Pauvreté, Insecurité spirituelle et Dynamique religieuse: Cas de Lome, exemple du quartier Be( Télécharger le fichier original )par Yao HOUKPATI Universite de Lome/ Togo - Maitrise es Lettres en Sociologie Urbaine 2008 |
Les auteurs, P. BOUTRY ET A. ENCREVE (2003), in La Religion dans la Ville, démontrent la relation entre les phénomènes de l'urbanisation, et celui du recul de la pratique religieuse, lié à la sécularisation/laïcisation de la société urbaine. En s'appuyant sur des enquêtes portant sur les banlieues des villes françaises, ils dévoilent les effets déchristianisateurs liés au développement des banlieues. L'urbanisation est le co-résultat d'une immigration qui a un caractère néfaste pour la religion. Les tentatives sont alors faites en amont pour empêcher l'immigration, et en aval pour encadrer le nouvel « immigré ». En choisissant l'exemple des catholiques et des protestants du Massif Central, ils montrent un catholicisme ultramontain et social du XIXe siècle, qui déteste la ville. Pour éviter le départ vers la ville, et notamment vers Paris, les notables catholiques locaux cherchent à améliorer les structures économiques de la terre natale des futurs migrants, en fondant, par exemple l'Association dentellière lozérienne. Les protestants qui partagent cette image urbaine de Sodome et Gomorrhe, développent à leur tour des coopératives de consommation et de production, comme dans le Queyras. Il existe même un espoir « oecuménique » mis dans le développement du tourisme pour arrêter le flux migratoire. Mais constatant leur échec, les responsables catholiques cherchent au moins à détourner ce flux vers d'autres régions rurales. De part leur analyse il apparaît que la ville est un lieu de détachement religieux dont le développement est néfaste pour la religion.S'intéressant à la question religieuse, MEINTEL, Deirdre (2003), in La stabilité dans le flou : Parcours religieux et identités de spiritualistes : Le religieux en mouvement, examine la mobilité religieuse dans le spiritualisme au niveau des acteurs et au niveau symbolique, et il aborde de ce fait le bricolage, le syncrétisme, la mobilité entre religions, ainsi qu'une individualisation des croyances et des pratiques. Les spiritualistes touchés par l'étude sont motivés beaucoup plus par la quête de sens que par le besoin ou le désir de régler des problèmes personnels ou de contacter une personne décédée. L'auteur argue que certaines pratiques propres au spiritualisme traduisent des concepts assez flous d'identité individuelle. Cependant, il constate qu'une stabilité surprenante des affiliations et croyances se manifeste chez certains individus dans le spiritualisme. Enfin, il met en rapport la pluralité identitaire religieuse qu'il a remarquée chez les spiritualistes avec les identités individuelles portant sur la famille et l'ethnicité. Kartin LANGEWIESCHE (2001), dans sa thèse de doctorat, intitulée Mobilité religieuse : Changements religieux au Burkina Faso, analyse les changements religieux en cours au Burkina Faso depuis les années soixante en prenant l'exemple de la région de Yatenga. Il met en évidence le fait que la société moderne est marquée à différents degrés par un pluralisme religieux qui aussi bien au niveau institutionnel qu'individuel se tisse d'interaction entre les traditions, l'Islam et le Christianisme. C'est cette rencontre qui forme les identités religieuses. A partir des observations faites lors de funérailles de notables villageois, l'auteur montre par quels mécanismes la religion traditionnelle s'introduit dans la vie contemporaine et dépasse le cercle de ceux qui y adhèrent. « Sans que les acteurs s'y réfèrent explicitement, la religion traditionnelle influence le parcours des individus et malgré le prosélytisme chrétien et la pression diffuse musulmane, la religion traditionnelle reste en arrière-fond de toutes les autres ». Son analyse révèle une perméabilité des identités religieuses alors même que les discours théologiques et populaires de la différenciation se renforcent. L'identité religieuse n'est pas fixée une fois pour toute, elle est en constante négociation. Les itinéraires religieux montrent que les individus ont souvent un parcours religieux composé d'expériences multiples. La mobilité constitue une possibilité parmi d'autres de gérer son identité religieuse. Les raisons de cette mobilité sont à chercher dans les intérêts que poursuivent les individus et aussi dans l'incompatibilité de certaines pratiques culturelles vis-à-vis de telle ou telle religion. Les frontières entre les institutions religieuses qui sont établies pour préserver leur autorité sont bien souvent franchies par les individus sans que cela ne remette en cause la pérennité et l'autorité des institutions elles-mêmes. C'est donc un univers social où les institutions religieuses offrent des repères symboliques majeurs sans que ceci entrave une conception individualiste du religieux. Bien que ces auteurs aient apporté beaucoup de lumières sur les enjeux des changements religieux, ils restent peu prolixes sur les pratiques traditionnelles jugées incompatibles avec les religions importées et qui pousseraient les individus à ces conversions et/ou reconversions. 1.6.2 Ville et Pauvreté ROUSSEAU, (1762) in Emile, décrit la ville comme un lieu de dangers à divers points de vue. Pour lui, la ville est maléfique. C'est le lieu de l'insalubrité de l'environnement, de densification, de pollution, de luxure et de débauche, illégitimité et sevrage précoce des enfants. En bref, c'est le lieu du mal. Les citadins se livrent à toute sorte de vice. « Plus les hommes se rassemblent, plus ils se corrompent. Les infirmités du corps ainsi que les vices de l'âme sont l'infaillible effet de ce concours trop nombreux. Les villes sont le gouffre de l'espèce humaine » CHAMBOREDON J-C. et LEMAIRE M. (1970) in Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement, montrent comment la ville en facilitant la proximité spatiale crée une distance sociale. Pour eux la population des villes est une population "préconstruite" qui doit ses caractéristiques aux conditions de développement de la construction et de la politique du logement. Cela conduit à la constitution d'une population hétérogène, dont la diversité dépend des conditions d'arrivée dans la ville. Des groupes sociaux qui sont habituellement géographiquement séparés sont ainsi amenés à cohabiter. Ce contexte particulier accentue les différences, plus que dans le reste de la population locale. Henry LEFEBVRE (1971), in La ville et l'urbain, démystifie une fois encore la civilisation urbaine dans laquelle il trouve des éléments de malaise. Pour lui les espoirs longtemps placés dans la ville sont trahis. « On eu l'impression, voici quelques années, que l'urbain-en tant que somme de pratiques productives et d'expériences historiques- serait porteur de valeurs nouvelles et d'une civilisation autre, ces espoirs s'effacent en même temps que les dernières illusions de la modernité » disait-il. Si les villes se sont considérablement transformées depuis la fin du siècle dernier à travers une croissance extraordinaire, force est de constater que la vie en ville n'a pas donné lieu à des relations sociales entièrement nouvelles, sinon que plus la ville s'étend, plus les relations sociales semble s'y dégrader. Si le cadre de la quotidienneté a été quelque peu modifié, tout se passe comme si l'extension des anciennes villes et la construction de nouvelles continuaient à servir d'abri et de refuge aux rapports de dépendance, de domination, d'exclusion et d'exploitation. L'auteur conclut en bref que le cadre de la quotidienneté a été quelque peu modifié mais les contenus n'en ont pas été transformés. C'est en réfléchissant au problème, déjà très débattu, de la misère que T. MALTHUS, (1798), fera quelques allusions explicites à la ville. Dans la lignée de ses prédécesseurs, il dépeint dans son Essai sur les principes de la population, la ville comme l'une des « causes de la misère ». Il condamne la guerre, le désordre, l'insalubrité des usines et de certains métiers, le gigantisme urbain qui selon lui est néfaste pour la santé, l'urbanisation sauvage source de « trafics de plaisirs pervers ». DUBET F., 1987 in La galère : jeunes en survie, remarque qu'aujourd'hui, les jeunes des banlieues des grandes villes sont plongés dans une expérience de vie qu'ils n'ont guère choisie : la galère, qu'il n'est pas possible de découper en une série d'objets plus simples qui en brisent la spécificité. Les incertitudes, les flottement, les formation de réseaux fragiles à la place des bandes, les longues périodes d'oisiveté entrecoupées de petits boulots, les délinquances, les échecs scolaires, stigmatisations sont autant d'expériences que vivent les jeunes urbains et qui les font adopter des conduites qu'on ne peut comprendre qu par référence à l'espace de la galère dans lequel elles se constituent. CASTEL R., (1991) In : Face à l'exclusion, le modèle français démontre que la précarité du travail et la vulnérabilité relationnelle conduisent en ville à une dissociation du lien social. Il propose d'appeler désaffiliation le mode particulier de dissociation du lien social qui vient des situations de dénuement que l'on constate aujourd'hui en ville.. Pour lui cette désaffiliation serait l'effet conjugué d'une non-intégration par le travail et d'une non-insertion dans une sociabilité socio-familiale. A partir de l'exemple de l'agglomération toulousaine, JAILLET M.C, (1994) in : Les villes européennes de tradition industrielle relie le développement économique au processus d'exclusion. Selon lui, la croissance technopolitaine induit un modèle d'organisation du travail qui élève constamment le seuil d'accès aux emplois. Les figures des ingénieurs-techniciens et cadres tendent à s'imposer comme les seules légitimes dans les champs économiques, sociaux et urbains. Ce processus entraîne une disqualification croissante de tous ceux qui ne satisfont pas aux exigences du modèle dominant, les reléguant dans un ailleurs social, économique et spatial. Loin de résorber l'exclusion, le modèle de croissance économique contribue, à l'approfondir. ROCHE S. (1994) in Insécurité et libertés, dénonce une certaine sociologie qui a longtemps dénié la réalité de l'insécurité, utilisant de façon trop systématique, selon lui, la notion de "représentation". L'insécurité est bien réelle et se manifeste sous des formes diverses, dont les moins troublantes ne sont pas ce qu'il nomme les"incivilités", mais les atteintes permanentes aux règles communément acceptées du "vivre ensemble". Selon lui, l'insécurité provient de l'incertitude vécue quotidiennement par chacun quant à ce qu'il peut attendre de ceux qu'il rencontre. Il plaide pour une restauration du lien civique qui ne se fonde pas uniquement sur des expérimentations localisées dans les quartiers les plus en difficulté mais qui engage la communauté nationale, y compris dans ses fonctions répressives. LAGRANGE H. ET ROCHE S. (1998) in Baby alone in babylone. Volume II : le sentiment d'insécurité en milieu urbain et semi-rural, les exemples de Grenoble et de Tullins-Fures, se sont penchés sur la question de l'insécurité. Ils découvrent que le sentiment d'insécurité s'est fortement développé au cours de ces 15 dernières années. Les populations des milieux urbains et semi-ruraux vivent dans un sentiment d'insécurité dont les manifestations paraissent toujours dissociées des expériences d'agression. Tous les auteurs précités, s'ils ont chacun démontré les différentes facettes négatives de la ville, faisant entrevoir ainsi, les différentes formes de pauvreté qui existent en ville, ont passé en revanche, sous silence le rôle de la ville entant que facteur de cohésion sociale et de réduction de la pauvreté. 1.6.3 Pauvreté et religion Max WEBER, (1964), in L `Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, tente d'expliquer les raisons pour lesquelles l'entreprise capitaliste s'est développée tout d'abord dans les milieux de confession protestante, particulièrement chez les calvinistes et dans les sectes puritaines. Selon lui, l'«éthique du travail», c'est-à-dire le zèle professionnel et le mode de vie frugal que l'on constate chez les protestants, seraient la conséquence paradoxale du dogme de la prédestination. Le protestantisme nie que le chrétien puisse gagner son salut par ses oeuvres, c'est-à-dire par ses bonnes actions ou par le respect scrupuleux des obligations du culte. Le salut n'est pas une récompense, mais le produit de la grâce divine, dont les raisons échappent á la compréhension des hommes. Toutefois, le croyant peut trouver le signe qu'il fait partie des élus dans la réussite de ses activités terrestres. L'ardeur des protestants au travail s'expliquerait par la quête des signes de leur élection. La religion n'est pas un simple reflet des conditions sociales existantes, c'est-à-dire une idéologie qui justifierait la distribution inégale des richesses et de pouvoir en présentant cette distribution comme conforme à la volonté divine. Bien que les conditions d'existence des différentes couches sociales prédisposent à accepter certaines formes de croyances religieuses plutôt que d'autres, il y a néanmoins autonomie des croyances religieuses. Julio de SANTA ANNA (1982), in Les églises et les Pauvres, montre comment les nouvelles méthodes de production ont provoqué des bouleversements sociaux auxquels les communautés chrétiennes se sont confrontées. Il remarque qu'à la même époque, le mouvement missionnaire a souvent suivi une route parallèle à celle de l'expansion coloniale. Il a projeté des églises dans des mondes inconnus, aux valeurs, à la culture et aux croyances propres. Comme réponses à cette situation les églises adoptent la solidarité et l'assistance individuelle aux pauvres. Néanmoins il recommande que face à la pauvreté et à l'oppression, les Eglises doublent leur amour du pauvre d'une activité militante sur le plan des structures sociales en accord avec les réalités et les exigences des luttes concrètes. Ce n'est qu'ainsi que les communautés chrétiennes pourront susciter des actes de libération véritable. Odia Ndongo Yves Francis et Ebéné Alice Justine (2007), in « Religion, Capital Social et réduction de la pauvreté au Cameroun : Le cas de la Ville de Yaoundé » démontre que l'appartenance religieuse contribue à la réduction de la pauvreté. Selon eux le capital social religieux est plus favorable au pauvre car c'est au sein des communautés religieuses que l'exclusion est moins ressentie. « Le capital social, notamment sous forme de possibilité des individus à compter sur une assistance financière et/ou en nature (sous forme de dons) de la part des membres de sa communauté religieuse, est utile pour lutter contre la pauvreté ». Les auteurs révèlent dans leur étude que les communautés catholiques semblent celles qui potentiellement possèdent le niveau de capital social religieux le plus bas, et les communautés pentecôtistes possèderaient le niveau potentiel de capital social religieux le plus élevé. Dans un dossier intitulé « Les religions : leviers ou linceuls pour le combat des pauvres" » (2008) plusieurs auteurs issus des traditions bouddhiste, catholique, juive, musulmane, orthodoxe, protestante, interrogent leur foi à la lumière de l'existence des personnes les plus démunies. A travers ces auteurs le rôle de la religion dans la lutte contre la pauvreté prend tous ses sens. « Les religions et les grands courants philosophiques nous donnent des outils pour relire notre histoire commune et nous constituent en peuple pérégrinant tant bien que mal à travers le temps et l'espace ; ils proposent (parfois imposent) une palette de sens pour l'existence quotidienne et face aux aléas de la vie en société » Résumant ce rôle, deux des auteurs Hassan Tayyar et Hamid Douchement affirment que « Les religions nous aident quand elles deviennent ces forces de volonté pour gagner sur la pauvreté en développant l'éducation, la formation, en travaillant à la création d'emplois... » Tous les auteurs évoqués ci-dessus, s'ils ont insisté sur le rôle de la religion en tant que facteur de réduction de la pauvreté n'ont pas pour autant clairement mentionné la pauvreté comme une raison de l'affiliation religieuse des populations. 