Troisième partie : LE PARIS REEL ET LE
PARIS VECU
La deuxième partie de ce travail a montré
à travers quelques éléments que la rêverie de la
Ville lumière fait partie du quotidien des jeunes africains. Paris, la
France et l'Europe sont des lieux qu'ils veulent absolument visiter. Dans cette
troisième partie, nous poursuivrons le voyage entrepris par nos
romanciers à travers leurs personnages principaux, rendus à
présent à Paris. Il s'agira à présent de passer
d'une ville abstraite à une ville concrète, d'un mirage à
une réalité. Car, comme le reconnaît le
protagoniste-narrateur de Bernard Dadié,
« La France ! Jusqu'à aujourd'hui
elle avait été pour lui un simple nom ; bien plus une
abstraction qui s'éloignait sans cesse ; quelque chose de si
extraordinaire qu'il en admettait l'existence sans grande
conviction »,
Comment se présente l'objet de leur rêve ?
Que feront-ils là-bas ? Pour le savoir, nous présenterons
leur séjour, dans un premier temps à travers la description
physique de Paris, telle qu'elle est observée dans les romans de notre
corpus. Le deuxième volet de cette dernière partie de notre
travail sera quant à lui, réservé aux différentes
fonctions et aux symboles auxquels renvoie la ville de Paris, à la
lumière d'Un Nègre à Paris, Mirages de
Paris, Kocoumbo l'étudiant noir et Chemins
d'Europe.
VII. La description physique de
Paris
Le premier contact des jeunes africains qui ont quitté
leur village pour venir à Paris leur révèle une ville
à des années lumière de ce qu'ils s'étaient
représentés jusque-là. Le choc est immense, car
« Paris est un véritable univers », où,
« les maisons (sont) grises, démesurément hautes,
l'air très confortable. Les rues, larges, infinies, solidement
pavées ». Ce choc est donc d'abord physique ; ils
découvrent une ville gigantesque, énorme et imposante dans sa
matérialité. Aucune rue ne ressemble aux pistes de leur
brousse ; aucun immeuble, palais, château n'est non plus semblable
aux maisons de leur village. Quand bien même ils la rapprochent des
villes de leur pays, le fossé est toujours très grand :
« c'est vraiment beau tout ce que je vois ici...
architecture, transports, confort, hygiène, ordre, activité, tout
est sur un plan supérieur à celui de l'Afrique, tout est sur un
rythme affolant comparé aux choses africaines »
Tout leur semble donc nouveau, meilleur, et, devant cette
nouveauté, ces jeunes ne restent pas insensibles à ce qu'ils
voient. Leur regard est sans cesse renouvelé par le côté
esthétique des éléments qui composent la ville de
Paris ; de même que leur envie de savourer cette beauté
croît au fur et à mesure qu'ils prennent pied dans la ville de
leur rêve. Il y a même ceux qui vont jusqu'à penser que
Paris est une ville imprenable:
« Paris, par la construction de ses maisons
collées les unes aux autres, par ses nombreuses rues ne se coupant
jamais à angles droits, est une ville qu'on ne peut enchaîner.
Cela se sent de prime abord. C'est son premier air »..
C'est donc cette ville gigantesque qu'ils décrivent au
fur et à mesure que leur séjour passe, à travers plusieurs
éléments qu'ils côtoient ou qu'ils fréquentent. Nous
les classerons en trois catégories : les
« éléments » de transition, les
« éléments» nouveaux et les
« éléments » ordinaires :
v. Les « éléments » de
transition
Dans cette rubrique nous mentionnons les
éléments physiques qui montrent la passage entre le lieu
d'origine des personnages (l'Afrique) et leur futur lieu de résidence
(Paris, France, Europe).
1) Le port, l'aéroport et la gare
Principales portes d'entrée dans un pays, le port et
l'aéroport sont aussi les lieux d'arrivée en France des
personnages des romans de notre corpus. Après plusieurs jours de voyage,
Fara débarque dans le port de Bordeaux :
« Le soir du neuvième jour de
traversée, on entra dans les eaux profondes de Gironde. On devait
arriver à Bordeaux vers minuit et l'on ne débarquerait que le
lendemain. (...) Il alla s'asseoir sur le même cabestan à l'avant
du navire qui glissait sans secousse sur l'eau calme de la
Gironde ».
Pour leur part, partis du port d'Abidjan après avoir
laissé quelques jours plus tôt Kouamo leur village, Kocoumbo et
ses compatriotes, arrivent en France par le port de Marseille :
« le voyage s'achevait. Bientôt ils allaient débarquer
à Marseille ».
Nous avons déjà signalé plus haut qu'on
ne sais pas grand-chose du séjour parisien d'Aki Barnabas, encore moins
du lieu où il accosta en France. Beaucoup plus chanceux que Fara et
Kocoumbo, qui ont passé plusieurs jours en bateau avant d'entrer en
France, Tanhoé Bertin arrive, lui, par un aéroport de Paris.
Celui d'Orly en l'occurrence. Seul Fara décrit l'environnement de son
lieu de débarquement en France : « les maisons
étaient grises, démesurément hautes, l'air très
confortable ». Tous, ils ont en revanche une idée
très précise de la gare dans laquelle ils prennent leur premier
train. Surtout pour ceux qui sont arrivés par « la
province » (Marseille et Bordeaux). C'est à la gare Saint-jean
que Fara, accompagné de ses hôtes (le Syrien et le
commerçant), prit son train pour Paris. Celle où Kocoumbo prend
sa correspondance, n'est pas mentionnée, mais on sait que le lendemain
de son arrivée en France, il prend « un train du soir pour
Paris ». Ces différents lieux revêtent une
importance particulière dans le début du séjour parisien
de ces personnages, que l'évocation des moyens de transport devrait
compléter.
1) Les moyens de transports : avion, bateau,
train
Le bateau et l'avion sont les moyens de locomotion dont se
sont servis nos héros pour venir en France. A les entendre, c'est la
première fois qu'ils empruntent l'un ou l'autre. Ce sont, à leurs
yeux autant d'éléments qui collent davantage à la
réalité de l'Europe qu'à celle de chez eux. Bien
sûr, l'un comme l'autre de ces éléments les impressionne et
le commentaire qu'ils en font, montre bien qu'ils ne sont pas en face d'un
élément ordinaire, ni même d'une situation habituelle,
comme en témoigne cette tirade de Tanhoé Bertin.
« L'avion m'emporte. Chaque fois qu'il plonge
dans un trou d'air, je m'accroche à mon fauteuil comme si le fauteuil
était un appui sûr dans une chute. Les autres passagers ont le
même réflexe. (...) Le gigantesque oiseau emporte les oeufs que
nous sommes. Où nous posera t-il ? Tant qu'il y'a des trous d'air.
On dirait des obstacles sur le chemin de Paris ».
La description du moyen de locomotion est aussi une
façon de commencer à se familiariser avec son nouveau milieu.
Pressentant qu'il allait dans un monde nouveau, où il va voir des
personnes nouvelles, Tanhoé Bertin constate qu'il est déjà
le seul noir dans l'avion qui le transporte pour Paris. Cela lui permet de
comprendre qu'il ne part pas en terrain conquis. Bien plus, que pour avoir
droit à quoi que ce soit il devra le conquérir, le gagner. Rien
n'est fait en somme pour qu'ils pensent qu'il aura la vie facile dans cette
nouvelle ville.
Dans son bateau, baptisé
« l'Asie », Fara découvre les paysages sublimes qui
jonchent leur itinéraire : « les lumières de
Rufisque », les « archaïques
réverbères » de l'île de Gorée. Kocoumbo
et ses compagnons apprennent dans leur embarcation, comment se sauver en cas de
naufrage. Puis, c'est dans le train qu'ils prennent pour Paris qu'ils
commencent à sentir la différence d'avec leur village, et, en
éprouvent même furtivement l'envie d'y retourner au plus vite.
« Ils s'installèrent dans un compartiment
à moitié vide ; deux vieilles dames occupaient un
coin ; un journal marquait la place du troisième voyageur qui
fumait dans le couloir ».
a. Les « éléments »
nouveaux et communs
En général, certains
« éléments » urbains, notamment à
Paris, se détachent de la vision d'ensemble de la ville et ils
méritent, de part leur « corps » et leur
fonctionnalité, qu'on leur consacre une étude
particulière. Ces « éléments », plus
nombreux, peuvent être des espaces précis, ou des
éléments se produisant dans ces espaces
3) Le métro
Nous n'avons pas classé le métro avec les autres
moyens de transport, parce qu'il est à la fois lieu et engin. En outre,
il représente dans l'imagerie de ces jeunes, un élément de
rupture par rapport aux autres sus évoqués. A la
différence des autres qu'ils ont aussi aperçu en Afrique, le
métro est une véritable nouveauté. Il est donc
certainement l'élément qui attire le plus leur attention.
Même à envisager qu'ils en aient peut-être entendu parler
dans la triade « métro-boulot-dodo », ils n'en ont
pas une idée tangible. Les lectures faites au pays, ne les ont pas assez
renseigné sur ce moyen de locomotion. Pas plus qu'elles ne leur ont
décrit la frénésie qui s'empare des parisiens quand ils
sortent du travail en début de soirée et qu'ils doivent
l'emprunter pour regagner leur domicile.
