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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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2. Style imagé

On désigne par style imagé, un style figuré, orné d'images et de métaphores. C'est ce qui marque le plus l'écriture de Zola, dans le Ventre de Paris. D'ailleurs, on le voit bien par le choix du titre de l'oeuvre qui peut rtre lu comme une métaphore filée du ventre. Zola joue sur le sémantisme de ce mot qui entretient avec

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l'alimentation un rapport métonymique. A quoi peut servir un ventre sinon à la digestion de la nourriture. Parfois, Zola vise le sens dénotatif du mot ventre. Parfois c'est plutôt le sens métaphorique et symbolique de ce mot qu'il semble vouloir mettre en exergue. Ainsi, comme le montre Marie Scapra, l'image du ventre balance entre le réalisme et la métaphore :

Au premier niveau, réaliste, les Halles sont un marché alimentaire fonctionnel ; puis, prises par un processus de métamorphose épique, elles deviennent ce ventre géant déjà évoqué, signe de la « grande table toujours servie », de « l'orgie » des appétit bourgeois et du second Empire ; enfin, l'amplification, se faisant plus universelle, atteint le plan du mythique et les Halles sont la métaphore d'une sorte de principe alimentaire général, l'Appétit61.

Marie Scapra résume, en quelque sorte, le fonctionnement de la métaphore du ventre dans le roman. C'est cette métaphore qui fait le poids critique de l'oeuvre. Étant par définition l'interpénétration de deux mondes différents : le réel et l'imaginaire, elle crée une sorte de brouillage sémantique qui renforce l'aspect poétique de l'oeuvre. La dimension pamphlétaire de l'oeuvre est masquée par son aspect poétique dI au style dont use Zola. Ce dernier présentant les notes préparatoires du Ventre de Paris, s'adresse aux lecteurs du Gaulois:

L'idée générale est : le ventre-le ventre de Paris, les Halles où la nourriture afflue, pour rayonner sur les quartiers divers ; -le ventre de l'humanité, et par extension la bourgeoisie digérant, cuvant en paix ses joies et ses honnêtetés moyennes62.

De surcroît, placé au centre du corps, le ventre est doué d'une grande importance. C'est le lieu où se produit la force qui permet à l'r~tre humain de survivre. Protubérant, cet organe peut rtre aussi un signe d'embonpoint et par conséquent d'une certaine aisance de vie. C'est, à la limite, le symbole de l'égoïsme. Un gros ventre est un ventre surchargé. L'embonpoint peut être également le signe d'une bonne santé voire d'un excès de santé. Cependant, l'excès est un signe de déséquilibre. Un ventre trop plein suppose selon « la technique de contre point » que prône Zola, un ventre vide. Car, comme l'affirme Geneviève Sicotte , chez Zola, tout est mesuré et « s'il y a manque d'un côté, c'est qu'il y a trop plein de l'autre »63.

De mr me, la forme ronde du ventre nous paraît d'une grande valeur symbolique. Zola paraît hanté par le goût de la circularité. Le ventre a une forme

61 Marie Scapra, Op. cit. , p. 54.

62 Le Ventre de Paris, préface, p. 379.

63 Geneviève Sicotte, Op. cit. p. 173.

circulaire, les Halles aussi, les aliments ont une forme ronde, notamment les oeufs, les lieux aussi sont fermés donc circulaires, les marchandises circulent, l'argent circule également. La nourriture, comme l'a montré Marie Scapra, dans son étude du thème de la circularité, dans le Ventre de Paris, fait un mouvement circulaire : elle part de la campagne de Nanterre pour y revenir. La description se fait à travers tantôt l'oeil de Florent tantôt à travers celle de Claude. Or l'oeil, qui est naturellement rond, renforce à son tour le motif de la circularité dans l'oeuvre.

De même la circulation de la matière nutritive fait écho à celle de la matière verbale assurée par le personnage de Mlle Saget qui fait circuler les informations dans les quartiers des Halles.

Ainsi, le roman devient une infinité de cercles enchâssés, une interminable mise en abyme qui renforce l'enchevr~trement de l'oeuvre déjà provoqué par l'abondance et la variété des aliments.

