III-2- Quand des ONG internationales défendent
le principe de non ingérence...
L'apologie du principe de non-ingérence dans les
affaires internes de l'Etat par les responsables de certaines ONG
internationales au Burundi a de quoi désarçonner l'observateur de
l'action humanitaire internationale. Ce principe est généralement
invoqué par les Etats dans les relations internationales lorsqu'ils
estiment que leur souveraineté est menacée par des intentions
interventionnistes d'autres Etats ou de la communauté internationale.
Mais de façon régulière et
systématique depuis la fin des années 1980, les organisations
humanitaires ont plutôt recours à la notion de droit ou de devoir
d'ingérence pour justifier des interventions visant notamment la
protection des droits fondamentaux d'une population opprimée par un
Etat. Le cas du Burundi où des ONG internationales brandissent le
principe de non ingérence pour expliquer leur position
réservée sur une question sensible est un cas inédit.
Les responsables de ces ONG estiment que la gestion des
rapports interethniques relève de la responsabilité de l'Etat et
que, de ce fait, il est inopportun de s'en mêler. Ce qui importe pour eux
c'est l'atteinte des objectifs. Ils fustigent le système des quotas
ethniques institutionnalisé dans certaines organisations humanitaires.
Interprétant le principe de non-discrimination contenu dans la plupart
des chartes des ONG, ils considèrent que faire un recrutement en
incorporant dans les profils des critères ethniques, c'est ni plus ni
moins de la discrimination et une violation des chartes.
La politique de gestion des ressources humaines
appliquée est celle qui met en avant la compétence exclusivement
de toute autre considération. Elle se décline sous trois axes
:
Le recrutement ;
La formation ;
Concernant le recrutement, il s'agit de lancer une offre
d'emploi publique à laquelle toutes les personnes qui répondent
aux critères spécifiés peuvent postuler. La
sélection se fait en fonction de critères tels que le niveau
d'études, les qualifications et l'expérience. Les candidats qui
correspondent le mieux au profil sont présélectionnés
indépendamment de leur religion, de leur sexe, de leur appartenance
ethnique et de tout autre considération. À l'issu de la
présélection, la short-list des gens qui sont
invités à participer à des entrevues et à des tests
techniques est affichée. Les entrevues et les tests passés, les
candidats ayant les meilleures notes sont ainsi retenus et sont
intégrés dans leurs postes.
Pour ce qui est de la formation, deux étapes sont à
observer :
L'identification des besoins en formation : c'est le recueil
des besoins en formations. Les besoins sont collectés sur
différentes bases et sont priorisés selon l'urgence de la
formation, du poste qui requiert cette formation, etc. ;
La réalisation des formations : il y a des formations
internes que les experts de l'ONG font eux-mêmes, et des formations
externes réalisées par des Cabinets spécialisés.
Concernant la promotion, lorsqu'il y a un poste disponible
à un degré quelconque, même quand une offre d'emploi
externe a été lancée, les salariés de l'ONG peuvent
y postuler. Par ailleurs, en cas d'ouverture d'un poste supérieur et
qu'il y a un salarié qui présente des aptitudes, qui a
accumulé assez d'expérience, il peut l'occuper selon les
résultats de son évaluation. C'est en fonction des
évaluations internes qui sont faites annuellement que les responsables
déterminent et jaugent les performances individuelles des
employés.
En fait, ces organisations disposent juste d'un système
de gestion du personnel. Mais un système de gestion du personnel n'est
pas une politique de gestion des ressources humaines. Contrairement au premier
type d'ONG évoqué, ici, les responsables se limitent aux aspects
purement techniques liés à la gestion des ressources humaines
(recrutement, formation, promotion, salaires, etc.) ; mais
ignorent volontairement tout ce qui a trait au «
symbolisme organisationnel56 » en rapport avec les interactions
qui se font jours entre efficience, climat social, intériorisation des
valeurs organisationnelles, conflits, staff motivation et sentiment
d'adhésion ou de loyauté. C'est ainsi que la dimension
identitaire des relations professionnelles est complètement
évacuée.