1.6.4 Ville et insécurité spirituelle Dans son étude sur la région Sundi, près de Brazzaville, Dominique DESJEUX (1987), a consacré un bref chapitre à la sorcellerie où il s'appesantit surtout sur la « dimension incertaine de la sorcellerie » qui constitue pour lui un effort pour une « gestion de l'incertitude ». Pour lui c'est parce qu'elle intègre le champ de l'incertitude que la sorcellerie reste le discours privilégié pour interpréter les changements modernes. Des auteurs comme MEYER (1999), GESCHIÈRE (2000) et J& J COMAROFF (2000) respectivement dans leurs ouvrages « Translating the Devil : Religion and Modernity among the Ewe of (Ghana) », « Sorcellerie et Modernité : retour sur une étrange complicité », et « Millenial Capitalism : First Thoughts on a Second Coming », envisagent le recours à la sorcellerie comme une réponse locale à l'impérialisme du capitalisme international et à la modernisation. Pour GESCHIÈRE, (2000), la raison de cette « étrange complicité » entre sorcellerie et modernité tiendrait au fait « qu'il y a une forte convergence entre la sorcellerie qui exprime une ouverture relative à la communauté locale, et la globalisation qui ouvre l'accès à de nouveaux horizons. De façon plus générale, la résilience de la sorcellerie participe d'un ré-enchantement du monde également sensible sous d'autres latitudes ». Adam ASHFORTH, (2000), dans « Réflexion sur l'insécurité spirituelle dans une ville africaine moderne (Soweto) », traite des différents aspects de l'insécurité spirituelle et des modes de compréhension de l'action des forces invisibles sur les fortunes les malheurs des individus. Il analyse surtout les déterminants de l'insécurité spirituelle, les facteurs qui entretiennent l'anxiété « épistémologues » chez les individus. Par ailleurs il suggère que l'intensité de l'insécurité à Soweto provient en grande partie de l'absence d'un cadre d'interprétation dominant. Il entrevoit un possible lien entre la pauvreté et l'insécurité spirituelle. Les différents apports des théories et analyses de ces divers auteurs surtout d'Adam Ashforth dont cette étude revient sur certaines de ses suggestions pour les confirmer, permettent d'orienter notre étude afin de lui donner une particularité et entrevoir sous un jour nouveau les questions des dynamiques religieuses et de l'insécurité spirituelle. 2e Chapitre : Cadre Physique de la recherche 2.1 SITUATION GÉOGRAPHIQUE Le territoire ciblé par la présente étude est la zone de Bè et plus précisément le vieux Bè communément appelé le quartier de Bè. Cette zone se situe dans la partie ouest de la capitale et couvre une superficie de 1428,57 hectares. Elle comporte le quartier Bè et rassemble 3 cantons. Le quartier de Bè quant à lui a une superficie de 7,256 km2.Village au départ, elle est aujourd'hui entièrement intégrée à la commune de Lomé et a beaucoup perdu de sa spécificité longtemps légendaire. C'est une bande de terre ayant la forme d'un pentagone, limitée entre deux nappes d'eau (la lagune au nord et la mer au sud). Le quartier est donc coincé au sud par l'océan atlantique, au sud-ouest par les quartiers Béniglato, abobokomé, Adoboukomé, et au nord-ouest par Doulassamé puis à l'est par la zone portuaire. Le quartier est constitué de 19 sous-quartiers : Ablogamé, Adzrometi, Agodo, Agodogan, Ahligo, Akodessewa, Amoutiévé, Antony-Nétimé, Apéyémé, Bassadji, Danguipé, Gbényédji, Hédzé, Hounvémé, Kotokou-Kondji, Kpéhénou, Lom-Nava, Souza-Nétimé et Weteykomé. Le quartier regorge de deux forêts sacrées « Akplakavé » (dans le sous-quartier Dangbuipé avec une superficie de 5ha) et « Agbolivé » (dans le sous-quartier Hounvémé avec une superficie de 3ha73a). Ce dernier est aujourd'hui en voie de disparition. 2.2 HISTORIQUE DU LIEU Retracer l'histoire de Bè, c'est d'abord et avant tout retracer celle de la ville de Lomé car l'origine de Bè, remonte aux origines les plus lointaines de Lomé. Ce qui d'ailleurs et à juste titre, justifie la place des Bè comme les fondateurs de la ville de Lomé. Cependant il s'avère très difficile de situer les origines les plus lointaines de Lomé car jusqu'au dernier quart de siècle, les sources écrites sont muettes et seules les sources orales permettent de reconstruire cette histoire quand bien même elles divergent. Il existe plusieurs traditions contradictoires, qui attribuent la fondation de Lomé qui à Dzitri, qui à Konou, qui à Elou..., personnages dont on ignore pratiquement tout en dehors du nom. Parmi ces multitudes de traditions, la tradition la plus répandue, qui a presque valeur officielle, et qu'on enseigne aux enfants des écoles, est celle qui parle de Djitri en tant que fondateur de Lomé. Cette tradition aurait été recueillie au tout début de ce siècle par le pasteur Sieth, le grand anthropologue des Ewé, et transcrite par le premier historien togolais, le RP Henri Kwakumé10(*). Le contexte est celui de la grande migration des Ewé : selon la tradition, ceux-ci ont quitté Notsé, leur berceau historique, vraisemblablement à la fin du XVIè siècle et du début du XVIIè, à la suite, sans doute, de l'échec de la tentative de monarchie centralisée qu'avait tenté d'imposer le fameux roi Agokoli. Les Ewé se sont alors éparpillés en petits groupes, désormais farouchement autonomes et refusant, pour la plupart, toute autorité politique au-dessus du conseil des aînés des familles du village, dont le chef (``fio'', ``fiagan)'', exprime le consensus bien plus qu'une autorité personnelle. Ces migrants progressaient sans doute moins en colonnes constituées que par une lente expansion en tache d'huile dans toutes les directions, par création de hameaux (souvent attribuée à un chasseur aventureux découvrant un site propice), qui devenaient progressivement des villages. Ceux-ci essaimaient à leur tour, ou parfois émigraient en bloc... Certains groupes - comme, selon leurs propres traditions, les Anlo, qui vinrent occuper le delta de la Volta - avancèrent vite, mais l'expansion fut probablement assez lente en général : il fallut sans doute aux Ewé entre un demi-siècle et un siècle pour parvenir jusqu'au littoral, ce qui nous situerait dans la seconde moitié du XVIIè siècle. Un chasseur nommé Dzitri, dont les ascendants se trouvaient dans le troisième groupement de l'Exode de Notsé [...], devint le fondateur de Lomé. Dzitri, en effet s'établit à un endroit qu'il dénommait `'Alomé'', d'après les arbres qui végétaient à l'emplacement où fut construite sa première case et dont les fruits sont dits `'alo''en langue éwé. `'Alomé''signifiait donc `' au milieu des alos'' : `'Alomé'' perdra plus tard initiale `'A''. Le `'Zongo'' actuel des Haoussahs fut l'emplacement où s'établit Dzitri avec sa famille. En s'y établissant, le chasseur Dzitri escomptait être à l'abri des animaux féroces dont toute la région côtière était infestée en ce temps-là. Plus tard, il fonda un autre village pour son fils aîné Aglê, à l'est d'Alomé, qu'il dénomma `'Adelatô'' (quartier des chasseurs). Des Adjas, émigrés du Dahomey pour motif de guerres, vinrent se réfugier chez les Aglê à `'Adélâto''. Celui-ci obtint la permission de son père Dzitri d'héberger les réfugiés. Ces derniers, craignant que leur nouvel habitat ne fût découvert à la longue par leur ennemis les Dahoméens, firent une loi de ne jamais parler à haute voix, ni de tirer des coups de fusils, ni de s'amuser en dansant aux sons du tam-tam, raison pour laquelle Aglê surnommait son village `'Bè'' (Cachette), nom que ce village porte aujourd'hui. On l'appelait aussi `'Badefe, Badekpa'' (clôture où l'on ne parle qu'à voix basse). Ainsi naît Bè, village au départ mais qui aujourd'hui, est entièrement intégrée à la ville de Lomé. 2.3 LES DONNÉES PLUVIOMÉTRIQUES 2.3.1 Le climat Le climat de la ville de Lomé et donc du quartier de Bè est du type subéquatorial soumis à l'influence directe de la mer. Il se caractérise par une alternance entre deux saisons pluvieuses et deux saisons sèches. Ø De mars à juillet: grande saison des pluies Ø De juillet à septembre: petite saison sèche Ø De septembre à novembre: petite saison des pluies Ø De novembre à mars: grande saison sèche L'humidité relative varie entre 70% (février) et 90% (juin-juillet). La température moyenne de Lomé est de 27°c, avec des écarts de 6 à 9°c entre les minima et les maxima mensuels, la plus grande fluctuation de température apparaissant entre décembre et mars. L'évaporation est d'environ 5,4 millimètres par jour. 2.3.2 La pluviométrie Les précipitations annuelles à Lomé présentent une forte irrégularité. Elles varient en moyenne entre 750 millimètres (années sèches) et 1000 millimètres (années humides). Elles fluctuent entre les valeurs extrêmes passant de moins de 450 millimètres à plus de 1300 millimètres. La grande saison des pluies totalise 52 à 60 % des précipitations annuelles. Le mois de juin est particulièrement marqué par une forte pluviométrie et concentre à lui seul 26 % du total annuel. C'est au cours de cette période que la stagnation des eaux pluviales pose de sérieux problèmes de salubrité et d'hygiène dans la ville de Lomé. Les pluies sont exceptionnellement concentrées et intenses dans le temps sur la capitale togolaise qui est pourtant située dans la zone climatique la moins arrosée du pays. La précipitation annuelle moyenne est de l'ordre de 800 mm contre 2000 millimètres à Abidjan 1200 millimètres à Cotonou. 2.3.3 L'hydrologie Le réseau hydrographique du quartier de Bè est composé du système lagunaire et des eaux souterraines. Le système lagunaire regroupe trois lacs artificiels: le Lac de Bè (31 hectares), le Lac Est (29 hectares) et le Lac Ouest (20 hectares). Les lacs de Bè et Est forment en fait un seul et même lac mais séparés par une route digue. Ils restent en communication directe via un ouvrage sous la digue. Ces lacs sont reliés au Lac Ouest par un grand canal d'équilibre. L'aménagement du système lagunaire et les récentes constructions sur les quartiers d'extension ont conduit à la rupture de l'écoulement des eaux du Zio vers la lagune. Le système lagunaire est alimenté par les eaux de pluie et de ruissellement urbain. Les eaux des lacs sont rejetées dans la mer à partir des conduites d'évacuation. Les eaux souterraines sont constituées essentiellement par les nappes du bassin sédimentaire côtier. L'alimentation de ces nappes se fait par l'infiltration partielle des eaux de pluie, des eaux du fleuve Zio et du système lagunaire. Le quartier de Bè est situé au sud de la zone lagunaire en bordure du Lac de Bè et du lac Est. L'eau du sol est stagnante. La nappe phréatique est très peu profonde (1 à 4 mètres) et affleure souvent les terrains en période des pluies. Les terrains sont caractérisés tout comme l'ensemble du cordon dunaire, par un sol plat, sableux et assez perméable. Le drainage superficiel est très lent (pente inférieure à 0,5%). 2.3.4 Végétation Les deux forêts sacrées dont dispose le quartier recèlent d'une végétation verdoyante avec des écosystèmes très riches. On y dénombre plusieurs variétés d'arbres notamment l'Antiaris africana (« logoti »), le Millicia excelsa (« Adassigoti »), le Companula (« Atitoeti »), le Dialium guineense (« Evuti »), le Vitex doniana spothodea (« Efonti ») et l'Hysope (« Kpatima »). D'autres arbres comme les manguiers, les cocotiers, les palmiers etc. souvent plantés à domicile et aux bords des rues complètent la végétation. 