Tout ce qu'il sait avant d'arriver à Paris, c'est qu'il
y a un métro qui roule dans le souterrain. Les définitions que
nos héros en donnent ne laisse aucune place au doute sur leur
« connaissance » du métro. Le métro c'est
« Cette gigantesque toile d'araignée
souterraine prenant Paris dans ses rêts (...) ; ce réseau
fait de couloirs, d'escaliers roulants, de montées de descentes, de
stations, est un enchevêtrement de lignes menant à tous les coins
de Paris », dit Tanhoé Bertin.
Pour le héros de Mirages de Paris, Fara, c'est
« une suite de wagons sans locomotive » qui surgit
de la pénombre d'un souterrain et qui roule rapidement. Plus simple est
cette définition de Durandeau, « un train qui passe sous
la terre ». L'émerveillement de Kocoumbo est sans borne
à son premier contact avec le métro :
« C'est ça le métro, le train qui
passe sous terre ! (...) Quel beau plafond ! Quelle belle
voûte ! De gros fils la parcourent. Les lampes sont-elles
toujours allumées ? Ces carreaux blancs sur le mur, quel
travail ! Comme cela semble solide !» P85. En somme, le
métro c'est « une invention magique »
Ce qui est aussi frappant et plus inattendu pour ces
personnages, c'est l'usage qu'en font les parisiens et la place qu'occupe le
métro dans leur quotidien. Le métro est pour eux, un compagnon
quotidien fidèle, et que chaque parisien s'est approprié.
« Dans les rues, on se presse parce qu'il y a le
métro à prendre (...) c'est dans le métro qu'on saisit le
plus le rêve prodigieux du parisien d'être le roi de ses machines,
de se faire porter par elles, d'avoir le droit de paresser, de jouir de la vie
parce qu'il s'est substitué à lui les machines... »
Dans cette longue réflexion de Tanhoé Bertin, on
comprendra allègrement toute l'étendue de la complexité du
métro et les difficultés d'usage pour le jeune africain qui
débarque à Paris.
« Lorsque tu viendras à Paris, dans ce
Paris qui vit sous terre, à circuler dans le métro,
achète-toi aussi un guide. (...) Muni de ce plan, perds-toi dans les
dédales de couloirs et de flèches, de plaques indicatrices et de
coulées humaines, de sens interdits, de montées de descentes
(...) »
Malgré ces difficultés d'usage, il
n'empêche que cet élément nouveau est
apprécié des jeunes africains. Ils lui reconnaissent un
côté pratique dans le transport des personnes. Bien plus, ils sont
même d'avis à reconnaître que, c'est le lieu par excellence
des rencontres et surtout de familiarisation avec les habitants autochtones de
la ville : « n'empêche, dans les couloirs et les voitures,
on coudoie beaucoup de monde pour se faire une idée exacte de la vie
à Paris. Je dirai même que pour connaître le parisien, il
faut l'aborder dans le métro, soit qu'il se rende à son travail,
soit qu'il en revienne». On voit donc à travers ces exemples que,
pour être en phase avec la ville il faut se familiariser avec le
métro :
« Qui n'aime pas le métro, n'aime pas
Paris. Car, Paris respire, tousse, vomit, avale, résiste et se rebelle
par le métro, qui est à la fois sa bouche, ses poumons, ses
artères, ses veines, son coeur ».
Maîtriser ses itinéraires, son usage et
même connaître sa symbolique, sont des données importantes
pour les jeunes africains qui arrivent à Paris. Comme le sont aussi la
connaissance des palais et des musées.
1) Les palais et les musées
Pendant la période coloniale, il n'y a presque pas de
musées en Afrique noire francophone. Quelques palais existent tout de
même ; ce sont les résidences privées des chefs
traditionnels locaux. Ces palais, sanctuaires des trésors culturels de
ces localités, étaient riches en valeurs symboliques.
Néanmoins, ils ne sont pas comparables à ceux que vont
découvrir nos héros à Paris. Par exemple le palais
oriental d'Angkor, construit pour l'Exposition coloniale : tout juste
arrivé à Paris, Fara visite l'avenue des Colonies et ses nombreux
palais. Là, il se met à admirer le palais d'Angkor, le plus
apprécié de tous, que le narrateur décrit de la
sorte :
« Le palais d'Angkor était le plus
admiré. Sa masse gris bleuté se détachait du ciel parisien
où se reflétaient, en poussières multicolores, les
lumières d'en bas. Il se dégageait des dragons et des dieux
asiatiques, la rigidité mystique des sphinx ».
L'autre palais qui revient avec récurrence dans les
descriptions de ces personnages, c'est le palais de Versailles -bien que
situé en dehors du Paris urbain. Le narrateur-héros d'Un
nègre à Paris souligne le fait que ce lieu soit propice aux
amours de tous genres.
« Tout dans le parc de cette demeure royale
incite au rêve, aux confidences, aux effusions : les allées,
les jets d'eau, le bois, le silence, le reflet du soleil à travers les
feuillages, l'air, la brise, les parfums, le sourire des gens, l'éclat
des regards... ».
Pour sa part, Kocoumbo -et son ami Durandeau- arpente parfois
les artères du palais du Luxembourg, où siège les
sénateurs, à la recherche d'un représentant d'Outre-mer.
Il s'émerveille devant l'architecture de ce bâtiment et reste coi
à l'évocation de sa richesse historique ;
« les couleurs claires et les proportions du palais de Chaillot
réveillèrent en lui une émotion
troublante ».
Tout comme pour les palais, les personnages des romans de
notre corpus sont aussi frappés d'une très grande admiration
quand ils visitent les musées parisiens et découvrent les
trésors qu'ils recèlent.
« J'ai donc vu dans un de ces
musées, le Musée Grévin, le chapeau de paille que le plus
grand de leurs empereurs, Napoléon, portait à
Sainte-Hélène ; sa table de travail dans cette
île ».
Fara, comme Kocoumbo, parlent davantage du musée du
Louvre et de se nombreux objets d'art. Ils ont même l'occasion de le
visiter.
1) Les rues, les avenues et les boulevards
Une autre « découverte » faite par
nos personnages, concerne les routes. A la place des pistes et des routes non
bitumées auxquelles ils sont accoutumés, ils ont droit à
Paris à une diversité de voies, les unes aussi belles que les
autres. Elles n'ont pas toujours la même étiquette, car, selon
leurs dimensions, on les appelle rues, allées, boulevards, avenues.
Plusieurs d'entre-eux figurent dans les ouvrages que nous étudions. Leur
évocation est tantôt précise, tantôt vague. Certaines
n'ont pas de symbole particulier et d'autres, si. Au demeurant, on dirait que
nos auteurs en font mention, davantage pour montrer qu'ils sont bien à
Paris, que pour autres choses. De manière rassemblée, on pourrait
citer la Rue Coloniale (là où se déroule l'Exposition
coloniale), la rue des Ecoles, la Rue marchande de Rivoli... La rue Fontaine
décrite dans Mirages de Paris se présente comme le coin
des boîtes de nuit. Sur cette rue,
«Aux frontons des boîtes de nuit, les
lumières multicolores se mouvaient en un tournoiement chatoyant qui
incitait aux folies de jeunesse. Les autos, glissantes, bêtes
sombres, dardaient leurs yeux incandescents sur tout ce qui peuplait la
rue »
Les Boulevards Saint-Michel, de la République et
surtout les Grands boulevards sont autant de lieux où,
Tanhoé Bertin et Fara disent pouvoir aller flâner, de même
que Kocoumbo, à son retour du lycée d'Anonon-les-Bains. Dans ce
registre des routes, la palme de la description revient sans conteste à
l'Avenue des Champs-Élysées :
« Dans le taxi qui le conduisait à
l'avenue des Champs-Élysées, il regardait à travers les
vitres les multitudes de maisons défiler, hautes grises, portes et
fenêtres innombrables toujours closes (...) Dans cette avenue (...) les
maisons avaient encore été plus hautes, les enseignes
multicolores plus lumineuses ! Partout glaces, verreries scintillantes,
bijoux aux mille reflets, automobiles miroitantes dans des vitrines
tapissées et fleuries »
Alors que Kocoumbo, en compagnie de Raymond Brigaud admire sur
cette avenue « tous les lampadaires qui brillent comme autant de
fleurs lumineuses » P94, Durandeau pense que c'est tout
simplement « le plus beau quartier de Paris ».
a. Les « éléments »
ordinaires
Ici, en dehors des églises dont la description est
précise et les occurrences nombreuses, d'autres éléments
à l'importance réduite, mais significative ont aussi
attiré notre attention.
6) Les Eglises
Toujours animés par leur souci de découverte,
nos personnages visitent aussi les Eglises, même sans être
particulièrement fervents chrétiens -Fara est musulman, Kocoumbo
croît en ses ancêtres, Tanhoé Bertin s'amuse de toutes les
religions et on ne sait pas grand-chose d'Aki Barnabas à Paris. Comme
d'autres touristes, le narrateur-héros d'Un nègre à
Paris sillonne le quartier de Montmartre. Là, il visite le
Sacré-Coeur et reconnaît qu'on ne peut pas
«Aller à Paris et ignorer
Montmartre (car), le Sacré-Coeur veille sur ses montmartrois et
regarde d'un oeil placide les voyageurs plus pressés de photographier
que de parler aux gens ». C'est la cathédrale Notre-Dame
de Paris qui est la mieux représentée :
« c'est la plus grande (...) églises. Une merveille
d'architecture. Les hommes ont dans la pierre gravée leur foi. Pour te
faire une idée de la majesté de l'édifice, figure-toi
qu'ils ont mis deux cents ans pour l'achever ».