Dès lors, créer ou modeler les comportements,
les attitudes et les systèmes de valeurs, ou alors, développer
des mécanismes pour déjouer les résistances issues des
traditions locales (notamment les pesanteurs ethniques) sont des aspects qui
sont loin d'être au centre des préoccupations des managers de ces
ONG. Il en est de même de la connaissance des enjeux politiques et
économiques, des rapports de forces entre les différentes
composantes de l'espace public local, etc. Le management interculturel semble
être un concept abstrait que personne ne veut comprendre. Pourtant, tous
ces éléments, au-delà même de la
compréhension du fait ethnique, sont de nature à permettre aux
responsables des ONG de cerner les catégories mentales du personnel
local et d'anticiper sur d'éventuels blocages dans le fonctionnement de
la structure.
La mobilisation même du principe de non-ingérence
pose problème. En effet, s'il faut parler d'ingérence dans un
domaine donné, cela implique que l'Etat ait fait de ce domaine une
chasse gardée. En d'autres termes, il faudrait que cela touche au libre
exercice des compétences reconnues à l'Etat par le droit
international, c'est-à-dire, qu'il a sur son territoire
l'exclusivité et la plénitude de compétences seulement
limitées par ses engagements internationaux. Or, en matière de
pluralisme ethnique, l'Etat Burundais est assez avant-gardiste : suite aux
accords de paix d'Arusha, le système des quotas ethniques et de
parité dans les institutions nationales (Parlement, gouvernement,
armée, police nationale, sénat) est inscrit explicitement dans la
loi organique.
A titre d'exemple, la composition du Sénat telle que
prévue dans l'article 163 de la loi organique est établie comme
suit : « 1) deux délégués de chaque province,
élus par un collège électoral composé de membres
des conseils communaux de la province intéressée, provenant de
communautés ethniques et de familles politiques
56 STANKIEWICZ François, Economie des
ressources humaines, La Découverte, Paris, 1999.
différentes et élus par des scrutins distincts ;
2) trois personnes issues de l'ethnie Twa ; 3) les anciens chefs d'Etat. En
tout état de cause, le nombre de sénateurs, paritaire
ethniquement et politiquement, ne peut être supérieur à
cinquante quatre. »57 Dans un pays où les
équilibres ne se font pas automatiquement, il a fallu forcer la main aux
protagonistes politiques pour que tous les citoyens qui en sont capables
puissent avoir la possibilité d'accéder à des postes de
responsabilité dans les institutions étatiques et les entreprises
publiques ou parapubliques. A la lecture de l'article précédente,
on se rend ainsi compte que les pygmées Twa bénéficient
d'une affirmative action.
De quelle non ingérence parlent alors les responsables
de ces ONG internationales ? Leur compréhension de ce principe semble
être diluée. Dans tous les cas, les incidences de cette politique
de négation du fait ethnique sont palpables. Concrètement, il
s'est opéré une sorte d'homogénéisation ethnique
des personnels locaux de ces organisations. Malgré toutes les
précautions prises pour opérer un team building
basé sur des critères objectifs, le risque de mono polarisation
des équipes locales est très élevé. Cela tient de
la méconnaissance des éléments contextuels locaux par
certains managers expatriés.
L'erreur fondamentale que font ces derniers, c'est de croire
que leurs homologues ou collègues Burundais obéissent à
une même rationalité que la leur. Dans un contexte local aussi
diffus, avec des catégories mentales et systèmes de valeurs aussi
hermétiques sur la question ethnique, les théories rationnelles
et classiques de management des ressources humaines qu'ils ont apprises dans
les universités deviennent inopérantes face à la
complexité des logiques qui animent les employés Burundais.
Plus grave, ces managers n'ayant pas pris la peine
d'étudier en profondeur les acteurs et les facteurs de leur milieu
d'intervention pour déterminer les menaces et les opportunités,
ils ont une vue caractérisée par des clichés et des
étiquetages de toutes sortes sur telle ou telle autre ethnie du Burundi.
Leurs opinions sont fondées sur les informations soigneusement
sélectionnées par leurs collaborateurs
57 Constitution de la République du Burundi
Burundais. Ils deviennent ainsi dépendants de leurs
interprétations et analyses parfois partisanes du réel.
Dans les staffs locaux de ces ONG,
l'homogénéisation ethnique semble s'opérer naturellement.
