Section 1 : les garanties non juridictionnelles
Le recours contentieux n'est pas la seule méthode de
garantie des droits de l'homme. Les garanties non juridictionnelles concernent
tous les mécanismes de réparation ou de dissuasion des violations
des droits de l'homme. Au Niger, il existe toute une constellation de
mécanismes, opérationnels ou non, destinés à
assurer la jouissance des droits reconnus à l'homme et à la
femme. Toutefois, il ne nous paraît pas d'un grand intérêt
d'en faire l'inventaire car la spécificité de notre étude
nous commande de recentrer la réflexion sur les droits politiques et en
particulier ceux de la femme. L'analyse des mécanismes de garantie non
juridictionnelle des droits politiques de la femme nous amène à
distinguer les mécanismes institutionnels (A) et les mécanismes
non institutionnels (B).
A - Les mécanismes institutionnels de protection des
droits politiques de la femme
Par mécanisme institutionnel, il faut entendre les
possibilités offertes par des institutions nationales ou internationales
ayant mission ou compétence pour garantir les droits politiques de la
femme nigérienne. La pratique qui a tendance à se
généraliser et qui consiste
54 Chapus R., Droit administratif
général, Tome 1, 9e édition, Paris,
Montchrestien, 1995, pp 834-835
55 DPF (MDS/P/PF/PE), Op. cit., pp 66 - 67
56 Frédéric Sudre, Op. cit.
au niveau des institutions et de certaines autorités
à nommer des conseillère en genre est certes à encourager.
Mais, tout en reconnaissant l'importance du rôle de ces
conseillères dans la promotion de la femme, l'on peut objectivement les
considérer comme ayant vocation à garantir les droits politiques
de la femme. Si de part leur expertise elles peuvent éclairer voire
influencer les décideurs, elles ne jouissent d'aucune
indépendance dans leur action.
C'est pourquoi nous mettons plutôt l'accent au plan
national sur le Ministère de la Promotion de la Femme et de la
Protection de l'Enfant et la Commission Nationale des Droits de l'Homme et des
Libertés Fondamentales (C.N.D.L.F) et au plan international sur le
Comité pour l'élimination de la discrimination à
l'égard des femmes.
· Le Ministère de la Promotion de la
Femme et de la Protection de l'Enfant : Le Ministère de la
Promotion de la Femme est probablement l'un des
Ministères dont la structure est la plus instable d'un
Gouvernement à un autre. Mais il a, depuis 1981, toujours gardé
une Direction de la promotion de la femme. Cette Direction joue un rôle
important dans la conception et la mise en oeuvre des politiques du
gouvernement dans le domaine de la promotion de la femme. Les études,
séances de formation et de sensibilisation menées par cette
Direction sur la loi sur le quota et les questions de genre contribuent
à une meilleure connaissance des droits politiques de la femme. A
travers cette Direction, le Ministère de la Promotion de la Femme et de
la Protection de l'Enfant contribue à faire évoluer les textes et
les politiques dans un sens favorable à l'émancipation de la
femme.
A côté de la Direction de la Promotion de la
femme qui est avant tout une administration, donc une entité soumise au
gouvernement, il existe un observatoire national de la promotion de la femme.
Créé par le Décret n° 99-545/PCRN/MDS/P/PF/PE du 21
décembre 1999, l'Observatoire National de la Promotion de la Femme
(ONPF) est chargé en réalité de coordonner et d'impulser
la mise en oeuvre du plan d'action relatif à la politique nationale de
la promotion de la femme. Un des objectifs de cette politique est de
respecter les droits de la citoyenne dans le cadre de la
démocratie. Un des résultats attendus de cet objectif est
précisément : « le nombre de femmes au niveau des
instances décisionnelles de l'administration et dans les structures
politiques est augmentée ». L'Observatoire (ONPF) pourrait
bien se servir de la loi sur le quota pour faire du plaidoyer auprès des
plus hautes autorités pour une meilleure représentation de la
femme au gouvernement et aux emplois supérieurs de l'Etat.