Dans le mr me ordre d'idées, la circulation des aliments nous fait penser à la chaîne alimentaire qu'exprime le passage décrivant le retour des légumes à la terre sous forme de déchets, un retour qui symbolise le retour à l'origine, à la mère :

Les épluchures des légumes, les boues des Halles, les ordures tombées de cette table gigantesque, restaient vivantes, revenaient où des légumes avaient poussé, pour tenir chaud à d'autres générations de choux, de navets, de carottes. Elles repoussaient en fruits superbes, elles retournaient, s'étaler sur le carreau. Paris pourrissait tout, rendait tout à la terre qui, sans jamais se lasser, réparait la mort. (486).

Cet extrait nous paraît très représentatif du motif de la circularité qui hante le Ventre de Paris. L'expression « sans jamais se lasser » dit bien l'idée de la répétition et de la circularité. Les légumes, sortis de la terre toute fraîches et luisantes, y retournent fanés, épuisés, esquintés après avoir fait le tour des Halles. Ils retournent à leur origine, à leur mère. Le texte est traversé par une métaphore anthropomorphique qui humanise la matière nutritive : le mot « générations » est employé généralement pour désigner les êtres humains.

De même, le verbe « retournaient » n'est pas sans traduire une certaine personnification des légumes. Ce verbe exprime la volonté de retour. La volonté est souvent liée aux êtres humains. Le verbe « vouloir » exprime à son tour l'idée de la volonté voire d'une conscience qui ne peut rtre accordée à des légumes. Zola vise, peut-être, à travers ce procédé de personnification, à une valorisation des aliments.

De toute façon, l'emploi du substantif « générations », du verbe « retournaient », qui n'est pas sans exprimer une personnification de la nature, est un emploi figuré qui renforce le style imagé pour lequel opte Zola. Outre celle du ventre, Zola use de la métaphore des « Gras » et des « Maigres » :

La métaphore des « gras » et des « maigres », amplement relayée par Hugo et Zola, mais dont les racines sont immémoriales (voir Brueguel), est fréquemment convoquée pour critiquer l'absence de fraternité et d'égalité. Mais l'image qui domine le paysage discursif est celle du mode sans merci, livré à « la lutté pour la vie »et où l'alternative est simple : manger ou être mangé64.

IMAGE 4:

" Les Gras, énormes à crever, préparant la goinfrerie du soir, tandis que les Maigres, pliés par le jeûne, regardent de la rue avec la mine d'ichalas envieux ; et encore les Gars, à table, les joues dp~bordantes, chassant un Maigre qui a eu l'audace des s'introduire humblement, et qui ressemble à une quille au milieu d'un peuple de boules ". (488).

64 Geneviève Sicotte, Op. cit., p. 59.

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Imitant les estampes de Bruegel, Zola use de l'art de portrait pour renforcer son style, déjà riche en images métaphoriques, et pour mettre en exergue l'opposition entre les gras et les maigres. Cette métaphore est en rapport indirect avec l'objet alimentaire, sujet de notre travail. C'est en quelque sorte l'arrière plan sociologique de l'oeuvre, sa dimension ethnographique et ethnocritique. Le thème essentiel de cette métaphore est la lutte pour la vie, pour manger. La nourriture représente l'élément catalyseur qui provoque cette lutte. Les "Gras" et les "Maigres" deviennent deux symboles. À cet égard P.Hamon met l'accent sur la dimension allégorique du style zolien où le symbole se taille la part du lion. D'ailleurs Zola lui-même affirme fièrement :

Qui donc abusa jamais plus que moi du symbole ? Mes livres sont des labyrinthes où vous trouviez, en y regardant de près, des vestibules et des sanctuaires, des lieux ouverts, des lieux secrets, des corridors sombres, des salles éclairées65.

La métaphore du labyrinthe est, en fait, fréquemment présente chez Zola. Parallèlement à la mine-labyrinthe de Germinal, on a dans Le ventre de Paris les Halles-labyrinthe. Leurs caves sombres, les pavillons, les ruelles évoquent tous l'image d'un dédale. La partie du roman qui nous décrit les coins des Halles le montre bien. En sus, une autre image métaphorique également récurrente chez Zola, et qui fait d'ailleurs une sorte de métaphore filée lézardant l'oeuvre. C'est la métaphore de la machine à propos de laquelle Colette Becker affirme :

L'image de la machine lui sert à rendre compte du fonctionnement de tout mécanisme aux rouages complexes : le grand magasin, la Bourse, les Halles, ou le corps humain, « délicate machine », ou encore certains mécanismes abstraits, comme la spéculation, les machines à pièces de cent sous montée par Saccard 66.

