La protection du creancier gagiste du fonds de commerce en droit positif rwandais( Télécharger le fichier original )par Modeste BISANGWA Université Nationale du Rwanda - Bachelor's degree in law 2005 |
B. Droit de suiteLe droit de suite est un attribut du droit réel permettant au titulaire de celui-ci de saisir le bien grevé du droit en quelques mains qu'il se trouve85(*). Il est unanimement admis que le droit de suite complète le droit de préférence et que les deux combinés confèrent toutes les prérogatives d'un droit réel. Le droit de suite protége le titulaire de la sûreté contre la disparition de l'actif du débiteur. Il confère au créancier le droit de saisir le bien en quelques mains qu'il se trouve et le faire vendre à son profit. Traditionnellement, le droit de suite n'était que l'attribut des seules sûretés immobilières en vertu de l'adage « les meubles n'ont pas de suite par hypothèque» (voir art. 2119 du code civil français). Selon T'KINT il n'est pas praticable en matière mobilière pour deux raisons : 1° Le droit de suite n'est pas compatible avec la protection que l'art. 2279 (équivalent à 658 CCLIII) du code civil reconnaît au possesseur de bonne foi d'une chose mobilière, lequel est fondé à repousser toute revendication des tiers ; 2° Le droit de suite ne se conçoit pas sans une publicité efficace qui protège les tiers et spécialement les acquéreurs des biens grevés, dans la mesure où il est difficile, sinon impossible d'organiser pareille publicité pour les meubles86(*). Contrairement au code civil français qui consacre la règle « les meubles n'ont pas de suite », l'art. 12 al 2 du décret de 1937 reconnaît au créancier le droit de revendiquer entre les mains des tiers acquéreurs les éléments séparés du fonds (matière première, matériel et outillage) lorsqu'ils ont été déplacés sans son consentement. La revendication doit se faire dans un délai de 6 moins faute de quoi le créancier perd son droit de préférence sur les effets déplacés. En revanche, l'acquéreur peut invoquer le bénéfice de l'art. 658 CCLIII. Signalons que le droit de suite n'est pas consacré par l'art. 12 al. 1 du décret de 193787(*) comme le prétend Joseph HATUNGIMANA, car le droit de suite et le droit de préférence ne sont exercés que contre le tiers et non entre les parties 88(*) En ce qui concerne les éléments qui font objet du droit de suite, T'KINT, commentant le droit belge, estime que l'énumération de l'art. 11§ II CCB équivalent à de notre art. 12 al. 2 du Décret de 1937 n'est pas limitative89(*). C'est-à-dire que le créancier peut revendiquer outre les éléments corporels énumérés à l'art. 12 al. 2, même les autres éléments corporels du fonds de commerce aliénés sans son consentement tels que les marchandises aliénées dans l'esprit de fraude. Toutefois, nous ne souscrivons pas à cette position, car aucun élément ne nous permettrait d'arriver à une telle conclusion. A note sens, l'énumération de l'art. 12 al 2 reste limitative car, si le législateur n'avait pas voulu rendre limitative cette disposition, il se serait satisfait à dire tout simplement que le créancier peut revendiquer les éléments du fonds de commerce déplacés sans son consentement sans pouvoir désigner nommément certains d'entre eux (les matières premières, le matériel, le mobilier et outillage). Or, les marchandises peuvent être aliénées en dehors de la gestion normale. De même, les éléments incorporels tel que le droit au bail, le nom de commerce, peuvent être cédés conduisant ainsi à la disparition du fonds de commerce. Peut-on étendre la disposition aux marchandises ou aux meubles incorporels qui font pourtant partie de l'assiette du gage du fonds de commerce ? En tout cas la réponse négative s'impose sinon l'énumération dont question à l'art. 12 du décret de 1937 ne serait que fantaisiste. Outre la limitation du droit de suite dans le temps et la possibilité pour le tiers acquéreur de lui opposer l'art. 658CCLIII, l'exercice du droit de suite supposerait l'exercice d'un continuel contrôle de la part du créancier gagiste, contrôle coûteux et qui risquerait d'être mal accueilli ! Il n'est pas rare, en fait, que le créancier gagiste ne soit informé de la cession d'un élément du fonds, quand ce n'est pas du fonds lui-même, et ce, en dépit des clauses contractuelles, qui spécifient que défense est faite au constituant de conclure telle ou telle opération sans autorisation préalable du créancier gagiste90(*). Quant à la possibilité d'exercer le droit de suite en cas d'aliénation globale du fonds de commerce, il est généralement admis que le créancier gagiste exerce un véritable droit de suite quoique sa base théorique soit faible. En effet, ce droit de suite est une construction prétorienne et ne repose sur aucun texte légal. Il se justifie par la double considération que le gage se réalise sans dépossession et qu'il est soumis à la publicité91(*). D'une part, la sûreté serait illusoire si le créancier n'était pas protégé contre l'aliénation de mauvaise foi par le débiteur qui maintient la possession du bien et d'autre part, la publicité dont le gage du fonds de commerce fait objet rend celui-ci opposable aux tiers qui sont avertis de l'existence du gage. On estime que l'acquéreur de bonne foi qui aurait omis de vérifier, l'absence d'inscription sur le fonds serait un acquéreur négligent92(*). Pour conclure, notons que malgré toutes ces considérations en faveur de l'existence du droit de suite en cas d'aliénation globale du fonds de commerce, l'absence de texte fait que sa mise en oeuvre n'est pas toujours aisée. En plus, le succès du droit de suite est soumis à la condition, que le fonds demeure identifiable ce qui est dans la plupart des cas irréalisable. Et enfin, le droit de suite ne peut pas atteindre les résultats escomptés qui pour autant que le créancier bénéficie d'un droit de préférence. * 85G. CORNU, Vocabulaires juridiques, 8ème éd. revue et augmentée, Paris, PUF, 2000, p. 841. * 86 F. T'KINT, op. cit., n° 201, p. 112. * 87 Art.12 al.1 du décret de 1937 : « le créancier au bénéfice duquel un fonds de commerce a été donné en gage peut, simultanément avec la mise en demeure faite à l'emprunteur et au tiers bailleur de gage s'il y en a un, et sans permission du juge, faire saisir, pour sûreté des sommes qui lui sont dues, tous les éléments constitutifs du fonds de commerce donné en gage ». * 88 H. DE PAGE et R. DEKKERS, traité élémentaire de Droit civil belge : les privilèges, les hypothèques, la transcription et la prescription, t.VII, 2e éd., p. 738 * 89 T'KINT, op. cit., n° 338, p. 177. * 90 Ibidem. * 91 F. T'KINT, op. cit., n° 339, p. 177; A-M. STRANART, op. cit., p. 46. * 92 F. T'KINT, op. cit., p. 169. |
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