Section 2 - Défi et perspectives
Un faisceau de facteurs intimement imbriqués bloque le
plein exercice des droits politique de la femme au Niger. Toutefois, à
la faveur du processus démocratique et surtout de l'évolution du
contexte international depuis quelques décennies, ces obstacles ne sont
plus insurmontables. Quels sont les obstacles à l'effectivité des
droits politiques de la femme nigérienne ? Quelles sont alors les
possibilités d'améliorer la situation actuelle ? Voilà
deux (2) questions auxquelles cette dernière section de l'étude
tentera de répondre.
A- les défis à relever :
Selon Abdou Hamani, « La sous-représentation
des femmes dans les sphères du pouvoir politique est un problème
mondial. »73 Au Niger, les facteurs qui freinent la
participation politique des femmes sont de plusieurs ordres et se situent dans
certains cas en dehors du champ politique ou du moins en amont des manifestions
du politique. L'on distingue des facteurs sociaux, culturels,
économiques et juridiques qui se conjuguent et influent sur l'exercice
des droits politiques des femmes au Niger.
· Au plan culturel, le faible taux de scolarisation
et donc l'accès limité des femmes à l'instruction
constitue un handicap majeur à la jouissance effective des droits
politiques des femmes. En effet le taux de scolarisation au Niger est l'un des
plus faibles de la
72 Diaw C. Aminata, Op. Cit. p 20
73 Hamani Abdou, Op. Cit., p 171
Sous région ouest africaine. Mais il a connu une
évolution sensible au cours des dernières années. Le
tableau ci-dessous nous renseigne sur le taux brut de scolarisation.
Taux brut de scolarisation au Niger (les chiffres dans le
corps tableau sont des pourcentages)
|
1999-2000
|
2000-2001
|
2001-2002
|
2002-2003
|
2003-2004
|
2004-2005
|
ENSEMBLE
|
34
|
37
|
42
|
45
|
50
|
52
|
FILLES
|
27
|
30
|
33
|
37
|
40
|
43
|
GARCONS
|
39
|
45
|
50
|
54
|
60
|
63
|
Sources : Ministère de l'Education de
Base et de l'Alphabétisation (MEBA), annuaire statistique 2004 - 2005
L'évolution du taux de scolarisation est beaucoup plus
marquée chez les garçons que chez les filles où ce taux
est de 43 % en 2005 alors que la moyenne nationale est de 52%. Cette
disparité dans l'égalité des chances dans l'accès
à l'école se traduit à long terme par une
inégalité dans l'accès aux emplois publics et bien
d'autres opportunités. L'analphabétisme qui frappe plus les
femmes que les hommes, leur empêche d'exploiter toutes leurs
potentialités dans la vie. Le Niger est loin de réaliser
l'objectif de « garantir à tous une éducation primaire
» et de la cible d'«éliminer la disparité
entre les sexes dans les enseignements primaires et secondaires d'ici 2005 si
possible et, à tous les niveaux de l'enseignement en 2015 au plus
tard ».74
Le volume des tâches ménagères a une
influence négative à la fois sur le taux de scolarisation et
à la survie scolaire des jeunes filles gardées auprès de
leurs mères qu'elles aident dans les travaux domestiques. Selon le
Document de Stratégie de Réduction de la Pauvreté (DSRP),
« le faible niveau d'éducation de la jeune fille et
d'alphabétisation de la femme s'explique également par la
persistance des pesanteurs socioculturelles (notamment les mariages
forcés, la claustration, etc.) l'interprétation erronée
des préceptes de l'islam qui régissent la vie de la
société et la méconnaissance de leurs droits par les
femmes. »75
· Sur le plan social, les modèles et
stéréotypes basés sur l'infériorité de la
femme conduisent à la masculinisation de certaines
responsabilités et activités auxquelles les femmes ont plus de
peine à accéder (postes de cadres de commandement par exemple).
Certaines pratiques sociales fondées sur la religion ou les coutumes (la
claustration par exemple) font échec aux principes égalitaires
dont sont porteurs les textes consacrant les droits politiques de la femme, y
compris la constitution. Ce que confirme le RNDH 2004 qui souligne que «
les
74 Voir Objectifs du Millénaire pour le
développement.
