Section 2: Difficultés et intérêts
de l'évaluation
Une revue de la littérature nous a
avancé que la mise en place d'une démarche évaluation de
la formation demeure une question délicate, souvent difficile et
coûteuse.
Il s'agit d'une problématique qui
interpelle tant les chercheurs que les praticiens et les académiques, ce
qui nous mène à dresser l'inventaire des « freins et
moteurs » à l'évaluation de la formation (Jouvenel et
Masingue, 1995).
En effet, la pratique de l'évaluation de
la formation au sein des entreprises se heurte à la fois à des
difficultés et des résistances qui freinent sa mise en
application. Pourtant, on ne peut guère nier son importance et
l'intérêt qu'elle revêt grâce aux finalités
qu'elle vise.
D'ailleurs, Jouvenel et Masingue (1995) traitent
bien la question des intérêts et des difficultés de
l'évaluation et leurs travaux nous ont servi de base pour les
développements qui vont suivre.
1. Les difficultés de
l'évaluation :
Les difficultés que rencontre la mise en
place de la démarche évaluation de la formation sont d'ordre
culturel, stratégique et technique.
2.1. Les difficultés
culturelles :
La crainte d'être jugé ainsi que la
confusion entre évaluation et sanction inhibent la mise en application
de l'évaluation. Cette confusion dans l'esprit des formés a comme
source l'héritage scolaire où l'apprentissage est couronné
par un succès ou par un échec. Cet héritage freine la
compréhension de l'objectif réel visé par la
démarche évaluation et empêche son avancement.
Du coté des formateurs, le fait de se
métamorphoser en une personne évaluée après avoir
jouer longtemps le rôle d'un évaluateur, complique la situation.
En effet, les formateurs n'apprécient pas cette
sorte « d'effet balancier » qui transfère
l'acte d'évaluer le maître (formateur) à ses
élèves (les formés).
Chez les responsables de formation, évaluer
une action de formation peut engendrer un fardeau qui naît suite à
l'émergence d'écart entre les objectifs visés et les
résultats obtenus. Ce fardeau est une responsabilité
redoutée par les responsables de formation qui craignent de porter seul
toute cette charge.
Outre les résistances individuelles, il sera
intéressant de souligner les résistances d'ordre collectif qui se
résument en une prise de position contre le changement, dans la mesure
où évaluer c'est juger, corriger pour faire mieux et changer.
Ainsi, « l'action entreprise
pour changer, pour stabiliser, ou pour ne rien faire est principalement
tributaire de la perception des acteurs, de leur manière de penser la
réalité vécue, d'interpréter et de définir
leurs intérêts » (Chiha Gaha, 2003).
2.2. Les difficultés
stratégiques :
L'évaluation de la formation peut induire des
divergences lors de l'interprétation des écarts et leurs raisons.
Comme elle peut semer la zizanie lorsque certaines conclusions mettent en cause
les différents acteurs. Autre difficulté stratégique
réside dans le fait que si le responsable de formation est la seule
personne capable de maîtriser les méthodes d'évaluation, il
risque d'être amener à jouer un rôle dévolu à
l'encadrement ce qui constitue une source de confusion dans les rôles,
une incompréhension de frontière qui aboutissent à
l'apparition des contentieux.
2.3. Les difficultés
techniques :
En quête d'un modèle
d'évaluation scientifique, précis et totalement fiable,
l'entreprise risque de mettre en application un système lourd et
complexe où on cherche à tout mesurer, ce qui est bien ambitieux
mais il s'agit souvent d'un risque qui coûte plus cher que l'objet
à évaluer.
Savoir mesurer le retour sur investissement est une
ambition qui est bien difficile à réaliser dans les domaines de
communication, de recherche et développement et de la formation, plus
précisément dans les domaines où il s'agit de ce que
Pierre Caspar (cité par Jouvenel et Masingue, 1995) a appelé
«l'investissement intellectuel ».
A l'inverse, les démarches qualifiées
de pragmatisme se révèlent trop simplistes. Par exemple,
l'interprétation abusive d'un questionnaire peut donner lieu à
des explications incomplètes voire même erronées. Les
résultats obtenus, suite à ce genre d'évaluation, peuvent
être contestés et au bout du chemin chacun se prévaut de
son droit d'évaluer à sa manière les actions de formation.
Outre les difficultés énoncées par Jouvenel et Masingue,
Pain.A (1992) a présenté, de son coté, les blocages
possibles venant des partenaires de la formation dans le tableau suivant.
Les blocages possibles venant des partenaires de la
formation
(Pain Abraham, 1992)
Formé
|
Crainte d'être jugé
Crainte des éventuelles conséquences sur son
emploi.
|
Formateur
|
Mise en cause de sa compétence
Retombées sur sa carrière et de son emploi.
|
Responsable de formation
|
Mise en cause de ses décisions en ce qui concerne le
formateur, le programme, l'organisme...
|
Hiérarchie
|
Mise en cause de fonctionnement du service ; mise en
évidence de style de management et des relations avec les
subordonnés.
|
Direction générale
|
Demandes des formés pour des retombées de la
formation sur la promotion et les rémunérations
|
2. Les Intérêts :
Nul ne peut douter de l'importance du rôle de
l'évaluation dans le développement de l'efficacité des
actions de formation.
A fin de réduire l'ampleur des
difficultés précitées, ces mêmes auteurs (Jouvenel
et Masingue, 1995) soulignent les raisons pour lesquelles évaluer une
action de formation paraît très utile voire même
indispensable. Ces raisons sont d'ordre économique, politique,
stratégique, pédagogique et de qualité.
2.1 Intérêts
économiques :
Dans une perspective où la formation est
considérée comme un investissement, l'évaluation permet
d'observer des résultats. C'est une exigence de bonne gestion. De
même, et à l'instar de toute politique, la formation est soumise
à la pression de l'efficacité où l'évaluation
permet d'apprécier les retombées de cet investissement.
Dés lors, l'évaluation de la formation
permet une meilleure utilisation des moyens engagés dans l'action
entreprise en temps et en argent.
2.2 Intérêts politiques :
L'évaluation est un moyen d'aide à la
décision dans la mesure où elle favorise la réflexion et
nourrit le débat et permet de clarifier et repérer les
problèmes.
De plus, l'évaluation de la formation constitue
un facteur de changement en favorisant l'installation d'une culture de
résultat au fur et à mesure du temps, elle consolide la
démarche par objectif plutôt que le seul contrôle de
moyens.
Considérée comme un outil de dialogue,
l'évaluation favorise l'apprentissage. C'est un instrument de
communication entre les acteurs concernés par la formation
(participants, formateur, commanditaires, responsables de formation et
hiérarchie).
En permettant le compte rendu et le feed back, elle est un
moyen qui renforce le dialogue social.
2.3 Intérêts
stratégiques :
En apportant une preuve tangible de
résultats, l'évaluation légitime la fonction et l'action
des services formation, en crédibilisant ses responsables.
La démarche appelle la responsabilisation de
tous les acteurs concernés par la formation notamment l'encadrement et
les directions en les impliquant dans la détermination des objectifs
à atteindre, dans l'observation des résultats
réalisés ou non et dans l'analyse de pertinence des moyens
mobilisés.
2.4 Intérêts
pédagogiques :
Vue sous l'angle d'un acte d'apprentissage,
l'évaluation est un moyen qui renforce les acquisitions et leur
pronostic de transfert.
2.5 Intérêts de
« qualité » :
Ayant fait l'objet d'une exigence, la qualité
est une notion qui dévaste pratiquement tous les domaines. A ce titre,
l'évaluation contribue à améliorer d'une manière
importante la conception et la mise en oeuvre d'une action de formation et ceci
à travers :
- l'obtention d'une meilleure précision des objectifs
de l'action mise en application.
- l'accroissement du réalisme des ambitions
initialement affichées en les rendant quelque fois modestes et alors
plus opérationnelles et utiles.
- une meilleure gestion du temps et des moyens de formation
en faisant en sorte qu'ils soient pertinents par rapport aux objectifs.
A côté des travaux de Jouvenel et Masingue
(1995) d'autres auteurs se sont posés la question pourquoi
évaluer afin de dégager les raisons qui justifient
l'évaluation.
Parmi ceux, Phillips (1997) (cité par Dunberry.A
et Péchard.C, 2007) qui énonce dix raisons pour
évaluer :
1) déterminer l'atteinte des objectifs de
formation
2) identifier les forces et faiblesses du processus de
développement des ressources humaines
3) comparer les coûts et
bénéfices d'un programme
4) décider qui devrait participer dans les
prochains programmes
5) tester la clarté et la validité de
certains tests, études de cas ou exercices
6) identifier quels participants ont le mieux
réussi le programme
7) rappeler aux participants certains contenus du programme
jugés importants
8) recueillir des données en vue de la mise en marche
de futurs programmes
9) déterminer si le programme offrait une
solution adéquate au besoin identifié
10) constituer une base de données en appui
à la prise de décision par les gestionnaires.
Kirkpatrick.D (1998) (cité par Dunberry.A et
Péchard.C, 2007), à son tour, propose trois raisons :
1) justifier l'existence du département de formation
en démontrant sa contribution aux objectifs de l'entreprise
2) décider si l'on doit poursuivre ou
arrêter les programmes de formation
3) obtenir de l'information sur comment améliorer les
futurs programmes de formation.
Russ-Eft et Preskill (2001) (cités par Dunberry.A
et Péchard.C, 2007) considèrent que les raisons
de l'évaluation se présument comme
suit :
1) l'évaluation peut contribuer à
l'amélioration de la qualité ou la confirmer
2) elle peut contribuer à accroître les
connaissances des membres de l'organisation, soit en comprenant mieux ce qui
est évalué, soit en apprenant à bien évaluer
3) elle peut aider à déterminer les
priorités, compte tenu de l'ampleur des besoins et des ressources
limitées
4) l'évaluation, utilisée comme outil
diagnostic, peut contribuer à la planification et la livraison de
nouvelles activités au sein de l'organisation
5) elle peut aider à démontrer la
valeur ajoutée des efforts de formation
6) les résultats d'évaluation peuvent aider
à documenter et appuyer certaines demandes de ressources
additionnelles
7) l'expérience en évaluation devient de plus en
plus recherchée.
Enfin, Pain.A (1992) trace les intérêts de
l'évaluation dans la mesure où elle permet :
1) la correction en améliorant les actions de
formation
2) la vérification grâce à la mesure de
l'atteinte des objectifs
3) la formation puisque l'évaluation est
considérée comme une occasion d'apprentissage pour ceux qui y
participent
4) la mesure de la rentabilité économique de
l'action
5) la mesure des changements produits dans l'environnement.
Ainsi, il sera important de savoir pourquoi
évaluer c'est-à-dire les raisons qui nous mènent à
penser à l'évaluation. Il serait également en vain
d'ignorer les difficultés que rencontre la démarche de
l'évaluation de la formation. Il faut les prendre en compte pour en
faire des contraintes et essayer de les surmonter surtout que la revue de
littérature nous a dévoiler qu'il existe une l'étroite
relation entre la décision de former et l'évaluation qui sera
élucidée dans la section suivante.
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