Sublimé devant sa beauté et la fréquence
de fréquentation de ce monument, le personnage d'Aké Loba essaie
même de donner ses dimensions et la symbolique de certains
éléments y figurant :
« (...) cette église sommée de deux
tours s'élevant à quatre-vingt-neuf mètres, (avec) trois
étages. Il n'y a rien (ici) qui ne vous tienne un langage : la
pierre grise, la dalle usée sous les pas des rois, des fidèles
des touristes, les striges qui se tiennent la tête... »
Fara aussi est impressionné par cette
église de style gothique; il l'est d'autant plus qu'il sait que
Notre-Dame de Paris a prêté son nom et son antre à
quelques romans qu'il a lu
« Notre-Dame produisit sur lui sa plus profonde
impression parisienne. Que de foi ardente se matérialisait en ce
gigantesque « rêve de pierre » qui
s'élançait vers l'éternité ! Il admira
longuement les vitraux, les dentelles de pierre, les scènes
allégoriques ».
L'évocation des églises parisiennes dans ces
romans, reste sommaire. Les narrateurs n'évoquent que leurs aspects
physiques extérieurs ; aucun détails ou presque, n'est
donné sur l'intérieur de ces maisons de prière. Est-ce
à dire que le décor intérieur est inexistant ? Ou
alors, peut-on voir dans cette simple description de l'architecture
extérieure des églises de Paris une certaine banalisation de la
religion ? Cela pourrait être possible, car, on voit
déjà chez Aki Barnabas, à sa sortie du séminaire,
un anticléricalisme vigoureux qui se caractérise par le fait de
tourner les prêtres en dérision. C'est à peu près le
cas aussi chez le narrateur de Kocoumbo, qui présente Joseph Mou, le
séminariste, comme un jeune homme coincé et amorphe, qui ne
trouvera son « salut » que dans l'alcoolisme. Les
églises parisiennes ne seraient donc que de simples bâtiments
comme d'autres. Le narrateur d'Un nègre à Paris, emploie
quant à lui quelques paraboles évangéliques, sans grandes
incidences sur l'intrigue, ni sur l'itinéraire
1) Les quartiers et les places
Exception faite de Aki Barnabas, dont le séjour
à Paris ne nous est pas conté par L.F Oyono, tous les autres
personnages des romans que nous étudions ont visité le Quartier
latin. Centre intellectuel, ce « haut lieu de
connaissance » est censé être le lieu de rencontre et de
résidence de tous les élèves et étudiants. Il
« est situé sur la montagne
Sainte-Geneviève » et on l'appelle ainsi
« parce que les maîtres et les élèves ne se
parlaient qu'en latin ». C'est dans ce quartier que se trouve la
Sorbonne, l'université prestigieuse dans laquelle tous les jeunes
africains rêvent d'entrer. C'est aussi le lieu où sont
présents plusieurs librairies et bibliothèques. Aké Loba
le présente aussi comme un milieu dépravé dans lequel
commence à se faire tous les trafics, du fait de la présence des
étudiants africains, qui ont transformé l'un des secteurs du
Quartier latin en « bidonville », baptisé
Cité des étudiants d'Afrique noire. Ici, il règne une
ambiance permanente de fête, où bruits de radios et tourne-disques
le dispute aux « clabaudages des hommes, les criailleries des
femmes et les pleurs des enfants ». P186. Cette ambiance tranche
d'avec celle des quartiers résidentiels où logent par exemple la
famille d'accueil de Kocoumbo (les Brigaud), au «18, place de la
République, 2e étage, porte gauche », ou la
belle-famille de Fara (les Bourciez), au « 125, rue Croisière,
à la République ». On trouve aussi à Paris
« des maisons si sérieuses d'aspect qu'on dirait qu'elles
ont conscience de ce qu'elles sont ou représentent. Elles sont de Paris.
Elles sont Paris ».
Sur la place de la Concorde, Kocoumbo est saisi
d'étonnement et d'admiration par tout ce qui y figure :
« son saisissement fut plus extraordinaire que celui du premier
archéologue qui pénétra dans la Vallée des Rois.
Les jets d'eau lui parurent des fleurs aux pétales renversés, en
adoration musicale face au ciel ». La place Vendôme quant
à elle séduit Tanhoé Bertin à travers la statue
hissée de l'empereur Napoléon. Ce sont-là quelques preuves
que les places aussi font leur effet sur nos personnages
1) Les autres éléments
On citera au rang des autres éléments
découverts à Paris, des lieux aussi variés les uns que les
autres, dont l'impact est tout de même réel dans les romans de
notre corpus. Le panthéon par exemple, est évoqué dans la
plupart d'entre-eux. Il ressort de leurs évocations que c'est
« un grand édifice -bâti sur une montagne- où
le parisien enterre ses grands hommes. Dans le crypte reposent des
écrivains illustres, Rousseau Voltaire, Zola, Hugo, des
généraux et des maréchaux ».
Ils décrivent aussi leurs dortoirs, chambres et
appartements ; de même que les cafés et les restaurants,
définis comme « les seuls endroits où le parisien
accepte de perdre du temps » 108. L'hôtel de ville, les
bibliothèques et librairies, le stade de foot, les hôtels qu'ils
voient dans la rue sont autant de lieux qui les fascinent et dont-ils parlent.
Les bars dancing, comme celui de la Cabane cubaine,
« musée d'ethnographie noire où chaque peuple avait
envoyé un spécimen ». Ils évoquent aussi,
les berges de la Seine, « le fleuve qui coule à
Paris », les bateaux-mouches ; plus loin, les Invalides,
Montmartre et ses boites de nuit, « le quartier des
artistes », Saint-Denis, où «sont
enterrés les grands rois de France ».
Au rang des monuments célèbres dont ils ont
entendu parler avant leur arrivée en France, il y a également
l'Arc de Triomphe, dont certains savent déjà que c'est le
portique où se trouve le monument du soldat inconnu:
« Il (Fara) arriva devant l'Arc de triomphe,
tourna à plusieurs reprises autour du monument et déchiffra tous
les noms de batailles jusqu'à ceux inscrits très haut sur la
pierre. Arcole, Montdovi, Castiglione, Austerlitz, ressuscitaient son
enthousiasme d'écolier lorsqu'il suivait, haletant, les luttes de
l'empereur, bataillant pour réaliser son rêve
surhumain ! »
Les forêts de Rambouillet et de Fontainebleau, le zoo de
Vincennes sont aussi cités par Tanhoé Bertin comme autant de
lieux agréables de la région parisienne où il faut aller
se divertir.
« L'hiver, ses loisirs se passaient au
cinéma ; l'été, il préférait les
excursions au bois de Boulogne et parfois en vraie campagne jusqu'à la
forêt de Fontainebleau. Ils partaient le matin, de bonne heure, toutes
provisions prises, pour d'agréables pique-niques sur l'herbe».
Dans cette longue liste d'éléments monumentaux
cités, on ne saurait oublier la Tour Eiffel dont ils ont abondamment
entendu parler quand ils étaient encore en Afrique, et dont l'image est
déjà célèbre à travers le monde
entier :
« Ils prirent un taxi et se dirigèrent
vers l'Arc de Triomphe. Dès la rue de Rivoli, Kocoumbo fut
émerveillé. Mais lorsqu'ils arrivèrent à la
Concorde, il se crut dans un jardin aux arbres magiques : tous les
lampadaires brillaient comme autant de fleurs géantes lumineuses.
Lorsque Raymond lui dit : « nous sommes sur les
Champs-Élysées », il se souvint de cette appellation
qu'on lui avait rabâchée en Afrique : Paris,
ville-lumière ».
En somme, au regard de ce qui précède, Paris est
sur le plan physique, une ville nouvelle pour ces personnages. Nouvelle parce
que, son architecture, ses monuments, ses rues et quartiers, et aussi ses
citoyens, sont différents de ceux auxquels ils étaient
habitués dans leur village. Ils trouvent que ces éléments
du Paris physique sont beaux et magnifiques ; ils en sont séduits
et le disent : « belle, vieille, fleurie, pleines de femmes
spirituelles et coquettes, abreuvée de lumières, cette ville,
Paris, a tout pour attirer l'aventurier ». Parfois, certains
d'eux ont l'impression de vivre quelque chose d'inédit :
« Ils descendirent de voiture pour traverser les
Tuileries. Kocoumbo marchait comme un saint qui met les pieds au paradis. Un
vent frais lui soufflait au visage ; les arbres étaient pleins de
bourgeons. Il avait l'impression que le monde venait de naître, que le
Créateur finissait d'achever son chef-d'oeuvre ».
Seulement, ce seul attrait physique pourrait-il leur suffire
à assouvir leur envie de connaître Paris ? Autrement, leur
rêve parisien se serait-il réalisé juste par la description
matérielle que nous venons de présenter ? Il nous semble que
l'étude de la symbolique et des fonctions véhiculées par
Paris pourraient donner plus de sens et plus de consistance à la
réalisation de ce rêve.
I. La symbolique et les fonctions de
Paris
Paris, « ville de surmonde, bâtie par des
géants » comme le dit le narrateur de Mirages de
Paris, est-elle une ville si particulière ? Que
représente Paris pour nos auteurs et leurs personnages ? Ces
derniers ne sont-ils que des « nègres qui aspirent au paradis
blanc » ? Que font-ils durant leur séjour et, quels
rapports entretiennent-ils avec leur nouvelle ville ? Toutes ces questions
sont utiles pour arriver à dégager les différentes
fonctions de la ville de Paris.
y. Paris, lieu d'exode
Pour de nombreux élèves et étudiants du
monde, Paris a toujours été un lieu d'exode
privilégié, où ils viennent pour se former. Cela est aussi
vrai pour les africains. Ce qu'il faut savoir, c'est que, avant leur
indépendance, la plupart des pays d'Afrique noire francophone ne
possèdent pas d'université. Pas plus que d'autres structures pour
préparer aux études supérieures. L'exode, des
néo-bacheliers africains vers la France et ses universités,
s'inscrit presque automatiquement dans le processus de continuité, qui
veut qu'après le lycée, on rentre en fac. Celle-ci se trouvant en
France, alors, ceux qui avaient obtenu le baccalauréat et qui
souhaitaient poursuivre des études supérieures, venaient
s'inscrire dans une université en métropole. La formation
dispensée ici devait produire les futurs hauts cadres du continent noir.
Paris, et les autres villes de l'hexagone qui disposent d'une
université, étaient donc de fait, des lieux d'exode -certains
diront d'exil- de la jeunesse africaine en quête de connaissance et de
savoir.
Pour Lilyan Kesteloot, « la capitale
française semble avoir été le creuset où se
forgèrent les idées d'une élite de couleur qui allait, non
seulement fournir des cadres directeurs des nouveaux Etats africains, mais
encore jeter les bases de véritables mouvements culturels distincts de
ceux de la métropole»..
Paris, plus que les autres villes de France, offrait de
nombreuses possibilités sur le plan académique (le nombre, le
prestige et la renommée de certaines de ses fac) et sur le plan social
avec, l'installation préalable d'autres membres de la communauté
africaine en son sein, les loisirs, les activités économiques,
culturelles, politiques. Elle allait donc cristalliser dans ses murs la
majorité du contingent étudiant africain en France. Les
personnages de notre corpus figurent dans cette majorité. Si Kocoumbo
par exemple, reste un temps à Anonon-les-Bains, c'est parce qu'il doit y
aller en internat dans un lycée. Il finira par venir s'installer, comme
ses camarades d'aventure (Durandeau, Douk, Mou, Nadan), et les autres
héros que nous étudions (Fara, Tanhoé) à Paris.
Ainsi présents à Paris, ils vont s'instruire et se former de
plusieurs manières différentes.
a. Paris, lieu d'instruction et de formation scolaires
et académiques
Si on excepte Fara, dont le but premier était de venir
participer à l'Exposition Coloniale, et Tanhoé Bertin dont la
« mission » est plutôt celle de raconter ce qu'il
voit dans la capitale française, les autres personnages viennent
à Paris d'abord pour étudier et se former à devenir les
cadres de demain dans leur pays. Leur avenir immédiat à Paris est
donc, un moment d'apprentissage qui devra déboucher sur la
réussite scolaire et académique, préalable à
l'accès aux postes de responsabilité qui les attendent à
leur retour. Des fois, ils évoquent en groupe leur avenir :
« Ce n'était pas un sujet nouveau puis
que les jeunes gens parlaient de leur avenir (...) Tous étaient
appelés à être demain les élites de leur tribu. Un
jour, ils y joueraient les plus grands rôles. Ils étaient
envoyé en mission vers la France, pépinière fabuleuse de
leur jeunesse exaltée ».
En effet le désir d'instruction est grand chez ces
jeunes, comme en général chez tous les jeunes africains de cette
époque-là, surtout quand ils intègrent la finalité
de leur apprentissage. Des postes de responsabilité les attendent
dès leur formation achevée. Si, ils ont de telles garanties
d'emploi dans leur pays, c'est que ceux-ci ne possèdent pas encore la
ressource humaine nécessaire, dont ils ont besoin pour leur
développement. Ainsi, ceux qui étaient envoyer aux études
à l'étranger, devaient réussir absolument pour que la
tradition se perpétue
« Puisque nous avons la possibilité de
venir nous instruire, il faut que ceux qui commencent réussissent, non
pas pour leur orgueil personnel, mais pour donner espoir à ceux qui les
suivront. Si je repartais, je crois que je ferais du tort à mon pays.
Les pères diraient à leurs enfants : « Inutile
d'essayer de vous instruire, vos aînés ont
échoué ».
Emerveillés par la sagesse du colon-blanc, mais aussi
soucieux de mieux connaître des disciplines comme le français, la
philosophie, la science et ses merveilles, ils vont émigrer à
Paris, par leur propre volonté ou mandatés par leur famille et/ou
leur clan, pour parvenir à ces fins. Kocoumbo -ses compatriotes de
voyage aussi- en est un parfait exemple. Ainsi, malgré son âge
avancé, il s'inscrit en quatrième au lycée
d'Anonon-les-Bains ; en dépit du retard de connaissances qu'il
accuse sur ses camarades, tous plus jeunes que lui, il s'applique dans sa
formation, et, à force de ténacité et d'abnégation
réussira à avancer de quelques classes jusqu'en première.
Au passage, il devient excellent dans certaines matières, alors que son
handicap était grand lorsqu'il arrivait.
Ses professeurs de géométrie et de
français le félicitent. Les enseignants de physique et de chimie
aussi louent ses efforts. Loin de se satisfaire de ces compliments, Kocoumbo
redouble d'ardeur au travail, en partie grâce à Jacques Bourre
« son camarade préféré, son ami, le plus
brillant élève de la classe de seconde » (P103) qui
l'aide à réviser et l'encourage quand il essaye de se
démotiver. On peut aussi rappeler que, conformément au besoin
d'expertise scientifique qui est celui des pays colonisés en
général et africains en particulier, à l'époque
coloniale, les protagonistes envoyés à Paris choisissent en
priorité les disciplines comme, les mathématiques, la
médecine, les sciences.
« Pour moi, la science est un
phénomène sacré. Ce n'est pas seulement un bienfait que
l'on porte en soi, quand on la détient. Il faut penser qu'en
matière de savoir humain, les puissants sont toujours
derrière », dit Kocoumbo à madame Brigaud, pour
tenter de justifier le bien fondé de son instruction.
Après son baccalauréat, qu'il obtiendra à
la suite de plusieurs échecs, mais surtout après avoir fait
l'expérience des « petits boulots de survie », il
s'inscrira en faculté, tout en continuant à travailler comme
manoeuvre dans de petites entreprises. Même s'il ne restera jamais bien
longtemps dans ces usines, se faisant renvoyer à chaque fois, il
réussira à obtenir des diplômes universitaires et à
être nommé magistrat en Afrique ; ce sera pour lui, la
satisfaction d'être parvenu à son but : celui de venir
s'instruire en France pour exercer des fonctions importantes ensuite dans son
pays.
Ses compatriotes et camarades « d'exil »
dans cette aventure de formation à Paris, ne connaîtront pas la
même réussite que lui. Ils se sont pourtant inscrits, pour
certains, à la fac de la Sorbonne bien avant lui ;
bénéficiant de meilleurs professeurs et de meilleures conditions
de travail, ils ne sont pourtant pas parvenus à tirer le meilleur des
enseignements qui leur étaient dispensés. Kocoumbo, lui, a
gardé le cap et a toujours privilégié l'essentiel ;
c'est-à-dire les études. Contrairement à un personnage
comme Samba Diallo, qui est intelligent, doué, mais qui choisit, d'une
part de partager des sympathies communistes et mondaines, et, d'autre part,
opte pour les études de philosophie, « l'itinéraire le
plus susceptible de (le) perdre », selon ses propres termes, le
héros d'Aké Loba ne « sort pas de route », en
dépit des nombreuses difficultés qu'il rencontre en chemin.
Ousmane Socé, lui, n'a pas mis son héros
à l'école. Du moins, pas à celle conventionnelle à
laquelle sont allés les personnages d'Aké Loba. L'école de
Fara, c'est son périple amoureux avec Jacqueline. En revanche, un autre
personnage de Mirages de Paris, le dénommé Sidia est
présenté comme philosophe. De lui, le narrateur dit que c'est
rien moins qu'un savant. Il possède chez lui une bibliothèque de
deux étagères. Celle-ci contient une panoplie de livres de
littératures contemporaine et étrangère : Les
nègres de Delafosse, Terre d'ébène,
d'Albert Londres, le Livre de la brousse de René Maran en sont
quelques-uns. Pour sa culture, quand il lui reste du temps libre après
ses cours qu'il prend à la Sorbonne, il a aussi
lu « Durkheim (Du suicide), Adolph Hitler (Mein
Kampf), et d'autres où il n'était question que de
physiologie de l'intelligence, Raisonnement inductif, La métaphysique
jugée par la physique... ».
Pourquoi cet étalage d'érudition chez ce
personnage ? Ousmane Socé veut sans doute ici railler, le
côté intellectuel obsessionnel, « tête bien
pleine », uniquement basé su une connaissance des oeuvres
contemporaines et un raisonnement cartésien, qu'affichaient quelques-uns
des premiers intellectuels africains. Pour preuve, le parcours
académique brillant de Sidia semble être moins valorisé que
celui de Fara, quasi-inexistant. Idem pour celui de Durandeau (pourtant
remarquable, au regard de ce qu'il en dit lui-même), par rapport à
celui plus laborieux de Kocoumbo.
