La protection du creancier gagiste du fonds de commerce en droit positif rwandais( Télécharger le fichier original )par Modeste BISANGWA Université Nationale du Rwanda - Bachelor's degree in law 2005 |
INTRODUCTION GENERALEDans la vie économique, et plus particulièrement dans le monde des affaires, il est d'un postulat que l'homme se trouve toujours devant les besoins illimités face aux ressources limitées. Ce postulat fait que les commerçants sont toujours contraints par l'état des affaires à recourir au crédit. Or, le recours au crédit va toujours de pair avec les exigences de la garantie. Celles-ci ont toujours hanté l'esprit du créancier et par la suite celui du législateur, qui, tous les deux, cherchent au jour le jour les garanties à la fois efficaces et souples. L'histoire des sûretés nous apprend que dès les temps immémoriaux, la personne du débiteur qui ne parvenait pas à exécuter ses obligations ou à s'assurer d'un vindex, pouvait être abandonnée au créancier qui pouvait le mettre à mort ou le vendre comme esclave1(*). Cette situation a évolué vers la recherche d'autres sûretés respectueuses de la dignité humaine et la liberté individuelle. C'est ainsi que naquit l'idée de gage. Mais la sécurité des créanciers exigeait que les biens nantis leur soient attribués en propriété, bien entendu, à titre de sûreté. C'est le contrat de fiducie. Celui-ci était une forme de sûreté réelle, où la propriété du bien corporel était transférée au créancier en garantie du paiement de la dette, avec engagement de restitution si le débiteur s'exécutait à l'échéance2(*). Cette sûreté a cependant été jugée à la fois désavantageuse pour le formalisme du transfert de propriété et dangereuse pour celui qui, après avoir remboursé son créancier, risque de se heurter à son insolvabilité3(*). Ces reproches formulés à l'égard de la fiducie devaient donc déterminer le législateur à limiter ces risques que courent les débiteurs. Il fallait faire l'économie d'un double transfert et rétablir l'équilibre entre le créancier et le débiteur. Ainsi est né le gage ordinaire. Tout comme la fiducie, le gage emporte dépossession du débiteur avec cette différence qu'il ne transfère pas la propriété du bien au créancier. Ce mécanisme est jugé comme un progrès par rapport à l'utilisation de la propriété à titre de garantie4(*). Un peu plus tard, une autre étape a été franchie. Les économistes ont commencé à dénoncer l'immobilisation de certains biens mis en possession du créancier. Ils estimaient que les petits commerçants ne pouvaient trouver les moyens de se procurer du crédit qu'en se privant de certains éléments corporels du fonds de commerce. Or, ces commerçants comme le souligne DE PAGE, n'avaient souvent, pour tout avoir, que leur fonds de commerce dont, pratiquement, il était impossible de tirer un crédit quelconque. D'une part, la mise en gage de certains éléments du fonds les priverait, à raison d'une condition essentielle de dépossession, de l'objet même de leur activité professionnelle, et, d'autre part, le fonds de commerce envisagé comme universalité ne conduirait guère à des résultats tangibles et ne permettaient pas, à raison de sa composition (biens mobiliers et incorporels) l'hypothèque5(*). Qui plus est, la dépossession empêcherait le créancier d'affecter le fonds à la garantie d'un autre créancier quand bien même sa valeur serait suffisante pour cela. Pour remédier à cette situation, le législateur a institué un gage sans dépossession du débiteur désigné sous le vocable de «gage du fonds de commerce »6(*). Il s'agit d'une sûreté réelle sans dépossession par laquelle le débiteur donne en garantie son fonds de commerce tout en continuant son exploitation. Il est régi par le décret du 12 janvier 1920 portant gage du fonds de commerce, de l'escompte et du gage de la facture commerciale7(*) tel que modifié par le décret du 21 juin 1937 et celui du 24 mai 1959. Contrairement au gage ordinaire qui requiert la dépossession du débiteur comme condition essentielle du contrat8(*), le fonds de commerce engagé est laissé entre les mains du débiteur. Celui-ci continue l'exploitation du fonds nanti sous réserve des droits du créancier. Ainsi, il recèle un danger évident pour le créancier car, il y a lieu de craindre, non seulement que le débiteur ne tombe en faillite mais aussi des manoeuvres frauduleuses ou dolosives auxquelles ce dernier peut se livrer