II. LE CAS DE LA
ZONE DE YEUMBEUL
Pour mieux comprendre le phénomène des
inondations à Yeumbeul, nous allons d'abord présenter la
situation topographique, ensuite parler du processus de remise en eau des
cuvettes et des stratégies des populations et des autorités
locales
Sur les 83 quartiers que compte la Commune d'Arrondissement de
Yeumbeul nord, deux ont été recensés comme étant
entièrement inondés. Ce sont les quartiers Médina Gazon et
Darou Rahman I. Nous nous sommes uniquement intéressée à
Médina Gazon. Sur les vingt quartiers partiellement inondés,
trois quartiers ont été visités : Darou Salam IV/C,
Darou Salam V/C et Léona Yeumbeul nord.
1. La situation topographique
Les altitudes varient de 0 à 16 m. Les altitudes les
plus basses sont rencontrées aux lacs Ouarouaye et
Youi. Les quartiers irréguliers de Darou Salam et Médina
Gazon sont dans des dépressions situées à 5 m du niveau de
la mer. Ils sont entourés de dunes culminant à 16m au Camp de la
Marine et à 12 m dans le village traditionnel de Yeumbeul. Cette
dénivellation justifie en partie la vulnérabilité aux
inondations.
2. La revitalisation des niayes et l'inondation d'habitations
Avant les années 70, le site sur lequel se trouvent les
quartiers Médina Gazon et Darou Salam IV/C et V/C s'appelait
Reumbeut ou Yawax selon les sources. Il était selon le
communicateur traditionnel interrogé, occupé par un marigot
entouré de champs. A partir de 1970, les pluies sont devenues moins
importantes et la dépression s'était considérablement
asséchée. Le niveau de la nappe s'était abaissé et
les sols sont progressivement devenus plus salés. Certains champs sont
abandonnés et les propriétaires ont progressivement vendu les
terres à des migrants venus en majorité de l'intérieur du
pays.
Le quartier Médina Gazon est crée en 1978 et
portait alors le nom de Darou Salam. Il regroupe principalement des migrants
venus de l'intérieur du pays. C'est en 1998 que le nom a changé
pour devenir Médina Gazon à cause du développement du
tapis herbacé. En effet, le quartier est situé au coeur d'une
dépression et sa caractéristique principale est l'importance du
couvert végétal aussi bien dans les maisons que dans les
rues.
C'est à partir de 1989 que les populations ont
remarqué le retour de la pluviométrie. En effet, la région
de Dakar a eu un cumul de 573,8 mm. Le site (Médina Gazon) a alors
retrouvé ses caractéristiques d'antan c'est-à-dire
l'humidité. Les populations ont vu leurs habitations être
envahies par les eaux en hivernage. A partir de 1998 avec un cumul de 342,8
mm, la situation s'aggrave et l'eau stagne pendant toute l'année. Avec
l'excédent pluviométrique des années suivantes, le
phénomène est devenu récurrent. En effet, 1999 a
enregistré 481,8 mm soit un excédent de 44 mm et 2000 un cumul de
580 mm soit un excédent de 143 mm par rapport à la moyenne de la
période 1950-2003. Ainsi dans certains quartiers de Yeumbeul comme Darou
Salam V et Médina Gazon les marigots sont complètement
revitalisés. « Tous les cours d'eau se sont
revitalisés, on dirait que maintenant on vit dans une
île » nous a dit un occupant. Cependant, selon une
personne âgée vivant dans le quartier de Aïnoumadhi I,
« il ne s'agit pas d'inondation car en vivant dans une maison
où on peut creuser et avoir de l'eau à moins de deux
mètres pour faire ses briques et faire du maraîchage, on doit
savoir que c'est une voie d'eau donc inhabitable, ces personnes sont venues
trouver l'eau et non le contraire »
La stagnation permanente de l'eau est aussi le résultat
d'une action anthropique. Il y a actuellement une imperméabilisation du
substrat dunaire par les constructions ce qui accentue le ruissellement au
détriment de l'infiltration. En effet, la texture sableuse des sols de
dunes favorisait une grande infiltration des eaux de pluies ; actuellement le
sol est à 54 % recouvert par des constructions et les eaux de pluies
ruissellent vers la dépression qui, elle aussi, est occupée par
des constructions.