En définitive, Paris est bien le cadre d'une
instruction scolaire et académique diversifiée de ses personnages
des romans de notre corpus. Vu les formes variées qu'elle revêt,
on peut se demander à quoi leur servira cette éducation dans
l'immédiat ? Favorisera t-elle par exemple leur
développement personnel ?
a. Paris, lieu d'épanouissement et de
solidarité inter raciale
S'il est une idée marquante qui se dégage de
tous les romans auxquels nous avons référé jusqu'ici,
c'est que, tous les personnages qui ont fait le voyage de Paris sont jeunes,
naïfs et parfois immatures. Leur regard sur la vie est encore
énormément teinté de rêve, de candeur et d'optimisme
démesuré. C'est cet optimisme qui leur fait envisager Paris comme
un Eldorado. Pour la plupart d'entre eux, ils ont jusqu'à leur
départ pour Paris, vécu au village, sous l'oeil bienveillant et
les gâteries de leurs parents. Ils sont âgés de vingt un ans
(Kocoumbo), ou moins pour les autres. Aucune expérience sentimentale ne
leur est connue ; presque aucune prouesse sociale n'est à mettre
à leur actif -si ce n'est que tous ont décroché leur
certificat d'études primaires et élémentaires, ou que
Kocoumbo, a tué de ses mains un énorme sanglier.
Paris, dans lequel ils vont venir vivre, leur servira, dans
ce contexte, de lieu d'épanouissement, de maturité et de
développement de leur personne. Ils vont avoir l'occasion de devenir
plus « consistants » et matures, à travers les
évènements heureux ou malheureux qu'ils vont vivre. L'annonce du
voyage et le voyage en lui-même leur ont déjà servi
d'expériences enrichissantes. La découverte des
éléments physiques de Paris, pour la plupart inhabituels à
leurs yeux, a commencé à donner corps à leur rêve
parisien et renforcé leur culture générale. Mais, ce sont
les expériences vécues au quotidien par chacun d'eux qui
emmèneront un apport significatif à leur existence. Car, à
Paris, tout ce qu'ils voient, entrevoient ou font, constituent des
leçons de vie.
De part sa position autodiégétique, le narrateur
d'Un nègre à Paris par exemple, tire de tout ce qu'il
voit à Paris, un enseignement utile pour lui et pour les africains. Il
se fait d'ailleurs analyste et critique de tous les sujets parisiens, des
individus aux activités, en passants par les monuments et autres objets.
Chaque attitude, chaque faits et gestes du parisien, de même que chaque
réalisation de ce dernier, sont autant d'éléments qu'il
cherche à comprendre et, desquels, il souhaite tirer un enseignement
bénéfique. Tous, conscients du retard en tous points qui est le
leur, ces personnages espèrent de Paris, qu'elle les transforme aussi
bien en intellectuel, qu'en sage.
Malgré, les préjugés, malgré la
complexité de la vie à Paris, la Ville lumière se
révèlera au final être, pour ces jeunes, un lieu où
ils pourront apprécier la solidarité des autres à leur
endroit. Kocoumbo en fait l'expérience dès son arrivée en
France :
« Le soir, au repas, on lui témoigna tant
de sympathie qu'il en fut tout triste. Lui, un garçon d'un pauvre
village, était reçu comme un prince dans une belle maison de
Paris ; on lui parlait avec bonté, on s'intéressait à
ses projets, on se préoccupait de son sort comme s'il était le
fils de la maison, comme s'il allait de soi qu'on dût lui montrer cette
attention amicale et chaleureuse »..
Cette solidarité se manifeste aussi entre les africains
eux-mêmes ; Kocoumbo, comme d'autres encore, se fait accueillir
à la Cité de l'étudiant nègre, par d'autres
étudiants africains. Ambo et Sidia, apporte tout leur soutien à
Fara, quand celui-ci mène une « bataille
rangée » contre les parents de Jacqueline sa compagne. Et
lorsqu'il est éploré par la mort de sa bien-aimée, la
solidarité entre ces jeunes étudiants africains se fait encore
plus visible. Il reçoit chez lui les condoléances de ses
amis :
« arrivèrent Mamadou Keita, un soudanais,
Jacques Diett, un mulâtre de la Côte d'Ivoire, Sango, un Mossi de
Haute Volta, Micky Roler, de la Nigeria, des sénégalais, des
antillais, des Guyanais. La plupart d'entre eux ne connaissaient pas Fara. Il
avait suffi qu'un malheur fût arrivé à un noir de n'importe
quelle origine pour que tous accourussent, obéissant à je ne sais
quelle solidarité. Il était venu aussi des femmes et des hommes
blancs, amis de Jacqueline ou collègues des marchés de
Fara ».
Ce dernier exemple montre bien collaboration qu'il y avait
entre les étudiants noirs des années 30, 40 et 50, une
collaboration et une solidarité importante, qui aboutit à la
création des fonds d'aide et des mouvements culturels et syndicaux tels
que la FEANF ; ces mouvements seront d'ailleurs de véritables porte
drapeau de la culture africaine à Paris.
a. Paris, capitale culturelle des africains
Depuis toujours, Paris a été un creuset des
cultures. Le foisonnement culturel est l'une des qualités qui a toujours
été mis en avant pour vanter les mérites de la capitale
française. L'art africain fait son apparition au début du XXe
siècle dans la capitale française, en tant que composante de
l'art nègre. Des représentations de cet art et des expositions
commencent à se faire progressivement et, le public découvre par
exemple les statuaires, les masques et d'autres
« fétiches » africains. Paris est surtout
considéré comme le lieu de rencontre des noirs de tous les
horizons, chacun d'eux venant ici avec un bout de sa culture. « Paris
était une cour d'appel des noirs » dit le narrateur de Mirages
de Paris P117. Les occasions et les lieux pour se rassembler au prétexte
de la culture ne manquent pas dans nos romans.
9) L'Exposition coloniale
Elle était organisée assez souvent pendant la
période coloniale ; elle servait de foire d'exposition à
l'art nègre et permettait à des artisans et des artistes
africains de venir exposer leur savoir-faire. C'est d'ailleurs à
l'occasion de l'une de ses éditions que le héros de Mirages
de Paris, Fara, et une vingtaine de sénégalais viennent
à Paris. Dans le roman, la manifestation est organisée à
la grande avenue des Colonies françaises ; elle est décrite
par le narrateur comme le rassemblement culturel de l'art des colonies
françaises à Paris. Il y reconnaît le stand de
l'A.O.F :
« Il atteignit l'A.O.F composé d'un
groupement de bâtiments ocres styles Tombouctou-Dienné ; tout
autour, des cases, de vraies cases ; les tirailleurs ouest-africains,
chéchia écarlate, armes au pied, contrastaient avec la
pâleur des visages et les toilettes claires »
De l'autre côté du pavillon de l'A.O.F, se trouve
un autre stand important ; il comporte plusieurs de nombreux objets d'art,
et est tenu par un personnage aux traits particuliers.
« En face du pavillon du Soudan, voici accroupie sur
des nattes une sonraïe. La finesse des traits, le cuivre de son
teint, l'ardeur de son regard, trahissaient une ascendance touareg ; la
longueur de son port de col, une demi-origine soudanaise. Le foulard marron et
bleu, noué autour des cheveux, la mosaïque multicolores des perles
qui ceignaient son front, ses lourds bracelets d'ébène
incrustés d'argent, le boubou de soie jade qui la drapait faisaient
étrange, malgré le décor d'alentour dans la foule de
blanches où la couleur était détrônée par la
nuance, l'ampleur et la majesté des formes par la minceur du volume et
la netteté de la ligne »
Il y a aussi à ce lieu de l'Exposition coloniale,
« la Martinique, la Réunion, la Guadeloupe (qui)
évoquaient les Iles selon les traits classiques qu'en donnent la
littérature »
1) La « Cabane Cubaine », lieu de
rendez-vous des noirs
Toujours dans le cadre de l'expression de leur culture
à Paris, les jeunes africains se rendaient dans des salles de spectacle
de d'autres lieux de réjouissances qui s'ouvrirent à cet effet.
L'un de ces lieux s'appelle la « Cabane cubaine » ;
c'est un bar-dancing de la rue Fontaine. Il y vient des Américains qui
se distinguent à leur look, mais aussi « à leur couleur
pitchpin, leurs traits où transparaissent des origines anglo-saxonnes,
juives, voire germaniques » P54. On y voit aussi des
Sénégalais « reconnaissables à leurs teints
toujours très foncés : jais, goudron, cacao ; à
leur port de tête altier, à leur assurance dans le
geste » P55, des Antillais, toisant les autres noirs, et aussi
des noirs, sujets Britanniques.
Le narrateur de Mirages de Paris décrit
d'ailleurs ainsi la variété de jeunes noirs qui s'y
trouvent :
«Fara fit découvrir à Jacqueline dans
la foule des noirs, si peu différents en apparence, des Africains, des
Haïtiens, des Mauriciens. On eût dit que la Cabane cubaine
était un musée d'ethnographie noire où chaque peuple avait
envoyé un spécimen ».
On peut dire que, par cette présentation de la
« population » diversifiée de la Cabane cubaine,
Ousmane Socé ne raconte pas seulement la vie parisienne des Africains,
mais aussi celle des Américains, des Antillais et des noirs d'autres
origines et nationalités. Il le fait aussi dans la scène du
mariage de Fara, où ce dernier invite tout le gratin du Paris noir,
étudiants, commerçants, et même des « colons
blancs » P110. A la Cabane cubaine donc, il y a une
représentation de diversité culturelle noire, de même
qu'une description et un discours anthropologique du narrateur.
1) Les autres manifestations du Paris capitale
culturelle d'Afrique
Pour sa part, Tanhoé Bertin découvre en visitant
les bibliothèques de Paris, que l'art nègre est plus
représenté ici en France que dans toute l'Afrique. D'autre part,
il découvre aussi un art jusque là inconnu de lui, le
journalisme, exercé par des journalistes, qu'il définit comme
« une race turbulente (...) des gens à l'esprit fort
curieux, et à la plume hardie, alerte, faisant uniquement métier
d'écrire » P111. Kocoumbo quant à lui, remarque
dès les premiers que les gens sont courtois et s'excusent au moindre
contact dans la rue, même s'il n'a pas été violent. Le
jeune homme constate qu'il s'était fait une fausse idée en
croyant que « les français n'étaient polis qu'entre
eux (...) ils (peuvent) accorder de la considération à des gens
qui (sont) d'une autre couleur » P 86.
