I. REGISTRES
ALIMENTAIRES
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I. Registres alimentaires
1. Variété
En réalité, Le Ventre de Paris peut
être considéré comme un roman de la mangeaille. Zola nous
fait l'étalage des différents types de nourriture placés
sous le signe de la diversité et de l'abondance. Ainsi, un travail
préliminaire d'étiquetage nous semble nécessaire dans la
mesure où il peut nous assurer une vision plus claire et plus
organisée de ce flot de nourriture. L'accent sera mis, dans un premier
temps, sur la diversité des aliments. Dans cette perspective, on propose
de diviser cette grande variété alimentaire en différentes
rubriques : « légumes », « fruits », « viande
», « poisson »3, « beurre»,
«fromage», «oeuf » et « pain ». Commençons
d'abord par les légumes.
* Les légumes
Le premier chapitre en représente une parfaite
illustration. Le chou marque sa forte présence. Ce légume
soutient l'esthétique de la diversité que prône le texte en
ce qu'il se déploie en de nombreuses espèces. On cite par exemple
le chou pommé, le chou-fleur, le chou rouge...etc.
Aux choux s'ajoutent carottes, pois, artichauts, salades
(laitue, scarole, chicorée, épinard, oseille, romaine),
céleri, poireaux, radis, persil, oignon, tomate, concombres et
aubergines. On a de plus le radis noir et rose et la pomme de terre.
Outre un signe de fertilité et de richesse, cette
variété de légumes engendre une multitude de couleurs et
de formes rendue plus visible par une tendance à l'organisation qui
n'est pas sans traduire un art d'étalage. En témoigne cet extrait
qui souligne la mise en ordre harmonieuse des légumes :
Elles les rangea méthodiquement sur le carreau, parant
la marchandise, disposant les fanes de façon à encadrer les tas
d'un filet de verdure, dressant avec une singulière promptitude tout un
étalage, qui ressemblait, dans l'ombre, à une tapisserie aux
couleurs symétriques.(388)4.
Le verbe « ranger », l'adverbe «
méthodiquement », le substantif « étalage » et
3 On a choisi de classer le poisson dans une rubrique à
part puisque cet aliment représente un plat indépendant dans le
menu français.
4 Les citations extraites du Ventre de Paris sont
accompagnées des numéros de pages entre parenthèses sans
autre indication.
l'adjectif « symétriques » trahissent, entre
autres, une esthétique de l'exposition et une astucieuse manipulation de
l'espace de la part de la maraîchère, Mme François. De
même, cet art est rendu plus explicite par une ponctuation marquée
par le recours fréquent aux virgules, aux points-virgules et aux
deux-points qui facilitent l'écoulement des variétés
d'aliments et leurs juxtapositions d'une manière harmonieuse et qui
trahit leur abondance. Le deuxième élément nutritif est
les fruits.
* Les fruits
L'étalage des fruits de la Sarriette est l'un des passages
les plus représentatifs de la diversité dans le texte. À
dire vrai, sous l'hyperonyme « fruits » on trouve les hyponymes
suivants : groseille, fraise, melon, cantaloup et abricot. La cerise, avec ses
différentes variétés : Montmorency, Anglaise, guigne et
bigarreau. On ajoute la pêche avec ses variantes : Mont Montreuil,
pêche de midi.
On dénombre aussi les pommes : pomme d'Api, Calville,
Rambourg , Canada. La poire, à son tour, se présente sous
plusieurs formes : Blanquette, Angleterre, beurré, Duchesse. Quant aux
variétés de prunes on cite : les reines claudes, la prune de
Monsieur et la mirabelle. On a de plus la fraise, la framboise, le cassis, la
noisette, le raisin, et le melon.
Passons maintenant aux aliments gras, à la viande.
*La viande
Sous la rubrique viande, on trouve plusieurs types de chair :
la viande de veau, de boeuf, de mouton, de cochon et la viande
de volaille. Sous l'hyperonyme volaille, on trouve l'oie, le canard, le
poulet et le dindon.
On peut citer de mrme le gibier qui comprend le chevreuil,
l'alouette, le lièvre, le lapin et la perdrix. La viande de veau et
celle du porc se déploient en plusieurs plats : rillettes, saucisson,
langue fourrée de Strasbourg, boudin noir, andouilles, jambonneau
désossé et pâté. Ce lexique de la viande est soutenu
par un lexique des instruments de cuisine. En témoigne cet extrait
décrivant une partie de la cuisine des Quenu :
À droite, la table à hacher, énorme bloc de
chêne appuyé contre la
muraille s'appesantissait, toute couturée et toute
creusée, tandis que
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plusieurs appareils, fixés sur le bloc, une pompe à
injecter, une machine à pousser, une hacheuse mécanique.(427).
Ce passage renforce le réalisme du texte par la valeur
référentielle des objets qu'il dénombre et par le lexique
technique qu'utilise Zola.
Passons maintenant aux produits de la mer que nous
présente l'illustration ci-dessous :
IMAGE 1:
Un exemple de documentation réuni par Zola pour
Le Ventre de Paris, la liste des poissons de mer, avec les saisons,
les couleurs et aussi les odeurs `Citp~ dans' Le Ventre de Paris
(434).
