Introduction : Une vieille question trop vite
enterrée.
En s'appuyant sur le postulat aujourd'hui peu discuté
selon lequel les actions humaines échapperaient à des lois
régulières, il semble acquis (au moins depuis Max WEBER) la
nécessité d'abandonner le projet durkheimien visant à
édifier l'explication de la société à partir d'un
système complet de lois sociales (Aron, 1967). Les démarches
convoquées (même celles relevant de la méthode
expérimentale) pour rendre compte des conduites humaines n'accorderaient
pas aux sciences humaines le même statut scientifique reconnu aux
sciences de la nature. Il serait désormais illusoire de penser que le
monde social connaîtrait des lois structurantes et déterminantes
au même titre que celles qui régissent le monde physique et
biologique. Un retour critique sur les Essais sur la théorie de la
science de Max Weber1 devrait nous autoriser pourtant, d'une
part à questionner le postulat, et d'autre part, à expliquer les
conditions épistémologiques nécessaires pour
établir une connaissance précise des systèmes de lois
gouvernant l'humanité sociale.
Lorsque Max Weber étudie les conditions de production
de connaissances objectives dans les sciences et la politique (Weber, 1904),
ses observations sur les régularités des « connexions
causales » sont indiscutables relativement aux théories de
l'action. Il est vrai que les situations des personnes physiques ou morales
sont la conséquence d'une multiplicité de facteurs. Dans la
continuité de ces observations, Janis (1972) en particulier montre que
les décisions institutionnelles sont la conséquence d'un
engrenage de plusieurs types de facteurs, tout comme Bresson (1972) le constate
pour les décisions individuelles. De façon synthétique et
générale, ces facteurs relèvent à la fois des
déterminants sociaux (Durkheim, 1930, Ansart,1990),
idéologiques -systèmes de valeurs et
représentations sociales (Jodelet, 1989, Abric, 1984, 1994)-, des
facultés cognitives avec leurs biais (Simon, 1947 , Brandsford
1979, Caverni 1993), et des compétences d'actions (Aristote,
Erikson 1963, Guindon 1976, Mendel,1998).
Avant les travaux sur l'identité psychosociale et ses
effets sur la prise de décisions, l'influence de ces quatre familles de
facteurs avait été mise en évidence de multiples
manières de façon catégorielle, en fonction des
visées spécifiques des différentes disciplines des
sciences sociales :
La sociologie est centrée sur les déterminants
sociaux.
La psychologie sociale étudie l'interaction de la
position sociale et du système de représentation sociale sur
l'action.
La philosophie de la connaissance (Trotignon 1986), la
psychologie cognitive (Bresson 1972, Brandsford, 1979) s'intéressent
à la nature de la connaissance et à la raison comme moyen
d'intelligence du réel.
Enfin la philosophie de l'action ( Bergson, 1941 Blondel, 1893,
1966, Mendel, 1998), la psychologie du développement (Wallon, 1945,
Erikson 1963, Piaget 1976, Feuerstein 1983) et la psychologie de la
décision (Guindon, 1976) présentent une formalisation des
facteurs spécifiques de la mise en acte en tant que telle.
1 Le lecteur trouvera en Annexe l'extrait du texte
ici analysé.
Dans le cadre de la modélisation sur laquelle nous nous
appuyons, les études concernant les situations d'individus et de groupes
en action, prennent en compte tous ces déterminants en fonction
d'interdépendances présentées dans un
référentiel où ils sont organisés selon une
cohérence structurelle2. En particulier, l'analyse des
objectifs de relation fondamentaux poursuivis par des agents dans une multitude
de situations a permis à la fois de distinguer leur nature, leur nombre
limité3 et de mettre en exergue un principe d'incertitude
spécifique aux sciences humaines : principe lié au fait qu'on ne
peut anticiper à l'avance lequel de ces objectifs fondamentaux va
être mis en avant. Les résultats de ces études
démontrent la possibilité d'une distinction objective de la
causalité des actions humaines ; causalité provenant de
l'interdépendance structurelle (lois de cohérence) des divers
facteurs de l'identité psychosociale et de la prise en compte du
principe d'incertitude.4
Par notre essai, nous espérons montrer, que la
proposition de Max Weber "Une étude « objective » des
événements culturels, dans le sens où le but du travail
scientifique devrait consister en une réduction de la
réalité empirique à des lois, n'a aucun sens parce qu'il
n'est pas possible de concevoir une connaissance des événements
culturels autrement qu'en se fondant sur la signification que la
réalité de la vie, toujours structuré de façon
singulière, possède à nos yeux dans certaines relations
singulières »(Weber, 1904). n'est vérifiée que
pour un observateur ou un professionnel ne possédant pas la connaissance
des lois de cohérence et du principe d'incertitude.
La première étape de l'exposé consiste
à présenter que la conjecture résumé de son propos:
«Toute connaissance de la réalité culturelle est
toujours une connaissance à partir de point de vue spécifiquement
particulier »(Weber 1094), se présente comme une loi
générale, ensuite d'appliquer sa logique à elle-même
et de conclure que ce fondement des sciences humaines fonctionne comme une
aporie, autrement dit qu'elle contredit son universalité. Nous faisons
alors l'hypothèse que cette conjecture a été possible
parce que le référentiel de connaissances était
limité. Ce qui nous conduit dans la deuxième étape
à dévoiler le référentiel théorique qui
permet de sortir du paradoxe d'une science qui ne pourrait établir que
des corrélations statistiques.
2 Par exemple, Festinger, L et Aronson, E. (1978)
mettent en évidence un exemple de cohérence interne entre
position sociale, représentations sociales et connaissances
individuelles. 3 Ces objectifs sont repérés par
ailleurs sous une autre forme dans la littérature sociologique
contemporaine sous le concept de Cités, théorisé par
Boltanski et Thévenot (1991). 4 L'organisation structurelle
des facteurs de l'identité psychosociale définit des conditions
initiales cohérentes qui sont à l'origine d'attitudes, de
comportements et de situations prédéterminées. En sciences
physiques, on a pu rendre compte de l'apparition apparemment aléatoire
de phénomènes. En fait, selon la théorie de la
relativité l'apparition est anticipée à l'aide du principe
d'incertitude d'Heisenberg, et selon la théorie du chaos l'apparition
est déterminée par les conditions d'origine de ces
phénomènes.
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