CONCLUSION
De son accession à la souveraineté
internationale (en 1960) à nos jours, la République du Niger a
adhéré ou ratifié la plupart des conventions
internationales affirmant les droits de l'homme y compris les droits politiques
de la femme. Si, en raison de la nature moins démocratique des tous
premiers régimes politiques, les droits politiques n'ont pas
bénéficié de conditions favorables à leur exercice,
avec l'éveil du mouvement féministe international et
l'avènement de la démocratie pluraliste au Niger, le débat
sur les droits de la femme et sa place dans la vie publique prend forme et
vitalité.
Capitalisant les acquis des conventions internationales, la
constitution de la Ve République consacre l'égalité entre
les hommes et les femmes dans la jouissance de leurs droits sur tous les plans.
Sur la plan législatif, la Ve République va reconnaître et
poser très clairement la nécessité d'assurer une plus
grande équité dans la représentation des genres aux haute
fonctions de l'Etat. Pour améliorer l'équité entre les
genres la loi n° 2000-008 du 07 juin 2000 plus connue sous l'appellation
de « Loi sur le quota », fixe pour certaines fonctions
publiques, un minimum de représentation exigé pour l'un ou
l'autre des sexes.
Le caractère démocratique de la Ve
République et la stabilité institutionnelle (au moins du point de
vue de la durée) qui la caractérise ont favorisé
l'émergence et le dynamisme d'une société civile dont une
importante partie se consacre à la promotion de la femme.
Ce cadre juridique et institutionnel a permis
d'améliorer de manière sensible la représentation
politique des nigériennes et leur engagement dans les associations et
les organisations politiques. Sur ce plan la Ve république a fait
assurément mieux que ses devancières.
Toutefois ce jugement peut-être nuancée lorsqu'on
aborde la question en termes de possibilité offerte aux femmes de jouir
de l'ensemble de leurs droits en tant qu'être humain,
indépendamment de l'histoire politique du Niger. Aujourd'hui encore ,
l'on est loin de réaliser la participation équitable des hommes
et des femmes à la prise de décision. Plusieurs facteurs
concourent à cela.
A côté d'un droit égalitaire
consacré par les conventions internationales et la Constitution
nigérienne, évoluent des normes modernes et coutumières
discriminatoires à l'égard des femmes. Cela révèle
le poids des traditions et des pratiques sociales solidement ancrées
dans les mentalités et qu'aucun régime n'a encore osé
réformer profondément. Les réserves formulées par
la République du Niger à la Convention sur l'Elimination de
toutes les
formes de Discrimination à l'Egard des Femmes (CEDEF)
en sont la plus parfaite illustration. A l'article 5 de la CEDEF par exemple,
qui rend hors la loi les idées fondées sur
l'infériorité ou la supériorité d'un sexe, «
le gouvernement de la République du Niger émet des
réserves en ce qui concerne la modification des schémas et
modèles de comportement socioculturels de l'homme et de la femme
»82. Or comme nous l'avons vu plus haut, une pratique comme la
claustration des femmes mariées les prive de la possibilité
d'exercer une activité ou d'occuper une responsabilité en dehors
du foyer. Cette pratique empêche même à une femme d'aller
voter sans l'autorisation de son mari.
L'analphabétisme et la pauvreté
généralisés dans le pays sont aussi des handicaps à
la participation politique des femmes, car celles-ci sont plus frappées
par ces deux phénomènes que les hommes. L'inégalité
dans l'accès à l'éducation et à
l'alphabétisation et le manque d'égalité des chances dans
l'accès et le contrôle des sources de revenus (emploi, moyens de
production, etc.) dans la société contribuent lourdement à
la marginalisation des femmes et leur empêchent de jouir de certains de
leurs droits.
