Section 2 - La constitution de la Ve République du
Niger : la consécration des
droits égalitaires
Adoptée par référendum le 18 juillet
1999, la constitution de la Ve République est entrée en vigueur
le 09 août 1 99940. Elle institue un régime
semi-présidentiel et consacre la séparation des pouvoirs entre
l'Exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Elu
au suffrage universel direct pour un mandat de cinq (5) ans, le
Président de la République est le Chef de l'Etat, garant de
l'indépendance nationale, de l'unité nationale, du respect de la
constitution et des traités et accords internationaux. Il nomme le
Premier Ministre, Chef du Gouvernement, sur une liste de trois (3)
personnalités proposées par la majorité parlementaire.
Le pouvoir Législatif est, selon les dispositions de
l'article 66 de la Constitution, exercé par une chambre unique
dénommée Assemblée Nationale dont les membres portent le
titre de Député. L'Assemblée Nationale vote les
lois, consent l'impôt et contrôle l'action du Gouvernement. Le
pouvoir judiciaire, indépendant des deux autres, est exercé par
la Cour Constitutionnelle, la Cour Suprême, les cours d'appel et les
tribunaux créés conformément à la Constitution.
La Constitution consacre le principe égalitaire entre
les hommes et les femmes dans la jouissance de leurs droits(A) même si la
pratique est plus nuancée, car certaines normes discriminatoires
évoluent aux côtés de la constitution (B).
A- Les droits politiques de la femme dans la Constitution
Il n'est pas redondant de rappeler que le préambule de
la Constitution de la Ve République proclame l'attachement du Niger aux
principes de la démocratie pluralistes et aux droits de l'Homme
définis par la Déclaration universelle des droits de l'Homme et
la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
La Constitution « assure à tous
l'égalité devant la loi sans distinction de sexe, d'origine
sociale, raciale, ethnique ou religieuse .»41 Le principe
de l'égalité a une base constitutionnelle et tous les droits
reconnus aux hommes le sont également pour les femmes.
Les fonctions présidentielles sont ouvertes aux femmes
dans des conditions d'égalité avec les hommes car l'article 36,
alinéa 2 dispose : « est éligible à la
présidence de la République toute nigérienne ou tout
nigérien de nationalité d'origine âgé de quarante
(40) ans au moins, jouissant de ses droits civils et politiques. »
Les postes de ministres, députés
40 Décret n°99-320 / PCRN du 09 août
1999
41 Article 8 constitution du 09 août 1999.
etc. sont tout aussi ouverts de façon égalitaire
aux femmes et aux hommes. Le droit de vote est également garanti dans
les mêmes conditions d'égalité aux femmes et aux hommes.
Le titre II de la Constitution consacré aux droits
et devoirs de la personne humaine emploie fréquemment le mot «
personne » pour désigner les bénéficiaires des droits
proclamés. Ce qui a l'avantage de lever toute équivoque quant au
genre. L'article 23 par exemple est ainsi formulé « toute
personne a droit à la liberté de pensée, d'opinion,
d'expression, de conscience, de religion et de culte ». Les
libertés d'association et de réunion sont reconnues dans les
mêmes conditions, c'est-à-dire sans faire référence
au genre.
L'article 10 dispose que « la personne humaine est
sacrée. L 'Etat a l'obligation absolue de la respecter et de la
protéger. Il lui garantit un plein épanouissement ». La
constitution impose donc à l'Etat une obligation positive non seulement
de respecter tous les êtres humains comme tels, mais également de
les protéger contre toute atteintes à leur vie, à leur
biens et à leurs droits. L'Etat doit par ailleurs garantir à la
personne humaine (femme et homme) « un plein épanouissement
». L'iniquité, l'inégalité et l'injustice
étant sources de frustration, de traumatisme et de souffrance, l'Etat a
une forte obligation de les éliminer au nom du puissant but
constitutionnel qui est de réaliser le plein
épanouissement de toutes les citoyennes et de tous les citoyens
dans des conditions d'égalité.
L'on peut donc affirmer que toute discrimination basée
sur le sexe dans la jouissance des droits est contraire à la
Constitution de la Ve République. Mais force est de constater que dans
la réalité certaines pratiques et mesures sont soit
discriminatoires, soit de nature à rompre l'équité entre
les genres.
B - Les normes contraires à la constitution
Le poids des traditions et l'influence de la religion laissent
cohabiter la Constitution avec des règles concurrentes à ses
dispositions. Selon la Direction de la Promotion de la Femme, la force des
traditions et des préceptes de l'islam « est tellement vive que
les responsables politiques même les plus acquis à la
nécessité de faire de la promotion de la femme une de leurs
priorités, sont obligés d'agir de façon prudente afin de
ménager un électorat encore attaché en majorité aux
thèses inégalitaires»42. Si cette situation
génératrice de discrimination est beaucoup plus marquée en
droit de la famille, il n'en demeure pas moins qu'elle influence la jouissance
des droits politiques des femmes. Certaines dispositions légales sont
manifestement sources de discriminations à l'égard des femmes et
donc contraires à la constitution du 9 août qui consacre sans
ambiguïté le principe de l'égalité entre les
genres
42 DPF (MDS/P/PF/PE), Op. cit., p 63
dans la jouissance des droits. Il est donc important d'examiner
ces normes et de ressortir leur impact potentiel sur la condition politique des
femmes.