2.4 LES DONNÉES DÉMOGRAPHIQUES La population du quartier de Bè (vieux Bè) est estimée à 233.178 habitans en 2006 selon les données de la DGSCN alors que celle de la zone de Bè est estimée à 500.000 habitants en 2006 par le PNUD, soit près de la moitié de la population de Lomé. La densité y est de 350 habitants à l'hectare contre 60 habitants pour l'ensemble de la ville de Lomé. C'est une population composite en partie analphabète, majoritairement jeune et à forte prédominance féminine à l'instar de la population de Lomé dont le rapport de masculinité selon le recensement de 1981 était 92.9 d'hommes pour 100 femmes. Ce déficit d'hommes par rapport aux femmes s'explique par la surmortalité masculine, par les migrations d'hommes à l'extérieur des frontières togolaises et aussi par des migrations féminines autochtones qui constituent un fait culturel original de cette partie de l'Afrique, lié à la grande indépendance économique de la femme sur les côtes du Golfe du Bénin. En 2001, 48,2% des habitants vivant à Lomé sont des migrants. Ils sont composés de 52% de femmes de 48% d'hommes. Plus de la moitié des migrants (58,6%) est arrivée depuis moins de dix ans et 18,4% sont arrivés il y a 20 ans et plus. Cette importance numérique de la migration féminine au Togo montre que les filles rompent plus volontiers les liens avec la famille rurale, plus contraignants pour elles que pour leurs frères11(*) 2..5 LES DONNÉES SOCIO-ÉCONOMIQUES Le quartier de Bè présente les traits caractéristiques de la ville de Lomé en ce qui concerne la composition ethnique, les activités économiques et la cohabitation des couches sociales. Bè est un véritable creuset ethnique. Sa population multi-ethnique et multi-culturelle témoigne de la grande hétérogénéité de la population des villes africaines. L'on y rencontre majoritairement les Ewés et les Minas, mais également les Ouatchis, les Fons, les Kabyès, les Kotokolis, les Nagos, etc. Ce multi-ethnisme fait que le quartier offre un panorama extraordinaire de musiques et danses traditionnelles. De la diverité des musiques locales « Blékété », « Agbadja », « Aguéché »pratiquées par les autochtones, « Akpè » jouée par les Ewé originaires de la région des plateaux, « Kamou » pratiquée par les kabyè, peuple du nord du pays, dans la région de la Kara se dégagent des thèmes d'amour, de chasse, de guerre, de pêche, de moisson. Les habitants exercent des activités économiques, principalement dans le secteur informel (commerce, artisanat) mais aussi dans la fonction publique. L'agriculture et la pêche autrefois très prisées par les populations autochtones et très importantes dans leur vie économique sont aujourd'hui délaissées au profit du commerce et de l'artisanat. La pêche reste surtout pratiquée dans la lagune par les Hwénon, une ethnie béninoise. Le commerce reste le plus souvent la chasse gardée des femmes qui bien souvent font figure de chef de famille. L'artisanat intéresse autant les hommes que les femmes. Les hommes s'adonnent surtout aux métiers considérés comme les métiers d'hommes tels que la menuiserie, la maçonnerie, la mécanique etc. tandis que les femmes se tournent vers la coiffure et la couture. Le revenu par habitant est de moins de 80$ par an alors qu'elle devrait être d'un peu plus de 118$ selon les données du PNUD. Les revenus sont donc faibles et ne permettent pas aux ménages de disposer d'eau potable et des infrastructures d'assainissement. En effet , très peu de ménages possèdent un branchement d'eau potable et beaucoup sont sans installations sanitaires. Les populations, une des plus démunies de Lomé vivent dans des conditions sociales précaires. A Bè comme dans tous les quartiers de la ville, on note une réelle cohabitation des différentes couches sociales (aisées, moyennes et pauvres). A côté de grandes maisons et villas (haut standing), se trouvent des concessions de cour commune où l'assainissement individuel laisse à désirer. 2.6 LES DONNÉES RELIGIEUSES Le paysage religieux du quartier est marqué par un pluralisme qui fait que toutes les tendances religieuses se côtoient. La population autochtone longtemps attachée à l'animisme semble peu à peu se tourner vers d'autres religions notamment le Christianisme. Le quartier est resté pendant longtemps lié à la religion traditionnelle avec la présence des deux forêts sacrées, lieux d'habitation des prêtres garants de la divinité Nyigblè (Dieu protecteur) où se rendent les populations autochtones pour conjurer le mauvais sort. « La religion traditionnelle y est vécue comme une expérience des principes dynamiques incarnés par les forces de la nature qui sont les intermédiaires entre eux et Dieu. Ils y vont effectuer des cérémonies pour exorciser des maux, éloigner des maladies, se faire guérir, demander le bonheur et la bénédiction (fécondité, richesse, voyage) » (Vincent K. Hoedanou, 2008) La mythologie qui à longtemps présidé le système religieux des Ewé fait référence à Mawu-Lisa, couple divin formé de la Lune et du Soleil et figurant par sa dualité l'équilibre de l'Univers, comme la Divinité Suprême. Mawu représente le principe féminin, sa figure est associée au froid, à la nuit et à la fécondité. Lisa est le principe masculin incarnant la force. Le couple crée la Terre à l'aide de Dan, le serpent cosmique, et engendre les quatorze divinités du panthéon12(*). Les changements religieux qui ont affecté toute la ville de Lomé s'affiche avec plus de visibilité à Bè. En effet le système religieux des Ewé (majoritaires à Bè), qui selon Claude Rivière (1981) est basé sur la vénération de Mawu (Dieu suprême), des vodous (divinités), des ancêtres qui sont des forces bienfaisantes, semble s'incliner aujourd'hui beaucoup plus vers la seule vénération de Mawu qui n'est plus le Mawu de la mythologie mais un dieu non-idole, unique dont les églises chrétiennes dans leur ensemble promeuvent le culte. Même sans des données chiffrées sur la répartition selon la religion de la population de ce quartier, on peut affirmer sans risque de se tromper que le christianisme prend de plus en plus le pas sur les autres religions. En témoignent les 122 églises et centres de prière chrétiens recensés dans ce quartier. 2.7 LES DONNÉES URBANISTIQUES Le quartier de Bè est l'un des premiers quartiers d'extension de la ville de Lomé. Le quartier a atteint depuis fort longtemps sa saturation et on y dispose plus de parcelles de terrains vides. Ce rang contraste tristement avec le développement de ce quartier. L'habitat dans le quartier est surtout traditionnel et la population y vit dans des conditions sociales précaires. Les maisons sont construites en matériaux définitifs (en dur) et les cases sont pour la plupart en tôles. Ce sont généralement des concessions de bas standing souvent non équipées d'ouvrages d'assainissement des eaux usées et des excrétas. La voirie est dense mais en grande partie non revêtue. Les routes bitumées sont l'Avenue Agustino de Souza qui traverse le quartier du côté sud dans la direction sud-nord, le Boulevard Félix Houphouët Boigny traversant le quartier dans la direction est-ouest, le Boulevard Notre dame des Apôtres traversant le quartier dans la direction ouest-est. Ces routes sont complétées par un ensemble de rues et de ruelles dont certaines débouchent sur des impasses. Les équipements scolaires sont constitués par un ensemble d'écoles primaires, secondaires. On dénombre 16 établissements primaires officiels dont 8 laïques et 8 confessionnels, 5 collèges officiels dont 1 confessionnel, et un lycée officiel. Ces établissements officiels sont complétés par une pléiade d'établissements privés. Cinq (5) centres de santé (Hôpital de Bè, centre médico-social de Gbényédji, les centre médico-social libano-togolais et centre médico-social Espoir d'Ablogamé, centre de santé du centre communautaire de Bè) et un ensemble de cliniques et de cabinets privés font office d'équipements sanitaires. Quatre marchés (4) à savoir le marché de Bè, le marché d'Akodésséwa et le marché d'Ahligo, le marché d'Ablogamé communément appelé Akoélévissimé constituent les équipements commerciaux. On note aussi la présence d'autres institutions comme les institutions bancaires notamment Ecobank et UTB (Union Togolaise de Banque), des institutions financières comme les COOPEC (Coopérative d'Epargnes et de Crédit) des structures socio-culturelles comme le CCB (Centre Communautaire de Bè) et le centre communautaire de Bè-Agodogan. Malgré la présence de tous ces équipements dans le quartier, son aspect paysager rappelle encore celui du village car les structures traditionnelles persistent et font du quartier de Bè une zone rurale au sein de la capitale. Le décor physique de l'étude étant planté, il convient alors de s'intéresser au cadre méthodologique qui traduit les différentes approches et méthodes adoptées pour étudier le sujet. Cadre méthodologique de la recherche 3.1 CONSTRUCTION DU MODÈLE THÉORIQUE GÉNÉRAL 3.1.1 Sélection, Justification des variables et indicateurs Les variables et les indicateurs sont déterminés à travers la construction d'un modèle théorique général faisant appel à l'économétrie, basé sur le modèle logit et qui montre les liens entre les différentes variables. · Définition de variable et indicateur
Deux catégories de variables sont isolées à savoir les variables indépendantes ou explicatives et la variable dépendante ou variable à expliquer.
3.1.2 Présentation du modèle théorique général Dans notre travail, nous estimons quatre modèles théoriques, dont un pour la mesure de la pauvreté (pauvreté monétaire), un modèle permettant de mesurer l'insécurité spirituelle (selon une approche composite définie plus bas) et deux pour la dynamique religieuse. 3.1.2.1 Les variables dépendantes Les variables dépendantes de chacun de ces modèles économétriques sont la pauvreté, l'insécurité spirituelle et la dynamique religieuse. Elles sont toutes binaires, ce qui permet l'utilisation d'un modèle logit. Chacune des trois équations prend la forme théorique suivante :
Où représentent les coefficients affectés aux différentes variables explicatives, les variables explicatives, et y* la variable à expliquer. La variable à expliquer prend la valeur 0 ou 1. 3.1.2.2 Les variables indépendantes 3.1.2.2.1 Les variables socio-démographiques Les variables socio-démographiques prises en compte par l'étude sont le sexe, l'âge, la situation matrimoniale, le niveau d'instruction, la profession. 3.1.2.2.2 Les variables contextuelles Elles sont de divers ordres et sont présentées au fur et à mesure de la construction du modèle. 3.1.3 Présentation des variables entrant dans chaque modèle 3.1.3.1 Le modèle de la pauvreté monétaire Pour retenir les variables rentrant dans le modèle, nous nous appuyons sur les déterminants de la pauvreté au Togo, tels que définis par la Direction de la Statistique et de la Comptabilité Nationale après son enquête auprès des ménages togolais (DSCN, 2006, Enquête QUIBB). A ces déterminants, nous ajoutons quelques variables permettant de prendre en compte le ressentiment de l'insécurité spirituel de chaque enquêté. La variable dépendante dans ce modèle c'est le revenu de l'enquêté. Nous choisissons ses modalités en fonction du seuil de pauvreté monétaire calculé par la Direction Nationale de la Statistique et de la Comptabilité Nationale au terme d'une enquête de type QUIBB (Questionnaire Unique sur les Indicateurs du Bien être) réalisée en juillet/août 2006, il est de 20174,5 F CFA par équivalent adulte et par mois. Dans le modèle, nous estimons le Revenu en fonction des variables suivantes :
Nous récapitulons dans le tableau ci-dessous les variables entrant dans la construction du modèle. Tableau 1 Variables entrant dans l'estimation de la pauvreté monétaire
Source : Enquête de terrain, 2008 L'indicateur retenu est l'incidence de la pauvreté. Il vaut ici 73,3%. 3.1.3. 2 Le modèle de l'insécurité spirituelle Pour mesurer l'insécurité spirituelle, nous adoptons une approche composite. Ainsi nous retenons un ensemble de quatre indicateurs : l'indicateur de la croyance à l'influence des esprits mauvais dans la vie des individus, l'indication de la confrontation à un problème spirituel, l'indicateur de la connaissance des personnes ayant des problèmes spirituels et l'indicateur de la prédominance des problèmes spirituels dans l'entourage. Chaque indicateur représente le pourcentage d'individus répondant par l'affirmative aux quatre questions suivantes : 1. « Certains disent qu'il existe des esprits mauvais qui influencent notre vie. Etes-vous de cet avis ? » 2. « Avez-vous déjà connu un problème auquel vous pensez à une source spirituelle ? » 3. « Connaissez-vous des personnes ayant des problèmes spirituels ? 4. « Pensez-vous que ces problèmes sont courants aujourd'hui dans votre entourage? » Nous récapitulons dans le tableau ci-dessous les indicateurs de l'insécurité spirituelle. Tableau 2 : Récapitulation des indicateurs de l'insécurité spirituelle
Source : Enquête de terrain, 2008 L'objectif étant de mesurer globalement le degré d'appréhension de l'insécurité spirituelle, il est préférable de construire un indice qui synthétise les informations fournies par les quatre indicateurs. Ce qui revient à fabriquer une variable « appréhension de l'insécurité spirituelle » en additionnant les réponses « oui » à chacun des quatre indicateurs. On obtient ainsi un indice appréhension de l'insécurité spirituelle pour chaque individu. L'indice synthétique est alors la moyenne des indices des individus de l'échantillon. Pour les 45 enquêtés, sa valeur est de 3, 38 (3,38 sur 4). Les variables considérées dans ce modèle sont :
Nous récapitulons dans le tableau ci-dessous les variables entrant dans ce modèle : Tableau 3 : Variables entrant dans l'estimation de l'insécurité spirituelle
Source : Enquête de terrain, 2008 Nous retenons donc deux indicateurs : Le pourcentage de personnes affirmant avoir connu un problème spirituel et l'indice synthétique de l'appréhension de l'insécurité spirituelle. 3.1.3.3 Le modèle de la dynamique religieuse Nous avons présentons ici deux modèles, un modèle pour l'affiliation religieuse et un modèle pour la pratique religieuse. Ø Affiliation religieuse Nous avons choisi ici de modéliser l'affiliation à l'église. Les questions posées aux enquêtés sont : « Quelles sont les raisons qui vous ont amenés à cette église ? » et « Depuis quand fréquentez-vous l'église actuelle » Dans ce modèle, nous estimons l'affiliation des individus en fonction des variables suivantes : v Le sexe (Sexe) v L'âge (âge) v La situation matrimoniale (Situation) v Le niveau d'éducation (Education) v Le revenu de l'enquêté (Revenu) v Des motivations de l'enquêté (Motivation) v La durée de fréquentation de l'église (Durée) Nous récapitulons dans le tableau ci-dessous les variables entrant dans la construction de ce modèle : Tableau 4 : Variables entrant dans l'estimation de l'affiliation religieuse