Il apprécie leur amour pour la culture, qu'il
découvre lors d'une d'un concert de piano auquel ses hôtes (les
Brigaud) assistent. Il s'emploie à son tour à faire accepter sa
culture aux autres :
« On respectait ses petites manies. Sur le mur
de sa chambre il avait suspendu un masque africain, symbole de sa terre. Ce
masque avait quatre yeux, d'immenses oreilles rondes et une trompe
d'éléphant - pour exprimer la puissance, l'intelligence et la
sensibilité. A l'une des oreilles il avait suspendu un chapelet,
à l'autre un oeuf. L'Afrique doit allier sa culture ancestrale à
la culture française, méditait-il à longueur de
journée quand il ne médisait pas ».
C'est avec Samba Diallo qu'on assiste à un
véritable choc entre deux cultures distinctes à Paris. En effet
le jeune Diallobé, fervent croyant, élevé à la
culture religieuse musulmane, rencontre à Paris des gens qui ne croient
pas et qui ne « rythment plus au coeur des choses et des
êtres », qui utilisent des les grands objets rapides pour se
mouvoir (voitures), ou « les objets en fer pour manger
(cuillères et fourchettes). Son séjour parisien sera en partie
fait de discussion avec ses interlocuteurs blancs des différences entre
les cultures africaines et occidentales. C'est le cas avec le pasteur Louis et,
avec Lucie, son amie communiste. Kocoumbo fera aussi l'expérience de
pareilles discussions avec Madame Brigaud et avec Denise une
« camarade communiste », qui tentera de l'enrôler
dans un syndicat.
a. Paris, ville des libertés et ville
universelle
Pour Tanhoé Bertin, « on peut vivre à
Paris comme on veut » P99. La dimension de Paris, ville des droits de
l'homme et des libertés individuelles peut aussi être mise en
relief à la lumière des romans de notre corpus. Nous avons
déjà dit précédemment que l'une des raisons qui
attirait les protagonistes de ces romans vers Paris, c'est que, dans cette
ville, ils se libèreraient du carcan des traditions de leur village. A
Paris, « l'homme retrouve sa valeur et il en prend
conscience ». Le séjour ici va aussi leur donner
l'occasion de vivre, à la fois l'abri, de ces pesanteurs
traditionnelles, et d'autre part, dans un environnement où on est mieux
considéré.
C'est d'ailleurs ce à quoi aspire Aki Barnabas par
exemple. Lui qui connaît le latin, le grec et le français, lui qui
est diplômé de l'école primaire de son village, n'arrive
pas à avoir la considération des siens, encore moins celle des
colons présents dans sa ville. Pour sa part, Tanhoé Bertin admet
que Paris redonne goût à la vie, et assigne même une mission
à ceux qui l'ont un jour visité :
« On ne peut venir de cette ville sans
être une torche dans les ténèbres qui régnaient chez
nous. Et par chaque touriste, Paris continue sa mission, celle
d'éclairer le monde, de traquer les injustices, de sortir l'homme des
servitudes avilissantes, de toutes les griffes. Paris ainsi par sa vocation,
accueille tous ceux qu'on déshérite de par le
monde ».
Il y'a aussi la dimension de certains monuments de Paris qui
lui confèrent un statut à la fois internationale des
libertés, comme le remarque le narrateur de Kocoumbo, l'étudiant
noir dans cette séquence :
« Bien qu'il marchât sans se presser, en
savourant de tous ses yeux ce Paris aux mille paysages, il fut bientôt
devant la statue de la République. (...) Aujourd'hui, cette statue le
subjuguait car elle représentait la grande Révolution
française, le fondement de l'égalité entre les
hommes »
Comme cette statue, d'autres monuments de la capitale
française contribuent à lui donner une stature internationale.
Unanimement, tous les protagonistes de nos romans vont profiter de leur
liberté à Paris ; car,
« De toutes les métropoles, Paris, par
son extrême sensibilité, son passé illustre, doit
être la plus humaine (...) Paris serait la dernière capitale
à mettre des fers à d'autres hommes »
D'un autre côté, on a pu s'apercevoir, à
travers « l'épisode » de la Cabane cubaine et
la multiplicité d'origine des gens présents dans ce dancing,
que la capitale française était une ville universelle. Paris
offre aux noirs d'Afrique et d'ailleurs un cadre idéal à leur
plein épanouissement. Cet universalisme est porté par
l'hospitalité du parisien et inscrit dans la devise de la ville ;
«Cet honneur est contenu dans la fière devise
Fluctuat Nec Mergitur (Il flotte sans être submergé1). C'est du
latin. Et nous touchons à l'universalisme du parisien qui, pour donner
l'exemple, n'hésite pas à adopter des mots
étrangers : Football, Strep-tease, Wagon... Il y a même une
place de l'Europe à laquelle aboutit une artère portant le nom de
chacune des capitales du continent ».
En somme, universelle, facilitant une liberté de
s'instruire, une liberté d'aimer, une liberté de se distraire...
Paris n'aurait-elle que des avantages ? N'y a-t-il pas de passages
négatifs dans le séjour parisien de ces personnages ?
a. Paris, lieu d'aventures sentimentales
Paris est la ville des amours, dit-on parfois. Ce truisme
s'applique aussi bien à quelques situations rencontrées dans les
romans de notre corpus. Tanhoé Bertin, remarquant que les gens à
Paris affichent en public leur complicité affective, cherche à
comprendre :
« Je ne comprends pas pourquoi les gens dans
tous les coins de Paris, se donnent tant de baisers. Etre né dans
ce pays, c'est voir le jour sous le signe de l'amour ».
Pour certains des personnages, le séjour à Paris
va connaître une dimension sentimentale particulière, importante
pour la compréhension de certains évènements. Nous
analyserons pour illustrer cette partie entre Fara et Jacqueline d'une part,
et, d'autre part, celle entre Kocoumbo et Denise.
12) Fara et Jacqueline
La relation amoureuse entre Fara et Jacqueline, est un
élément important qui donne de la consistance à l'action
de Mirages de Paris. L'auteur la décrit comme un conte de
fées entre une belle et son chevalier venu de contrées exotiques.
Venu assister à l'Exposition coloniale, Fara fait la rencontre de
Jacqueline, une jeune fille de famille bourgeoise, avec qui il se lie
d'amitié. Devenu commerçant et, éloigné de ses
rêves d'études, le jeune sénégalais ne justifie par
la suite sa raison d'être à Paris que par l'envie de vivre
auprès de Jacqueline ; ainsi, dans une lettre qu'il rédige,
il dit à la jeune fille,
« Il me faut, désormais, Vous et Paris,
Paris dans Vous et Vous dans Paris. Je ne pourrais vous dire ce que je ressens
qu'avec des mots faits de douleur, de tendresse, de regret et
d'espérance aussi. Je ne puis rien faire pour dévier de la pente
dangereuse où j'engage mon existence »
On est étonné de voir que dans cet environnement
qui lui est étranger, et même parfois hostile, le héros de
Socé se décuple pour séduire et obtenir de sa jeune amie
blanche, l'amour qu'il lui propose. Il retrouve toute sa joie de vivre
auprès d'elle et, narre ainsi le premier échange physique :
« Le premier baiser de l'aimée, suave
comme un fruit d'automne flamboyant comme le lever d'un soleil de bonheur,
odorant comme une émanation d'âme, immense comme une
félicité ! »
Progressivement, un tourment irrésistible s'empare de
Fara, proche de l'envoûtement qu'il attribuait à la ville
lorsqu'il était encore en Afrique. Il y a même chez Fara une
identification symbolique de Paris dans Jacqueline. Justifiant son refus de
retourner en Afrique après l'Exposition coloniale, il lui dit :
«Dans ce qui me retient, il y a, sans doute aussi, le
charme puissant de la Capitale. J'aime sa vie et ses plaisirs. Sans vous, sans
Paris, mon coeur perdra sa force et sa jeunesse. Il me faut désormais,
les perspectives vertigineuses de la capitale, sa féerie multicolore des
soirs des spectacles, sa vie trépidante »
Il y a également dans cette relation un apport
spécifique et important de Paris en tant que cadre de vie. La
beauté du lieu influence positivement les sentiments des amoureux
L'auteur admet que Fara aime Paris à travers le prisme de
Jacqueline :
« Un jour pluvieux d'hivernage, il avait
été pris de tristesse. Il redésira Paris, il
redésira Jacqueline, cet éden dont il n'avait point
pénétré les prairies. Il l'avait admiré de
près : des effluves de fleurs odorantes et de fruits capiteux
l'avaient alléché ».
La mort de Jacqueline, alors qu'ils attendent un
bébé, viendra briser cette belle idylle. Fara redeviendra
solitaire, mais marquée à jamais par cette histoire d'amour. On
serait bien tenter de savoir pourquoi l'auteur choisit de faire terminer ainsi
cette relation d'amour ? Veut-il par-là montrer le
côté tragique de Paris ? La mort de Jacqueline n'est-il pas
prémonitoire de la « chute » à venir du
héros de Socé ? De manière plus globale, le cadre
amoureux de Paris, ne dessert pas nos jeunes personnages plus qu'il ne les
sert ?