et qui sont de nature à amoindrir la valeur du fonds. En guise de protection du créancier contre ces risques, le législateur lui reconnaît, d'une part, un droit de revendication qui ne s'exerce que lorsque certains biens corporels (matières premières, le mobilier, matériel et outillage) ont été déplacés9(*). Même dans ce cas, il ne s'exerce que dans six mois et sous réserve de l'art. 658 CCLIII10(*). Ainsi, le droit de revendication ne s'exerçant que sous réserve de l'art. 658 n'est plus un droit de revendication puisqu'il ne peut s'exercer que contre les acquéreurs qui, en droit commun déjà ne seraient pas protégés ou contre les personnes qui ne prétendraient aucun droit sur la chose. A ce propos, HENRI DE PAGE et RENE DEKKERS commentant le droit belge, estiment que le législateur a repris d'une main ce qu'il avait donné par l'autre11(*). D'autre part, le décret de 1937 sanctionne le constituant qui diminuerait frauduleusement la valeur du fonds nanti du chef de l'abus de confiance12(*). Cette sanction n'est non seulement assez dissuasive mais aussi elle ne profite en rien au créancier, car ce dont il a besoin ce n'est pas la sanction mais plutôt la sûreté. Aussi, le décret de 1937 n'envisage-t-il pas le cas d'aliénation in globo du fonds de commerce. Le doute se laisse planer quant à la possibilité pour le créancier d'exercer un droit de suite dans l'espèce. La jurisprudence et la doctrine ont souvent répondu par l'affirmative mais la mise en oeuvre pratique de ce droit semble difficile non seulement parce qu'il n'est prévu par aucun texte légal mais aussi parce que la loi ne prévoit pas la procédure de saisie des universalités tel que le fonds de commerce13(*). En plus, le décret de 1937 ne protège pas le créancier gagiste contre les tiers que par un moyen de publicité instrumentaire du gage ; il ne règle en aucune disposition les conflits qui naissent entre le créancier gagiste et les titulaires des droits préférentiels sur le bien nanti, surtout que, sauf clause contraire, il n'est pas interdit de constituer d'autres droits réels sur le bien nanti. Ces reproches formulés à l'égard de la législation sur le gage du fonds de commerce poussent les créanciers soit à s'abstenir d'accorder le crédit, soit à chercher d'autres palliatifs pour suppléer à cette carence. Ils cherchent à renforcer cette protection par certains mécanismes nouveaux de sûretés dites négatives c'est-à-dire certaines clauses conférant au créancier un droit de veto ou un droit de regard sur le patrimoine du débiteur14(*). Eu égard à la position de force des créanciers qui, selon l'art. 8 du décret précité, ne peuvent être que des banques ou établissements de crédit agréés, il y a lieu de se soucier de l'équité et de la validité de ces mécanismes et si le débiteur ne fait qu'y adhérer faute de mieux. Ces conditions difficiles rendent le crédit cher et le système de crédit en pâtit. Aux vues de cette situation et les risques que courent les créanciers gagistes du fonds de commerce, les questions suivantes méritent d'être posées : la législation rwandaise en matière de gage du fonds de commerce protège-t-elle efficacement le créancier gagiste contre lesdits dangers ? Quels sont les effets de la protection peu efficace du créancier gagiste du fonds de commerce sur le système de crédit ? Y a -t-il des mécanismes que les créanciers mettent en place pour suppléer à cette carence ? Telles sont les questions qui ont été à la base de notre sujet de recherche et auxquelles il faudra trouver des réponses. Mais, les développements qui ont précédé permettent de nous convaincre de manière provisoire que : la protection peu efficace du créancier gagiste du fonds de commerce pousse les créanciers à se créer des mécanismes d'autoprotection qui ont des effets négatifs sur le système de crédit. Ainsi, le choix de ce sujet s'inspire de ce constat d'inefficacité de la protection réservée au créancier gagiste du fonds de commerce et du souci de contribuer à la reforme de la législation sur le gage du fonds de commerce en proposant certaines solutions surtout au moment où une commission de reforme de la législation commerciale a été récemment créée par le gouvernement. Cette étude présente également un intérêt certain pour les praticiens du droit qui trouveront à travers ce travail certaines solutions des problèmes qu'ils rencontrent au jour le jour surtout dans l'interprétation