Source : Enquête de terrain, 2008 L'indicateur que nous retenons ici est le pourcentage des personnes s'affiliant à l'église pour des raisons liées à l'insécurité spirituelle. Ø Pratique religieuse Nous avons choisi ici de modéliser la pratique religieuse. Quatre questions sont posées aux enquêtés à savoir « Fréquentez-vous un centre de prière ? », « Dans quel but ? », « Participez-vous aux veillées de prière ? », « Quels sont vos objectifs en s'y rendant ? » Les variables entrant dans la construction de ce modèle sont les suivantes : v Le sexe (sexe) v Le secteur d'activité (secteur) v Le revenu de l'enquêté (revenu) v Le but recherché par l'enquêté en fréquentant un centre de prière (But) v Les objectifs poursuivis en participant aux veillées de prière (Objectif) Nous récapitulons les variables entrant dans l'estimation de la pratique religieuse dans le tableau ci-dessous : Tableau 5 : Variables entrant dans l'estimation de la pratique religieuse
Source : Enquête de terrain, 2008 Nous retenons ici deux indicateurs : le pourcentage d'individus fréquentant un centre de prière pour y chercher une protection contre les forces maléfiques et le pourcentage d'individus participant aux veillées de prière pour lutter contre les forces maléfiques. 3.2 Estimations du modèle d'analyse 3.2.1 Estimation du modèle de la pauvreté monétaire La pauvreté monétaire se mesure à partir des revenus que l'individu consacre à ses dépenses alimentaires et non alimentaires. Notre modèle de pauvreté monétaire exprime donc le revenu de l'enquêté (Revenu) en fonction des variables suivantes : Deux variables socioéconomiques à savoir le secteur d'activité de l'enquêté (Secteur), et son niveau d'étude (Étude) ; une variable captant l'insécurité spirituelle : La confrontation de l'enquêté à un problème spirituel (Confrontation) Ø Analyse de la performance globale du modèle Nous analysons la performance globale du modèle grâce au tableau de prédiction des paramètres du modèle. Tableau 6 : Prédiction de la performance globale des paramètres du modèle
Le pourcentage de réponse correcte est de 73,3%, nous pouvons donc conclure que le modèle est satisfaisant. 3.2.2 Estimation du modèle de l'insécurité spirituelle Ce modèle exprime le sentiment d'insécurité spirituelle (variable dépendante) en termes de confrontation à un problème spirituel. Elle est fonction des variables suivantes : Le Sexe de l'enquêté, de son Age, de son niveau d'Education, de son Revenu, de sa Confrontation à un problème spirituel, de sa Connaissance de personnes ayant des problèmes spirituels, des Signes d'identification d'un problème spirituel et de l'Autorité consultée pour un problème spirituel. - Analyse de la performance globale du modèle Nous analysons la performance globale du modèle grâce au tableau de prédiction des paramètres du modèle. Tableau 7 : Prédiction de la performance globale des paramètres du modèle
Le pourcentage de réponses correctes est de 78%, nous pouvons donc conclure que le modèle est satisfaisant. 3.2.3 Estimation du modèle de l'affiliation religieuse L'affiliation religieuse se mesure ici en termes de recherche de solution contre l'insécurité spirituelle. Elle s'exprime en fonction des variables suivantes comme le Sexe de l'enquêté, de son Age, de sa Situation matrimoniale, de son niveau d'Education, de son Revenu mensuel, des Motivations de son affiliation et de sa Durée de fréquentation de l'église. - Analyse de la performance globale du modèle. Nous analysons la performance du modèle à l'aide du tableau de prédiction des paramètres du modèle. Tableau 8 : Prédiction de la performance globale des paramètres du modèle
Le pourcentage de réponses correctes est de 55%, nous pouvons donc conclure que le modèle est satisfaisant. 3.2.4 Estimation du modèle de la pratique religieuse Ce modèle exprime la pratique religieuse en termes de lutte contre les esprits mauvais et de la recherche de délivrance. Elle dépend des variables comme le Sexe de l'enquêté, son Secteur d'activité, le But qu'il vise poursuit en fréquentant un centre de prière, et les Objectifs qu'il poursuit en participant aux veillées de prière. - Analyse de la performance globale du modèle Tableau 9 : Prédiction de la performance globale des paramètres du modèle
Le pourcentage de réponses correctes est de 71%, nous pouvons donc conclure que le modèle est satisfaisant. 3.3 MÉTHODES DE COLLECTE DES DONNÉES Une approche composite intégrant les différentes méthodes et techniques de collectes de données est adoptée ici. C'est ainsi que les approches qualitatives et quantitatives se complètent et que la collecte des données va de la recherche documentaire aux entretiens individuels en passant par l'observation participante. 3.3.1 Recherche documentaire Avant toute enquête sur le terrain, il est indispensable au chercher d'entreprendre au prime abord, une recherche documentaire. Nous avons donc effectués une recherche documentaire au cours de laquelle nous avons consulté des articles, des rapports d'étude ou de conférence, des ouvrages traitant d'une certaine manière notre thème. Elle nous a été très utile dans la mesure où elle nous a permis de collecter des informations importantes concernant notre sujet. Nous nous sommes rabattus sur les bibliothèques de la Flesh, du CCF, du CIP et du CCB. L'internet aussi a occupé une part importante dans cette documentation. 3.3.2 La pré-enquête Elle nous a permis de sonder le site de l'enquête afin d'identifier les différentes tendances religieuses qui existent, de recenser les structures religieuses présentes (137 dont 122 églises et centres de prière chrétiens, 10 mosquées, 4 centres occulto-spirituels et 1 temple d'hindouisme), mais aussi de s'entretenir avec des personnes ressources à savoir certaines autorités religieuses pour se faire une idée claire des orientations à donner à l'étude. Elle s'est déroulée sur une semaine c'est-à-dire du 7 au 14 septembre 2008. 3.3.3 L'observation participante Nous avons eu recours aussi à l'observation participante pour collecter des informations. C'est ainsi que nous avons assisté à deux messes et à deux séances de prière de guérison. 3.3.4 Le site de l'enquête Pour mener une enquête sociologique, il faut choisir un terrain d'enquête appelé « site » sur lequel le chercheur procède à l'investigation et à la collecte des données. Le quartier de Bè est retenu comme le site de cette présente étude car Bè présente des caractéristiques socio-économiques et culturelles qui font de lui, un laboratoire privilégié pour notre étude. Son statut de foyer traditionnel dans une ancienne ville coloniale sous contingence des crises socio-économiques et religieuses lui donne un paysage mosaïque où la pauvreté, l'insécurité spirituelle et les dynamiques religieuses peuvent s'observer. 3.3.5 Population cible Elle est constituée d'une part de l'ensemble des fidèles des églises et groupes religieux et d'autres parts des autorités religieuses à Bè. Nous ne disposons pas de données chiffrées pour pouvoir évaluer cette population. 3.3.6 L'échantillon Faute d'avoir des données chiffrées sur la population cible nous avons opté pour un échantillonnage basé sur le sondage aléatoire simple. Au prime abord, les églises chrétiennes sur qui notre choix s'est porté pour étudier le phénomène sont d'abord classées en trois groupes selon 3 tendances théologiques : les confessions principales, les congrégations protestantes évangéliques et les Eglises indépendantes africaines. Une église est alors retenue par confession. C'est ainsi que le groupe spirituel « Renouveau Charismatique » de l'Eglise catholique « Marie Reine de Bè » à Bè Apéyémé, l'Eglise St Raphaël du Christianisme Céleste de Bè Gbényédji et l'Eglise « House of God » de Bè Hounvémé sont retenus. Un échantillon de 15 fidèles et une autorité religieuse par église est alors constitué. Ce qui porte la taille de notre échantillon à 48 éléments dont 45 fidèles et 3 autorités religieuses. Deux types d'échantillon sont constitués : celui des autorités religieuses et celui des fidèles. Les 45 fidèles sont choisis au hasard. 3.3.7 Outils de collecte de données 3.3.7.1 Elaboration et administration du questionnaire 3.3.7.1.1 Elaboration du questionnaire Le questionnaire demeure l'outil principal de collecte de données quantitatives. Le questionnaire élaboré est pré-codé en un codage simple. Il est structuré en quatre sections : Ø Section 1 : Identification des enquêtés Ø Section 2 : Manifestation de l'insécurité spirituelle Ø Section 3 : Perception et attitudes liées à l'insécurité spirituelle Ø Section 4 : Pratiques religieuses liées à l'insécurité spirituelle Il comporte : Ø Des questions fermées à réponses binaires, Ø Des questions fermées sans gradation, et Ø Des questions ouvertes 3.3.7.1.2 Test du questionnaire Nous avons procédé au test du questionnaire après son élaboration. Nous avons donc choisi au hasard un ensemble de dix fidèles que nous avons soumis au questionnaire. Cette phase nous a permis de corriger notre questionnaire aussi bien dans la formulation de certaines questions que dans l'agencement des questions. 3.3.7.1.3 Administration du questionnaire. Cette phase a duré trois semaines soit du 3 au 24 Novembre 2008. L'administration indirecte est privilégiée eu égard au faible niveau d'alphabétisation des la population concernée. 3.3.7.2 Elaboration et administration du guide d'entretien 3.3.7.2.1 Elaboration du guide d'entretien L'outil de premier choix pour un entretien individuel est le guide d'entretien. Nous avons ainsi élaboré un guide d'entretien comportant un ensemble de huit questions tournant autour de l'insécurité spirituelle. 3.3.7.2.2 Déroulement des entretiens individuels Elle s'est déroulé dans la même période que l'administration du questionnaire et a mobilisé trois autorités religieuses dont deux pasteurs et un berger. Les informations données par les interviewés sont consignés sur le guide d'entretien. 3.4 MÉTHODES DE TRAITEMENT ET D'ANALYSES DES DONNÉES 3.4.1 Les données quantitatives Les questionnaires sont dépouillés à la main et les résultats sont ensuite saisis sur un ordinateur. Des logiciels statistiques comme Excel et SPSS, plus tard sont utilisés pour construire des tableaux et des graphiques. 3.4.2 Les données qualitatives Les données qualitatives ont fait l'objet d'une analyse de contenu. Les différentes réponses données par les interviewés sont synthétisées et présentées par question. 3.5 LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES Les difficultés rencontrées tiennent d'abord de la disponibilité des informations relatives à notre thème. Ensuite, elles relèvent de la sensibilité de notre thème de recherche. Plusieurs autorités mais aussi des fidèles ont fait état de quelques inquiétudes et de doute dès qu'il s'agit de parler des phénomènes liés à la sorcellerie. Preuve que cette insécurité bien que diffuse est pourtant présente et inquiète plus d'un. S'ajoutent des difficultés liées aux formalités à effectuer afin de procéder à l'enquête. Les autorités religieuses à rencontrer ont été pour la plupart du temps occupés. Ce qui a considérablement allongé la durée d'exécution de l'enquête. D'autres difficultés inhérentes au déroulement sont à signer. Certaines autorités très hésitantes sur le bien fondé de l'enquête ont préconisé un focus-group pour des fidèles qu'elles choisiraient elles-mêmes. Il a été difficile de les ramener à la raison. DEUXIEME PARTIE : Présentation, Analyse et Interprétation des résultats 4e Chapitre : Présentation et Analyse des résultats A. PRÉSENTATION ET ANALYSE DES DONNÉES QUANTITATIVES Tableau10: Répartition des fidèles enquêtés selon le sexe
Source : Enquête de terrain, 2008 L'échantillon enquêté se compose de 23 hommes soit 51 % de l'effectif et de 22 femmes soit 49 % de l'effectif. Cette répartition est due au choix aléatoire (au hasard) des enquêtés et ne doit pas cacher le fait, qu'il y a plus de fidèles féminins dans les églises que de fidèles masculins. Tableau 11: Répartition des fidèles enquêtés selon l'âge
NB : Age en ans, Source : Enquête de terrain, 2008 La population enquêtée se compose de 9% de fidèles ayant un âge compris entre 20 - 25 ans, de 24 % de fidèles âgés de 25 à 30 ans, de 18 % de fidèles âgés de 30 à 35 ans, de 18 % de fidèles âgés de 35 à 40 ans, de 9 % de fidèles âgés de 40 à 45 ans, de 13 % de fidèles âgés de 45à 50 ans et de 9% de fidèles ayant plus de 50 ans. La proportion des jeunes (20 à 35 ans) représente 51% de l'effectif total. Tableau 12 : Répartition des enquêtés selon la situation matrimoniale
Source : Enquête de terrain, 2008 La lecture de ce tableau montre que 47% des fidèles enquêtés sont mariés, 38% sont célibataires, 2% sont divorcés et 13% sont veufs. Tableau 13: Répartition des fidèles enquêtés selon le quartier d'habitation
Source : Enquête de terrain, 2008 Une bonne majorité soit 93 % des fidèles
enquêtés résident à Bè. Les
7% Tableau 14: Répartition des fidèles enquêtés selon le village d'origine
Source : Enquête de terrain, 2008 16% des fidèles enquêtés sont originaires de Bè contre 84 % qui viennent d'autres villages du Togo voire d'autre pays. Ces proportions indiquent bien l'aspect cosmopolite du quartier et peut-être aussi l'attachement des populations autochtones à leur religion traditionnelle. Graphique 1 : Répartition des fidèles enquêtés selon le niveau d'instruction Source : Enquête de terrain, 2008 7% des fidèles enquêtés ne sont pas scolarisés, presque la moitié soit 49% ont un niveau primaire, 9% ont atteint le collège, 4% on fait le lycée et 11% ont un niveau supérieur. C'est donc un niveau d'instruction généralement faible. Graphique 2: Répartition des fidèles enquêtés selon la durée de fréquentation de l'église N.B. durée de fréquentation en ans, Source : Enquête de terrain, 2008 La majorité des fidèles enquêtés soit 51% fréquentent leur église depuis moins de 5 ans, 7% se situent entre 5 -10 ans de fréquentation, 11% entre 10 - 15 ans et 31% ont plus de 15 ans de fréquentation. Tableau 15: Répartition des fidèles enquêtés selon la profession
