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Le lexique alimentaire dans Le ventre de Paris D'Emile Zola: Réalisme et métaphore

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par Fethi Esdiri
Institut de langue de Gabes, Tunisie - Maîtrise 2006
  

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2. Jeu de Lumière et de couleurs

Suite à la publication du Ventre de Paris, Manet adresse à Zola une lettre qui révèle la parenté de ce dernier avec les pionniers de l'impressionnisme et dans laquelle il « souhaite reprendre à Zola ce qu'il lui avait prr~té »54.

Comme on a essayé de montrer plus haut, la description de la nourriture des Halles est faite en fonction de la lumière. Zola reprend l'un des motifs principaux des peintres impressionnistes dont l'idée maîtresse est de saisir le changement qu'effectuent les rayons de lumière sur les objets décrits d'où l'importance du lever de soleil comme temps idoine à l'étude de ces changements. Le soleil, se levant, semble ôter le voile qui cache la belle nature et enclencher des sensations d'admiration et des impressions fugaces comme le court moment du lever. L'enjeu est de figer ces sensations et d'immobiliser ces spectacles fuyants :

53 Citation de Zola, citée dans Zola, Le Saut dans les étoiles, Op. Cit. , p. 208.

54 Préface du Ventre de Paris, p. 382.

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À chaque heure, les jeux de lumière changeaient ainsi les profils des Halles, depuis, les bleuissements du matin et les ombres noires de midi, jusqu'à l'incendie du soleil couchant, s'éteignant dans la cendre grise du crépuscule. (451).

Dans sa dimension symbolique, le soleil « exprime le bonheur de celui qui sait être en accord avec la nature (Enel) ; l'union sincère, la joie, [...] ; la concorde, la clarté de jugement littéraire ou artistique, [...], le cabonisme, la façade simulatrice et les décors prestigieux »55. Le soleil crée aussi un « effet de réel », car son mouvement cyclique du lever au coucher peut être senti comme un signe de vie. La lumière insaisissable de ses rayons peut symboliser cette force divine magique qui galvanise la nature et lui donne la vie. Zola l'utilise, peut-être, pour présenter la nourriture débordante des Halles comme vraisemblable : la flamboyance que produit la lumière efface les contours des objets décrits et crée ainsi une illusion de mouvement.

Par ailleurs, la lumière a aussi une valeur théktrale. On l'utilise dans une technique appelée « la poursuite » consistant à focaliser la lumière sur un personnage ou un élément et laisser dans l'obscurité, en arrière plan, le reste de la scène. Il s'agit d'une manière d'attirer l'attention et de mettre en exposition.

La lumière est aussi par définition un « agent physique capable d'impressionner l'oeil, de rendre les choses visibles »56, d'où l'expression « mettre en lumière, en pleine lumière quelque chose ».

Nous pouvons dire alors que Zola utilise la lumière pour « mettre la nourriture en montre ». A ce propos Marie Scapra affirme :

Que peut-on lire, en effet, derrière cette insistance, dans le roman, à mettre en scène la matière alimentaire dans sa dimension pléthorique ? que la description « hyperbolisante » des Halles n'est pas sans rapport avec cette « fête du ventre » qu'est toujours le carnaval, notamment populaire, dont l'une des caractéristiques est bien de « mettre la nourriture en montre », et de façon spectaculaire, parce que l'un de ses buts est de valoriser tout ce qui sert à nourrir le corps57.

Par ailleurs, le jeu de lumière peut être conçu comme un hommage au maître du clair-obscur, Rembrandt. Zola use de cette technique pour peindre les quartiers des Halles. Il manifeste, encore une fois, son goût pour la peinture impressionniste. On le voit par un visible penchant pour les scènes de la vie quotidienne.

55 Dictionnaire des symboles, p. 895.

56 Le Petit Robert.

57 Marie Scapra, Op. Cit. p. 166.

Outre les scènes de la vie quotidienne, Le Ventre de Paris comporte plusieurs autres genres picturaux: nature morte, paysage.. .etc.

Au Moyen Age, le paysage était un simple décor. Ce n'est qu'à la fin du XVIème siècle qu'il devient un genre artistique à part entière. On peut se demander : quel est le rapport entre le paysage et le lexique alimentaire ?

A vrai dire, l'exemple de paysage, dans l'oeuvre, est la campagne de Nanterre. Or ce lieu représente la source de la nourriture entassée dans le marché des Halles. En effet, le paysage paraît très représentatif de la doctrine naturaliste puisqu'il décrit le milieu de l'homme en particulier et des rtres vivants en général. Rappelons-le, le naturalisme est surtout l'étude de l'homme dans son rapport avec son milieu. La nature est aussi le champ d'observation du naturaliste et le lieu de ses descriptions et de ses analyses méticuleuses. Pour Florent, le romantique, la nature est une échappatoire, un lieu de distraction qui lui permet de fuir la nausée que lui provoque la nourriture débordante des Halles :

Il se promena lentement dans le potager, pendant que Claude faisait une esquisse de l'écurie, et que Mme François préparait le déjeuner. Le potager formait une longue bande de terrain, séparée au milieu par une longue bande de terrain, séparée au milieu par une allée étroite. (487).