Par ailleurs, en dépit d'un contexte
démocratique plus favorable et de l'émergence d'une
société civile à laquelle prennent activement part les
femmes, les mécanismes de garantie des droits politiques de la femme
restent perfectibles. D'une part certains mécanismes de garantie
politique ne sont pas toujours opérationnels et d'autre part les
garanties juridictionnelles se révèlent souvent difficiles
à mettre en oeuvre. La loi sur le quota par exemple prévoit un
recours contentieux contre les décisions de nomination au Gouvernement
qui n'assureraient pas le quota de 25 % de représentation de l'un ou
l'autre des sexes. Mais cette garantie n'est en réalité qu'une
fausse sécurité car difficile à mettre en oeuvre sur un
plan pratique et techniquement inopérante. En effet, en plus de la
difficulté de savoir qui a intérêt à attaquer une
décision de nomination, il se pose un problème de savoir si la
juridiction administrative peut connaître des actes relatifs à la
nomination des membres du gouvernement considérés par une partie
de la doctrine comme des actes de gouvernement donc, insusceptibles de recours
contentieux. L'absence au Niger d'une jurisprudence établie en la
matière rend le problème entier. Le résultat est que le
quota n'est pas encore réalisé au niveau des mesures de
nomination.
Au delà des difficultés techniques, l'on peut se
poser la question de la volonté politique de faire changer plus
profondément le statu quo qui est du reste largement défavorable
aux femmes. En dépit des discours et des promesses, les partis
politiques,
82 JORN, n° 19 du 1er octobre 1999, p
845
l'administration et les institutions de la République
sont très largement dominés par les hommes. En dehors de
l'Assemblée nationale et des conseils municipaux où le quota
légal est assuré, la représentation des femmes aux emplois
supérieurs de l'Etat et dans les institutions de la République
(ces institutions sont hors quota) est largement en deçà du
minimum fixé par la loi. Les nominations de cadres supérieurs
pris en conseil de Ministres, violent régulièrement le principe
du quota. Par ailleurs il n'y a pas une stratégie claire de
discrimination positive dans la vie publique et les instances de prise de
décision de manière à améliorer la participation
politique de la femme.
Par ailleurs, l'absence d'un cadre de concertation sur les
droits de la femme au sein de la société civile ne permet pas
à cette dernière d'opérer en synergie et de jouer un
rôle majeur d'influence sur les décisions et les politiques du
Gouvernement.
La participation équitable des genres n'est pas et ne
peut être un discours. C'est « une exigence en termes de droits
de l'homme et de justice sociale, en termes de contribution au
développement à visage humain, ainsi qu'à la paix et
à la résolution pacifique des conflits. »83
En définitive, les acquis du point de vue du cadre
juridique doivent être sauvegardés et d'importants efforts restent
à faire pour réformer les normes et usages internes
discriminatoires. Plus de six (6) ans après l'adoption de la loi sur le
quota qui est déjà un bon début dans la recherche de
l'équité des genres dans la jouissance des privilèges et
libertés, il est temps de réviser ce texte pour tendre vers une
meilleure représentation des femmes et une participation plus
équitable dans la vie publique et dans la prise de décision.
Les droits fondamentaux, dont font partie les droits
politiques, sont des droits inhérents à la personne humaine
indépendamment de toute considération de sexe.
L'égalité de tous les citoyens dans la jouissance de leur droits
politiques est à la fois une exigence de développement et un
facteur de paix sociale. Le Niger ne peut espérer raisonnablement
atteindre le progrès en maintenant plus de la moitié de sa
population à l'écart de la conduite des affaires publiques et des
processus politiques.
Il faut bien convenir avec M. Koffi Annan, Secrétaire
Général de l'Organisation des Nations Unies, que «
l'inégalité dont souffrent les femmes et les violations de
leurs droits fondamentaux demeurent des obstacles majeurs au
développement, à la démocratie et à la paix
» 84.
83 Ould Daddah Turkia, « Exposé
introductif », La place de la femme dans la vie publique et dans la
prise de décision, Paris, L'Harmattan, 1997, p 7
84 Annan, A. Koffi, Rapport annuel du
Secrétaire Général de l'ONU sur les activités de
l'organisation, New York, Nations Unies, 1998, p 32
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