Source : Enquête de terrain, 2008 Les commerçants représentent 44% des enquêtés contre 38% pour les artisans. Les fonctionnaires et les étudiants rivalisent avec 2% des effectifs chacun alors que les sans - emploi et les autres professions occupent chacun 7% des effectifs. Ces données reflètent les activités économiques principales auxquelles s'adonnent les populations de Bè sont le commerce (surtout le petit commerce) et l'artisanat. Graphique 3 : Répartition des fidèles enquêtés selon le revenu mensuel
NB : Revenu en FCFA, source : Enquête de terrain, 2008 Près de la moitié (49%) des enquêtés ont un revenu mensuel inférieur à 10.000 FCFA, 24% ont un revenu qui se situe entre 10.000- 20.000 FCFA, 16% gagnent entre 20.000 FCFA -30.000 FCFA et seulement 11% ont un revenu compris entre 30.000 FCFA - 40.000 FCFA. En clair, l'échantillon comporte 33 personnes sur les 45 enquêtés qui ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté (20174,5 FCFA par mois)13(*), soit une incidence de la pauvreté de 73,33% dans l'échantillon. Ce chiffre est largement supérieur à celui de Lomé qui est de 24,5% et à la moyenne pour les zones urbaines au Togo qui est de 36,8%. Il est par contre très proche de l'incidence de la pauvreté en milieu rural au Togo (74,3%). Cela confirme le statut de notre site d'enquête en tant que zone rurale en pleine ville. Tableau 16 : Répartition des fidèles enquêtés selon la croyance à l'influence des mauvais esprits dans la vie des individus
Source : Enquête de terrain, 2008 A la question « certains disent qu'ils existent des mauvais esprits qui influencent notre vie. Etes-vous de cet avis », 98% des enquêtés répondent par « oui » contre seulement 2% qui répondent par le négatif. Tableau 17 : Répartition des fidèles enquêtés selon la confrontation à un problème spirituel
Source : Enquête de terrain, 2008 Plus des ¾ des fidèles enquêtés soit 78 % affirment avoir déjà connu un problème spirituel. Seuls 22% estiment le contraire. Tableau 18: Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon le sexe
Source : Enquête de terrain, 2008 Les femmes représentent 49% des 35 fidèles qui ont déjà connu un problème spirituel, contre 51% d'hommes. Ces données respectant la répartition par sexe de l'échantillon ne doivent pas occulter le fait que les femmes sont plus susceptibles à croire aux phénomènes invisibles. L'écart est dû au choix aléatoire des enquêtés. Néanmoins le pourcentage des hommes ressentant le phénomène est significatif et ne témoigne-t-ils pas de l'intensité du phénomène ? Tableau 19: Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon l'âge
Source : Enquête de terrain, 2008 Le tableau montre que la tranche 25 - 40 ans mobilise 58% des 35 fidèles contre 36% pour les plus de 40ans et 6% pour les 20-25 ans. Les 25 - 40 ans étant la tranche des jeunes, donc des plus actifs est la plus touchée par les problèmes de chômage, de logement, etc. Tableau 20 : Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon le revenu
Source : Enquête de terrain, 2007 24 des 35 fidèles affirmant avoir connu un problème spirituel, ont un revenu inférieur au seuil de pauvreté au Togo, qui est de 20174, 5 FCFA. Ce qui correspond à une incidence de pauvreté de 69 %. Graphique 4 : Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon le type de problème
Source : Enquête de terrain, 2008 Une bonne majorité des 35 fidèles soit 54% (42% de l'effectif total) ont désigné la maladie comme le problème spirituel qu'ils ont connu. 14% (soit 11% de l'effectif total) ont respectivement mentionné les problèmes de foyer et les échecs dans les affaires comme problème spirituel. La pauvreté et la déviance (abus d'alcool, de stupéfiants) ont été indexées, chacune comme problème spirituel à 6% (soit 4% de l'effectif total). Le chômage et d'autres problèmes comme les cauchemars suivent avec 3% (soit 2% de l'effectif total) chacun. Graphique 5 : Répartition des 35 fidèles ayant connu le problème spirituel selon la provenance du problème Source : Enquête de terrain, 2008 Pour plus de la moitié des 35 fidèles soit 60%, la famille est à la base de leur problème spirituel, la communauté suit avec 20%, les amis et les collègues ne sont pas épargnés avec 6% chacun. 8% des 35 fidèles avouent ne pas connaître la provenance de leurs problèmes. Tableau 21: Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon l'autorité consultée
Source : Enquête de terrain, 2008 Une bonne majorité des 35 fidèles soit 54% s'adressent au pasteur pour des problèmes spirituels, 17 % ont recours au berger, 14 % s'adressent au prête, 12% se tournent directement vers Dieu et 3% vers d'autres autorités comme les groupes de prière. Tableau 22 : Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon la fréquence de satisfaction vis-à-vis du service de l'autorité consultée
Source : Enquête de terrain, 2008 66% des 35 fidèles estiment avoir toujours satisfaction quand ils consultent leurs autorités religieuses pour des problèmes spirituels, 26 % affirment avoir souvent satisfaction et 6% disent avoir parfois satisfaction. Tableau 23: Répartition des 35 fidèles ayant connu un problème spirituel selon la consultation d'une autorité externe
Source : Enquête de terrain, 2008 54% (soit 42% de l'effectif total) des 35 fidèles avouent avoir consulté une autorité autre que leurs autorités religieuses alors que 46 % (soit 36% de l'effectif total) affirment le contraire. Graphique 6 : Répartition des 19 fidèles ayant consultés une autorité externe selon le titre de l'autorité
Source : Enquête de terrain, 2008 Ce graphique montre que 47% des 19 fidèles se sont adressé à un guérisseur, respectivement 16% se sont adressé à un prêtre et à un pasteur, les médecins et les autres autorités s'adjugent chacun 5% de l'effectif. Tableau 24 : Répartition des 19 fidèles selon leur date d'entrée dans l'église et la date de consultation de l'autorité
Source : Enquête de terrain, 2008 Ce tableau révèle que seulement 6 des 19 fidèles soit 36% (voir la partie du tableau coloriée en bleu) ont consulté l'autorité avant d'entrer dans l'église car leur date de consultation de l'autorité externe est antérieure à leur date d'entrée dans l'église. Par contre les 12 restants soit 64% (voir la partie du tableau coloriée en orange) ont consultée l'autorité externe après leur entrée dans l'église car leur date consultation est postérieure ou coïncident avec leur date d'entrée dans l'église. Tableau 25 : Répartition des 19 élèves ayant consulté une autorité externe selon la satisfaction vis-à-vis du service rendu par l'autorité
Source : Enquête de terrain, 2008 Il ressort de ce tableau que seulement 47% des 19 fidèles ont obtenu satisfaction en consultant l'autorité externe. La majorité soit 53% ne sont pas satisfaits. Tableau 26 : Répartition des fidèles enquêtés selon la connaissance de personnes ayant eu un problème spirituel
Source : Enquête de terrain, 2008 Plus de la moitié des fidèles enquêtés soit 67% affirment connaître une personne ayant un problème spirituel contre 33% qui ne connaissent pas de personnes de personnes ayant un problème spirituel. Graphique 7 : Répartition des 30 fidèles connaissant des personnes ayant un problème spirituel selon le type de problème Source : Enquête de terrain, 2008 Ce graphique révèle que 33% des 30 fidèles identifient la maladie comme le problème spirituel des personnes qu'ils connaissent, 20% indexent la déviance (abus d'alcool, abus de stupéfiants), 17 % pointent du doigt les problèmes de foyer, la pauvreté et les problèmes d'emploi sont indiqués à 10% chacun, 7% indiquent l'échec dans les affaires et enfin 3% parlent d'autres problèmes comme les cauchemars. Tableau 27 : Répartition des fidèles enquêtés selon les signes d'identification d'un problème spirituel
Source : Enquête de terrain, 2008 Il ressort de ce tableau que 44% des fidèles enquêtés identifient un problème spirituel par la persistance des infortunes, 13% par la prière, 9% par les analyses médicales vaines, 29% par d'autres moyens comme l'observation et 4% ne savent pas identifier un problème spirituel. Tableau 28: Répartition des fidèles enquêtés selon la prédominance des problèmes spirituels dans leur entourage
Source : Enquête de terrain, 2008 Presque la totalité des enquêtés soit 96% pensent que les problèmes spirituels sont courants aujourd'hui dans leur entourage. 2% seulement affirment le contraire et 2% ne savent pas. Tableau 29 : Répartition des fidèles enquêtés selon les dispositions à prendre contre les problèmes spirituels
Source : Enquête de terrain, 2008 Une bonne frange des enquêtés (89 %) recommande la prière comme la disposition à prendre contre les problèmes spirituels, 7% conseillent d'éviter les pratiques traditionnelles et 4% parlent de la méfiance envers la communauté. Tableau 30 : Répartition des fidèles enquêtés selon la raison de la massive fréquentation des églises par les populations
Source : Enquête de terrain, 2008 73% des fidèles enquêtés expliquent la massive fréquentation des églises par les populations par la recherche de protection contre les forces maléfiques, 13% l'expliquent par la recherche de Dieu, 7% par la recherche de paix intérieure et 7% par d'autres raisons comme l'attrait de l'église. Tableau 31 : Répartition des fidèles enquêtés selon la raison d'adhésion à l'église
Source : Enquête de terrain, 2008 Ce tableau montre que 29% des fidèles enquêtés ont adhérés à leur église à la recherche de guérison spirituelle ou suite à la guérison d'une maladie qu'ils disent spirituelle dans l'église, 26% recherchent la protection contre les forces maléfiques, 38% y vont simplement pour adorer Dieu et 3% adhèrent pour d'autres raisons comme l'attrait de l'église. Tableau 32 : Répartition des fidèles enquêtés selon la fréquentation d'un centre de prière
Source : Enquête de terrain, 2008 Le tableau révèle que 73% des fidèles enquêtés fréquentent un centre de prière (un centre qui appartient soit à leur église ou à une autre église) et 27% ne fréquentent pas de centre de prière. Tableau 33: Répartition des 33 fidèles fréquentant un centre de prière selon le but de fréquentation
Source : Enquête de terrain, 2008 La plupart des 33 fidèles soit 64% déclarent fréquenter un centre de prière pour fortifier leur foi contre 36% qui avouent y aller dans le but de se protéger contre les forces maléfiques. Tableau 34: Répartition des fidèles enquêtés selon la participation aux veillées de prière
Source : Enquête de terrain, 2008 La totalité des fidèles enquêtés soit 100% participe aux veillées de prière. Tableau 35: Répartition des fidèles enquêtés selon les objectifs poursuivis en participant aux veillées de prière
Source : Enquête de terrain, 2008 31% des fidèles enquêtés visent la délivrance en se rendant aux veillées de prière, 48% y vont pour lutter contre les mauvais esprits, 22% sont motivés par la fortification de la foi et 7% y vont pour d'autres raisons telle que la recherche de communion avec la fraternité religieuse. En somme les raisons liées à l'appréhension de l'action des forces invisibles rassemblent 79% des fidèles. Tableau 36 : Répartition des fidèles enquêtés la motivation des individus pour les veillées de prière par la délivrance
Source : Enquête de terrain, 2008 A la question « Pensez-vous que les gens se rendent aux veillées de prière, uniquement motivés par la délivrance ? », 42% des fidèles enquêtés répondent par l'affirmatif, 7% disent non. 44% pensent que certains sont motivés par la délivrance mais pas tous. Tableau 37 : Répartition des fidèles enquêtés suivant les solutions proposées contre les problèmes spirituels
Source : Enquête de terrain, 2008 Une écrasante majorité des fidèles enquêtés soit 94% propose la prière à Dieu comme la solution aux problèmes spirituels, 2% recommandent d'éviter les pratiques traditionnelles et 4% proposent d'autres solutions comme la prudence et la méfiance dans les rapports avec la communauté. Tableau 38 : Répartition des fidèles enquêtés selon la capacité d'autres autorités à résoudre les problèmes spirituels
Source : Enquête de terrain, 2008 A la question « D'autres autorités peuvent-elles aider à résoudre le problème ? », 69% des enquêtés répondent par oui, 11% disent non et 20% ne savent pas. Tableau 39 : Répartition des 31 fidèles affirmant que d'autres autorités peuvent aider dans la résolution du problème selon le titre de l'autorité
