3.
La part de la conjoncture dans la délinquance.
Les délits peuvent être la conséquence
d'un contexte particulier, de mauvaises récoltes poussent certains
cultivateurs à enfreindre la loi pour leur survie. Le contexte de crise
devient un facteur important, pour expliquer la délinquance202(*).
a. La disette engendre la
délinquance.
L'histogramme suivant répertorie tous les délits
liés directement au manque de nourriture. On observe ainsi un pic pour
l'année 1817.
Figure 21, Délits liés à la
disette.
· Les périodes les plus maigres.
Le manque de nourriture est depuis toujours un
problème important pour les populations, puisqu'il menace leur survie.
Le canton de Coussey n'est malheureusement pas à l'abri de ces
aléas frumentaires, à partir des principaux délits
trahissant une situation alimentaire critique, nous avons réalisé
le diagramme suivant qui met en évidence quelques années
difficiles au cours de la période.
· Trois périodes se distinguent
nettement.
La première débute en 1810 et s'achève
en 1814. D'une durée de cinq années, elle ne transparaît
qu'au travers des vols de nourritures jugés devant le juge de paix, avec
une moyenne de deux vols par an et de quelques délits de chasse.
La seconde période est d'une durée similaire,
avec un pic pour l'année 1817. Avec treize vols de nourriture
constatés, la fin de cette seconde période semble cependant moins
grave alimentairement, puisqu'on y trouve plus que quelque rares délits
de chasse, de vaine pâture ou de mendicité.
La troisième période difficile dure de 1823
à 1831, soit une dizaine d'année au cours desquels on
relève 87,5 % des délits de vaine pâture, 41,66 % des cas
de vagabondage et 58,82 % des délits de chasse.
· De mauvaises conditions climatiques causent de mauvaises
récoltes.
Il convient de s'interroger sur les origines de cette
insuffisance de nourriture. Les mauvaises récoltes dues à une
météo capricieuse expliquent l'explosion des délits de
subsistance pour la décennie 1820. Se conjuguent des « hivers
remarquables par la rigueur et la durée du froid203(*) », et des
étés alternant « intensité et continuité
de la chaleur et humidité ».
La seule décennie 1820, concentre trois des six plus
froids hivers de la première partie du XIXème siècle. En
1827 et en 1830 les températures atteignent -20°C dans le
canton, pendant des périodes de quatre-vingt-dix jours sans dégel
et de plus de cinquante jours de neige.
Les étés 1828, 1829, 1830 et 1831 sont dans les
Vosges, les quatre étés les plus humides, de la première
moitié de XIXème siècle. Avec plus d'un jour de pluie sur
deux en été, pour des températures fraîche. Les
précipitations sont exceptionnelles, la pluie tombe ainsi sans
discontinuer pendant vingt-cinq jours en juillet 1828.
Le pic de délinquance de 1817 avec un nombre
exceptionnel d'affaires de vol de nourriture204(*) trouve comme principale explication 99 jours de
pluie en cinq mois, et un mois de juin totalisant trente jours de pluie.
Christian Pfister voit dans l'origine des crises agricoles,
la conjonction de plusieurs facteurs météorologiques.
« Les ensembles des modèles climatiques qui
caractérisent les crises de subsistances ont été
élaborées à partir de la combinaison des sept facteurs
suivants :
-pluviosité excessive en automne ;
-précocité de l'hiver ;
-précipitations excessives en hiver ;
-pluviosité excessive du printemps ;
-basses températures au printemps ;
-basses températures en été ;
-pluviosité excessive pendant la
récolte 205(*)». Plus le nombre de ces facteurs est important,
plus la crise de subsistance sera grave.
La sécheresse n'est pas en reste pour expliquer de
mauvaises récoltes, 1825,1826 et 1827 se font remarquer par
« la disette de la pluie », avec jusqu'à 26 jours
sans pluie en août 1825 et 1826.
Une conjonction exceptionnelle de plusieurs années
très sèches puis pluvieuses, déstabilise toute une
économie agricole avec comme conséquence une multiplication des
délits.
· Entre psychose et souffrance réelle, la
multiplication des «délits vitaux« en temps de disette.