En effet, la machine est aussi le symbole de toute une révolution industrielle qui a marqué le XIXè siècle. Si Zola introduit cette image, c'est que son époque l'exige. La machine, sous la plume de Zola se transforme, pour ainsi dire, en un mythe contemporain. Il est, à la limite, le prodigieux symbole de tout un siècle d'industrie. La description des Halles à travers le regard de Florent, un étranger, nous rappelle le passage qui décrit le Voreux dans les premières pages de Germinal : « Le

65 Dorothy E. Speirs et Dolorès A. Signori, Entretiens avec Zola, Les Presses de l'Université d'Ottaw 1990, P. 140. Cité dans Zola, Le Saut dans les étoiles, Op. Cit. , p. 218.

66 Colette Becker, Op. cit. p. 221.

Voreux, à présent, sortait du rr~ve. [...] Cette fosse tassée au fond d'un creux, avec ses constructions trapues de briques dressant sa cheminée comme une corne menaçante, [lui] semblait avoir un air mauvais de bête goulue, accroupie là pour manger le monde »67.

La description du Voreux et celle des Halles fonctionnent en parallèle illustrant le motif d'une « apparition fantastique » que souligne l'expression « sortir du rêve ». L'accent est mis sur les impressions que suscite la vue d'un énorme monument pour la première fois. Le Voreux communique le sens du grand appétit. C'est l'expression de la voracité, l'envie démesurée d'engloutir. Le marché des Halles, présenté dans l'illustration ci-dessous, est décrit comme un récipient énorme, un ventre géant où se mêlent les nourritures.

Leur description est d'inspiration fantastique voire surréelle évoquée d'emblée par le mot rêve.

IMAGE 5:

" Et Florent regardait les grandes Halles sortir de l'ombre, sortir du rêve où il les avait vues, allongeant à l'infini leurs palais à jour. Elles se solidifiaient, d'un gris verdktre, plus gpante encore avec leur mkture prodigieuse, supportant les nappes sans fins de leurs toits. Elles entassaient leurs masses géométriques ". (398-399).

67 Émile Zola, Germinal, G-F. Flammarion, Paris, 1968, p. 33.

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L'image des Halles est brouillée par les sensations de Florent. Une première métaphore anthropomorphique transforme les grands marchés en une créature fantasmagorique. Les Halles, ce ventre de Paris, est présenté comme un « ventre de métal » exprimant ainsi la rigidité et la puissance. Sa composition : « boulonné, rivé, fait de bois, de verre et de fonte », trahit la dominance de la matière dans l'écriture z olienne. De plus, l'emploi de la comparaison : « comme une machine moderne » seconde la métaphore de la machine qui jalonne le texte. Ces deux procédés presque toujours en parallèle, corroborent la dimension poétique du style zolien en ce qu'ils aiguisent l'imagination du lecteur et favorisent le surgissement des images. De plus, le jeu du clair-obscur, leitmotiv qui marque l'écriture de Zola, participe à la création d'une atmosphère fantastique. Florent est émerveillé par ce monument qu'il ignore, et dont le mystère est renforcé par l'emploi des adjectifs indéfinis mis en parallèle : « quelque machine à vapeur/quelque chaudière », comme pour intensifier l'auréole d'énigme et du merveilleux qui entoure le lieu.

C'est l'art de Zola d'entourer le réel d'un halo de mystère et de le ciseler par une description ampoulée et un style bourré d'images qui envahit le lecteur et le plonge dans un monde de rêve et de contes merveilleux ourdis par l'imagination et la fantaisie d'un poète.

De mrme, l'imparfait de la description, par sa valeur épique, efface les limites temporelles des verbes et place la description hors du temps. Brouillage du temps et de l'espace, on est, en fait, dans un monde sans frontières, le monde de la fantaisie, de l'imagination et du rrve. On est dans le monde des abstractions, du fantastique.

En somme, en poète, Zola fait preuve d'un curieux goEt pour les métaphores. Son style est riche en images inspirées, tantôt des mythes, tantôt de son imagination où il conjugue la science avec la fantaisie au mode du surréel. L'opération aboutit à des descriptions fantastiques qui effacent les frontières entre la réalité et l'imagination.

Ainsi, métaphores abolissant les limites entre le concret et l'abstrait, le matériel et l'immatériel, apparitions fantastiques, musicalités, rrves, sommes-nous déjà dans le récit poétique ?

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"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King