèle que les espaces
irréguliers représentaient près de la moitié de la
surface urbaine totale au cours des années d'indépendance. Ils se
sont développés à partir de cette date, en témoigne
leur taux de croissance en 1975, plus de trois fois supérieur (11%)
à celui des zones régulières (3%) selon la SAED
(Société d'Aménagement et de Développement) (YRA
A., 2002). Ils représentaient 75% de la superficie urbaine totale au
début des années 1980, chiffre révélateur de la
forte croissance de ces espaces qui accueillaient alors plus de 60% de la
population. L'opération de restructuration entreprise par le CNR
(Conseil National de la Révolution) a permis de les réduire
considérablement à la fin des années 1980. Cependant,
l'urbanisation irrégulière qui avait repris dès le
début des années 1990, concernait plus de 6 000 ha en 1996 et
s'est accompagnée à partir de cette date d'une densification plus
significative (JANIQUE E., 2006). La population qui y résidait
était alors estimée à plus de 300 000 habitants soit plus
du tiers de la population totale (MDHU, 1996, cité par YRA A., 2002).
D'une manière générale, on peut retenir
que les plans d'urbanisme qui se sont succédés depuis 1960
(étude d'urbanisme de 1961, schéma de structure de 1973,
schéma d'aménagement de la banlieue de Ouagadougou, projet Grand
Ouaga) sont restés sans effet satisfaisant sur la croissance des zones
irrégulières. Ces espaces n'étant pas officiellement
reconnus, ils ne bénéficient pas d'équipement de base.
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