Placé sous la présidence du Ministre
chargé de la promotion de la femme, L'ONPF est essentiellement
composé de fonctionnaires représentants de l'administration. Les
associations
et ONG de la société civile y sont sous
représentées. Rattaché au Ministère de la promotion
de la femme, sa composition est imprécise et il compte trois Ministres
en son sein dont son Président. Comme on peut le constater, l'ONPF n'a
ni le statut et le niveau d'autonomie nécessaires à son bon
fonctionnement, ni la composition et la structure pour être efficace.
Cette structure qui aurait bien pu profiter du dynamisme des
organisations féminines pour faire avancer le plan d'action de la
promotion de la femme et faire du coup évoluer la représentation
des femmes à tous les niveaux sombrent aujourd'hui dans la
léthargie. L'ONPF doit être reformé pour donner plus de
poids aux associations et ONG de développement et sa mission doit
dépasser le cadre étroit du plan d'action pour lui permettre de
surveiller et de mieux suivre l'effectivité des droits de la femme.
Comme on peut le constater, le Ministère de la
promotion de la femme conçois des politiques qu'elle exécute et
à ce titre contribue à l'évolution et à la
connaissance des droits politiques de la femme. Mais il est moins
outillé pour contrôler l'effectivité des droits politiques
de la femme.
· La Commission Nationale des Droits de
l'Homme et des Libertés Fondamentales (C.N.D.H.L.F) :
Créée pour la première fois au Niger sous la IV
République, la CNDHLF a été prévue par la
Constitution du 09 août 1999 en son article 33. Selon la loi n°98-55
du 29 décembre 1998 fixant ses attributions, la CNDHLF a le statut
d'autorité administrative indépendante. Cette indépendance
se reflète dans la composition de ses membres qui sont pour la plupart
désignés par les organisations de la société civile
à l'issue d'élections organisées en leur sein.
La CNDHLF a un mandat étendu en matière de
protection des droits de l'homme en général. Sa mission est
« d'assurer la promotion et la protection des Droits de l'Homme sur le
territoire du Niger ; de promouvoir par tous les moyens appropriés,
notamment d'examiner et de recommander aux pouvoirs publics toutes dispositions
de textes ayant trait aux Droits de l'Homme en vue de leur adoption ;
d'émettre des avis dans le domaine des Droits de l'Homme ; (...) de
procéder à la vérification des cas de violation des Droits
de l'Homme et des libertés fondamentales sur le territoire de la
République du Niger».57
La CNDHLF a par ailleurs des pouvoirs quasi-juridictionnels.
Elle est habilitée à recevoir et à examiner des plaintes
individuelles concernant des cas de violation des droits de l'homme et dispose
du pouvoir d'investigation et d'enquête. Ce qui fait dire à son
Président
57 Article 2 Loi n° 98-55 du 29 décembre
1998 fixant les attributions, la composition et le fonctionnement de la
CNDHLF
M. Garba Lompo que « sans avoir la puissance de
juger, la CNDHLF dispose de l'arme tout aussi redoutable de dissuasion et de
persuasion. »58
La Commission qui s'est beaucoup illustrée sur le
terrain des droits sociaux grâce notamment au recours que font les
organisations syndicales constitue une voie de recours possible dans le domaine
de la protection des droits politiques de la femme. Les organisations
féminines ont la possibilité de recourir à la CNDHLF pour
surveiller l'effectivité des droits politiques de la femme. En effet la
Commission est bien placée pour faire des investigations sur la mise en
oeuvre effective de la loi sur le quota surtout en ce qui concerne la
représentation de la femme dans les emplois supérieurs de
l'Etat.
En plus de la dissuasion que constituerait le recours à
la commission, celle-ci peut, selon l'article 2 alinéa b de la loi
n°98-55 du 29 décembre 1998, « donner aux pouvoirs
exécutifs et judiciaires des avis sur toutes les questions relatives aux
droits de l'homme », y compris donc les droits politiques reconnus
aux femmes.
Le nombre et la variété des plaintes
individuelles et collectives59 que reçoit la CNDHLF attestent
de la confiance qu'elle gagne de plus en plus auprès des citoyens. Etant
donné qu'elle dispose du pouvoir d'auto saisine, la Commission peut
davantage élargir son champ d'action en s'intéressant à la
représentation des femmes aux emplois supérieurs de l'Etat en
s'appuyant sur les dispositions de la loi sur le quota. Cela pourrait
constituer un domaine de partenariat efficace avec les organisations
féminines.