Les managers expatriés n'intervenant pas sur la variable ethnique, elle
devient l'apanage des cadres locaux. La politique officielle de ces
organisations leur convient parfaitement : « les ethnies n'existent pas au
sein des organisations, il n'y a que des Burundais ». Une telle
déclaration, dans un autre contexte, serait peut- être le signe de
la volonté des managers de rassembler les personnes des
différentes ethnies, de les inviter à dépasser les
clivages ethniques, etc. Mais dans le contexte burundais, elle peut être
sujette à une multitude d'interprétations.
C'est ainsi que dans certaines ONG dans lesquelles, du planton
jusqu'au plus haut cadre des employés Burundais, tous étaient
d'une même ethnie, les cadres locaux rencontrés lors de nos
enquêtes affichaient un air des plus outrés lorsque nous
envisagions le fait qu'ils puissent privilégier les personnes de leur
ethnie. « Nous ne regardons pas l'ethnie des gens, nous sommes tous des
Burundais... », nous déclaraient-ils d'un air offusqué.
Pourtant l'existant parlait de lui-même.
Face à une telle situation où les
symptômes de l'ethnicité au sein du personnel local se
développent tout en finesse tel un cancer, les managers expatriés
sont quelque peu dans le désarroi.
Chapitre IV
Le désarroi du manager expatrié face
à la complexité
des logiques des employés locaux
|
Les difficultés qu'éprouvent les responsables
expatriés des ONG internationales à définir des politiques
appropriées de gestion du personnel local sont directement liées
à la complexité du contexte d'après guerre civile qui
prévaut au Burundi dont la composante ethnique échappe à
leur lecture souvent réductrice de la réalité locale.
IV-1- La difficile compréhension des
éléments du contexte local par les managers des ONG
internationales
Loin des luttes interétatiques plus ou moins bien
encadrées par le droit des conflits armés, la guerre civile au
Burundi a été particulièrement brutale. Par nature, la
guerre civile a pour moteur la haine de l'autre et exige son
anéantissement. Pour y parvenir, tous les moyens seront utilisés,
le but des combattants étant de terroriser les populations civiles afin
qu'elles s'exilent d'elles-mêmes. La guerre civile implique en effet la
défaite absolue et totale d'un des camps car dans un tel conflit interne
on assiste à « un processus de séparation de populations
dressées les unes contre les autres, dans lesquelles les
intérêts des protagonistes sont à l'aggravation continuelle
de la situation et non à l'apaisement ; l'objectif final étant la
disparition de « l'autre » »58 . C'est dans ce
contexte où la haine ethnique est instrumentalisée de part et
d'autre que les ONG internationales sont amenées à évoluer
avec, en leur sein, un personnel local quotidiennement confronté aux
problèmes d'ethnicité, voire d'ethnisme.
Une des difficultés majeures pour les responsables de
ces organisations réside alors dans leur lecture erronée des
comportements tribalistes des employés locaux ; tellement les
stratégies des uns et des autres sont bien élaborées. A
partir de ces données de départ la facilité voudrait qu'on
se désintéresse complètement de la variable ethnique dans
la gestion des ressources humaines, comme le font certaines ONG. Mais peut-on
s'en désintéresser alors qu'elle fait partie des Problèmes
à résoudre pour arriver à une paix durable ?
En effet, la fin des hostilités que connaît le
pays actuellement ne signifie en rien que la paix soit acquise. Bien au
contraire, l'expérience a montré qu'il existe en
général une chance sur deux pour qu'un conflit reprenne. Pour
comprendre ce paradoxe il
58
http://www.solidarité-international.com/ POMES Eric J., « Les
opérations de maintien de la paix : des relations ONG / Nations-Unis /
Etats à approfondir » in Géoéconomie, 16
mars 2006
faut s'attacher à la définition de ce qu'est un
conflit. Un conflit peut être défini comme « la poursuite de
buts incompatibles par différents groupes » ; ou alors, comme la
« présence simultanée de motivations inconciliables ou
contradictoires »59. Ainsi, un conflit n'est résolu
définitivement qu'autant que les causes profondes de celui-ci ont
été comprises et désamorcées.
Le retour de la volonté de vivre ensemble
nécessite par ailleurs une réelle réconciliation qui passe
notamment par le dialogue et la justice. Cette phase critique, pour un retour
de la paix, est la phase de reconstruction. Il s'agit en fait pour les ONG
internationales d'aider l'Etat à réussir sa transition de la
guerre à la paix sans qu'aucune partie ne se sente lésée.
