2. De l'objectivation de l'objet d'étude.
Poser que l'humain dans ses relations avec les autres et son
environnement est objectivable et prévisible, rencontre une
réaction de rejet. Cependant mettre par exemple un groupe de personnes
en situation de résolution de problèmes fait apparaître
immanquablement les mêmes phénomènes de communications
spontanées sans aucune exception : appropriation par les sujets,
interprétations, pré-jugements évaluatifs et conseils de
résolution et de bonnes pratiques avant même d'avoir pris
connaissance avec précision de la teneur du problème
exposé.
A ce titre donc, tout sujet est soumis a minima aux lois de la
communication spontanée (Michit, 2001), elles-mêmes régies
par la logique naturelle et les phénomènes de la pensée
sociale (Moscovici, 1961, Guimelli, 1999). Les connaître permet
d'anticiper les comportements des personnes avec certitude, tout en gardant
intact la force d'émerveillement du chercheur admirant à chaque
fois la régularité d'apparition de ces attitudes. Les
expériences de conduite de groupes composés de différents
sujets l'attestent.
La différence principale entre les sciences de la
nature et les sciences humaines réside donc dans la
caractéristique de leur objet l'une s'occuperait d'un objet
indépendant de conscience et de décision, alors que la seconde
s'intéresse à un objet doté de liberté qui
transcenderait toute loi. Supposant que la liberté serait de ce fait
imprévisible, il est important d'éprouver cet a priori et de se
poser la question : «En quoi la connaissance en sciences humaines
serait-elle différente de la connaissance en sciences de la
nature?»10 .
Or, comme pour les phénomènes de la
lumière (ondulatoire/corpusculaire) -qui ont longtemps mis en
échec les théories physiques -on se retrouve en science des
hommes et des organisations en présence de deux ensembles de
phénomènes difficilement conciliables.
On constate aussi bien des phénomènes dans
lesquels les humains sont agis par des conditions externes à leur
volonté que des phénomènes dans lesquels la
créativité étonne et déjoue les prédictions.
La différence structurelle de ces deux ensembles de
phénomènes conduit à concevoir deux objets d'étude
dont les caractéristiques sont radicalement contradictoires. Ces deux
objets séparent les chercheurs en deux grands courants relatifs à
l'étude du sujet humain social.
Les premiers le considèrent comme un sujet social agi
par son environnement et son histoire (Marx, Durkheim, Crozier, Bourdieu...),
Les travaux mettant en évidence les déterminants
psychosociologiques des comportements humains sont menés du point de vue
de la pathologie, de l'apprentissage, de la cognition et de la mémoire,
et du point de vue de la dynamique des comportements en société
et de la pensée sociale. Cet ensemble de travaux montre que le sujet
humain est un sujet agi11 qui se croit acteur et qui s'en persuade
comme le montrent notamment les études
10 In «Une théorie scientifique de la
culture», Bronislaw MALINOWSKI, 1968, Paris, Maspéro, p.12. La
question est d'autant plus légitime que les questions que posent les
phénomènes de la physiques des particules divisent la
communauté scientifique sur les caractéristiques de l'objet
« matière ». 11 La notion d'agi ne renvoie pas
à la notion de victime, mais bien à celle d'être
dirigé pas des forces ou soumis à des lois incontournables.
sur la norme d'internalité (Beauvois et Joule ? 1981).
L'approche Freudienne articule la créativité imprévisible
à l'émergence incontrôlable des pulsions ou de
l'inconscient qui sont conçues comme des déterminations psychique
et/ou sociale.
Cependant, aux courants admettant une détermination
s'opposent ceux qui perçoivent dans l'humain un irréductible
imprévisible. Ces courants peuvent se rassembler sous les fondements de
la théorie la liberté et de l'action (Descartes1637, Ficthe
(1798), Rousseau(1762), Blondel (1893), Mendel,(1998) Comme sujet acteur libre,
l'humain est imprévisible à cause de la créativité
inhérente à son intelligence qui le rend stratège et
inventif ou à l'émergence de son désir qui s'explicite
dans toutes les formes de l'art.
Pour ces courants, essentiellement philosophique, il est
impossible d'anticiper les comportements de l'humain qui viendrait toujours
surprendre les compréhensions et les anticipations projetées
à l'aide des déterminants individuels et sociaux. Il est à
noter qu'aucune expérience systématique n'a été
conduite pour démontrer cette caractéristique. La théorie
des jeux et ses développements l'admet implicitement.
La défense de cette caractéristique
irréductible reste donc basée sur des constations empiriques et
sur la nécessité a priori de ne pas réduire les personnes
à des objets dans un projet social ou politique.
Toutefois, à considérer les procédures
expérimentales ou les études réalisées en sciences
de l'homme et des organisations, toutes utilisent les statistiques pour valider
leurs résultats. Que nous enseigne cette méthode commune
d'analyse des données observées ? En plus de nous assurer que les
découvertes des interrelations entre les phénomènes et
variables manipulées ne sont que des corrélations, cette
méthode élimine l'analyse des phénomènes
résiduels. Si ces phénomènes ne sont pas pris en compte
sont-ils la conséquence de lois non identifiées ou pas prises en
compte par l'expérience ou bien sont-ils l'expression de la
liberté irréductible de l'humain. Nous aurions là les
bribes de la manifestation de l'irréductible humain sortant du champ de
l'observation scientifique.
L'incertitude de l'attribution causale des
phénomènes résiduels rend impossible la réduction
de la tension entre les deux caractéristiques du sujet humain
(déterminé et libre). La théorique de la complexité
tente une percée (Morin 1984). Cependant une autre voie semble possible,
celle de la découverte de lois structurelles traversant tous les
phénomènes de l'humain individuel et social.
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