· Comité pour l'élimination de
la discrimination à l'égard des femmes : Institué
par l'article 17 de la CEDEF, le Comité pour l'élimination de la
discrimination à l'égard des femmes examine les progrès
réalisés par les Etats parties dans la mise en oeuvre de la
Convention. L'article 18 de la CEDEF fait obligation aux Etats parties de
« présenter au Secrétaire général de
l'Organisation des Nations Unies, pour examen par le Comité, un rapport
sur les mesures d'ordre législatif, judiciaire, administratif ou autre
qu'ils ont adoptées pour donner effet aux dispositions de la
présente Convention et sur les progrès réalisés
à cet égard ». Le Comité formule des
recommandations générales sur l'élimination de la
discrimination à l'égard des femmes, à l'intention de tous
les Etats parties. Il a en outre la possibilité d'inviter les
institutions spécialisées du système des Nations unies
à présenter des rapports et les organisations non
gouvernementales peuvent lui fournir des informations sur
58 Lompo Garba, « Communication du
Président de la CNDHLF à Kinshasa », Revue semestrielle
de la CNDHLF, n° 001, sans date, p11
59 Selon la revue semestrielle de la CNDHLF, plus de
30 plaintes sont enregistrées par mois.
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les faits dans un pays donné soit lors des
réunions du Groupe de travail pré-session ou même en
séance plénière.
Le protocole facultatif qui a été ajouté
à la Convention, permet aux femmes ou à des groupes d'individus
victimes de discrimination fondée sur le sexe de soumettre des plaintes
au Comité. En devenant parties au Protocole, les Etats reconnaissent les
compétences du Comité pour recevoir et examiner ces plaintes une
fois que tous les recours nationaux ont été
épuisés. Entrée en vigueur le 22 décembre 2000, ce
protocole a été ratifié par la République du Niger
à travers la loi n° 2004-09 du 30 mars 2004.
Ainsi les femmes nigériennes, les associations et ONG
disposent d'une voie de recours à travers le mécanisme de plainte
individuelle auprès du comité. Mais il faut souligner que les
voie de recours internes ne sont encore que très faiblement
utilisées. Ce qui rend en l'état actuel des choses, difficile le
recours au comité. L'utilisation optimale des voies de recours
nationales et internationales ne peut s'améliorer qu'avec un engagement
plus fort de la société civile et des partis politiques.
B - Les moyens de protection non institutionnels
Le rôle que jouent les partis politiques et la
société civile dans la garantie des droits politiques de la femme
n'est pas négligeable même s'il est loin d'être
satisfaisant.
· Les associations et ONG : Depuis
la marche historique des organisations féminines du 13 mai 1991 qui a
forcé la participation des femmes aux travaux de la Commission Nationale
Préparatoire de la Conférence Nationale, la composante
féminine de la société civile nigérienne a, pour
ainsi dire, marqué son territoire. Le nombre des associations et la
variété de leurs domaines d'intervention est un gage pour les
femmes de jouir pleinement de leur liberté d'association et de se donner
les moyens de s'exprimer et d'aborder les problèmes
d'intérêt général ainsi que ceux qui leurs sont
spécifiques.
Il existe au Niger plusieurs associations et ONG de
défense et de promotion des droits de la femme. Le nombre de ces
associations offre aux femmes une opportunité de s'engager davantage
dans le mouvement et de faire entendre leur voie sur leurs
préoccupations ainsi que les politiques nationales. En raison
certainement des problèmes que posent la satisfaction des besoins
pratiques ou primaires de la majorités des femmes, les ONG et
associations se sont surtout attaquées aux questions relatives à
l'allègement des tâches domestiques, aux activités
génératrices de revenus, aux actions de salubrité,
à l'octroi de crédits, etc.