Cette reconstruction est d'autant plus importante qu'il existe un lien fort
entre le développement et la fin de la violence. Mais ces organisations
peuvent-elles remplir cette mission si elles n'arrivent pas à cerner, en
leur sein même, les logiques et les dynamiques ayant conduit à la
guerre civile ?
Le levé de bouclier que nous avons observé dans
certaines de ces organisations dès que nous abordions le sujet de
l'ethnicité dans les relations professionnelles montre bien combien
leurs responsables semblent être déconnectés de la
réalité. Une omerta sur le sujet paraît régner dans
beaucoup d'ONG internationales. Mais si une bonne partie des managers
expatriés paraissent être unanimes quant à la posture de
retrait à prendre à l'égard de la variable ethnique, les
employés Burundais, quant à eux, n'entrent pas dans cette
logique.
Certes, ces derniers ne crient pas sur les toits leurs
opinions en la matière. Mais au- delà de cette réserve
affichée, des postures parfois tranchées sont discernables. Le
champ de l'ethnique ayant été laissé libre par la
hiérarchie, il devient une zone d'ombre dans laquelle se
déploient les stratégies des employés locaux pour la
maîtrise des circuits décisionnaires de l'organisation.
Contrairement au managers expatriés, pour les locaux, l'ethnicité
représente un enjeu réel. En filigrane, c'est le contrôle
des sources de richesse qui se joue, l'ONG étant perçue comme
« une source intarissable d'argent à laquelle il faut
obligatoirement venir puiser »60.
59 "conflit." Microsoft® Encarta® 2007
[DVD]. Microsoft Corporation, 2006.
60 Propos d'un enquêté
Dans ces conditions, les responsables expatriés des ONG
sont bien partis pour « ne pas comprendre grande chose » à la
mentalité des Burundais, comme nous l'a avoué un avec
dépit : « [...] les Burundais sont très compliqués,
personne ne dit ce qu'il pense réellement. »
En réalité, la majorité des
employés locaux de ces organisations sont loin d'avoir un comportement
tribalistes de manière permanente. Toutefois, ils sont parfois
contraints de prendre position en réaction aux attitudes hostiles de
certains de leurs collègues. Même ceux que nous avons
appelé les « irréductibles » dans le chapitre
précédent, nous avons vu qu'ils attendent les moments de crises
pour exprimer ouvertement leur inimitié envers les « autres ».
Nous sommes, selon toute vraisemblance, face un à ethnisme situationnel
s'exprimant à l'occasion de pics émotionnels individuels ou
collectifs liés à l'ethnie.
Mais tout cela n'empêche pas que, de manière
continuelle, l'ethnicité61 reste prégnante dans les
manières de faire des uns et des autres, cela de façon à
peine perceptible. Cet état de choses est en partie dû au
conditionnement social. Le groupe d'origine s'impose à l'employé
local et lui imprime des comportements considérés comme normaux.
Les individus qui vont outre ces « règles » communautaires non
écrites et non dites s'exposent au risque d'être
marginalisés par le groupe. C'est ainsi qu'on observera avec suspicion
une amitié ouvertement affichée entre deux individus issus de
deux ethnies différentes. En conséquence, ils n'auront plus
accès aux informations jugées sensibles de la part des
collègues de leurs groupes ethniques respectifs, de peur qu'ils n'en
soient des vecteurs vers l'autre « camp ».
On voit ainsi que la pression du groupe d'origine sur
l'employé est très forte, de telle façon que, même
s'il est de type coopératif, il s'oblige à ménager les
susceptibilités de ceux qu'il considère comme étant ses
« semblables » sur le plan identitaire. Mais cette pression ne
s'exprime pas de manière ouverte. Elle est d'autant plus contraignante
pour les individus qu'elle se déploie de manière sous-entendue
car, dans la conscience collective des Burundais, le sous-entendu est largement
plus parlant que l'entendu.
61 L'ethnicité est à différencier
de l'ethnisme. Cf. définitions des termes
Cependant, cette attitude est moins marquée chez les
employés des ONG pratiquant déjà le management
interculturel. La zone d'ombre que constitue le champ de l'ethnique y est moins
étendue car déjà investie par la hiérarchie.
