Chapitre 2 : La traduction des droits politiques de la
femme à travers la loi sous la Ve République
C'est notamment à travers la transposition des
engagements internationaux dans le droit interne et les lois d'application des
principes et objectifs constitutionnels supérieurs qu'un Etat peut le
mieux garantir le respect et la jouissance des droits de l'homme. Il ne suffit
pas de ratifier les conventions internationales et d'adopter les principes de
droits de l'homme comme normes constitutionnelles ; encore faudrait-il
créer un cadre propice à la mise en oeuvre des droits reconnus.
Les droits politiques sont nécessaires au fonctionnement de toute
démocratie. C'est certainement ce qui explique l'évolution de
l'encadrement législatif des droits politiques de la femme sous la Ve
République, le plus long et stable régime démocratique du
Niger moderne. Cette évolution est certes importante mais elle est loin
d'être suffisante. Néanmoins, à ce niveau de la
réflexion, nous allons nous contenter de mettre en lumière les
textes majeurs relatifs aux droits politiques à savoir le code
électoral d'une part (section 1) et la loi dite sur le quota d'autre
part (section 2).
Section 1 - Le code électoral : des principes
égalitaires pour une compétition inéquitable
L'Ordonnance n°99-37 du 04 septembre 1999 portant code
électoral modifiée par la loi n°2003-32 du 17 juillet 2003
organise les modalités de préparation, de déroulement et
de détermination des résultats des élections politiques et
les règles applicables au référendum sous la Ve
République au Niger.
L'ordonnance précitée précise à
son article 6 que « sont électeurs, les nigériens des
deux sexes de dix-huit (18) ans accomplis au jour du scrutin ou mineurs
émancipés, jouissant de leurs droits civiques et politiques et
n'étant dans aucun cas d'incapacité prévu par la loi.
» Conformément à la Constitution, le droit d'être
électeur est reconnu aux femmes dans des conditions
d'égalité avec les hommes. Par rapport aux conditions
d'éligibilité et à la composition des listes
électorales, cette loi énonce des dispositions
générales applicables indistinctement du sexe.
Autrement dit cette ordonnance, qui est pourtant
postérieure à l'Ordonnance n°99-30 du 13 août 1999 par
laquelle le Niger faisait acte d'adhésion à la CEDEF, n'a pas
voulu modifier le statu quo dans les rapports
déséquilibrés entre les genres. Aucune disposition de
cette ordonnance n'envisage un traitement spécifique propre à
prendre en compte la situation particulière des femmes qui «
sont les plus vulnérables parce qu'elles sont les moins instruites
et les moins capables de mobiliser les moyens leur permettant d'utiliser toutes
leurs
potentialités »44. Dans les
conditions que connaissent les femmes nigériennes, poser des principes
généraux insensibles aux genres ne permet pas d'assurer
l'équité ni dans les compétions électorales et
encore moins dans la représentation nationale.
L'article 57 par exemple qui interdit les tracts et
déclarations diffamatoires et injurieux ne mentionne nullement le
harcèlement et les multiples formes d'agressions dont les femmes
candidates peuvent être l'objet en raison uniquement de leur sexe. Une
telle disposition aurait dû attirer l'attention des candidats adversaires
ainsi que leurs sympathisants sur l'importance de la protection
spécifique à laquelle les femmes ont droit
particulièrement en période électorale.
La loi n°2003-32 du 17 juillet 2003, modifiant et
complétant l'ordonnance du 04 septembre 1999 portant code
électoral a amélioré la représentation des femmes
au sein de la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI). Cette
loi intervenue après l'adoption de la loi sur le quota dans un contexte
où les organisations féminines revendiquent activement leur place
dans la conduite des affaires nationales, réserve le poste de
Deuxième Vice- Président de la CENI à une
représentante des collectifs des associations féminines. Elle
prévoit également une place de membre de la CENI à une
représentante des associations féminines et une place à
une représentante la Direction de la Promotion de la Femme. La loi ne
définit toutefois pas comment assurer la pérennité de
cette dernière place face aux multiples réorganisations dont font
l'objet les ministères et les services centraux.
La loi du 17 juillet 2003 a aussi ramené de cinq (5)
à deux (2) kilomètres la distance maximale entre le lieu de
résidence et le lieu d'implantation du bureau de vote. Ce qui est
susceptible d'encourager le vote des femmes en particulier en milieu rural
où elles sont accablées par une charge de travail
journalière importante.