1) Kocoumbo et Denise
Nous avons dit que le séjour parisien de Kocoumbo
était fait de nombreux actes, de plusieurs évènements
s'enchaînant les uns à la suite des autres ; nous avons
déjà évoqué son arrivée, son installation,
son séjour à Anonon-les-Bains et chez les Brigaud... Un autre
épisode de ce séjour, c'est sa relation avec Denise. D'apparence,
cette relation ne paie pas de mine. Quand il fait la rencontre de Denise dans
une usine de Paris, Kocoumbo est devenu, un jeune immigré errant de
petits boulots en petits boulots ; qui n'a pas réussit à son
bac et est loin de son ambition initiale de réussite académique
et sociale. Elle, militante communiste est décrite comme
« une grande fille carrée, aux courts cheveux noirs (...)
avec une franchise masculine » P238.
Venue à lui pour le convaincre aux idées
communistes et essayer de l'enrôler par tous les moyens au syndicat qui
est le sien, Denise va finir par s'éprendre du jeune
« ambassadeur » de Kouamo. Lui aussi finira par l'estimer,
puis l'aimer. Ils finissent par se mettre ensemble et se découvrent des
points communs. Il est séduit par la l'engagement politique de sa
compagne, de la force et de l'énergie qu'elle y déploie. Elle
l'admire parce qu'il est drôle et qu'il s'intéresse à elle.
« Il s'attachait à elle sans le savoir, et elle l'aimait
plus qu'elle ne l'aurait supposé. Exception faite des questions de
doctrine, les deux jeunes gens s'entendaient bien... ». Leur
relation ne dure pas dans le temps, mais elle est suffisante pour
épanouir le héros d'Aké Loba. Mais c'est un
épanouissement de façade, car au fond de lui subsiste la question
du bien fondé de cette relation. Il fait d'ailleurs un rêve,
où des voix venues d'Afrique le raille en ces termes :
« paresseux ! Tu as perdu ton temps à bavarder comme
une femme au lieu d'étudier pour nous rapporter du pain, des
vêtements ! ».
Ce rêve apparaît comme une façon pour
l'auteur de recadrer son personnage. On pourrait se demander dès lors
dans quel intention lui fait-il vivre cette aventure amoureuse ? Est-ce
tout simplement pour inscrire davantage son héros dans la
réalité parisienne où, cherche t-il à
présenter un nouvel angle des amours interdites blanc - noir ? Se
peut-il que Aké Loba se serve de la mort de Denise et du tourment qui
s'ensuivra de son héros, pour ouvrir une voie de sortie à ce
dernier ?
1) Amours à Paris, amours
fatales ?
En se référant aux deux
« histoires » susmentionnées, peut-on dire que les
romanciers de notre corpus font de Paris une ville cruelle en amour ? De
manière plus globale, le cadre amoureux de Paris, ne dessert pas nos
jeunes personnages plus qu'il ne les sert ? A première vue,
on serait tenter de répondre par l'affirmative ; car, en observant
bien le récit fait par Socé et Aké Loba, la mort de leur
compagne, fait perdre à leur héros sa raison d'aimer
Paris :
« Il déposa la couronne sur la tombe du
côté où devait se trouver le visage, et,
agenouillé, il se courba de douleur sur l'inscription qui disait le nom
de la morte ; (...) Ne la reverrait-il jamais plus ? Qu'est-ce qui
aimerait désormais pour lui ? » S'interroge le narrateur
de Mirages de Paris.
Plus loin, il dira même que « la mort de
Jacqueline, en modifiant le cours normal de sa vie -celle de Fara - modifiait
aussi ses perceptions » P 164. Apprenant la mort de Denise, Kocoumbo,
lui est pris d'un profond dégoût de la vie :
« Il ne put rien manger de la
journée ; il ne put dormir ; il ne se leva pas pour aller
à l'usine le jour suivant. Des yeux fixes grands ouverts, un long corps
figé dans un lit désert, un tourbillon de remords, de chagrin, de
désespoir... c'est tout ce qui restait de l'amant de Denise. Dans sa vie
douloureuse ce nouveau malheur lui donnait un vertige de plus en plus
âpre ».
En outre, même en exceptant ces deux cas, il y a chez
d'autres personnages de ces romans, des attitudes en amour qui font croire que,
les auteurs que nous étudions n'ont pas voulu faire de Paris un cadre
propice à l'épanouissement amoureux de leur personnage. Du moins
dans ces romans. Car, en dehors de Kocoumbo et de Fara, dont les aventures se
terminent dans la douleur, Durandeau multiplie les flirts sans envergures et
sans aucune envie de les rendre sérieux. Il change assez souvent de
compagnes -toujours blanches-, et semble n'avoir pour seule moralité que
de les séduire afin de les escroquer. Il finit par être
découvert dans son jeu et se retrouve bien seul, non sans s'être
vu retirer son « butin » (voitures, appartement...) par ses
ex copines.
Comme Fara et Kocoumbo, il finit dans la solitude ; mais
à la différence de ces derniers, il semble moins entamé
moralement et psychologiquement. Néanmoins, avec les autres, il semble
être, à des degrés moindres, des éléments
symboles d'un refus de mixité raciale. En effet, il a germé
à l'époque où ces romans ont été
écrits, un courant qui reprenait en quelque sorte cette
idée ; Sidia, le philosophe de Socé le dit même
très bien à Fara quand ce dernier lui apprend que Jacqueline
Bourciez et lui vont avoir un bébé :
« (...) ce qui préoccupe (...) c'est que
tu vas avoir un enfant métis. (...) Il ne faut pas que nous,
élite noire ayons des enfants métis. (...) Moi je n'aimerai pas
une femme blanche parce que je sais que de tous mes devoirs c'est le
premier ! ».
a. Paris, lieu de désillusionnement
« Paris cache des drames angoissants aussi bien
dans les palais que dans les taudis. Chaque jour des coeurs se meurtrissent,
des illusions tombent, des liens se dénouent, et plus d'un homme, plus
d'une femme rencontrée porte au coeur une plaie fraîche ou vieille
qu'il n'ose exhiber par décence. Quelques-uns voudraient partir à
Paris, être nés sous notre ciel par exemple, sortir de l'engrenage
infernal, s'affranchir des contraintes. Leur isolement leur pèse et ils
marchent, caressant des rêves lointains ».
Telle une sentence, le narrateur de Dadié prononce ces
mots, qui résument bien les situations que nous venons de
décrire. Nous analyserons le chapitre du Paris désillusionnant
sous trois angles : le racisme, la débauche et enfin l'échec
et la mort. Ce sont trois situations qui permettront de comprendre l'issue du
séjour à Paris de ces personnages.
15) Le racisme et le rejet : premiers niveaux du
désillusionnement
Parler de racisme dans le contexte qui est celui de la
parution des romans que nous étudions, n'est pas bien difficile. Nous
sommes au début du XXe siècle et il existe encore beaucoup de
manifestations du rejet des noirs et d'ostracisme. Cela s'est
déjà vu dans l'attitude du colon présent en Afrique. C'est
aussi observable dès les premiers contacts des protagonistes des romans
de notre corpus avec la réalité de Paris. Ainsi, dès qu'il
se mêle aux gens de la rue, Fara se rend compte de la singularité
de la couleur de sa peau :
« Parfois, il heurtait un passant car lui
n'était pas habitué à circuler dans la foule aussi dense
et aussi méthodique dans sa promenade précipitée. Cette
immensité d'hommes blancs le troublait. Ce fut la première
fois de son existence qu'il eut une aussi forte sensation de son être et
de sa couleur ».
La couleur de la peau est aussi le détail qui fait
prendre conscience à jeunes africains à Paris de leur isolement.
Tanhoé Bertin en fait l'expérience déjà quand il
est dans l'avion qui le conduit à Paris :
«Je suis le seul nègre parmi tant de voyageurs
blancs. Je prends place d'un hublot. Personne ne veut s'asseoir près de
moi. Tous les voyageurs passent en regardant le siège vide près
du mien. Par affinité, ils vont s'asseoir à côté des
autres passagers afin qu'il y ait ton sur ton (...) ce soir, je me rends compte
jusqu'à quel point les couleurs divisent les hommes ».
Dès son arrivée au lycée
d'Anonon-les-Bains, Kocoumbo est toute suite transformé en
« mascotte », parce qu'il est différent des autres
élèves. Certes, il est beaucoup plus âgé que ses
camarades de classe, mais c'est sa couleur qui attire l'attention de ces
camarades de lycée :
« Il (Kocoumbo) traverse la cour, longe le
préau. Une tête enfantine se montre à l'une des
fenêtres des classes, puis, une autre. Les vitres se tapissent de visages
espiègles, de museaux curieux. Lorsqu'ils disparaissent, d'autres
surgissent, et les yeux se braquent sur lui avec insistance et attention. Il
presse le pas, poussé par la désagréable impression
d'être pour la première fois de sa vie un point de mire, une
attraction ».