Pratiquement contraints à collaborer avec les « autres », les
systèmes de valeurs des employés locaux subissent des
modifications, ne serait-ce que de manière superficielle, et les
consciences individuelles intériorisent des éléments de la
culture organisationnelle. Mais, même dans ces ONG, des pans entiers des
catégories mentales des locaux échappent à la
compréhension des managers expatriés.
En toute état de cause, les employés locaux ont
la parfaite maîtrise de la variable ethnique et savent en user avec
dextérité dans les relations professionnelles. Beaucoup
d'enquêtés nous ont confirmé l'existence d'un tel
phénomène, comme nous l'a dit un cadre burundais :
« Il y a un climat de concurrence teinté
d'ethnicité pour l'accès aux postes de responsabilité car
ce sont des postes pour lesquels, quand tu y accèdes, tu as des
avantages ; la concurrence elle est là, c'est clair. Les Burundais nous
avons un caractère..., les uns disent que c'est un peuple ironique...
C'est un peuple qui très rarement manifeste dans la rue, mais il y a des
crises profondes que les gens vivent au fond d'eux mêmes et qui souvent,
éclatent profondément ou bien quand ça éclate,
officiellement ou extérieurement ça n'apparaît pas
forcément. La preuve en est que, quand ça a éclaté
vraiment, les gens se sont entrecoupé les têtes [...] .ça
se vit comme ça au boulot ; tu vas voir une personne venir appeler
l'autre parce qu'elle sait qu'elles ont cette affinité ethnique, et
elles vont aller à côté et vont parler entre les oreilles,
et puis après ils vont revenir, personne ne te dira ce dont ils ont
parlé, tu vois ? C'est comme ça qu'au boulot ça se fait.
Il y a eu des postes qui étaient donnés à certains mais
qui n'étaient pas donnés aux autres, ça se faisait comment
? Est-ce que ça se faisait officiellement en disant on ne donnera pas
ceci à celui là ? La présélection s'est toujours
faite dans la clandestinité, ça a été un apartheid
clandestin et ça se vit dans les coeurs des gens. »
Les différentes postures des managers expatriés
n'arrivent pas à endiguer le phénomène. Cela paraît
logique car, de par les blessures et les stigmates profonds (physiques et
symboliques) laissés par plusieurs années de conflit, il est
normal que beaucoup de Burundais agissent encore suivant un sentimentalisme
ethnique, sans que cela ne soit forcément un déterminisme
social.
Il faut en effet nuancer le propos car la pression du groupe
est loin d'être un facteur explicatif dominant. Si l'on peut admettre que
le sentimentalisme ethnique puisse être mobilisé dans les
relations interindividuelles par les masses populaires, il n'en est pas de
même pour ceux qui comptent parmi les plus instruits des Burundais. Les
ONG et les autres organismes internationaux, en raison de leurs salaires
attrayants et de leurs critères de recrutement axés sur la
compétence, emploient une bonne partie de l'élite locale. Il est
ainsi difficile d'imaginer que ceux-ci convoquent systématiquement
l'ethnicité par pure sentimentalisme ou atavisme.
Le problème est plutôt à analyser sous un
angle utilitariste. L'ethnicité n'est en fait qu'une ressource, parmi
tant d'autres, au service des employés locaux pour accéder
à la richesse matérielle et symbolique. L'observation des
comportements de la catégorie d'employés que nous avons
appelé les « joueurs » nous conforte dans cette idée.
Pour ceux-ci, avoir un poste de responsabilité dans une organisation
internationale, autant que dans une institution étatique, relève
du domaine du prestige, en tant que « considération plus ou moins
forte dont bénéficient des personnes ou groupes de personnes en
fonction de leur pouvoir, de leur richesse ou de leur statut social
»62.
Il découle de ce qui précède que le
travail dans les ONG internationales est porteur de pouvoir pour ses
détenteurs. L'exercice du pouvoir, quel qu'il soit, étant par
nature limitée selon les circonstances à un groupe restreint de
personnes, il ne saurait être ouvert à la multitude. C'est ainsi
que des modes de sélection souterraines sont élaborés pour
y accéder. Dans une société marquée par
l'omniprésence de l'ethnicité dans la constitution des
réseaux sociaux, il n'est nullement irrationnel que les plus rationnels
des acteurs instrumentalisent l'ethnicité en tant qu'outil, au sens le
plus vulgaire du terme, pour restreindre l'accès au pouvoir. Tout autant
que l'ethnie, si la religion était un élément dominant
dans la société burundaise, il n'en aurait pas été
autrement.