Mais cela ne va pas résoudre le problème des
femmes vivant sous le régime de la claustration qui est une forme de
réclusion imposée par le mari. Interdites de sortir, ces femmes
sont représentées au bureau de vote par leur mari qui vote
à leur place grâce au mécanisme du vote par procuration. Ce
choix est-il véritablement libre au sens de l'article 63 du code
électoral qui dispose que « le choix de l'électeur est
libre. Nul ne peut être influencé dans son choix par la contrainte
» ? L'analyse faite dans une étude de l'Unicef sur la
situation des femmes au Niger à ce sujet en 1994 conserve toute sa
pertinence et sa vigueur dans le contexte de la Ve République. Le droit
de vote, « bien que reconnu explicitement aux femmes (...) n'est pas
exercé par celles soumises à la claustration. Celles-ci se
retrouvent
44 Cabinet du Premier Ministre de la République
du Niger, Stratégie de réduction de la pauvreté,
Niamey, janvier 2002, p 45
littéralement privées de leur droit de vote
du fait d'un recours abusif au vote par procuration bénéficiant
très largement à leurs conjoints. Malheureusement avec le vote
par procuration, les femmes soumises à la claustration, et même de
très nombreuses autres qui ne le sont pourtant pas, demeurent
d'éternelles muettes, car force sociale recluse, sans voix ni opinion
politiquement efficiente.»45 Cette situation
ignorée par le code électoral représente, à n'en
point douter, un véritable défi aux libertés et à
la démocratie.
En élevant de dix (10) millions à quinze (15)
millions de francs CFA la participation aux frais électoraux pour les
élections présidentielles, la loi modifiant le code
électoral est susceptible de retarder encore l'émergence d'une
candidature féminine à la fonction suprême. Si par cette
nouvelle disposition, le législateur a voulu limiter les risques de
candidatures pléthoriques voire fantaisistes pour l'élection du
Président de la République, l'on ne peut objectivement ignorer
que dans la société nigérienne, les femmes ont plus de
difficulté à remplir cette condition que les hommes.
En effet selon le Document de Stratégie de
Réduction de la Pauvreté (DSRP), « la pauvreté au
Niger a un visage féminin ».46 Et le DRSP explique
que les discriminations dont sont victimes les femmes « sont
relevées aussi bien dans les secteurs formels que dans les secteurs
informels et se rapportent aux taux d'occupation des femmes par rapport
à ceux des hommes, aux écarts entre les deux genres en ce qui
concerne les revenus, à la surcharge de travail des femmes, à
leur statut juridique inadéquat, à la persistance des pesanteurs
socioculturelles qui influencent d'une façon ou d'une autre tous les
domaines de la vie économique et sociale des femmes ; elles sont
marginalisées dans le partage des moyens et des bénéfices
du développement. »47 On ne peut être plus
clair que le Cabinet du Premier Ministre lui-même ! La conséquence
logique de cette analyse pertinente publiée en 2002, c'est-à-dire
un an avant la révision du code électoral, aurait
été le réaménagement des conditions
financières de la participation des femmes à toutes les
élections ; qu'elles se présentent sous la bannière d'un
parti politique ou comme candidates indépendantes.
Même la loi n°2002-0 12 du 11 juin 2002 portant
principes fondamentaux de la libre administration des régions, des
départements et des communes et leurs ressources, adoptée trois
(3) ans après l'adhésion du Niger à la CEDEF, n'a rien
prévu pour donner aux femmes un rôle accru dans la conduite des
affaires locales. A côté des membres élus des conseils dont
la désignation par voix d'élection obéit à la loi
sur le quota, il y a les membres de droit qui ont
45 UNICEF, Analyse de la situation des femmes et
des enfants au Niger, Gubler SA, Lengnau (Suisse), 1994, p 58
46 Cabinet du Premier Ministre de la République
du Niger, Op. cit., p 42
47 Ibid. p43
une voix consultative. Elle fait des députés et
des chefs traditionnels des membres de droit des conseils mais ne
prévoie aucune place pour les structures féminines. Quand on sait
que tous les chefs traditionnels sont des hommes, il y a manifestement une
rupture dans l'équité de la représentation des genres au
niveau des institutions traditionnelles. Le législateur a-t-il
pensé que la loi sur le quota était suffisante
pour résoudre le problème de la représentation des genres
et de la participation de la femme ?
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