75 Cabinet du Premier Ministre de la République
du Niger, Op. cit., p 44
résistances socio-culturelles à
l'égalité des hommes et femmes et à l'autonomisation des
femmes constituent l'un des principaux obstacles à surmonter pour
introduire des réformes en faveur des femmes. Les mariages
précoces, la division sexuelle du travail, les mariages forcés et
la persistance de pratiques néfastes comme les mutilations
génitales des femmes dans certaines zones, constituent autant
d'obstacles à la promotion des femmes. »76
· Du point de vue économique, la pauvreté
généralisée du pays, qui frappe les femmes en particulier,
est un handicap sérieux à leur plein épanouissement. Le
DSRP du Niger révèle que 63 % des nigériens (soit deux
nigériens sur trois) vivent en dessous du seuil de la pauvreté et
34 % (une personne sur trois) vivent en dessous du seuil de l'extrême
pauvreté. Selon le RNDH Niger 2004, «beaucoup plus
marquée en milieu rural, la pauvreté affecte moins les hommes que
les femmes, notamment les femmes au foyer et les inactifs à hauteur de
75%. »77
Victimes de discriminations dans l'accès aux emplois
les plus rémunérateurs, elles ont un accès très
limité aux moyens de production. Dans ces conditions le combat quotidien
des femmes pour la satisfaction des besoins pratiques (trouver de l'eau, se
nourrir, soigner ses enfants, se vêtir, etc.) a tendance à prendre
le pas sur la défense de leurs intérêts
stratégiques. Le contexte socio-économique actuel du Niger ne
permettra pas, à court et moyen terme, d'éliminer
l'inégalité des sexes ainsi que les disparités entre les
sexes.
· Sur le plan juridique et institutionnel, il se pose un
problème de garantie des droits affirmés par les conventions
internationales et les normes nationales. L'exemple le plus récent se
rapporte aux dispositions de la loi sur le quota qui ont permis une
amélioration de la représentation des femmes dans les fonctions
électives mais peinent à s'imposer dans les mesures nominatives.
La garantie du recours à la Chambre administrative est difficile
à mettre en oeuvre comme nous l'avons vu plus haut. Ce qui fait dire
à la Direction de la Promotion de la femme que « dans les
faits, la loi sur le quota n'est pas aisée à mettre en oeuvre.
»78
Par ailleurs, avec le poids des traditions et de l'influence
de la religion, l'écrasante majorité des femmes
nigériennes ignorent jusqu'à l'existence des lois et conventions
qui leur accordent des droits égalitaires. Les réserves du Niger
à la CEDEF, qui selon certains Etats parties à la convention,
«vident l'engagement de la République du Niger de tout contenu
»79, s'expliquent en grande partie par la reconnaissance
de cette réalité sociologique.
76 Système des Nations Unies au Niger, Op. Cit. p 78
77 Ibid. p 32
78 MDS/P/PF/PE, Op. Cit. p 22
79 Voir RJDH, recueils des instruments juridiques
internationaux et régionaux africains relatifs aux droits humains
ratifiés par le Niger, Niamey, NIN, 2003, p 75
Il faut souligner la cohabitation entre les normes
coutumières et le droit moderne qui lui- même a ses propres
contradictions internes. Certaines dispositions de la loi sont par exemple
contraires aux principes généraux énoncés par la
constitution. Le cas typique est celui de l'article 223 du code civil qui
reconnaît à l'époux un droit d'opposition au travail de la
femme en violation de l'article 25 de la Constitution qui reconnaît
« à tous les citoyens le droit au travail» ainsi que
des conventions internationales relatives aux droits de l'homme
ratifiées par le Niger.
Le statu quo qui correspond à la sous
représentation des femmes dans les institutions devient difficile
à réformer car les principales personnes concernées, les
femmes, ne sont pas toujours suffisamment associées aux
réflexions et à l'élaboration des politiques. Cela est
d'autant plus vrai que le niveau d'organisation et de coordination des
organisations de promotion des droits de la femme n'est pas de nature à
ébranler le rapport de forces ou à jouer un rôle de
persuasion et de dissuasion en faveur des droits politiques de la femme
auprès des décideurs.