Source : Enquête de terrain, 2008 54% des 31 fidèles désignent les pasteurs comme les autorités capables de résoudre les problèmes spirituels, 25% indexent les prêtres et 19% les guérisseurs. La forte proportion des fidèles indiquant les pasteurs peut s'expliquer par le fait que l'échantillon comporte des fidèles de deux églises où l'autorité religieuse est le pasteur. B. PRÉSENTATION DES DONNÉES QUALITATIVES Les réponses données aux différentes questions par les autorités religieuses enquêtées sont synthétisées et présentées par question. 1. Qu'est ce qui selon vous peut expliquer l'adhésion massive des individus aux églises aujourd'hui ? Ø La recherche de solutions aux problèmes surtout spirituelles Ø La soif de la parole de Dieu Ø La recherche de paix intérieure 2. Qu'elle est la place à accorder à l'existence des problèmes d'ordre spirituel dans l'affiliation des individus aux nouvelles églises ? Ø Les problèmes spirituels y occupent une place primordiale car les églises traditionnelles sont incapables de résoudre les problèmes spirituels. Ø Les individus sont confrontés de plus en plus à des problèmes spirituels, contre lesquels les églises nouvelles luttent efficacement. 3. Quels sont les genres de problème spirituel que vous rencontrez dans votre église ? Ø En Afrique tous les maux ont un dessous spirituel Ø Les problèmes sont divers et vont des cas de possession à l'envoutement par les sorciers Ø Les problèmes d'emploi, de maladie, de foyer, de pauvreté, de l'insuccès dans les affaires, sont souvent rencontrés. 4. Quels sont les signes qui permettent de distinguer les problèmes d'ordre spirituel ? Ø Les révélations à travers la prière permettent d'identifier les problèmes spirituels Ø L'incapacité des individus possédés à voir les objets religieux comme la Croix du Christ ou à entendre les noms de Jésus ou de Marie. Ø Les maladies que la médecine n'arrive pas à guérir sont surtout spirituelles. Ø La persistance des problèmes indiquent qu'ils sont des problèmes spirituels 5. Quel est le rôle de la science occidentale dans la compréhension de ces phénomènes liés à l'action des forces invisibles ? Ø Les phénomènes spirituels sont au-delà du domaine de la science occidentale. Elle n'a donc aucun rôle à y jouer. Ø Les phénomènes qui intéressent la science occidentale et les phénomènes spirituels sont diamétralement opposés. Son rôle se réduit à un rôle de spectateur. Ø Les psychologues peuvent aider à comprendre ces phénomènes liés à l'action des forces invisibles 6. Quelles sont selon vous les autorités qui peuvent traiter de ces problèmes d'ordre spirituel ? Ø Les vrais hommes de Dieu qui ont reçu un mandat de Dieu Ø Les prêtres exorcistes commis par l'Evêque Ø Les guérisseurs peuvent aider car ces problèmes ont depuis toujours existé et nos parents s'en remettaient à eux. 7. Quelles peuvent être les conséquences de l'appréhension de l'action de ces forces invisibles sur les individus et les communautés Ø Les individus vivent dans la peur de ces forces invisibles. Ø Les fidèles ont peur par ignorance car un enfant de Dieu ne doit pas craindre ces forces parce que Dieu est dessus de tout. Ø Les individus fuient leur communauté ou leur famille. Ø Les villages ne se développent pas car les individus ont peur d'être attaqués en investissant dans les villages. 8. Quelles peuvent-être les solutions contre ces phénomènes liés à l'action des forces invisibles ? Ø Eduquer la masse pour qu'elle n'ait plus peur de ces phénomènes Ø S'adonner à Dieu et prier souvent Ø Abandonner les pratiques ancestrales qui sont liées à des forces maléfiques 5e Chapitre : Interprétation des résultats Dans ce chapitre sont interprétés les résultats de l'enquête. Ceci en gardant à l'esprit les hypothèses posées et qui servent de fil conducteur à l'étude. 5.1 Une analyse critique du lien entre l'insécurité spirituelle et la pauvreté 5.1.1 Le sentiment d'insécurité spirituelle comme expression des conditions de vie difficiles La ville à bien d'égards reste dangereuse. En particulier, les villes africaines et surtout sub-sahariennes, où les profondes mutations économiques de ces deux dernières décennies, plongent de plus en plus les populations dans une paupérisation inouïe. Elle est devenue l'enfer pour une proportion de plus en plus croissante des populations urbaines. La pauvreté, la violence, la mauvaise santé et la misère sont devenues des ornements que la ville abhorre dangereusement. En témoigne l'incidence de pauvreté de 73,3 % obtenue dans notre échantillon (Graphique 3) Le revenu moyen dans notre échantillon est de 16.330 FCFA (Graphique 3) et quand on sait que 47 % des enquêtés sont mariés (tableau 12), on perçoit tout à fait bien les difficultés auxquelles sont confrontées ces populations. L'absence d'un système de sécurité et d'assistance sociales, d'une politique d'emploi efficaces, n'arrange guère les affaires. En effet, selon les résultats de l'enquête QUIBB de 2006, en matière d'accès à l'éducation, l'orientation des subventions publiques à l'éducation est défavorable aux pauvres. Les 20% les plus pauvres de la population togolaise bénéficient d'un équivalent de 5607 FCFA comme subvention à l'éducation par tête alors que les 20% les plus riches en bénéficient de 10.376 FCFA par tête, soit le double environ. De même, l'accès aux subventions publiques en matière de santé est défavorable aux pauvres. En effet, les 50% les plus pauvres de la population togolaise ne bénéficient que 20% des subventions publiques aux CHU, 30% des subventions aux hôpitaux et centre de santé. Survivre devient pour ses populations pauvres, un véritable parcours de combattant. Dans cette misère ambulante, s'évanouissent alors, en de lointains échos les espoirs que la vie moderne a tant suscités. Elle a longtemps perdu de son lustre, de sa magie qui autrefois hypnotisait les citadins et les faisaient croire en leur ville. Désormais la ville leur échappe, mieux il les possède. Néanmoins, elle semble l'inévitable destination de l'espèce humaine. La société est confrontée à des problèmes pour lesquels « la ville, à l'image de l'homme et de la société, moule et miroir des significations que prend notre quotidienneté, joue évidemment un rôle clé en s'imposant comme l'horizon inéluctable de notre destin » (Racine, 1998). Face à la spirale de dénuement dans lequel la vie urbaine plonge désormais les individus, il faut trouver des sens à ces infortunes. Le pourquoi de tous ses lots de malheurs. En effet devant la mauvaise santé, la violence, la pauvreté et son cortège de malheurs, tant les individus que les communautés ressentent permanemment des besoins d'explication et les explications qui souvent viennent à leur esprit sont exprimées en rapport avec des forces invisibles situées au-delà de l'entendement humain et qui sont décidées à nuire aux individus. L'emploi qu'on a longtemps cherché, la maladie qui perdure, la pauvreté qui s'enracine ne doivent plus être expliqués sous un angle rationnel. Le faible niveau d'éducation participe bien à ce fait. 56% des enquêtés ont au plus le niveau primaire avec 7 % de non scolarisés. (Graphique 1). Il faut trouver un bouc émissaire et on y parvient sans détour : les esprits maléfiques, dotés d'intention mauvaise et déterminés à nuire aux humains. Qu'elles relèvent du Vodou, des démons, du diable, des ancêtres, ces forces semblent désormais les responsables du mal urbain. Les 78 % des enquêtés (Tableau 17) qui affirment avoir connu des problèmes spirituels ont indiqués des problèmes tout à fait objectifs qui relèvent de la maladie avec 54 %, de la faillite dans les affaires avec 14 % ou encore des problèmes de foyer avec aussi 14 % de l'effectif (Graphique 4). Expliquer la récurrence des malheurs devient pour les populations un enjeu dont les tenants et les aboutissants sont les esprits maléfiques. Et le fait qu'un mal perdure suffit pour lui attribuer une origine surnaturelle. En effet la persistance des malheurs est mentionnée à 44 % comme signe de manifestation de l'action des forces invisibles, (Tableau 27). Les conditions de vie difficiles dans lesquelles vivent les individus enlèvent dans leur pensée toute notion de hasard, de coïncidence fortuite dans leur tentative de donner un sens à leurs infortunes. L'action des forces occultes entretient désormais un lien de causalité avec cette insécurité matérielle dans laquelle les individus sont plongés. L'action de ces forces dans la vie humaine est généralement admise par nos enquêtés qui croient à 98 % à l'influence des mauvais esprits dans la vie humaine (Tableau 16).Par ailleurs ils sont 96 % à penser à la prédominance des problèmes d'ordre spirituel dans leur entourage (Tableau 28). A croire ces chiffres l'irrationalité s'est désormais établie en ville, cette irrationalité que fuiraient certains ruraux en venant en ville, les suit. La ville, étant un creuset où viennent se fondre toutes les couches sociales et toutes les ethnies. Il est alors évident que certaines habitudes rurales se perpétuent en ville. Et de cette grande hétérogénéité émerge encore des croyances propres au milieu rural. Les individus en venant en ville, trainent avec eux des habitudes, des croyances que l' « urbanisation des moeurs »14(*), c'est-à-dire la diffusion de l' « esprit de la ville », arrive à défaire difficilement. L'urbanisation des moeurs, si elle est manifeste ne se fait pas sans résistances. Comme le rappelle Thierry Paquot (2006) « des décalages, des métissages, des résistances, des refus et des rejets, des coexistences entre pratiques culturelles s'effectuent et colorent le phénomène d'urbanisation ». La ville en tant que cadre, est à la fois active et réactive et le processus d'individualisation comportementale dont il est le théâtre ne se fait pas sans rapport aux éléments culturels antérieurs propres aux individus. Thierry Paquot (op.cit), le souligne si bien en encore en affirmant que « le poids des mythes et des croyances, l'enracinement au lieu et le respect des rituels participent pleinement de cette individualisation comportementale. Le citadin n'apparaît pas d'un coup, soudainement, vierges de traditions, de pratiques ancestrales, de réflexes culturels acquis depuis la prime enfance, il résulte de parcours compliqués où s'entremêlent les valeurs propres à sa communauté aux origines villageoises bien localisées et castiques ». Bien souvent, devant les incertitudes de la vie urbaine, les populations en égrenant le chapelet de souffrances liées à la pauvreté, ne trouve rien de mieux que des explications relevant du domaine de l'incertitude comme la sorcellerie et les autres phénomènes liés à l'action des forces. Et en appuyant Dominique Desjeux, (1987), c'est parce qu'elle intègre le champ de l'incertitude que la sorcellerie reste le discours privilégié pour expliquer les changements modernes. Le fait que l'appréhension de l'insécurité soit plus forte chez les 25 - 40 ans, avec 58% (Tableau 19) est encore significatif du lien entre la pauvreté et l'insécurité spirituelle En effet cette tranche d'âge constitue la tranche active de la population et celle qui est durement touché par les problèmes récurrents d'emploi. Bien que l'incidence de pauvreté (70,3%) pour cette tranche d'âge soit légèrement plus faible par rapport à celle de l'échantillon (73,3%), c'est elle qui ressent plus gravement encore les frustrations nées de la pauvreté car le désir d'affirmation, d'ascension sociale y est encore très grand. Alors faire référence à l'action des forces invisibles pour expliquer leur malheur pour ces individus est toute logique. Les hommes ressentent ici, plus le phénomène que les femmes, 51 % contre 49 % (Tableau 18). Cette distribution, si elle peut être attribuée à la composition de l'effectif total (51 % d'hommes contre 49 % de femmes), n'est pas moins révélatrice de l'intensité du sentiment d'insécurité et de son lien avec les conditions de vie. Le fait est que les femmes sont plus enclines à croire à ces phénomènes surnaturels à causse de leur grande susceptibilité innée. Que les hommes en viennent à les surpasser, se comprend dans la mesure où les difficultés sont plus grandes pour eux, surtout s'ils sont mariés. L'indice synthétique de l'appréhension est de 3,38. Cet indice calculé sur la base des réponses affirmatives aux quatre questions relatives à l'insécurité spirituelle est très fort (Tableau 2). Ce qui témoigne de l'intensité du sentiment d'insécurité spirituelle. Le sentiment d'insécurité spirituelle semble bien l'expression de conditions objectives de vie difficiles. L'incidence de pauvreté de 69 % observée chez les enquêtés affirmant avoir connu un problème spirituel (Tableau 20) ne dément guère ce lien. Plus les difficultés et les malheurs persistent, plus on y voit derrière l'action des forces invisibles. La prévalence et la prépondérance de l'insécurité matérielle contribuent en grande partie aux appréhensions d'autres sources de danger. Mais est-il possible de penser à un lien de type dialectique entre ces conditions de vie difficile et l'insécurité spirituelle ? 5.1.2 Lien dialectique entre les conditions de vie difficiles et l'insécurité spirituelle Au risque de se perdre dans une discussion du genre « entre l'oeuf et la poule, qu'est-ce qui vient en premier ? », il paraît évident que considérer l'insécurité spirituelle comme l'expression des conditions objectives de vie difficiles, n'exclut pas en revanche de penser à une causalité inverse entre ces conditions et l'insécurité spirituelle. Bien que les malheurs évoquées par les enquêtés sont tout à fait objectifs, il serait vraiment difficile de nier, en bon africain, la part des forces invisibles dans l'explication de l'expérience du malheur. « En Afrique, tous les problèmes ont un dessous spirituel » a indiqué l'un des pasteurs interrogés. D'abord deux présomptions de malédiction divine planent respectivement sur la ville et l'Afrique. Le meurtre fondateur qui a présidé à la naissance de la ville, suscite des interrogations quant au lien de la ville avec la violence et la malédiction. Ainsi Caïn tue Abel et s'enfuit loin de la face de Dieu. Il fonde une ville, la 1ere de l'histoire des hommes, qu'il appelle du nom de son fils Hénok. (Genèse 4, 8-17) Cet acte indique-t-il la malédiction divine de Caen et de la ville ? L'idée de la malédiction divine de l'Afrique tient aux lenteurs de l'Afrique et à la résistance de l'Afrique à l'implantation du christianisme contrairement au nouveau monde. Cette idée vient d'un passage de la Bible (Genèse 9, 20-27) « la malédiction de Canaan » : Noé s'étant enivré, s'endort dénudé devant ses enfants ; Japhet et Sem le couvrent mais Cham se moque. A son réveil Noé jette une malédiction sur Canaan (la descendance de Cham) : qu'il soit l'esclave. Au départ il n'y a pas de race mais par la suite on associe à chacun des fils une race, et l'Afrique est Canaan. Il y a donc une généalogie d'idée sur l'Afrique en tant que malédiction. L'Afrique est sous l'emprise des forces du mal. Ensuite, un cas bien particulier a été rencontré dans l'étude. En effet l'un des enquêtés a avoué être un sorcier converti et il a raconté les actes sorcellaires qu'il a effectués de part le passé. « Je rendais les gens stériles en `' mangeant `' l'ovule ou les spermatozoïdes lors des accouplements ». Les phénomènes liés à l'action des forces invisibles dont notamment la sorcellerie sont des faits réels en Afrique. Ses manifestations sont partout présentes. « La sorcellerie est omniprésente en Afrique surtout dans les domaines plutôt moderne. Ses manifestations de plus en plus ouvertes et brutales dans la vie quotidienne, semblent aller de pair avec la détérioration des conditions de vie dans le continent » remarqua P. Geschière (1995) Ici, se développe une philosophie de « crabe » marquée par un nivellement au rabais. On a du mal à accepter l'autre dans ses efforts et dans sa réussite. On lui met les bâtons dans les roues de façon à le réduire au néant. On ne tarde pas à user de magie ou de sorcellerie pour lui nuire, pour régler les comptes. Et surtout dans ce climat d'insécurité dû aux mutations sociales, on a recours volontiers à ces forces qui relèvent de la magie. « L'insécurité qui marque les mutations sociales de l'Afrique ne va pas sans engendrer un regain de recours à la magie que celle-ci soit bénéfique ou maléfique » affirme C.Rivière (1981). Ce fait transparaît chez les populations enquêtées qui croient à 98% (Tableau 16) à l'existence de ces esprits maléfiques. Ceci témoigne bien de la présence de ces forces physiquement absentes mais spirituellement actives. Qu'ils relèvent de la malédiction ou de l'action des individus mal intentionnés, ces phénomènes liés à des forces qui sont au-delà de l'entendement humain, du moins de la rationalisation scientifique ont tant de fois montré leur manifestation qu'on ne doute plus de leur présence, ni de leur capacité à agir. Mais la question centrale demeure la mesure de ces actions dans leur effectivité. C'est ici qu'il faut reconnaître, que pour nous qui sommes dotés d'un esprit cartésien, la science occidentale ne nous a pas pourvus d'instruments appropriés pour traiter avec efficacité de ces phénomènes. Le recours à la « science africaine » paraît donc inévitable. 