Un rapport de tournée générale du
commissariat de police de novembre 1813 nous démontre que les
épisodes de crise frumentaire peuvent être amplifiés par
l'intervention de l'homme. On y apprend que « les cultivateurs
cherchent à favoriser la hausse des céréales en retardant
le battage des grains et en refusant de les vendre206(*) ». « On
a remarqué en effet après un certain bruit répandu dans
les alentours, qu'il entrait en France des blés
étrangers207(*)».
Toutes ces inquiétudes sur le prix des grains
entraînent certains commerçants à frauder. Ainsi, en 1811,
à Rouceux, en pleine crise frumentaire, un commerçant est
accusé d'être un « vendeur de grains de fausse
mesure208(*) ». On
assiste au cours des crises de subsistances à des hausses du prix des
blés, « les prix du pain blanc ont triplés de juillet 1816
à juin 1817, ceux du froment ont quadruplé ; ceux de l'orge
ont plus que quadruplé, [...] quand à la pomme de terre, son prix
sextupla209(*) ».
Le manque de nourriture, les rumeurs d'accapareurs de
blé, et le climat de tension extrême conduisent au piratage de
cargaisons de grains. Des habitants du village de Houécourt210(*) pillent de dette
façon une charrette remplie de grain qui était destinée
à un commerçant du village. Tout commence par une charrette
s'approchant du village, les villageois questionnent le conducteur sur la
nature de la cargaison, celui-ci restant évasif, se crée un
attroupement au coeur du village. Certains habitants montent sur la charrette
et transpercent les sacs pour voler les pois et le blé qui était
caché au milieu de la cargaison, d'autres s'emparent de sacs entiers. Le
commerçant à qui était destiné la cargaison
intervient mais se fait insulter de « gros cochon de vendeur de
blé211(*) » et « d'accapareur212(*) ». Le rapport de
police précise que les plus acharnés ont déclaré
vouloir tout simplement « du blé pour une cuite pour nourrir
leurs enfants213(*) ».
La disette est la principale cause du délit, elle
conduit les populations à commettre d'avantage d'infractions par
nécessité comme le vol ou le délit de chasse. Il ne faut
cependant pas oublier tous les délits connexes commis en temps de crise
frumentaire comme les escroqueries, ou les agressions qui sont directement
liées au climat de carence alimentaire. Les chiffres de la
délinquance peuvent également être renforcés par
d'autres facteurs tels que la conjoncture politique ou économique.
* 202 (Cf : Annexes
d'illustration, Annexe VIII. Evolution du nombre de condamnés
en correctionnelle, selon la conjoncture, p 192).
* 203 CHARTON, M, LEPAGE, H,
op. cit., p 130.
*
204 Nicolas Cordier de Grand est jugé en
par la Cour d'Assise d'Epinal, pour un assassinat commis en 1817. Le meurtrier,
surpris alors qu'il volait de la nourriture, porte un coup mortel à la
fille de la maison. Le délinquant voyant la porte ouverte, rentre pour
chercher du pain, n'en trouvant pas il y prend un peu de beurre, de lait et de
fromage, quand il se fait surprendre par la fille de Mangin. Celle-ci s'indigne
de sa présence en lui disant « -je le dirai à mon papa
que tu bois comme cela notre lait et que tu cherches dans nos
armoires ». Ce à quoi l'assassin répond
« -j'ai trop faim et je n'ai trouvé personne dans les maisons
pour y avoir du pain ». Il déclare dans son interrogatoire
avoir en outre dérobé quatre francs en pièces de cuivre
qu'il a mis dans un petit sac lié aux deux bouts et qu'il est
allé cacher « dans un trou d'un mur de l'écurie de son
père pour avoir du pain ».
* 205 PFISTER, C,
« Fluctuations climatiques et prix céréaliers en Europe
du XVIe au XXe siècle », Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations, [En ligne]. 1988, n° 1, p 29.
Consulté le 13/03/2009. URL :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1988_num_43_1_283474
* 206 AD Vosges, 4M32,
Coussey, 1813.
* 207 Ibid.
* 208 AD Vosges 22u44,
Rouceux, 1811.
* 209 LEUILLIOT, P,
« De la disette de 1816-1817 à la famine du coton
(1867) », Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations, [En ligne]. 1957, n° 2, p
317-325, consulté le 14/03/2009. URL :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1957_num_12_2_2641
* 210 AD Vosges, 22u41,
Houécourt, 1809.
* 211 Ibid.
* 212 Ibid.
* 213 Ibid.
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