Conclusion de la troisième partie.
L'organisation sociale au sein du village est très
stricte, chaque niveau d'appartenance sociale s'emboîte parfaitement. Les
familles apparaissent comme des unités de base, elles veillent
scrupuleusement à maintenir leur degré d'honorabilité, ce
qui leur vaut des relations privilégiées avec les familles
riveraines. La bonne entente entre voisins est importante économiquement
et humainement. Les multiples services mutuellement rendus facilitent le
quotidien. Mais, lorsque les liens entre riverains se rompent, la situation
peut vite devenir difficile, il n'y à plus qu'à se tourner vers
son réseau de solidarité pour se faire soutenir lors d'un
éventuel procès. Quelques familles ont la mainmise sur le
village, réunies dans des coteries où elles défendent
mutuellement leurs intérêts. Au sommet de cette construction
humaine se situe le maire souvent leader d'un puissant réseau de
solidarité.
Cette pyramide sociale ne peut cependant pas toujours
protéger ses membres. L'affrontement est parfois inéluctable. Les
dissensions, l'alcool et la foule favorisent les rixes qui émaillent le
calme du village. Les affrontements villageois répondent
néanmoins à des schémas traditionnels. Ainsi, les coups
font souvent suite à des avertissements verbaux. Les lettres anonymes,
les insultes et autres mises en gardes doivent être
considérées comme annonciatrices d'un conflit. Lors de leurs
oppositions les adversaires s'affrontent le plus souvent à main nue et
se laissent parfois de douloureux souvenirs.
La vie de village impose de respecter des normes. Les
autorités locales veillent à limiter conflits et délits,
pour garantir l'ordre public. Paradoxalement le village siège de
l'autorité du maire et de ses satellites, est aussi l'endroit où
se commet le plus de délit. La concentration de la population influe sur
les chiffres de la délinquance qui n'est cependant pas en reste dans les
champs et dans la forêt. Loin des yeux du village, les infractions s'y
commettent dans un sentiment d'impunité qui augmente avec
l'éloignement du clocher. En dehors du village et loin de ses cancans
les villageois se sentent libérés et désinhibés au
point de commettre de nombreuses rapines. Dans les champs et dans la
forêt, les pratiques illicites sont essentiellement des formes de
délinquance professionnelle ou de subsistance.
Le village apparaît comme un microcosme
autorégulant ses conflits, et limitant ce que nous pouvons qualifier de
délinquance de proximité. Peu ouverts vers l'extérieur,
les ruraux se méfient des étrangers et s'aventurent rarement
au-delà du village. Hermétique et replié en partie sur
lui-même, le pays craint les intrusions. De la maison à la
forêt, les théâtres de la délinquance sont nombreux.
Dans le village les délits s'observe surtout dans les
maisons où la richesse toujours relative attire les voleurs en tout
genre, tandis que les cabarets et les rues sont des hauts-lieux de la rixe. La
nuit venue, le village devient le terrain de jeux des rodeurs, et des buveurs
éméchés susceptibles de troubler l'ordre public. Dans les
champs les agriculteurs ne sont plus surveillés que par le garde
champêtre et en profitent pour faire pâturer illégalement
leurs bestiaux ou commettre diverses destructions. Plus loin encore dans le
terroir, la forêt apparaît comme une zone de non droit où il
est aisé de tirer illégalement profit des fruits de la nature, et
de rançonner les passants circulant sur les grands chemins. La
forêt délimite souvent la fin du territoire communal,
au-delà, le villageois apparaît comme un inconnu attiré par
les richesses de la ville et des marchés. Les relations avec les
localités voisines sont cependant limitées, car le village vit en
vase clos. Quelques conflits entre usagers
« étrangers » peuvent toutefois survenir aux marges.
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