5.2 Les déterminants de l'insécurité spirituelle 5.2.1 De l'opposition entre science « occidentale » et science « africaine » Les sociétés occidentales modernes se distinguent par un type spécifique de rationalisation du « style de vie » qui se manifeste dans tous les aspects des pratiques sociales. Cette prévisibilité est synonyme d'objectivité c'est-à-dire qu'elle exclut l'intervention de motivations arbitraires. Un autre aspect, plus décisif encore, confère à la rationalité du monde moderne son caractère ambigu. La rationalisation des conduites sociales s'accompagne du développement des sciences et d'une représentation scientifique du monde. Cette dernière s'impose au détriment des mythes et des croyances religieuses. La magie suppose que des forces surnaturelles peuvent être mobilisées par des moyens divers pour prévenir les malheurs, corriger l'injustice, assurer la réalisation des souhaits des individus ou pour se venger, jeter les mauvais sorts, envoûter pour des intérêts égoïstes. Or la science occidentale semble bien souvent expliquer la réalité des phénomènes liés à l'action des forces surnaturelles par l'ignorance des réalités du monde naturel. Elle présuppose que les choses et les événements sont régis par des forces purement naturelles. Celles-ci peuvent être connues et maîtrisées par la science, mais cette maîtrise ne va pas jusqu'à la suppression du mal, de la souffrance et de la mort. C'est-à-dire de tout ce qui, pour l'individu, constitue l'absurde irréductible inhérent à la condition humaine. Ce déterminisme scientifique ne trouve pas d'échos très favorables ici. On y oppose une vision d'ordre mythologique des réalités dans laquelle tout ce qui arrive est déterminé par les forces surnaturelles et surhumaines. Posséder une culture scientifique n'est certes pas le fait de tous, et ici, la maîtrise des enquêtés de la science est très imparfaite (56 % ont au plus le niveau primaire) mais il est évident que la science occidentale semble dépourvue d'outils appropriés pour expliquer les phénomènes liés à l'action des forces surnaturelles. « La science occidentale n'a aucun rôle à jouer car les phénomènes qu'elle étudie et les phénomènes liés à l'invisible sont diamétralement opposés » a rétorquée l'un des pasteurs interviewés. Mais pour l'un des pasteurs interrogés, « Les psychologues peuvent aider à comprendre ces phénomènes liés à l'action des forces invisibles ». Mais il faut remarquer que du point de vue psychologique, tout ce qui semble ridicule superstition pour les occidentaux, prend son sens dans le corpus intégrateur de la magie maléfique et bénéfique par référence aux infortunes de la libido, à la projection des passions, au subconscient des rêves et à la libération de l'agressivité sur son semblable. Cette incapacité de la science occidentale à résoudre les problèmes d'ordre spirituel est comprise par les populations car seulement 5 % des 19 fidèles ayant consulté une autorité extérieure pour des problèmes spirituels, se sont adressés à un médecin. (Graphique 6). Il faut alors faire recours à la religion ou à la science « africaine » représentée par une variété d'autorités indigènes, telles que les guérisseurs traditionnels, les sorciers etc. auxquels « il faut accorder une présomption de crédibilité dans l'explication et la maîtrise des phénomènes `'naturels'' et surtout de maladies. Il faut aussi leur accorder le respect dans la conduite des relations avec les pouvoirs invisibles » (Adam Ashforth, 2000). « Les guérisseurs peuvent aider car ces problèmes ont depuis toujours existé et nos parents s'en remettaient à eux. » ajouta l'un des pasteurs interviewés. Cet avis semble partagé par les enquêtés où 47 % des 19 fidèles ayant consulté une autorité extérieure pour des problèmes spirituels, se sont adressés à un guérisseur (Graphique 6). Cette science « africaine », si elle entend expliquer les phénomènes liés à l'action des forces invisibles et donner des procédures pour les maîtriser, ne manifeste son pouvoir, malheureusement que dans le malheur. Cette opposition entre science occidentale et science africaine contribue certainement à l'intensité de l'insécurité spirituelle. Quels sont les autres facteurs aggravants de cette insécurité ? 5.2.2 Les signes de manifestation de l'action des forces invisibles Reconnaître l'action des forces surnaturelles pose le problème de l'identification des signes de manifestation de ces forces. Les signes d'identification d'un mal spirituel, sont par nature ambigus et leurs interprétations sont pleines d'indétermination car ils représentent ce qui est caché ou invisible. Comment distinguer le naturel du surnaturel ? Les signes de reconnaissance évoqués par les enquêtés révèlent que la frontière entre le naturel et le surnaturel est bien étanche. Très vite le pas est franchi. La subtilité avec laquelle ces forces agissent fait que leurs actions sont plutôt ressenties par les individus qui ne cherchent pas à les définir. Ils les vivent et essayent de construire une certitude face à cette grande incertitude. Ainsi pour C. Rivière (1981), « La sorcellerie met en jeu de manière souvent incontrôlée, des pouvoirs internes (mauvais oeil, double vision, vampire) au psychisme de l'agent qui peut en ignorer l'action. Toujours maléfique pour le groupe social, la sorcellerie agit de manière si subtile que la cause du mal ou désordre (stérilité, mauvaise récolte, faillite dans les affaires, maladie, mort) n'est identifiable qu'après les premiers symptômes apparus ». Derrière cet emploi longtemps recherché, cette pauvreté qui perdure, on voit l'action des forces spirituelles et seule la persistance du mal suffit pour la reconnaitre. En effet pour 44% des enquêtés (Tableau 27), la persistance des infortunes est un signe d'un mal spirituel. Que ce soit à travers le vice dans lequel on s'abandonne et d'où on peine à sortir, le signe d'identification de l'action de forces surnaturelles est vite perçu. En effet, 29% des enquêtés ont évoqués des signes comme les déviances liées à l'alcoolisme et à la drogue. Il faut voir aussi dans les analyses médicales vaines des signes d'identification d'un mal spirituel. La révélation par la prière et les visions permettent aussi d'identifier un mal spirituel (13 %). Les signes de manifestation de l'action des forces invisibles sont bien ambigus. L'indétermination inhérente à leur interprétation est encore renforcée quand on ajoute à ces signes, « L'incapacité des individus possédés à voir les objets religieux comme la Croix du Christ ou à entendre les noms de Jésus ou de Marie. » Le champ des émotions est donc à considérer dans l'identification de l'action des forces invisibles. C'est justement parce que cette identification relève surtout d'un processus psychique, qu'elle contribue de manière significative à l'insécurité spirituelle. C'est par la simple émotion éprouvée que l'individu, membre d'une société qui véhicule les croyances à ces forces sait aussitôt en présence de quoi il se trouve. La signification qu'on donne à un signe particulier, l'attribution qu'on en fait à des forces surnaturelles dépendent du cadre d'interprétation choisi. 5.2.3 Les autorités d'interprétation de la manifestation des infortunes L'un des problèmes souvent rencontré dans l'étude des phénomènes liés aux forces invisibles, est celui des cadres d'interprétation. Si ces forces se manifestent à travers des signes - signes qui ne sont pas le pouvoir lui-même -, il faut des cadres appropriés pour pouvoir interpréter ces signes et en établir les rapports avec les forces situées au-delà de l'entendement humain. Nous distinguons ici à Bè, trois types distincts d'autorités d'interprétation dont les actions sont souvent complémentaires. Chaque cadre a son discours, ses procédures et pratiques qu'il met en oeuvre dans l'interprétation de l'action des forces invisibles et dans la signification du malheur. La première autorité rassemble les docteurs, les infirmiers. Elle se base sur la rationalisation scientifique et se sert d'instruments d'analyse. Au patient, on prescrit une ordonnance et lui administre des médicaments. La deuxième est représentée par les guérisseurs traditionnels. Elle fait des invocations, des sacrifices, des rituels. On prescrit aussi au patient, « des ordonnances », on lui administre des perlimpinpins, des potions, on lui confectionne un talisman. La troisième est l'ensemble des autorités religieuses comme les pasteurs, les prêtres, les bergers, les évangélistes etc. On sert de la prière, des visions, des rituels et on prescrit aussi des « ordonnances ». Chacune des trois autorités affirment détenir la vérité quant à l'explication des malheurs sans que les individus victimes de ces malheurs ne leur accordent cette légitimité. Les guérisseurs traditionnels et les autorités religieuses constituent très souvent les recours pour des problèmes d'ordre spirituel. Ce que traduit le tableau 21 où les 35 enquêtés affirmant s'être confrontés à un problème spirituel, ont d'abord consulté à 97% les autorités religieuses. Mais faute de pouvoir toujours compter sur ces autorités, comme le montre le tableau 22 où ils estiment avoir toujours satisfaction seulement 66%, ils font recours à d'autres autorités en dehors de celles de leur église. En effet, selon le tableau23, 19 des 35 enquêtés soit 54% ont consulté des autorités autres que les leurs. Par ailleurs 47 % des 19 fidèles se sont adressés à un guérisseur spirituel (Graphique 6). Ces chiffres montrent bien qu'aucune autorité ne semble faire l'unanimité quant à ses capacités à résoudre seule les problèmes liés à l'action des forces invisibles. D'autres encore, allient tout simplement autorités traditionnelles (guérisseurs) et autorités religieuses (pasteurs, prêtres etc.) pour trouver des solutions à leurs problèmes spirituels. Cette catégorie de fidèles témoigne de ce qu'appelle K.A. Amouzou (1979), les croyants occasionnels15(*) , qui ne font recours aux croyances traditionnelles que dans certaines circonstances de leur vie et, notamment, en cas de malheur. Les individus dans leur recherche désespérée de solutions à leurs problèmes qu'ils supposent spirituels vont d'autorité en autorité sans avoir toujours satisfaction. C'est ce révèle le tableau 25, dans lequel les 19 fidèles qui ont consulté une autorité extérieure, affirment n'être satisfaits qu'à 47 %. La situation qui prévaut est celle donc de l'absence d'une autorité dominante d'interprétation de l'action des forces invisibles. Ceci concoure à l'intensité du sentiment d'insécurité spirituelle. Mais au-delà de cette absence d'un cadre dominant, les divers mouvements des individus entre les différents types d'autorité révèlent que l'identité religieuse reste en permanente négociation et que l'influence de la religion traditionnelle est bien rémanente. « Sans que les acteurs s'y réfèrent explicitement, la religion traditionnelle influence le parcours des individus et malgré le prosélytisme chrétien et la pression diffuse musulmane, la religion traditionnelle reste en arrière-fond de toutes les autres » confirme Kartin Langewiesche (2001). Les modes de compréhension de l'action des forces invisibles concourent à l'intensité du sentiment d'insécurité spirituelle. Quelles sont alors les incidences de ce sentiment sur les individus et les communautés ? 