Le deuxième genre pictural que nous offre Zola est la nature morte. Dans le Ventre de Paris, ce genre pictural, qui représente généralement les fruits et les légumes, est le lieu d'une manipulation particulière des couleurs :

Des femmes assises avaient devant elles des corbeilles carrées, pleines de bottes de roses, de violettes, de dahlias, de marguerites. Les bottes s'assombrissaient pareilles à des taches de sang, pâlissaient doucement avec des gris argentés d'une grande délicatesse. Près d'une corbeille, une bougie allumée mettait là, sur tout le noir d'alentour, une chanson aiguë de couleurs, les panachures vives des marguerites, le rouge saignant des dahlias, le bleuissement des violettes, les chairs vivantes des roses. (396).

Les fleurs sont des éléments fréquemment présents dans les tableaux de nature morte. Ils représentent le plaisir de la vie par leurs couleurs vives. L'accent est mis sur la couleur rouge « universellement considérée comme le symbole fondamental du principe de vie »58. Il est employé pour rendre plus vivantes les fleurs décrites.

58 Dictionnaire des symboles, p. 831.

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De plus, les fleurs symbolisent la brièveté de la vie et disent la fugacité du temps, l'un des thèmes principaux chez les peintres impressionnistes. Nous trouvons aussi les légumes qui présentent l'une des composantes premières des natures mortes dans le Ventre de Paris :

Les salades, les laitues, les scaroles, les chicorées, ouvertes et grasses encore de terreau, montraient leurs coeurs éclatants; les paquets d'épinards, les paquets d'oseilles, les bouquets d'artichauts, les entassements de haricots et de pois, les empilements de romaines, liées d'un brin de paille, chantaient toute la gamme du vert, de la laque verte des cosses au gros vert des feuilles ; gamme soutenu qui allait en se mourant jusqu'aux panachures des pieds de céleris et des bottes de poireaux.. (399).

On remarque dans ce tableau que la description est focalisée essentiellement sur les couleurs des aliments. C'est, peut-être, une manière d'exprimer l'importance de la couleur. Les objets sont décrits plus pour leurs couleurs que pour leurs formes. La juxtaposition des couleurs est en quelque sorte une juxtaposition d'objets sans autre lien que le rapprochement ou l'assortiment. Cette technique existe avant les impressionnistes. Nous pensons à Arcimboldo qui recourt à l'entassement et à l'assemblage des objets et des végétaux dans des tableaux qui développent le goIt de la promiscuité. On cite à titre d'exemple le Bibliothécaire et L'Été.

Au niveau syntaxique, Zola emploie des constructions paratactiques marquées par le recours à l'accumulation et à l'énumération. La juxtaposition des adjectifs de couleur nous renvoie à la technique de juxtaposition des couleurs et à la tendance à la fragmentation de l'espace qui marquent le style impressionniste.

Par ailleurs, et toujours en vue de créer un effet de réalité, Zola donne une grande importance aux sensations notamment olfactives. l'Histoire nous parle du talent des peintres grecs de l'Antiquité dans la représentation des objets inanimés. On raconte que l'un de ces peintres, Zeuxis probablement, a représenté une grappe de raisin avec un tel réalisme que des oiseaux l'ont picorée. Zola, à son tour, décrit des oies et des dindes rôties avec un réalisme qui n'est pas sans saliver un lecteur gourmand :

Les volailles tombaient dans les plats ; les broches sortaient des ventres, toutes fumantes ; les ventres se vidaient, laissant couler le jus par le trou du derrière et la gorge, emplissant la boutique d'une odeur forte de rôti. (407).

La description de la triperie qui comporte un émiettement des bêtes consommées paraît comme un pronostic du morcellement qu'expriment les esthétiques cubistes et divisionnistes du XXè siècle.

En somme, Le Ventre de Paris peut rtre conçu comme une mise en pratique de l'ut pictura poesis. Dans ce roman, le peintre et le poète sont étroitement liés d'où l'importance du rapport « peindre/décrire » qu'on a essayé d'analyser dans notre première sous-partie. Le choix des personnages semble renforcer cette dualité : Claude et Florent sont, à la limite, un peintre et un poète qui cherchent leur source d'inspiration dans la matérialité du monde, dans la nature. Une nature qui ne cesse de les éblouir et de les influencer par sa force mystérieuse et par la splendeur de ses produits. Ces produits qui, débordants et rassemblés dans les Halles, engendrent une orgie descriptive. Zola semble user d'une « écriture artistique » de fin de siècle qu'il renchérit par une passion pour la lumière et les couleurs, et qui transforme les Halles en un univers onirique, un lieu fantastique et Le Ventre de Paris en un poème de la nourriture qui fera l'objet de notre troisième partie.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote