Pauvreté, Insecurité spirituelle et Dynamique religieuse: Cas de Lome, exemple du quartier Be( Télécharger le fichier original )par Yao HOUKPATI Universite de Lome/ Togo - Maitrise es Lettres en Sociologie Urbaine 2008 |
UNIVERSITE DE LOME FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE PAUVRETE, INSECURITE SPIRITUELLE ET DYNAMIQUE RELIGIEUSE : CAS DE LA VILLE DE LOME, EXEMPLE DU QUARTIER BE MEMOIRE POUR L'OBTENTION DU DIPLOME DE MAITRISE ES - LETTRES OPTION : SOCIOLOGIE URBAINE Présenté et soutenu par Sous la Direction de Yao HOUKPATI Palamangue NADJIR Maître Assistant au département de Sociologie Décembre 2008 DEDICACEA ellui1(*), notre moi le plus profond, A ma mère, à qui je voue beaucoup d'admiration pour son sacrifice et son amour, A tous ceux qui ont fait de moi ce que je suis aujourd'hui, A eux tous je dédie ce mémoire avec mon humble estime et ma profonde gratitude. REMERCIEMENT Je veux exprimer ici, ma sincère gratitude à mon directeur de mémoire, Monsieur Palamangue NADJIR, qui par sa grande disponibilité, sa profonde humilité et son sens aigu du travail bien fait et fini, a rendu possible la réalisation de cette recherche. En plus d'un enseignant attentionné, j'ai trouvé en lui un père, un ami. J'adresse également mes profondes reconnaissances à tous mes enseignants, pour l'esprit d'abnégation dont ils ont fait preuve tout au long de ma formation. A vous mes camarades de promotion et plus particulièrement à mes amis de la sociologie urbaine, ce mémoire témoigne mieux que tout discours de mes remerciements les plus sincères. A mes cousins Germain GOMADO et Patrick DOGBE, pour leur soutien indéfectible, A mes frères et ma famille, pour les sacrifices qu'ils n'ont cessés de consentir pour moi, A tous ceux qui de quelque manière ont contribué à la réalisation de cette recherche, je tiens à témoigner mes gratitudes infinies. HOUKPATI Yao SOMMAIREDEDICACE 2 REMERCIEMENT 3 SOMMAIRE 4 LISTE DES SIGLES ET ACRONYMES 5 INTRODUCTION 6 1ère PARTIE: Cadres théorique, conceptuel, méthodologique et physique de la recherche 9 1er Chapitre: Cadres théorique et conceptuel de la recherche 10 2e Chapitre: Cadre physique de la recherche 28 3e Chapitre: Cadre méthodologique de la recherche 37 2e PARTIE: Présentation, Analyse et Interprétation des résultats 52 4e Chapitre : Présentation et Analyse des résultats. 53 5e Chapitre: Interprétation des résultats 73 CONCLUSION 89 BIBLIOGRAPHIE 93 ANNEXES 97 TABLE DES MATIERES 106 LISTES DES SIGLES ET ACRONYMESCCB : Centre Communautaire de Bè CCF : Centre Culturel Français CHU : Centre Hospitalier Universitaire CIP : Centre d'Information Publique COOPEC : Coopérative d'Epargne et de Crédit DGSCN : Direction Générale de la Statistique et de la Comptabilité Nationale FLESH : Faculté des Lettres et Sciences Humaines PNUD : Programme des Nations Unies pour le Développement QUIBB : Questionnaire Unique sur les Indicateurs du Bien être UTB : Union Togolaise de Banque INTRODUCTIONLa présente étude entend s'appesantir sur l'insécurité spirituelle dans les milieux urbains africains, en l'analysant sous le prisme de ses rapports avec la pauvreté et les dynamiques religieuses. Il s'agit de démontrer les liens qui existent entre les doutes, les dangers, les craintes d'origine invisible et les conditions défavorables de vie des populations d'une part, et d'autre part, entre les vitalités religieuses dont la ville est le théâtre. Ce qui est visé c'est l'intelligibilité des dynamiques religieuses en situation d'insécurité tant matérielle que spirituelle. En effet les villes africaines connaissent un bouillonnement religieux sans précédent en faisant un pied de nez à Harvey Cox (1965) avec sa « théorie de sécularisation »2(*) qui voudrait que les sociétés deviennent de plus en plus laïques en se modernisant. Beaucoup d'observateurs à l'instar de Harvey Cox, avaient pronostiqué la mort de Dieu et annoncé avec assurance le crépuscule du phénomène religieux. D'après eux les Églises étaient vouées au déclin et leur arrêt de mort était signé. Longtemps encore, les mutations religieuses semblaient leur donner raison. De fait, une moyenne de cinquante-trois mille personnes en Europe quittait régulièrement les églises d'un dimanche à l'autre3(*). Néanmoins ces théories religio-succidaires sont battues en brèche en Occident par les récents développements des mouvements religieux évangéliques et pentecôtistes. Elles le sont encore plus dans les pays africains, en particulier ceux au sud du Sahara où le pluralisme religieux, les conversions individuelles et la mobilité religieuse marquent incontestablement « un retour du religieux » ou plutôt une « recomposition du religieux » dans un environnement de difficultés économiques et sociales. Le Togo et en particulier Lomé, sa capitale, n'échappent guère à la prolifération des églises indépendantes de tout genre, surtout évangéliques et pentecôtistes. Pas un quartier ou un secteur ne leur échappe. Par exemple, les malades dans les CHU de Lomé reçoivent la visite des «diseuses de prières» qui ne manquent pas de faire un peu de prosélytisme au passage. Lomé compterait aujourd'hui plus de 500 églises4(*).On prie et on fréquente plus les lieux religieux en l'occurrence les églises plus qu'il y a quelques années. Sur les frontons des magasins, des ateliers, des maisons, des pharmacies, ou sur des véhicules, des noms théophores ou ayant trait au religieux ou encore des références bibliques sont inscrits. Le démon ou le diable devient partout présent et encore mieux le responsable des malheurs que connaissent les populations. Il s'avère alors nécessaire de comprendre ces dynamiques religieuses qui s'insèrent dans un contexte général d'insécurité matérielle aggravée par la présomption d'une insécurité spirituelle. D'où le thème de notre étude « Pauvreté, Insécurité spirituelle et Dynamique religieuse : Cas de la ville de Lomé, Exemple du quartier Bè ». Tous les auteurs qui ont eu à étudier ces transformations religieuses, ont le plus souvent et presque exclusivement privilégié les facteurs économiques dans l'explication du phénomène. La ville africaine, en concentrant une population de plus en plus importante de migrants venant des zones rurales, devient incapable à offrir des emplois rémunérés à tous les demandeurs et aussi les services de base les plus élémentaires. Par exemple, les migrants représentent en 20015(*), 48% de la population de Lomé. S'installent alors les problèmes de tout genre à savoir les problèmes de logement, de santé, d'emploi... qui font que la ville devient un lieu de calvaire pour une bonne frange des populations urbaines, qui ploie sous le poids de la pauvreté et son cortège de misères. Des stratégies de survie sont alors définies par les jeunes citadins. C'est ainsi que certains jeunes urbains clochardisés, souvent diplômés mettent en place des structures religieuses qui leur permettent de s'approprier les offrandes, des dîmes et autres dons des fidèles. Or, non seulement « l'insécurité qui marque les mutations sociales de l'Afrique ne va pas sans engendrer un regain de recours à la magie, que celle-ci soit bénéfique ou maléfique » (C. Rivière, 1981) mais en plus, l'on sait que les arts de faire, d'agir et de penser qui meublent le quotidien des individus en Afrique participent massivement à la structuration du champ religieux. Et c'est vers ces éléments culturels que la présente étude entend se tourner pour comprendre les dynamiques religieuses à l'oeuvre dans la crise actuelle qui secoue nos villes. C'est donc une approche basée sur des processus endogènes du changement social, c'est-à-dire des processus déterminés par des causes internes à un système social. Elle se veut une interprétation idéaliste des transformations sociales notamment religieuses (pour laquelle les « idées » sont le facteur décisif) contre une interprétation matérialiste (pour laquelle ce sont les « intérêts » qui jouent ce rôle). Ces éléments culturels qui relèvent de la croyance en des forces invisibles qui présideraient surtout aux infortunes des populations, suscitent en elles des sentiments de craintes, de doutes, de dangers ingérables. Ce sont donc ces conditions de doutes, de craintes et de dangers ingérables liés à l'action des forces invisibles, que nous appelons l'insécurité spirituelle. Ce sentiment d'insécurité spirituelle est-il simplement l'expression de conditions « objectives » de pauvreté, de souffrance, de maladie et de violence ? Y-a-t-il alors un parallèle à mettre entre l'affiliation massive des populations aux nouvelles formes de croyances et le sentiment d'insécurité spirituelle ? Quelles sont les incidences de ce sentiment sur les individus et les communautés ? Pour examiner le rapport entre cette insécurité et les dynamiques religieuses, une hypothèse nous sert de fil d'Ariane: le sentiment d'insécurité spirituelle que ressentent les individus les pousse à s'affilier à de nouvelles formes de croyances. Il est crucial aussi d'analyser le rapport entre cette insécurité et la pauvreté, de déterminer les facteurs aggravants de cette dimension de l'insécurité et enfin de montrer les incidences du sentiment d'insécurité spirituelle sur les individus et les communautés. L'étude suggère alors que la prédominance de l'insécurité matérielle pousse les individus à penser à des sources de dangers invisibles. Aussi bien l'ambiguïté des signes de manifestation de l'action des forces invisibles que l'absence d'une autorité dominante pour interpréter ces signes contribue à l'intensité de l'insécurité spirituelle. Le propos de ce travail se tient en deux parties dont la première comporte trois chapitres et la seconde deux chapitres. Si la première partie se veut descriptive, en situant les cadres théorique, conceptuel, méthodologique et physique de la recherche, la seconde se veut analytique et vise la présentation, l'analyse et l'interprétation des données recueillies par l'enquête. PREMIERE PARTIE : Cadres Théorique, Conceptuel, méthodologique et Physique de la recherche 1er Chapitre : Cadres Théorique et Conceptuel de la recherche
La ville est généralement perçue comme le siège et le moteur de nombreux changements sociaux en particulier religieux. Les dynamiques religieuses en vogue dans les milieux urbains en Occident sont caractérisées par une désaffiliation massive des individus, un retour à la laïcité, une diminution de l'intensité des pratiques religieuses et un retour plus ou moins timide du religieux, marqué par la présence de nouvelles églises évangéliques. Cette désaffiliation bien qu'importante et réelle en Afrique surtout en zone urbaine, concerne surtout les églises « traditionnelles » et n'est pas aussi prononcée qu'en Occident. Ici, elle est compensée par une prolifération délirante des églises de tout genre notamment celles qualifiées d'«églises de réveil » voire de « sectes », par une adhésion massive, presque pathologique des individus à ces nouvelles formes de croyance et par l'omniprésence du démon. Ces transformations contemporaines semblent, d'une part sonner le glas à la plupart des croyances et pratiques traditionnelles, en particulier religieuses qui sont tout simplement appelées à disparaître. Du moins celles considérées comme antagonistes à l'esprit de la ville qui se veut rationnel ou celles perçues comme un frein au développement de l'Afrique. D'autre part, elles interrogent aussi bien les sphères individuelles que les sphères communautaires d'interaction face aux mutations qui se déploient au carrefour de plusieurs évolutions. Les individus prennent de plus en plus de distances par rapport aux anciennes normes religieuses. Ils se convertissent, se reconvertissent. Les pratiques et croyances religieuses se privatisent en mettant l'accent sur l'épanouissement personnel. Les organisations religieuses se multiplient tout en essayant de compenser et de réguler les tensions urbaines. L'importance des processus de recomposition et de diversification religieuses, des changements socio-économiques qui affectent de nombreux pays africains, la présence croissante d'acteurs vivant dans une précarité matérielle et qui se réfèrent à des sources invisibles dans l'explication de leurs situations dans les espaces urbains de ces pays - donnant parfois l'impression d'une saturation de la ville par l'irrationnel - justifient un intérêt pour l'étude des liens entre la pauvreté et l'insécurité spirituelle d'une part, et entre cette insécurité et l'affiliation des individus aux églises d'autre part. Ceci afin d'entrevoir comment cette insécurité peut participer à l'innovation, à la contestation voire à la subversion des liens sociaux.
L'urbanisation pour la plupart des pays africains surtout sub-sahariens, a été le fait de la colonisation ; même s'il convient de rappeler que l'Afrique a connu des villes anté-coloniales comme Tombouctou au Mali et Ibadan au Nigeria. Ici aussi bien qu'en Occident, la religion va encore jouer un rôle très important dans la constitution de nos villes. En effet la religion et ses missionnaires étaient l'avant-garde de la colonisation car c'est à eux que revenait la mission de christianiser et de civiliser les populations indigènes. De part cette mission ils vont jeter les jalons de l'urbanisation en Afrique. Aussi c'est la religion qui permettait de saisir et d'appliquer les principes même de la ville à savoir la centralisation, la concentration, la verticalisation, l'hétérogénéisation, la médiation et le pouvoir comme nous le rappelle Raffestin (1985). Pour J.Racine (1998), c'est la religion qui fournissait l'attention primordiale de la vie sociale dans la période immédiatement pré-industrielle. Le rapport entre le religieux et la ville et par là entre le sacré et la ville semble alors un rapport consubstantiel dans la mesure où il semblerait que dans l'histoire les hommes en créant leur ville, le font toujours dans et pour un rapport privilégié le sacré. Le sacré comme « idée cardinale de toute religion » (Durkheim, 1912), comme « un aspect ou dimension de la réalité qui suscite en l'homme un saisissement émotionnel qui se traduit par un sentiment de respect et ou de crainte de la réalité en question » (Satorcius, 1991) et qui semble bien avoir engendré les diverses manifestations de la vie collective. Le rôle de la religion ne devrait être que plus important dans les pays de l'Afrique sub-saharienne où les populations, autrefois très ancrées dans leurs traditions, se trouvent brusquement coupées de leurs valeurs, déracinées dans leurs efforts de s'adapter à la vie urbaine. A. Sauvy (1954) le soulignait si bien en affirmant que « la vie urbaine désintègre les populations habituées aux cadres rigides de la vie tribale. Une population paysanne qui s'arrache à son sol et à ses dieux se trouve soudain sans appui et exposée à tous les fléaux sociaux : taudis, prostitution, maladies vénériennes etc. » Si en Occident, les églises officielles connaissent une désaffiliation massive, on note en retour une prolifération de nouvelles formes de croyances non conventionnelles et éclectiques. Ce phénomène est encore plus criard dans les pays de l'Afrique sub-saharienne où la ville constitue le terrain par excellence pour l'observer. Le Togo à l'instar des autres pays de l'Afrique connaît depuis les années 1990, une ère d'ouverture démocratique où la liberté de religion et de culte s'en trouve fortement renforcée. En effet, un bref aperçu de l'évolution du fait religieux au Togo révèle qu'antérieurement aux années de l'avènement de la démocratie, il y avait prédominance des croyances religieuses classiques à savoir l'Animisme, l'Islam, et le Christianisme. Depuis les années 1990, à la faveur du processus de démocratisation et de la crise socio-économique que connaît le pays, de nouvelles formes de croyances religieuses prolifèrent (surtout en milieu urbain) et on note une grande mobilité religieuse de la part des individus. Le paysage religieux s'est transformé et se mue par une recomposition inouïe de fragments de la religiosité et du sacré antérieurs. La délirante multiplication des formes de croyances non conventionnelles et éclectiques devient un enjeu auquel les religions classiques se soustraient aujourd'hui difficilement et semblent souvent se borner à une catégorisation église/secte6(*)comme paravent à ces mutations rapides et inévitables qui leur échappent. Le quartier de Bè, en tant qu'un quartier d'une ville moderne sub-saharienne (Lomé) n'échappe guère à l'insécurité matérielle dont les populations sont souvent victimes dans nos villes, ni à la prolifération de nouvelles formes de croyances aux dénominations aussi multiples qu'insolites. Bè demeure un foyer traditionnel autochtone dans une ancienne ville coloniale où la religion importée se confronte de plus en plus aux croyances originelles surtout dans ces périodes de crise marquées par de profonds changements socio-religieux. A Bè où la population surtout autochtone reste le plus souvent attachée à la tradition, le mal urbain n'est que très visible dans toutes ses expressions. La violence, les accidents, la maladie, le chômage, la pauvreté et son lot de misère tissent encore le quotidien des populations. C'est dans ce contexte de misère et de pauvreté prédominante que prolifèrent des formes nouvelles de croyances auxquelles adhèrent les populations en grand nombre. Comment alors rendre compte de ce phénomène ? Deux faits significatifs attirent l'attention. D'abord, il est à remarquer que devant la violence, les accidents, la mauvaise santé, la pauvreté et toutes les souffrances qui y sont associées, non seulement les individus mais aussi les familles, les communautés expriment un besoin constant d'explication. Et bien souvent les explications qui surviennent dans leur esprit sont énoncées en « termes de relations avec des êtres, entités et forces qui existent dans des domaines situés au-delà des sphères ordinaires d'interaction humaine » (Ashforth, 2000). Puis, dans ces nouvelles églises et centres religieux ou spirituels, les problèmes auxquels sont confrontés les individus, les familles, les communautés sont bien souvent rattachés à des forces et entités malveillantes qu'on exorcise à travers mille et un rituels. Ces deux faits révèlent bien un sentiment général d'insécurité spirituelle car désormais l'irrationnel semble envahir la ville. La cause du mal urbain serait donc à chercher ailleurs. Dans les forces qui sont au-delà de l'entendement humain et qui sont dotées d'intentions mauvaises. Y-a-t-il alors un parallèle à mettre entre l'affiliation massive des populations aux nouvelles formes de croyances et le sentiment d'insécurité spirituelle ? En d'autres termes est-ce l'appréhension des dangers, doutes et craintes ingérables de source invisible, qui pousse les individus à adhérer aux nouvelles formes de croyances ? L'insécurité spirituelle est-elle l'expression de conditions objectives de pauvreté, de souffrance, de maladie et de violence ? Quelles en sont les incidences sur les individus et les communautés ?
Les hypothèses sont « des propositions de réponse aux questions que se pose le chercheur. Elles constituent en quelque sorte des réponses provisoires et relativement sommaires qui guideront le travail de recueil et d'analyse des données et devront en revanche être testées, corrigées et approfondies par lui. » 7(*) Pour cette étude les hypothèses suivantes ont été formulées et ont servi de fils conducteurs. 1.3.1 Hypothèse générale Le sentiment d'insécurité spirituelle que ressentent les individus les pousse à s'affilier à de nouvelles formes de croyances. 1.3.2 Hypothèses spécifiques Ø La prédominance de l'insécurité matérielle pousse les individus à penser à des sources de dangers invisibles. Ø L'ambiguïté des signes de manifestation de l'action des forces invisibles contribue au sentiment d'insécurité spirituelle. Ø L'intensité de l'insécurité spirituelle s'accroît avec l'absence d'une autorité dominante pour interpréter les manifestations des infortunes. Ø Le sentiment d'insécurité spirituelle a des incidences sur les individus et les communautés. 1.4 LES OBJECTIFS 1.4.1 Objectif général Démontrer d'une part le rapport entre la pauvreté et l'insécurité spirituelle, et d'autre part le rapport entre l'insécurité spirituelle et les dynamiques religieuses dans les milieux urbains au Togo. 1.4.2 Objectifs spécifiques Ø Déterminer l'ampleur du sentiment d'insécurité spirituelle chez les populations de Bè. Ø Déterminer les catégories sociales qui ressentent le plus l'insécurité spirituelle. Ø Evaluer les déterminants du sentiment d'insécurité spirituelle développé par les populations de Bè. Ø Etablir les incidences du sentiment d'insécurité spirituelle sur les individus et les communautés. Ø Estimer l'impact du sentiment d'insécurité spirituelle sur les dynamiques religieuses. 1..5 DÉFINITION DES CONCEPTS « Toute investigation scientifique porte sur un groupe déterminé de phénomènes qui répondent à une même définition. La première démarche du sociologue doit donc être de définir les choses dont il traite, afin que l'on sache et qu'il sache bien de quoi il est question8(*) ». 1.5.1 Dynamique religieuse Le mot dynamique est souvent employé pour désigner ou qualifier ce qui est relatif au mouvement. En Sociologie, il traduit souvent l'idée de changement. Nous entendons par « dynamique religieuse » l'ensemble des changements qui s'opèrent dans le champ religieux notamment l'essor de l'affiliation religieuse, l'intensification des pratiques religieuses et la prolifération des structures religieuses.
L'insécurité représente une situation ingérable de danger, de crainte, de doute et de peur. Elle peut prendre plusieurs aspects notamment matériel et spirituel. Entendons par insécurité matérielle, l'inconfort matériel et l'incommodité, qui prédisposent la masse citadine à tous les risques. Nous désignons par insécurité spirituelle, la dimension de l'insécurité liée à l'action des forces invisibles. C'est une condition de danger, de crainte, de doute et de peur provoquée par l'exposition à l'action des forces invisibles déterminées à faire le mal. 15.3 Pauvreté La pauvreté traduit généralement une situation de manque, de besoin. Il est communément admis que la pauvreté est un phénomène comportant de multiples dimensions (Banque mondiale 2000), certaines étant d'ordre économique comme la baisse du revenu, l'impossibilité d'accès aux services sociaux (qui est considéré à la fois comme un problème économique et d'exclusion sociale) ou l'absence de capital, et d'autres non économiques comme l'exclusion sociale, l'absence de responsabilisation d'un groupe social. Ces différentes manifestations de la pauvreté engendrent des formes équivalentes d'inégalités. On distingue ainsi trois formes de pauvreté économique : la pauvreté monétaire, la pauvreté de conditions de vie et la pauvreté de potentialités. La "pauvreté monétaire", dite aussi "de revenu", résulte d'une insuffisance de ressources engendrant une consommation trop faible. Elle retrace donc le niveau de vie. Sa mesure se réfère soit au revenu, soit à la consommation plus facilement mesurable, car plus stable que le revenu. On comptabilise alors le nombre de pauvres en comparant cette mesure à un seuil de pauvreté, en dessous duquel on est considéré comme pauvre. Nous désignons donc par pauvreté, l'insuffisance de revenu, entraînant l'insuffisance de ressources matérielles, comme la nourriture, les vêtements, l'accès à l'eau potable, à la santé, au logement et à l'éducation. 1.6 REVUE DE LITTÉRATURE « Lorsqu'un chercheur entame un travail, il est peu probable que le sujet traité n'aie jamais été abordé par quelqu'un auparavant au moins en partie ou directement »9(*) Une relecture « ciblée » d'un certain nombre d'écrits, d'auteurs et d'études consacrés à l'évolution du fait religieux et à l'insécurité tant matérielle que spirituelle s'est avérée nécessaire afin de dégager les éléments relationnels entre ville, religion, pauvreté et insécurité spirituelle. 1.6.1 Ville et Religion 1.6.1.1 Lien originel entre la ville et la religion M. ELIADE (1965) in Le Sacré et le Profane, démontre combien les situations centrales facilitent la communication avec le cosmos. Il affirme que les principes fondamentaux de concentration et de centralité trouvent dans le religieux leur facteur moteur essentiel. La concentration était indispensable car ce qui était difficile et nécessaire à la fois dans la plupart des cultes archaïques, c'était d'entrer en contact avec les forces supérieures. « Pour y parvenir, il y a des lieux privilégiés, que l'homme ne choisit pas, mais qu'il découvre, qui se révèlent à lui d'une manière ou d'une autre. » Ces lieux deviennent des lieux du sacré, un sacré qui semble s'être condensé en des lieux et des êtres spéciaux et dont la ville est le principal réservoir. Dans la ville, le dieu n'est pas seulement mis en forme, il est également mis en demeure pour finalement, s'établir à côté de ses adorateurs. La ville devient le point de jonction entre ciel, terre et enfer. « Le lieu se mue donc en une source intarissable de force et de sacralité qui permet à l'homme, à la seule condition pour lui d'y pénétrer, d'avoir part à cette force et de communier à cette sacralité ». La religion en conceptualisant le sacré en y donnant sa substance, constitue un élément central dans la constitution des villes. La ville naît donc alors comme un lieu de communication, de médiation, comme le veulent toutes les théories les plus modernes, mais il s'agit d'une communication particulière, celle qui s'établit, en certains sites privilégiés, quand les rites sont parfaitement effectués entre les mortels et le monde sacré avec lequel ils cherchent à se mettre en relation. Mais pour communiquer, rappelle le géographe P. CLAVAL (1981) in Logique des villes, il faut aussi des moyens puissants : une action collective a plus de chance de réussir auprès des dieux qu'une supplication individuelle. Si bien que pour certains auteurs comme Fustel de Coulanges (1864), c'est la supériorité des cultes civiques sur les cultes domestiques qui seraient à l'origine de la ville grecque. Prolongeant l'idée de son prédécesseur, J.RACINE (1994) in La ville et le Sacré, formule l'hypothèse que cette supériorité est peut-être