B - Perspectives d'amélioration des conditions
d'exercices des droits politiques de la femme
Au Niger, pas plus qu'ailleurs, la réforme des
questions liées aux habitudes, aux comportements sociaux n'est jamais
aisée. La vision égalitaire du droit issue des conventions
internationales et de la constitution se heurte aux résistances
socioculturelles et religieuses. Mais aujourd'hui la réforme s'impose
car le Niger a souscrit à des engagements et il est de plus en plus
évident pour tout le monde qu'un Etat démocratique ne peut se
construire sur la base de la discrimination entre les citoyens. En effet
«l'inégalité entre les sexes est un gaspillages de
ressources et de potentialités précieuses et ne s'accorde pas aux
valeurs déclarées d'une démocratie pluraliste.
»80
L'élimination des disparités entre les sexes en
matière de droits est un impératif de développement auquel
le Niger ne saurait se soustraire. Pour améliorer l'exercice effectif
des droits politiques de la femme, quelques pistes de réflexion et
peut-être d'action peuvent être judicieusement envisagées.
Il s'agira avant tout de moderniser le droit en la matière, d'apporter
plus de garantie aux droits politiques de la femme et de faire en sorte que le
Niger puisse respecter ses engagements internationaux.
80 Hamani Abdou, Op. Cit. p183
· Réformer les normes
coutumières et modernes en ce qu'elles ont de discriminatoire :
La Constitution et les conventions internationales régulièrement
ratifiées par le Niger se trouvent au sommet de la hiérarchie des
normes. Il est donc impératif d'engager un travail d'harmonisation des
normes inférieures (lois, règlements et coutumes). Il s'agira
là d'un travail qui doit s'inscrire dans le moyen et long terme avec une
forte implication des parties prenantes dans un processus de négociation
et d'information. Il faudrait informer les citoyens et leur donner
déjà l'occasion de mettre en oeuvre l'article 113 de la
Constitution selon lequel « toute personne partie à un
procès peut soulever l'inconstitutionnalité d'une loi devant
toute juridiction par voie d'exception. » Un Observatoire national de
la promotion de la femme opérationnel travaillant en collaboration avec
la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés
Fondamentales pourrait apporter cet éclairage soit directement soit
à travers les organisations de la société civile.
· Lever les réserves du Niger à la
CEDEF : La Convention sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes, est considérer comme
une véritable charte des droits de la femmes. La levée des
réserves émises par la république du Niger permettra de
faire bénéficier aux femmes nigériennes de l'ensemble des
droits affirmés par la convention. Cela permettra surtout d'ôter
toute base juridique aux nombreuses discriminations dont les femmes sont
victimes.
· Améliorer l'accès des femmes
à l'éducation : Une meilleure jouissance des droits
politiques de la femme passe nécessairement par
l'amélioration de leur accès à l'instruction. Les efforts
de l'Etat pour améliorer le taux de scolarisation et celui de la jeune
fille en particulier doivent se poursuivre à tous les niveaux de
l'enseignement. Mais l'amélioration du taux de scolarisation ne suffit
pas. Encore faudrait-il mettre l'accent sur la qualité même des
programmes et du cadre de l'école pour augmenter les chances de
réussite des élèves et étudiants. L'école
doit surtout contribuer à éliminer toutes les formes de
discriminations dont sont victimes les femmes et combattre les
stéréotypes fondés sur l'infériorité de la
femme. L'école doit former tous les enfants du pays et en faire des
citoyens égaux.
· Ratifier le protocole à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples relatifs aux droits des femmes,
sans réserve : ce protocole régional vise à
assurer la promotion, la réalisation et la protection des droits de la
femme afin de lui permettre de jouir pleinement de tous les doits humains comme
le précise bien son préambule. Les Etats parties se
déclarent « préoccupés par le fait qu'en
dépit de la ratification par la majorité des États Parties
à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et de tous
les autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, et de
l'engagement solennel pris par ces États d'éliminer toutes les
formes de discrimination et de pratiques néfastes à
l'égard des femmes, la femme en Afrique continue d'être l'objet de
discriminations et de pratiques
néfastes ». Aux termes de l'article 2 du
protocole, ils s'engagent par conséquent à combattre «
la discrimination à l'égard des femmes, sous toutes ses
formes, en adoptant les mesures appropriées aux plans législatif,
institutionnel et autre. »
La ratification de ce protocole permettra de combler les
lacunes nées des réserves du Niger à la CEDEF. Les
organisations féminines ont fait de la ratification intégrale de
ce texte leur cheval de bataille. L'incorporation de ce protocole dans le droit
nigérien rendra hors la loi plusieurs pratiques discriminatoires
à l'égard des femmes.