Pire, conformément à quelques idées en
vogue à cet époque, ces personnages, Kocoumbo en particulier,
sont perçus parfois comme des produits exotiques importés
d'Afrique. On sait que des ouvrages d'ethnologues et autres historiens
véhiculaient de telles idées au début du siècle
dernier. D'autre part, le sentiment général de rejet que
ressentent ces personnages est exacerbé lorsqu'ils sont victimes des
railleries ou des humiliations. Aki Barnabas, se fait traiter de tous les noms
d'oiseau par son employeuse blanche Madame Gruchet et sa fille. Fara est
régulièrement déconsidéré et humilié
par des passants. Le narrateur résume ainsi cette situation :
« Fara sentait que cette foule blanche
l'assimilait mal. Elle n'arrivait à le tolérer qu'à force
de bienveillance. Il se croyait exposé aux plaisanteries grotesques des
« sans éducation », aux quolibets des innocents
bambins à qui les livres d'images, le cinéma, et les
récits fantasques enseignaient qu'un Noir était un guignol
vivant »
Tous ces détails démontrent une fois de plus que
les romanciers africains francophones, en présentant des situations
comme celles-ci, réfléchissent à la particularité
du regard des « autres », et, partant, expriment à
travers les attitudes leurs personnages, leur altérité.
1) La débauche et la dégradation des
moeurs : autres manifestations de la désillusion
Lorsque le narrateur-héros d'Un nègre à
Paris affirme que «Paris est un monde (...) un océan dans
lequel on risque de se noyer si l'on ne sait pas nager », est-ce
une prémonition de la noyade qui arrivera à certains de nos
protagonistes ? Venus à Paris avec pleins de rêves,
d'illusions et de projets, les personnages principaux de nos romans vont
très vite déchanter. Passée l'euphorie de l'annonce du
départ, et des premiers instants en France, ils vont être, pour
certains, emporter par un tourbillon négatif matérialisé
par un changement de mentalité où le vulgaire le dispute au
ridicule. Paris exerce t-elle sur eux une influence perverse ?
Sans doute au regard de ce que deviennent les compagnons de
voyage de Kocoumbo par exemple. Certes, ils sont jeunes, naïfs, souvent
pas aux niveaux scolaire et social des autres enfants de Paris. En prime, ils
sont victimes de discriminations et d'incompréhensions par ceux qui sont
chargés d'être leurs alter ego dans la capitale française.
Mais, ces raisons suffisent-elles à expliquer l'altération de
leurs bonnes manières et la dégradation de leurs moeurs ?
Sans doute, la somme des « ingrédients » que nous
venons de mentionner justifient cette dérive. Mais on pourrait aussi
trouver une autre explication dans la nature même de la ville.
Déjà sur le continent africain, certains de ces
jeunes se livre déjà à des
« activités » douteuses ; Nini,
l'héroïne d'Abdoulaye Sadji se prostitue à Saint-louis du
Sénégal ; Koukoto, devenu Durandeau était
déjà falot en Afrique. Quant à Kocoumbo, l'annonce de son
départ prochain pour Paris, commence à le
« dégénérer ». C'est que,
contrairement au village qui est leur lieu originel, et où ils sont sous
les feux des anciens et des traditions, la ville leur offre des
commodités, des loisirs et des activités nouvelles, qui ne laisse
que peu de place à la peur et à la honte, perceptibles chez ceux
qui vivent au village. Il y a donc de fait, une absence de dimension
traditionnelle et sociale dans ces villes et cela se ressent au comportement
des personnages qui émigrent en ville.
Mohamadou Kane explique bien ce double phénomène
quand il affirme que, d'une part, « (...) dans le roman africain,
c'est l'espace urbain qui semble tout naturellement entraîner la
dégradation des moeurs » ; et d'autre part, que
« l'absence de dimension sociale dans la modernisation (...)
explique (dans les villes africaines), les progrès du vice et de la
débauche »
Est-ce donc parce qu'ils sont déracinés que
certains de nos protagonistes se galvaudent? Pour certains, oui. Joseph Mou par
exemple était un séminariste dévoué en
Afrique ; à Paris, il devient ivrogne. Nadan devient apprenti
escroc dans le sillage de Durandeau, qui lui, se dévergonde
complètement. Tous deux, étaient pourtant parmi les meilleurs
élèves, sages et appliqués en Afrique. Kocoumbo, lui
refuse de s'encanailler, mais, conscients qu'il partage le quotidien des
autres, se rend compte que la situation dans laquelle ses amis et lui sont, n'a
rien d'enviable :
« Les noirs comme Durandeau, les voyous qui
s'exhibent au Quartier Latin sont des monstres, ils se prennent pour le
commencement et la fin du monde ! Quand je me suis trouvé à
Paris, que je voyais Douk et les autres faire les malin, j'avais honte sans
savoir pourquoi ; je ne me sentais rien de commun avec ces voyous et
pourtant il me semblait que c'était moi qui me dégradais en
public comme si je m'étais dédoublé, comme si j'avais
triplé, comme si j'étais une hydre à cent têtes.
Quelle horreur ! C'était vrai, cette
dégradation... »
Fara, après la mort de Jacqueline, erre comme une
âme en peine. Le héros de l'Aventure Ambiguë, Samba Diallo, a
perdu ses repères traditionnels et spirituels à cause des
fréquentations mondaines qu'il fait à Paris. D'une manière
ou d'une autre, tous ces personnages sont des victimes de Paris.
1) Le retour et la mort : phases terminales de la
désillusion parisienne
On ne pourrait pas parler du séjour parisien des jeunes
étudiants africains dans le roman colonial sans en présenter la
fin. Celle-ci, est souvent tragique comme dans la plupart des romans
d'aventure. L'alternative ici se résume entre le retour au pays ou la
mort.
- le retour ; conformément à la
« mission » qui leur est assignée, les
étudiants africains qui viennent étudier à Paris pendant
la période coloniale, doivent revenir en Afrique après leurs
études. Beaucoup reviennent effectivement ; mais, dans certains
cas, au lieu des intellectuels et « héros »
attendus, ce sont souvent de personnages déséquilibrés,
inconsistants et parfois marqués au fer rouge qui vont arriver dans les
villes d'Afrique. C'est qui est perceptible chez Samba Diallo, qui revient
« désaxé » au pays des Diallobé. C'est
dans une moindre mesure ce qu'on pourrait dire de Tanhoé Bertin, qui
finit son « reportage » à Paris, annonce son retour,
tout en reconnaissant qu'il n'est pas entièrement parvenu à son
but : « moi aussi, il faut que je parte, sans avoir pu,
hélas ! Tout voir. (...) je regarde une dernière fois ce
peuple amoureux des fleurs et des femmes que chantent les
poètes ». Quant à Kocoumbo, son narrateur pose
avant tout ce regard, comme pour embellir l'issue non moins glorieuse de son
héros, une façon de préparer le lecteur à la
réussite au forceps de son héros :
« Pour Kocoumbo, l'Europe était un vaste
bassin où se heurtaient des idéologies qu'il n'était pas
préparé à comprendre. C'était un monde tout
à fait étranger au sien, déroutant »
Certes, à la fin du roman, on apprend qu'il revient en
Afrique comme juge de paix, ce qui représente en quelque sorte un
succès dans le fond. Mais quand on évalue le nombre de
revirements et d'aventures qu'il a connu, quand on sait qu'il a flirté
avec la débauche et a collectionné les petits boulots de
manoeuvre dans les usines pour survivre et donner un sens à sa vie, il
serait difficile de ne pas envisager cet itinéraire comme un
échec dans la forme. En plus, il sera mêlé à un
scandale de photos pornographiques, dont la nouvelle parviendra jusqu'à
son village, ce qui ne pourraient vraisemblablement faire de lui, le
héros victorieux qu'Aké Loba nous présente à la fin
de son roman. Ses compagnons, comme Durandeau n'ont même plus le courage
d'envisager leur retour, et, même quand ils le font, c'est par sursaut
d'orgueil. Il ne serait donc pas exagéré de dire, à la
lumière de ces exemples, que ce n'est pas en situation de
« vainqueurs », mais de « vaincus » que
ces personnages retournent en Afrique ; ce qui une nouvelle preuve de la
désillusion de Paris.
- la mort ; parfois, le retour du
« héros » n'est pas effectif ; car, celui-ci
décide de se suicider c'est ce qui arrive à Fara.
Traumatisé par la mort de Jacqueline, incompris par les parents de cette
dernière, avec qui, il ne s'entend pas au sujet de l'enfant qu'il a eu
avec leur fille, en rupture avec ses amis comme Sidia et même Ambo, son
confident, le personnage de Socé va demander son rapatriement au
ministère des Colonies. Il est conscient que son retour au pays lui fera
plus de bien que la poursuite de son séjour à Paris. Surtout que
sa présence ici, s'apparente de plus en plus à un
calvaire :
« Fara méditait ainsi, en flânant,
tout le jour, dans Paris. (...) Dans ses promenades, une foule d'idées
grouillait dans sa tête ; elles encombraient son cerveau comme les
feuilles mortes que l'on voit, en fin d'automne, couronner le sommet des
arbres ; c'était des idées sans dynamisme qui ne
l'émouvaient pas, ne le poussaient à aucune
action... ».
En proie à toutes ces difficultés, ce personnage
va terminer sa « mission » par le suicide.
L'itinéraire du retour ne le conduira pas en Afrique, mais plutôt
dans « l'eau froide de la Seine », où il semble voir
Jacqueline qui lui tend les bras. Du suicide, il en est aussi question dans
l'Aventure Ambiguë, quand, à l'issue de sa
« mission » parisienne, Samba Diallo, à son retour
en Afrique, se laissera poignardé par le « fou ». Le
suicide est donc aussi la résultante du désenchantement de Paris
sur ces personnages.
Au demeurant, il y a lieu de dire que ces issues (retour,
mort) au séjour parisien des personnages des romans de notre corpus,
s'inscrivent dans le rêve initial formulé au sujet de cette ville.
Aller à Paris, y exprimer son altérité, signifie à
cette époque-là aussi, sacrifier une partie de leur culture.
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