CONCLUSION
Au départ de cette étude était la
question de savoir les motivations qui poussent les individus à
s'affilier de plus en plus aux nouvelles formes de croyances dans la ville en
Afrique sub-saharienne. Remarquant les conditions socio-économiques
délétères dans lesquelles vie aujourd'hui une proportion
croissante de citadins, et la permanente référence faite aussi
bien dans les milieux profanes que religieux, à l'action des forces
invisibles dans l'explication des malaises due à la crise urbaine, nous
avons estimé que cette question soulève une problématique
plus large des rapports entre la pauvreté, l'insécurité
spirituelle et la dynamique religieuse en cours dans les milieux urbains. Pour
y répondre, nous avons émis une hypothèse globale selon
laquelle l'insécurité spirituelle que ressentent les individus
les pousse à s'affilier à de nouvelles formes de croyance. Cette
insécurité spirituelle qui est une condition de danger, de doute
et de peur liée à l'action des forces invisibles, est
déterminée par d'autres facteurs. Ce qui justifie la formulation
des hypothèses spécifiques. La première hypothèse
spécifique a trait au lien entre la pauvreté et
l'insécurité spirituelle et s'exprime en termes de la
prédominance de l'insécurité matérielle qui pousse
les individus à penser à des sources de dangers invisibles. La
deuxième hypothèse spécifique estime que
l'ambiguïté des signes de manifestation de l'action des forces
invisibles contribue au sentiment d'insécurité spirituelle. La
troisième stipule que l'intensité de l'insécurité
spirituelle s'accroît avec l'absence d'une autorité dominante pour
interpréter les manifestations des infortunes. Et enfin une
dernière est formulée selon laquelle le sentiment
d'insécurité spirituelle a des incidences sur les individus et
les communautés.
Pour donner forme à toutes ces hypothèses,
quatre modèles d'analyses ont été construites. Le premier
s'attache à la pauvreté monétaire, le second à
l'insécurité spirituelle et les deux derniers
s'intéressent à deux aspects de la dynamique religieuse plus
précisément l'affiliation et la pratique religieuses.
En nous inspirant d'une analyse statistique des principaux
résultats obtenus, nous avons estimé chaque modèle et
identifier les variables qui l'influencent.
L'étude dans sa démarche s'est voulue composite
en intégrant les interprétations idéalistes et
matérielles, les approches qualitatives et quantitatives. Elle s'est
étendue à 48 enquêtés dont 45 fidèles et 3
autorités religieuses, sélectionnés dans 3 églises
de confession théologique différente, localisées dans 3
sous-quartiers de Bè.
Soumis à l'épreuve des faits, les modèles
se sont avérés performants.
Des caractéristiques de notre échantillon, il
apparaît que nous avons une incidence de la pauvreté de 73,3%, ce
chiffre largement supérieur à celui de la moyenne nationale en
zone urbaine (36,8%), n'est pas au contraire loin de la moyenne nationale en
zone rurale (74,3%). Ce qui atteste du statut de notre site d'enquête en
tant que zone rurale en pleine ville.
L'insécurité spirituelle si elle est
réelle, son intensité est largement décuplée par la
prédominance de l'insécurité matérielle
(pauvreté et les malheurs s'y afférant), l'ambiguïté
des signes de manifestation de l'action des forces invisibles, et l'absence
d'une autorité dominante pour interpréter les manifestations des
infortunes.
Elle provoque chez les individus un état
d'anxiété découlant d'une psychose vis-à-vis de
l'action de ces forces. Alors les liens sociaux dans les familles, les
communautés s'en ressentent énormément.
L'insécurité spirituelle participe à la rupture des liens
primaires en faveur de liens secondaires basés le plus souvent sur la
fraternité religieuse.
L'affiliation et la pratique religieuse sont aussi,
tributaires dans une large mesure de la recherche des solutions contre
l'insécurité spirituelle que ressentent les individus.
En somme, toutes nos hypothèses sont
vérifiées et nos objectifs atteints. Mieux, le double rôle
de carburant de l'insécurité spirituelle dans les
restructurations des liens sociaux et dans l'affiliation religieuse, est
révélé. Ce n'est pas tant la pauvreté qui
détermine l'affiliation religieuse - même s'il existe de fortes
corrélations - mais l'interprétation que les individus se font de
leur état de pauvreté. Tant qu'ils conçoivent la
prévalence de la pauvreté comme relevant de l'action
néfaste des forces invisibles, ils y cherchent des solutions en
s'affiliant aux églises et à de nouvelles formes de croyance.
La lutte contre la pauvreté doit donc retrouver toutes
ses prérogatives car la pauvreté en plus de ses méfaits
matériels sur les individus, les plonge dans un état diffus de
psychose et tension psychologique.
Il s'avère aussi important de revoir les cadres
institutionnels et juridiques qui gouvernent la création des
églises afin de limiter et de prévenir les dérives qui
peuvent découler de ce foisonnement effréné de structures
religieuses.
Notre étude cependant ne porte que sur la ville de
Lomé, ce qui ne nous permet pas d'extrapoler les résultats
obtenus sur l'ensemble du pays. En outre, puisqu'il n'existe aucune source
fiable donnant la répartition proportionnelle exacte de chaque religion
dans la ville de Lomé, il est difficile d'affirmer que les proportions
que nous avons utilisées dans cette étude sont
représentatives de la constitution proportionnelle exacte des religions
dans la ville.
Ces résultats appellent donc des études
supplémentaires sur l'ensemble du pays pour d'une part, estimer les
proportions religieuses exactes par répartition géographique et,
d'autre part confirmer le rôle de l'insécurité spirituelle
dans l'affiliation religieuse à l'échelle du pays. Enfin, il nous
semble aussi important de souligner la nécessité de mener des
études permettant de voir dans quel sens nos pratiques traditionnelles
peuvent participer au développement de notre pays car il est aussi
posé en filigrane à travers cette étude, la question du
devenir de nos traditions qui sont de plus en plus reniées parce que
considérées comme les vecteurs de l'insécurité
spirituelle. « On peut regretter l'existence de ces forces, mais
elles sont si étroitement liées à toute forme de pouvoir
qu'elles sont essentielles au fonctionnement de la
société. » rappelait C. Menning
(2000)
La question du devenir de la ville trouve aussi un écho
implicitement dans l'étude, dans la mesure où la religion en se
voulant sociale, se donne « pour objectif de résoudre les
problèmes inhérents aux conditions du développement de la
ville et de ses contradictions, tant spatiales que sociales, en voilant ou
déplaçant subrepticement le lieu même de l'explication du
mal urbain » (J.J Wunenburger, 1979).
Doit-on donc transformer l'espace pour changer le contenu de
la vie sociale, de la ville pour changer la vie, ou, à l'inverse,
transformer la société pour changer le contenu de l'espace,
changer la vie pour changer la ville ?
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