garantie par le meurtre fondateur qui assure l'unité du groupe en déchargeant sa violence originelle sur la victime émissaire. « Dès le début de la fondation d'une ville en effet, les sacrifices humains commencent, les victimes immolées au Dieu de la cité étant enfouies dans les fondations ». Cet acte scellait le lien entre la ville et le sacré et par là entre la ville et le religieux. Revenant à la charge quatre année plus tard, RACINE (1998) in Propension utopique sacrée : Les leçons de la nouvelle Jérusalem, s'est penché sur comment archéologues, historiens, géographes, anthropologues, économistes et sociologues offrent chacun leurs représentations et leurs post-rationalisations explicatives de la naissance et/ou de l'existence de la ville. Chacun à travers des représentations inscrites dans des perspectives disciplinaires spécifiques valorisent tour à tour tel ou tel aspect de la ville jugé plus déterminant en dernière instance. J. RACINE envisage le rôle du religieux comme l'élément de convergence fondamentale, fondatrice de la ville en indexant les principes de la ville que sont la centralisation, la concentration, la verticalisation, l'hétérogénéisation, la médiation et le pouvoir. S'agissant des différentes représentations, « Il paraissait évident cependant que si toutes ont montré un certain niveau de pertinence, une convergence fondamentale, fondatrice, avant que l'attention se détourne provisoirement au profit de la guerre et du commerce, devrait revenir au premier rang des explications, le rôle du religieux, un religieux inscrit dans la ville,... » Tous les auteurs susmentionnés se sont évertués à démonter le rapport originel de la ville avec le sacré et le religieux mais qu'en est-il de cette relation aujourd'hui ? 1.6.1.2 Ville et changement religieux Max WEBER (1919), dans son livre Le Savant et le Politique introduit la thèse du « désenchantement du monde » pour expliquer le recul du religieux dans les sociétés modernes. Pour lui le désenchantement du monde désigne le mouvement de rationalisation qui affecte, en Occident l'ensemble des sphères de la vie sociale et qui les fait échapper progressivement à l'emprise du religieux. Il conduit à une perte du sens de l'existence par évacuation de la transcendance et à un polythéisme des valeurs. Max Weber ne soutient pas que les croyances et pratiques religieuses soient condamnées à disparaître. Il constate simplement que l'éthique religieuse qui était autrefois un facteur déterminant de la structuration des conduites sociales, a perdu cette fonction dans les sociétés modernes. Ces conduites sont désormais déterminées par les contraintes mécaniques découlant du jeu des intérêts économiques et politiques si bien qu'il est illusoire d'espérer corriger le fonctionnement de nos sociétés par des mouvements religieux ou quasi-religieux. Nous vivons une époque « indifférente aux dieux et aux prophètes » (Le Savant et le Politique). J.J WUNENBURGER (1981) in Le sacré parle d' « une désacralisation et une resacralisation simultanées, par recomposition inédite de fragments du sacré antérieur » pour expliquer les dynamiques religieuses à l'oeuvre en Occident. Il constate que parallèlement au développement d'une sécularisation ou d'une non-croyance qui est étroitement lié au développement de la société post-industrielle et à l'urbanisation « post-moderne », pointe partout un processus conjoint de resacralisation. Il observe par ailleurs chez les fidèles de ces églises multiples, une philosophie d'auto-transcendance qu'il appelle « extase psychothérapeutique », « amplification du potentiel psychique », « folie sacré » ou « transes ludiques ». Dans l'étude qu'ils ont consacrée au statut de la croyance religieuse dans la cité post-industrielle de Vancouver en liant sécularisation au processus de gentrification, les géographes D. LEY ET R.B. MARTIN (1993) parlent de philosophie éclectique de connaissance de soi et d'auto-transcendance. Les auteurs ont eu la nette impression d'être confronté systématiquement là-bas, face à ces églises aux dénominations multiples, à un processus récurrent de dilatation du moi. * 1 Pronom non sexiste obtenu par contraction d'elle et de lui pour désigner Dieu * 2 Harvey Cox, 1985, La cité séculière, * 3 Pierre-Alain Giffard, Equipés pour la mission * 4 L'émission L'Afrique Enchantée du 21.09.2008 sur France Inter, consacrée au Togo * 5 DGSCN, « L'emploi, le chômage et les conditions d'activité à Lomé » publié à Lomé en 2OO2. * 6 On doit à E. Troeltsch (1895-1923) et à M. Weber la distinction entre « église » et « secte * 7 QUIVY et CAMPENHOUDT, 1995 * 8 DURKHEIM, 1986, p. 34. * 9 QUYVY et CAMPENHOUDT ,1995.p56. |
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