· Accès des femmes aux emplois
publics : Si le Statut général de la fonction
publique et le code du travail nigériens n'instituent
aucune discrimination à l'égard des femmes, il y a lieu toutefois
de relever l'existence d'une dérogation susceptible de conduire à
des discriminations dans l'Ordonnance n°89-18 du 8 décembre 1989
portant approbation du Statut général de la fonction publique.
L'article 2 de cette Ordonnance dispose « qu'en ce qui concerne
certains corps et en raison de leur caractère technique ou des
attributions et nécessités qui leur sont propres, les statuts
particuliers peuvent déroger à certaines dispositions du
présent statut incompatibles avec le fonctionnement normal desdits
corps ».
En effet, cette dérogation peut légalement
limiter ou interdire l'accès à certaines fonctions aux femmes non
pas pour des raisons de protection de la femme ou de la maternité mais
tout simplement en raison par exemple, de la technicité desdites
fonctions. L'absence d'une définition précise des notions de
« caractère technique » et de «
nécessités » laisse la porte ouverte à
d'éventuelles interprétations abusives.
Par ailleurs selon l'article 223 du Code Civil
nigérien, la femme peut exercer une profession séparée de
celle de son mari, à moins que ce dernier ne s'y oppose. Ce texte est
discriminatoire car il octroie au mari un droit d'opposition au travail de la
femme. Cela est d'autant plus grave que l'article 223 alinéa 2 ajoute
que « les engagements pris par la femme dans l'exercice de cette
profession sont nuls à l'égard du mari si les tiers avec lesquels
elle contracte ont personnellement connaissance de l'opposition au moment
où ils traitent avec l'épouse. »
La claustration pratiquée dans certains milieux
musulmans et qui consiste à cloîtrer la femme mariée dans
le domicile conjugal avec une restriction de ses déplacements et de ses
contacts soumis à l'autorisation préalable de l'époux
empêche à la femme soumise à ce régime d'exercer
toute activité régulière externe au foyer. La
participation à la vie associative, l'engagement politique et l'exercice
d'un emploi salarié et de toute autre responsabilité au sein de
la communauté deviennent difficile des ces conditions.
Au niveau des institutions traditionnelles, les
possibilités offertes aux femmes pour occuper certaines fonctions
demeurent quasiment nulles. Les fonctions de sultans, chefs de provinces, chefs
de cantons ou de groupements, chefs de villages ou de tribus, chefs de
quartiers qui sont les instances coutumières de prise de
décision, sont exclusivement réservées
aux hommes. Cette discrimination qui trouve son fondement dans
le droit coutumier43, a été consacrée par
l'article 7 de l'ordonnance n°93-23 du 30 mars 1993 portant statut de la
chefferie traditionnelle du Niger qui dispose que « tout
nigérien d'une collectivité traditionnelle ou coutumière
donnée, peut être candidat à la chefferie de la
collectivité considérée, s'il est en droit d'y
prétendre selon la coutume ». L'emploi du masculin «
tout nigérien » prouve que ces fonctions sont l'apanage
des hommes. En tout état de cause, l'article 7 de l'ordonnance
susvisée a fait un renvoi à la coutume nigérienne. Or
selon les coutumes applicables au Niger, seuls les descendants mâles des
chefs traditionnels peuvent être candidats à la chefferie d'une
collectivité coutumière considérée.
· Les réserves du Niger à la
CEDEF : Les réserves du Niger à la Convention
sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination à l'égard des femmes heurtent à bien
d'égards les dispositions de la Constitution du 9 août 1999,
notamment l'article 8 qui consacre l'égalité de toutes les
personnes devant la loi et le titre II traitant des droits et devoirs de la
personne humaine.
Ces réserves se résument au refus :
- de prendre des mesures appropriées pour abroger toute
coutume et pratique qui constituent une discrimination à l'endroit de la
femme ;
- de modifier les schémas et modèles de
comportement socioculturels de l'homme et de la femme en vue d'éliminer
les préjugés et pratiques coutumières fondées sur
l'idée de l'infériorité de la femme ;
- de reconnaître le droit de la femme de choisir sa
résidence et son domicile ;
- d'accorder les mêmes droits et responsabilités
au cours du mariage et lors de sa dissolution, les mêmes droits de
décider librement et en connaissance de cause du nombre et de
l'espacement des naissances.
Cela est tout d'abord contraire aux articles 2 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme et de la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples auxquels font précisément
référence le préambule de la Constitution de la Ve
République. Ces réserves sont également incompatibles avec
les articles 8 et 10 de la Constitution qui garantissent
l'égalité, le respect et la protection de la personne humaine
ainsi que son plein épanouissement.
Toutes ces normes sont antérieures à la
Constitution mais elles produisent ou sont potentiellement en mesure de
produire encore des effets alors qu'elles doivent s'éteindre du fait
même de la contrariété avec la loi fondamentale. Il faut
néanmoins souligner que sous la
43 Il s'agit ici du droit coutumier nigérien
Ve République des réformes ont été
entremise pour adapter l'environnement juridique d'une manière
générale aux exigences d'un Etat moderne, d'un Etat de droit.
|