5.3 Les incidences du sentiment d'insécurité spirituelle 5.3.1 Les incidences psychologiques Les individus devant l'incertitude de l'action des forces invisibles, tentent néanmoins de se construire une confiance, une certitude face à la plausibilité des manifestations des forces invisibles dans leur vie et le doute vis-à-vis de leurs actions. Cette situation génère alors une tension psychologique qui très vite se transforme en anxiété quotidienne. Adam Ashforth qualifie cette forme d'anxiété d'« anxiété épistémique ». C'est une peur provoquée par la conscience de sa vulnérabilité vis-à-vis des actions des forces invisibles capables de faire le mal, par le doute de ses connaissances sur la nature et les objectifs de ces forces invisibles et/ou par une certitude bien fondée face au danger. En se référant toujours à Ashforth, elle provient de cinq sources principales qui sont l'ignorance, l'indétermination, l'intimité, le secret et le mystère. Les lois qui gouvernent l'action des forces invisibles sont bien souvent ignorées du commun des individus. Aussi, il existe une indétermination inhérente à tout schéma d'interprétation dès qu'il s'agit de lire les signes indiquant l'action des pouvoirs invisibles. Le signe n'est pas le pouvoir lui-même, il n'est que la manifestation de ce qui est caché, de ce qui est invisible. Les opérations des forces derrière les signes et les actions des personnes en communication avec ces forces sont souvent voilées dans un secret impénétrable. C'est ce secret qui garantit l'autorité et le pouvoir du cadre d'interprétation. Il faut alors pour avoir les connaissances requises pour agir contre le pouvoir de ces forces invisibles, entrer dans une communication particulière avec les êtres supérieurs. C'est cette intimité avec les forces relevant aussi du domaine de l'invisible qui assure la compréhension et la maîtrise de l'action des forces invisibles. L'invisible a besoin de l'invisible pour être compris, interprété, maîtrisé. Une intimité presque complice doit être établie. Il faut pour pénétrer le mystère entourant ces forces et leurs actions, s'engager aussi dans des forces relevant du domaine de l'« inconnaissable ». Ces cinq sources principales contribuent à l'anxiété dans laquelle vivent les individus. Ici à Bè, cette anxiété, bien que diffuse reste pourtant perceptible. Les réactions de méfiance, de peur, des enquêtés vis-à-vis de l'évocation de ces phénomènes liés à l'action des forces invisibles, sont expressives de cet état d'anxiété. « Vous êtes sur un terrain glissant » a indiqué une des personnes ressources consultées, pasteur de son état. Un fait probant de la délicatesse et de la peur vis-à-vis des phénomènes relevant du domaine de l'invisible. A un autre pasteur de renchérir, « Les individus vivent dans la peur de ces forces invisibles». Cependant si toutes les autorités religieuses interviewées reconnaissent l'existence de cette peur, elles la dénoncent aussi. Elles y voient l'expression de l'ignorance des fidèles et de leur manque de confiance dans les pouvoirs de Dieu. « Les fidèles ont peur par ignorance car un enfant de Dieu ne doit pas craindre ces forces parce que Dieu est dessus de tout ». Cette anxiété, sans pour autant devenir une angoisse existentielle, ni un épiphénomène, est effective et pose le plus souvent le problème des rapports de l'individu avec la société dans laquelle il vit. 5.3.2 L'insécurité spirituelle et restructuration des liens sociaux « Le plaisir qu'il y ait de l'autre, serait-ce l'essence de la civilisation urbaine ? » demande J.P. Dollé (1990) Les mutations sociales urbaines ont exacerbé la pauvreté urbaine et provoqué des changements comportementaux. Elles ont aussi touché la sphère interrelationnelle en impliquant une restructuration des liens sociaux. Si le sentiment d'insécurité spirituelle s'est amplifié avec la détérioration des conditions de vie, il doit avoir aussi un rapport avec les changements interrelationnels, tant qu'il est démontré aujourd'hui l'existence d'un rapport entre ces changements et la crise urbaine. En effet, les individus en donnant des explications métaphysiques à leurs malheurs, le font bien souvent dans un rapport avec leur famille, leur communauté, bref leur société. Ces malheurs pour eux, proviennent des mauvaises intentions à leur égard, des membres de leur société, qui mobilisent des forces surnaturelles pour leur nuire. Ces faits sont traduits par le Graphique 5 où la famille est désignée à 60 % comme provenance du malheur, suivi de la communauté à 20 %. Aucune sphère relationnelle n'est épargnée, la famille, la communauté, les amis, les collègues, tous sont indexés. « Les sorciers existent et viennent même dans l'église pour poursuivre parfois leurs victimes » a témoigné un des pasteurs enquêtés. Très vite la rupture des liens affectifs avec les membres suspectés est consommée. « Une subtile quarantaine isole le groupe ou l'individu qui fait l'objet de diagnostic, gêne ses échanges et ses liens et alliances ultérieurs » confirme Lallemand (1988). Un climat de méfiance, de suspicion s'installe. Cette attitude de méfiance est d'ailleurs recommandée à 4% par les enquêtés comme disposition à prendre contre les problèmes spirituels (Tableau 29). Cette suspicion permet de briser les relations devenues intolérables sans que le résultat soit tenu pour de véritable offense, notamment dans le cas de rapports qui sont censés impliquer sinon une affection, du moins un support mutuel. Ainsi par accusation de sorcellerie, se règlent des hostilités entre frères à propos de l'héritage, ou plus fréquemment entre femmes d'un même homme, ce qui justifie parfois la répudiation. La suspicion de sorcellerie se situe particulièrement là où se trouve la rancune et là où il n'y a pas d'issue juridique pour se débarrasser d'un mal. Ainsi « le domaine de la sorcellerie implique le prompt mélange des représentations avec les faits concrets. La suspicion active dans une famille, n'est pas expectation détachée mais cauchemar immédiat, insupportable défiance vis-à-vis du proche, destruction des liens nécessaires de la quotidienneté » (op.cit.) L'appréhension de l'insécurité spirituelle participe donc à la rupture des liens sociaux surtout primaires. « Les individus fuient leur communauté ou leur famille » a indiqué un des pasteurs enquêtés. En effet la faible proportion des autochtones dans les églises (Tableau 14), si elle traduit l'aspect cosmopolite du quartier et l'attachement des autochtones à leur tradition, cache le fait que les jeunes de Bè fuient le quartier justement pour cause de l'insécurité spirituelle. Surpassant les frontières de leurs multiples dénominations et particulièrement celles de leurs tendances théologiques, bien des églises réactualisent aujourd'hui, la parole biblique en essayant de répondre au véritable défi de la détresse urbaine : comment `'vivre ensemble'' malgré tout. Les pasteurs font désormais des lieux de culte des espaces sociaux qui remplissent des fonctions compensatrices et régulatrices des tensions urbaines. Dans espaces sociaux se créent de nouveaux réseaux sociaux qui ne sont plus basés sur l'appartenance ethnique, le partage du sang ou la solidarité laïque, mais sur le baptême reçu. De nouvelles fraternités en christ se forment. Ces nouveaux liens ne se font pas sans rapport avec l'insécurité spirituelle. En effet, dans ces églises et sectes se divulgue une culture de l'«omniprésence du démon ». Le démon aurait désormais quitté les lieux qui lui étaient autrefois dévolus pour habiter les hommes, dans les membres de la famille, de la communauté etc. Il s'en suit alors une rupture des liens de solidarité avec les membres de la famille au profit des liens avec les coreligionnaires. Tout ce qui est différent, étranger à nos croyances religieuses, à notre église, à notre groupe spirituel doit être diabolisé. C'est ainsi que les activités culturelles et traditionnelles sont délaissées par la plupart des fidèles parce qu'on y voit des parades du diable ou du mal. « Abandonner les traditions ancestrales » a conseillé un des pasteurs interviewés comme solution contre les problèmes spirituels. Les individus se coupent alors de leur milieu d'origine, le privant ainsi des opportunités de développement. « Les villages ne se développent pas car les individus ont peur d'être attaqués en investissant dans les villages » faisait remarquer un des pasteurs enquêtés. La construction de l'altérité, c'est-à-dire du « moi et les autres » ou encore du « nous et les autres » se nourrit donc du sentiment d'insécurité spirituelle. Les églises et la religion sont les moteurs de la restructuration des liens sociaux et l'insécurité spirituelle le carburant. Dans un tel contexte, quelles peuvent être alors, les motivations des individus vis-à-vis de leur affiliation aux églises ? 5.4 Insécurité spirituelle et dynamiques religieuses « La religion procure à l'homme un sentiment de sécurité, dans un monde naturel qui peut lui paraître dangereux dans la mesure où il n'en est pas le maître absolu, et dans une société où elle tente de régler les rapports entre les hommes. Elle répond ainsi à des anxiétés individuelles autant qu'aux angoisses collectives » écrivait Merlin (1973) Les récentes et extraordinaires effervescences religieuses, qu'elles tiennent de l'affiliation massive des populations aux églises et groupes spirituels, de l'intensification des pratiques religieuses, des incessants mouvements de conversion et de reconversion, ou encore du pluralisme religieux, impliquent bien souvent des interactions entre les différentes religions. En effet ici à Bé, foisonnent les églises et groupes spirituels de toute tendance théologique. On y dénombre en grande quantité des églises chrétiennes évangéliques protestantes qui sont essaimées un peu partout dans le quartier. Les croyances et les religions d'origine orientale, comme le bouddhisme, l'hindouisme, le yoga..., si elles étaient, il y a quelques années rares voire absentes, ne se contentent plus de la cuillère de bois. Elles mobilisent elles aussi, une frange de plus en plus croissante de la population. Les frontières entre les différentes religions si elles existent encore dans les discours officiels, sont de plus en plus franchies par les individus. On assiste alors à des conversions et des reconversions. C'est ce que traduit le Graphique 2 où 51 % des enquêtés fréquentent leur église depuis moins de 5 ans. C'est un ensemble de nouveaux convertis et de ceux qui ont quitté d'autres églises ou groupes spirituels. Témoignant ainsi de la grande mobilité religieuse. Plus encore, les pratiques religieuses s'intensifient. On prie aujourd'hui plus qu'avant. On fréquente des centres de prière (Tableau 32) et on participe à des veillées de prière (Tableau 34). La lutte contre le démon, le diable, les esprits mauvais qui ne sont trop présents devient, comme il sera démontré plus tard dans l'analyse, un crédo qui gouverne aujourd'hui l'affiliation religieuse des individus et les pratiques religieuses. Ces transformations dénotent surtout d'un changement dans les structures mentales où la religion retrouve toutes ses fonctions symboliques, en essayant généralement de donner un sens au monde et à l'action des hommes. C'est donc un processus de ré-enchantement du monde qui est à l'oeuvre, et la référence à l'action des forces invisibles dans le monde tangible, participe certainement à ce processus. « De façon plus générale, la résilience de la sorcellerie participe d'un ré-enchantement du monde également sensible sous d'autres latitudes » appuie Geschière (2000). Le recours à la religion s'exprime souvent comme la recherche d'une solution aux convulsions, aux contingences et aux contraintes quotidiennes que vivent les individus. Comme l'exprime Merlin (op. cit.) « La religion apparaît ainsi comme la réponse de l'homme aux exigences mêmes de sa propre condition » Ici à Bè, aussi bien dans les sphères profanes que religieuses, l'expérience du malheur est généralement, plus perçue comme l'expression de l'agression des esprits malveillants, la méchanceté d'un tiers qui opère par l'entremise d'un pouvoir maléfique, la manifestation d'une malédiction divine. Contre ces forces dotées d'intentions mauvaises et relevant des sphères au-delà de l'entendement humain, on oppose la religion. En effet les motivations derrière l'affiliation religieuse des populations enquêtées, témoignent bien de ce fait. Pour 55% d'entre eux (Tableau 31), les raisons évoquées sont liées à la recherche de solution contre l'insécurité spirituelle. Par ailleurs, 73 % d'entre eux (Tableau 30) pensent que c'est la recherche de protection contre les forces maléfiques qui poussent les populations à fréquenter de plus en plus les églises aujourd'hui. Un constat s'impose, ici les individus sont aujourd'hui, moins motivés par la quête de sens que par le besoin de régler des problèmes personnels qu'ils supposent liés à l'action des forces invisibles. Aussi, si le lien entre l'affiliation religieuse et la pauvreté est démontré, il s'avère que ce n'est pas la pauvreté et ses lots de misère, qui poussent les individus à s'affilier aux églises mais plutôt l'interprétation qu'ils font de leurs conditions de vie difficiles. Ces conditions sont généralement reliées à l'action des forces invisibles contre lesquelles des pratiques religieuses et spirituelles s'organisent. L'intensification des pratiques religieuses n'est pas sans rapport avec le sentiment d'insécurité spirituelle. En effet, 27 % des enquêtés (Tableau 33) fréquentent un centre de prière dans le but de se protéger contre les forces maléfiques et 71 % (Tableau 35) participent aux veillées de prière avec pour objectif de trouver des solutions contre l'insécurité spirituelle. Le phénomène étant bien compris par les pasteurs, ils rivalisent d'ardeur dans l'art de chasser le démon, de faire des miracles, d'effectuer des guérisons spirituelles et attirant ainsi une population désemparée face à la prévalence du malheur et parfois en mal de sensations fortes. Ce sentiment d'insécurité spirituelle est récupéré, amplifié, instrumentalisé et injecté aux individus de manière tacite et/ou brutale par la plupart de ces pasteurs. On s'y base pour construire un discours sur mesure qui ne manque pas de séduire les populations déjà prédisposées. Les messages de prédiction sont truffés du nom de Satan qu'on scande à chaque bout de phrase, donnant l'impression que les cultes sont plutôt dédiés à Satan qu'à Dieu. Les lieux religieux en l'occurrence les églises et les centres de prière sont pris d'assaut par les populations, provoquant la création de paroisses secondaires pour désengorger les paroisses principales débordées par le flux important de fidèles. Ce qui justifie d'une part la prolifération de structures religieuses. Ce n'est pas la pauvreté - du moins pas directement - qui pousse les individus à s'affilier aux églises et aux nouvelles formes de croyance, mais plutôt l'interprétation que ces individus font de leur état de pauvreté. Ces conditions de vie précaires pour eux sont causées par l'action malveillante de forces invisibles contre lesquelles ils cherchent des protections en s'affiliant aux églises. La pauvreté en tant que moteur de la dynamique religieuse observée ici, se nourrit de l'insécurité spirituelle qui en est le carburant. * 10 Premier prêtre natif du Togo, ordonné en 1928, décédé en 1960. il publia d'abord ses études dans des articles de la revue catholique en éwé Mia Holo, dans les années 1930, puis les reprit en livre en 1948. * 11 Joseph Gugler et Gudrun Ludwar-Ene, « Plusieurs chemins mènent les femmes en ville en Afrique subsaharienne », in H. d'Almeida-Topor et Riez eds, Cahier du groupe Afrique noire de l'université Paris 7, n°13, 1992, pp. 27-40 * 12 Selon l'Encyclopédie informatique Encarta 2008 * 13 DGSCN, Profil de Pauvreté 2006 établi à partir de l'enquête QUIBB * 14 Cf. Homo Urbanus. Essais sur l'urbanisation des moeurs et du monde, par Thierry Paquot, le Félin, 1990. * 15 K.A. AMOUZOU, 1979, Les croyances traditionnelles chez les Bè du Togo, p.253 |
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