· Réviser la loi sur le quota :
Initiative louable pour améliorer la participation des femmes à
l'Assemblée, dans les conseils locaux, au Gouvernement et dans les
emplois supérieurs de l'Etat, la loi sur le quota a permis
l'entrée d'un nombre plus élevé de femmes au parlement et
dans les conseils municipaux. Mais comme l'affirme si bien Jacqueline de Groote
« il ne suffit pas que quelques femmes accèdent à de
hautes fonctions. Isolées des autres femmes, elles y deviennent
rapidement des otages du pouvoir en place. Il faut un nombre suffisant de
femmes au pouvoir pour apporter une vision nouvelle des relations entre les
hommes et les femmes dans la société et faire évoluer les
institutions. »81
Avec 12 % de femmes à l'Assemblée Nationale, la
loi sur le quota n'a toutefois pas permis au Niger de réaliser la
moyenne africaine de représentation des femmes au parlement qui est de
14 % alors que la moyenne mondiale est de16 % selon le rapport 2005 des Nations
Unies sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Une
révision plus ambitieuse de ce quota à la hausse s'impose pour
permettre au Niger de s'inscrire parmi les nations qui cherchent à
établir la plus grande équité entre les genres au sein de
la représentation nationale.
Par ailleurs les effets attendus de la loi sur le quota
tardent à se produire au niveau des nominations au niveau du
Gouvernement et des emplois supérieurs de l'Etat et la garantie de
recours offerte par son décret d'application s'avèrent difficile
à mettre en oeuvre. Pour avoir plus d'impact, il faut étendre le
système de quota à toutes les institutions de la
République en réservant des places aux femmes. La révision
du code électoral dans le sens d'introduire la discrimination positive
au regard de la caution à verser et de la répression du
harcèlement basé sur le sexe paraît salutaire pour donner
plus de chance à celles qui en ont le moins dans la préparation
et le déroulement des compétions électorales.
· Offrir plus de garanties aux droits politiques
de la femme : L'Observatoire Nationale de la Promotion de la femme
créé par le Décret n°99-545/PCRN/MDS/P/PF/PE du
81 De Groote J., « pourquoi, partout, la question
de la place de la femme dans le processus de décision et de la
responsabilité publique se pose-t-elle ? », La place de la
femme dans la vie publique et dans la prise de décision, Paris,
L'Harmattan, 1997, p 24
21 décembre 1999 doit être redynamisé pour
lui permettre de jouer un rôle actif dans la promotion et la protection
des droits politiques de la femme. Sa composition doit être revue pour
faire plus de place aux organisations de la société civile
(associations et ONG). Le nombre de fonctionnaires et la présidence
confiée à un ministre ne permettent pas à l'Observatoire
d'avoir l'indépendance ou du moins l'autonomie nécessaire
à la bonne exécution d'une telle mission. Les membres de
l'Observatoire doivent élire leur président et les autres membres
du bureau. Ce mécanisme est plus conforme à l'esprit de la
démocratie et plus approprié à la recherche de
l'efficacité. Cet Observatoire peut travailler étroitement avec
la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des Libertés
Fondamentales (CNDHLF) dont nous avons examiné la mission plus haut,
pour assurer une meilleure protection des droits politiques de la femme. En
effet le pouvoir de recevoir des plaintes, de s'auto-saisir, de mener des
enquêtes et les compétences de médiation reconnus à
la CNDHLF sont autant de mécanismes qui, mis au service de l'exercice
des droits politiques de la femme, permettent de mieux en garantir la
protection. Il suffit finalement de quelques ajustements législatifs et
institutionnels pour garantir une plus grande effectivité des droits
politiques de la femme au Niger.
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