de certaines dispositions de décret de 1937 car, il est d'un constat général que le gage du fonds de commerce est une matière qui n'a pas intéressé beaucoup d'auteurs. Ainsi, ce travail constitue une des tentatives, à circonscrire ce problème. Compte tenu de la nature de notre travail, notre démarche sera guidée par la méthode exégétique c'est-à-dire une méthode consistant à interpréter et à expliquer les règles de droit particulièrement celles contenues dans les lois. Comme notre législation en la matière n'est pas trop développée, recours sera fait aux législations des pays dans lesquels notre droit tire ses assises. Ensuite, la doctrine des auteurs étrangers et nationaux nous aidera dans l'interprétation des différents textes légaux. Nous ne manquerons pas également de faire recours à la méthode analytique qui nous permettra de décortiquer quelques actes de gage du fonds de commerce de certaines banques du pays et la jurisprudence en la matière. Que notre lecteur soit mis en garde que notre intention n'est pas de mener une étude générale du gage du fonds de commerce en tant que sûreté réelle sans dépossession. Notre attention ne sera focalisée que sur la protection qui est réservée au créancier gagiste et nous examinerons dans la suite si les solutions alternatives envisagées par les créanciers méritent une intégration dans le commerce juridique et ce, après l'analyse de leur validité. Dans un premier temps l'accent particulier sera mis sur la protection du créancier gagiste contre l'infidélité éventuelle de son débiteur. Nous examinerons les actes du débiteur considérés comme dangereux pour la consistance du gage et les moyens tant de droit commun que ceux prévus par le décret de 1937 que le législateur met à la disposition du créancier pour parer à l'infidélité éventuelle de son débiteur. En deuxième lieu nous analyserons les dispositions protectrices du créancier gagiste du fonds de commerce dans ses relations avec les tiers qui, comme lui prétendent avoir des droits sur les biens de son débiteur. Enfin, une analyse des actes de gage du fonds de commerce émis par les institutions bancaires oeuvrant au Rwanda sera faite pour marier la législation sur le gage du fonds de commerce et la pratique. Cela permettra d'apprécier si ce qui se fait en pratique n'a aucun effet sur le système de crédit ou s'il faut intégrer dans le système juridique les solutions envisagées par les créanciers. * 1 H. DE PAGE, Traité élémentaire de droit civil belge, t. VI, 2ème partie (les sûretés), pp. 623-624. * 2 P. OURLIAC et J. DE MALAFOSSE, Histoire du droit privé : les obligations, v.1., Paris, coll. Thémis, PUF, 1957, n° 332, p. 354. * 3 Idem, p. 355. * 4 Ibidem * 5 H. DE PAGE, op. cit., t. VI, n° 1106, p. 1138. * 6 Cette terminologie a été critiquée, certains auteurs estimant qu'il ne mérite pas cette qualification à raison notamment des similarités que cette institution présente avec l'hypothèque. On a proposé qu'il soit qualifié d'hypothèque immobilière (voir I. MOREAU MARGREVE, "Heures et malheurs du créancier gagiste sur fonds de commerce", note sous cass. belge (1ère ch.), 8 avril 1976, in R.C.J.B., 1981, n°11, p. 140). * 7 Décret du 12 janvier 1920 portant gage sur fonds de commerce escompte et gage de la facture commerciale B.O., 1920, p. 179 tel que modifié par le décret du 26 juin 1937, B.O, 1937, p. 618 et celui Du 24 mai 1959, B.O., 1959,p 1369. Toutefois, un grand nombre d'articles du Décret de 1920 ayant été remplacé par ceux du Décret de 1937 notamment ceux relatifs à la protection du créancier gagiste du fonds de commerce, dans la suite de ce travail nous nous en referons comme « décret de 1937 ». * 8 Art. 602 du décret du 30 juillet 1888 portant Code civil livre troisième relatif aux contrats ou des obligations conventionnelles tel que modifié à ce jour, B.O., 1888, p. 109. * 9 Art. 12 al.2 du décret de 1937. * 10 Art. 12 al. 3 du décret précité * 11 H. DE PAGE et R. DEKKERS, Traité élémentaire de droit civil belge, t. 6, Bruxelles, Bruylant, 1953, p. 1146. * 12 Art. 18 du décret de 1937. * 13 I. MOREAU-MARGREVE, op. cit., pp 145-146. voir aussi F. T'KINT, Les sûretés et principes généraux du droit de poursuite des créanciers, 3e éd. , Bruxelles, Larcier, 2000, n° 339, p. 177. * 14 A-M. STRANART, Les sûretés, Bruxelles, E-story Scientia, 1992, n° 120, pp. 174-175. |
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