Les dépressions ont une orientation longitudinale
Nord-Est Sud-Ouest. Or les populations ont procédé à des
remblaiements qui ont coupé la dépression en deux d'où la
stagnation des eaux de part et d'autre du cordon de sable ou d'ordures qu'est
le remblai. Cette situation entraîne la perturbation du réseau
hydrographique. Aussi la proximité de la nappe (à deux
mètres) explique la rapide saturation du sol et freine l'infiltration
des eaux de pluies qui stagnent pendant toute l'année.
A Léona Yeumbeul Nord, les habitants associent
l'inondation à la construction de la route. Des remblaiements ont
été effectués à l'entame des travaux pour
éviter l'inondation de la route par les eaux pluviales. Cette situation
a contribué à accentuer la pente vers la dépression et qui
y achemine toutes les eaux de ruissellement. Ainsi les constructions
situées au coeur de la dépression, sont en permanence
inondées; celles qui sont situées sur les flancs de dunes sont
partiellement et temporairement occupées par les eaux.
Les inondations sont aussi une des conséquences de
l'arrêt du pompage et de l'exploitation de la nappe de Thiaroye sur
laquelle repose le site de Yeumbeul. En effet cette nappe était
exploitée depuis 1950 pour alimenter une partie de la capitale. En 1980,
la nappe produisait 12000 m3 d'eau par jour; en 1993, 21000 m d'eau sont
pompés quotidiennement à partir de sept forages. Cependant, au
cours de ces dernières années, la nappe de Thiaroye est fortement
polluée ( Senagrosol, 2003). Ainsi, les autorités ont
décidé d'arrêter son exploitation. L'arrêt de ces
pompages a provoqué le relèvement du niveau de la nappe
même si par ailleurs le pompage a été prolongé pour
certains forages afin d'éviter les inondations des zones basses.
Les inondations posent des problèmes de
sécurité importants. En effet, les populations soulignent des
risques d'électrocution à cause des installations très
précaires. Dans le quartier de Darou Salam IV les poteaux
électriques se détériorent (photo 4). D'après le
délégué de quartier, la nappe était tellement
proche que les agents de la SENELEC étaient obligés de placer les
poteaux dans des supports métalliques remplis de sable avant de les
enfouir dans le sol. Actuellement, les poteaux sont penchés à
cause de la corrosion des supports qui ne parviennent plus à jouer leur
rôle.
Photo 4:
Détérioration des installations électriques à
Médina Gazon
La situation est similaire pour les habitations, constamment
exposées à l'humidité et à la corrosion des eaux
saumâtres. Ainsi, à Médina Gazon, murs humides,
fissurés et rongés par les eaux sont les manifestations de la
dégradation et menacent les habitants « Le mur peut
s'effondrer en pleine nuit et tuer nos enfants », nous
a dit une femme qui habite Darou Salam IV/C.
Photo 5: Corrosion des
constructions dans le quartier de Darou Salam IV/C
La revitalisation des anciens cours d'eau a isolé
certains quartiers et certaines voies sont occupées par l'eau pendant 6
à 7 mois. La circulation des véhicules et des piétons
devient ainsi de plus en plus difficile. Cette situation est en porte à
faux avec les normes en matière d'urbanisme. En effet,
« pour qu'une vie sociale soit possible, il faudrait que les
populations puissent se déplacer et se rencontrer »
(Claval, 1986).
Cet enclavement né de l'inondation des voies, porte
atteinte à une bonne prise en charge sanitaire des populations
résidents dans ces quartiers (Sané, 2003). Au poste de
santé de Aïnoumadhi SOTRAC, l'infirmier a souligné que les
évacuations des malades vers les structures de santé sont
impossibles pour certains quartiers ce qui explique l'importance des
accouchements à domicile. L'enclavement est accentué par
l'inondation de la station services située à l'entrée de
Yeumbeul qui gêne à certaines périodes de l'année
l'accès à Yeumbeul et Malika
Photo 6: Inondation
à l'entrée de Yeumbeul en 2005
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