D'autres ONG s'inscrivent plutôt dans le renforcement
des capacités d'organisations à la base dans le sens d'une plus
grande responsabilisation des femmes dans leurs ménages et à
l'échelle de la communauté.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, dans le
contexte nigérien, la participation politique effective des femmes est
tributaire de la satisfaction de ces besoins pratiques. Plusieurs études
montrent que les tâches domestiques occupent une très grande
partie de la journée de la femme. Ce qui lui laisse très peu de
temps pour des activités associatives ou politiques. Le défi de
la conciliation des activités politiques et le rôle de mère
ne semble pas d'ailleurs être une spécificité
nigérienne même s'il se pose ailleurs en des termes bien
différents. Selon Mme Elisabeth Guigou, Ancienne Ministre
française, « même lorsque leur compagnon prend sa part du
fardeau, c'est quand même sur les femmes que repose la
responsabilité principale de la vie de tous les jours. Or le quotidien
est particulièrement difficile pour une femme en politique, car c'est
l'une des activités qui respectent le moins les rythmes du temps
privé. »60
Certaines ONG et associations comme l'AFJNmettent un accent
particulier sur la sensibilisation et la formation pour favoriser une plus
grande prise de conscience des droits et devoir de la femme.
Il faut noter également le rôle que joue la
société civile dans le plaidoyer pour influencer une plus grande
prise en compte des droits de la femme ou pour faire écho à une
initiative internationale. L'adoption de la loi sur le quota
considérée comme un pas de géant vers une plus grande
équité dans la représentation des genres est aussi
à mettre à l'actif des associations et ONG de promotion des
droits de la femme.
A l'heure actuelle par exemple, les ONG et associations
féminines ont déjà engagé plusieurs initiatives et
mènent des actions de plaidoyer auprès des décideurs
politiques en faveur de la ratification par la République du Niger du
Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
relatif aux droits des femmes. Ce protocole qui reprend certaines dispositions
de la CEDEF pourrait rendre caduques une partie des réserves du Niger
à la CEDEF.
Le dynamisme de la société civile
nigérienne dans la conquête des droits de la femme ne signifie pas
que le mouvement associatif ne connaît pas de limites. Tant s'en faut.
Outre le problème de la faiblesse des moyens financiers qui limite leurs
initiatives, il y la duplication des actions, un manque de concertation entre
les regroupements qui vivent une sorte de rivalité nuisible aux actions
de plaidoyer. Le contexte socioculturel peu favorable, la faiblesse des
compétences techniques des membres dans certains cas et le
contrôle que les pouvoirs publics ont tendance à exercer dans le
fonctionnement des organisations limitent l'action de
60 Guigou Elisabeth, citée par Mariette Sineau,
« l'obstacle familial », Problèmes politiques et
sociaux, n° 835, mars 2000, p 62
ces dernières. L'entrée en scène des
partis politiques, créant des associations pour infiltrer le milieu,
demeure aussi un sujet de préoccupation.
· Les partis politiques : Le
rôle des partis politiques dans la garantie des droits politiques de la
femme est plus équivoque. D'une part ils consacrent tous une place
importante à la promotion de la femme dans leurs programmes et discours
mais d'autre part au moment de prendre les décisions, les responsables
sont moins magnanimes.
L'action la plus remarquable des partis politiques en faveur
des droits politiques de la femme se situe au niveau de la protection du droit
de vote. Ils consacrent une énergie et des moyens considérables
pour mobiliser les femmes à s'inscrire sur les listes électorales
et à se servir de leurs droits de vote. Selon l'article 9 de la
constitution du 09 août 1999, « les partis et groupements de
partis politiques concourent à l'expression des suffrages. »
Il s'agit donc là d'une mission constitutionnelle, non
dénuée d'intérêts particularistes, dont les partis
politiques s'acquittent plutôt bien.
Les partis jouent également un rôle
considérable dans la mise en oeuvre de la loi sur le quota notamment au
moment de la préparation des listes de candidatures pour les postes
électifs. Ce rôle a surtout été bien joué en
raison de l'effet dissuasif du contrôle des listes par la Cour
constitutionnelle. L'on peut d'ailleurs aisément remarquer que les
partis se sont limités au minimum requis. Les cas où les partis
sont allés au delà de ce que prévoit la loi pour favoriser
une meilleure représentation des femmes sont plutôt rares.
En réalité il faudrait examiner de près
le fonctionnement des partis politiques essentiellement animés par les
hommes, pour comprendre pourquoi ils se contentent du minimum dans la
protection des droits politiques de la femme quand ils ne contribuent pas,
à travers leurs propositions de nominations, à limiter la
représentation des femmes au gouvernement et aux emplois
supérieurs de l'Etat.
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