* Les produits de la mer
Dans une première catégorie, on trouve :
cabillaud, plie, limande, raie et chien de mer. La deuxième classe est
celle des beaux poissons. Elle comporte : saumon, mulet, turbot, barbue, thon,
sole grise, sole blonde, équille, hareng, dorade, maquereau, rouget de
roche, merlan, éperlan, et homard tigré. La troisième
classe est celle des poissons d'eau douce qui regroupe : écrevisse
d'Allemagne, poisson blanc de Hollande et d'Angleterre, carpe du Rhin, brochet,
tanche, goujon, perche, ablette, barbillon, carpe et anguille. Il s'agit de
poissons ramenés de lieux variés. Ces poissons divers renvoient
à des saisons diverses, car bien qu'il y ait des produits qui existent
toute l'année, comme la limande et les moules, il y en a d'autres qui ne
se trouvent qu'en été comme le homard et la langouste ou en hiver
comme le hareng. Aussi, la diversité des poissons engendre t-elle une
diversité de lieux et de temps. Plaçons-nous maintenant devant
les produits de la crémerie : beurre, fromage, oeufs.
* Le beurre, le fromage et les oeufs
Ces trois aliments sont classés ensemble en vertu du
rapprochement de leurs valeurs nutritives. Ils sont considérés
comme des aliments gras. Les oeufs n'ont pas de variétés dans le
texte. Pour le beurre et le fromage, on dénombre: beurre de Bretagne,
beurre de Normandie, bondon, gouvernay, cantal, chester, gruyère,
hollande, parmesan, brie, port-salut, romantour, roquefort, fromage de
chèvre, mont-d'or, camembert, marolles, pont-l'évrque, livarot,
olivet et géromé. Arrivons maintenant au pain.
*Le Pain
Cet élément essentiel de nourriture
préserve son unité. Zola ne cite pas plusieurs
variétés de pain. Il peut être considéré
comme une unité minimale et indivisible. Cependant, dans la boulangerie
Tombereau, une partie est réservée à la pktisserie. De
mrme, une variété de gkteaux semble, à cet égard,
digne d'rtre relevée. On cite les gâteaux aux amandes, le
saint-honoré, le savarin, le flan, les tartes aux fruits, les assiettes
de baba, d'éclairs, de choux à la crème, de gkteaux secs,
de macaron et de madeleine. Ainsi, par ce dessert varié se clôt ce
long menu. En fait, loin d'rtre exhaustive, cette liste d'aliments vise moins
un simple recensement qu'une mise en exergue de toute une esthétique de
la variété que prône l'oeuvre et qui réside
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dans la différence des formes, des couleurs, des odeurs
et des goûts de plusieurs types et espèces d'un mrme produit
alimentaire. Les fruits de la Sarriette et le marché de la marée
sont les tableaux les plus représentatifs de cette esthétique.
Par ailleurs, tous ces aliments qui existent
réellement, semblent renforcer, par leurs valeurs,
référentielles la dimension réaliste de l'oeuvre. En
effet, le dénombrement des différents aliments peut être lu
comme l'essence du naturalisme en ce qu'il paraît illustrer l'obsession
documentaire et scientifique de cette doctrine. On est dans la fonction
référentielle du langage : l'accent est mis sur la valeur
informative et encyclopédique de l'oeuvre.
L'étalage des différents types de
légumes, de fruits, de poissons etc, est en quelque sorte un
étalage d'informations et des connaissances qui
caractérisent le style naturaliste. Cela dit, une fonction
informative vient s'ajouter à la description ornementale des aliments.
À ce propos P. Hamon affirme :
Une description sera donc le lieu d'introduction et
d'accentuation, dans un énoncé, non seulement d'une
compétence sémiologique, mais aussi d'une compétence du
taxinomique en général. Focalisant l'attention du lecteur sur les
relations des mots en ordre proche, ces mots seront, dans le texte,
distribués dans les cases des grilles et de structures de «
rangement » organisées. Taxinomie et savoir sont deux notions
certainement indissociables. Une taxinomie, c'est une découpure
rationalisée. Toute taxinomie est régie par un
savoir5.
La tendance à classer les aliments selon un rapport
«d'hyperonyme / hyponyme » assure leur organisation voire leur
hiérarchisation. De même, la diversité des aliments fait
l'aspect informatif et mathésique de la description.
Aussi la variété caractérise-t-elle la
matière nutritive dans Le Ventre de Paris. Ce roman se
transforme, dans certains de ses passages en pages culinaires, en une
véritable encyclopédie d'aliments, en des pages culinaires. Bref,
en étalage et des produits nutritifs et d'informations.
De même, cet art est rendu plus explicite par une
ponctuation marquée par le recours fréquent aux virgules, aux
points-virgules et aux deux-points qui facilitent l'écoulement des
variétés d'aliments et leurs juxtapositions d'une manière
harmonieuse tout en montrant leur abondance.
5 P. Hamon, Introduction à l'analyse du
descriptif, Hachette, Université, p. 54.
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