En principe, les managers qui auraient compris ce qui
précède devraient à leur tour, pouvoir élaborer
sereinement des stratégies pour que le facteur ethnique n'entrave
62 FERREOL Gilles et alii, Dictionnaire de
sociologie, Armand Collin, Paris, 2004, 242 p.
pas le fonctionnement de leurs organisations. Mais dans les
faits, beaucoup d'entre eux ont une peur viscérale de tout ce qui a
trait à l'ethnie. Suite à des expériences traumatisantes
vécues lors du génocide au Rwanda en 1994, on estime, dans
certaines organisations, qu'aborder la question de l'ethnicité dans les
relations professionnelles créerait un malaise profond et de la
suspicion au sein du personnel local. Pour d'autres organisations, par contre,
c'est en parler qui constituerait la clé pour démystifier le
sujet et l'extirper, une fois pour toutes, des relations professionnelles dans
le milieu des ONG.
Ce qui apparaît au final, c'est l'existence d'une
certaine cacophonie en matière de gestion des ressources humaines,
notamment sur la question ethnique, dans le secteur des ONG au Burundi.
Pourtant, la quasi totalité de ces ONG sont membres ou observateurs du
RESO comme nous l'avons relevé au chapitre premier. Les ONG
réunies au sein de ce réseau se réunissent tous les
premiers lundi de chaque mois pour harmoniser leurs interventions sur le
terrain. Dans le cadre de ces séances de travail, il leur arrive
d'aborder des thèmes liés à la gestion des ressources
humaines locales. Mais suite à l'omerta qui semble régner dans le
milieu, la question ethnique dans les relations professionnelles n'est jamais
abordée. On se limite à la définition des « meilleurs
procédures et processus » pour amener les équipes locales
déployées sur le terrain à orienter leurs activités
vers l'atteinte des résultats, etc.
En conséquence, c'est chaque ONG en cavalier solitaire,
qui gère en interne les externalités (pour autant que ses
responsables se soient rendus compte de leur existence) liées à
la mobilisation de l'ethnicité dans les rapports humains au travail par
les employés locaux. Mais tant qu'il n'y a pas de politique
concertée entre organisations non gouvernementales pour aplanir cette
problématique, les employés locaux surfent paisiblement sur la
vague ethnique en codifiant progressivement les circuits de l'emploi dans ces
organisations. En effet, l'absence de normes acceptées par tous en la
matière laisse la place à une « normalisation informelle
» parfois imbibée de logiques ethnicistes non explicites.
Si la mobilisation de l'ethnicité est
avérée au sein des staffs locaux des ONG internationales, la
responsabilité des cadres expatriés dans sa consolidation en
underground n'est pas aussi clairement établie.
IV- 2- La « socialisation ethnique » des
cadres expatriés des ONG internationales
Lorsque nous analysons le discours des différents
cadres expatriés des ONG que nous avons rencontrés, on constate
qu'ils se drapent sous une neutralité et une objectivité, par
rapport à la question ethnique, qui seraient à toute
épreuve. Etant des étrangers, ils se considèrent
également comme étant étrangers au conflit.
Interrogés sur leurs motivations à s'engager dans l'humanitaire
au Burundi, 2/5ème d'entre eux avancent des raisons
philanthropiques et humanistes. Seulement quelques uns reconnaissent avoir
été intéressés par les opportunités
professionnelles et d'aventure que leur offre l'action humanitaire au sein des
ONG internationales.
Les cadres expatriés des ONG internationales seraient
ainsi des chantres de l'objectivité. Mais au delà de ce discours,
on ne peut s'empêcher de se poser une question : comment, dans une
société où l'objectivité sur la question ethnique
est la chose la moins partagée, les expatriés vivant en son sein
réussiraient-ils à conserver la virginité de leur
neutralité pudique en matière d'ethnicité ? Une
définition de l'objectivité nous fournit un éclairage la
dessus. L'objectivité est une « attitude, disposition d'esprit de
celui qui « voit les choses telles qu'elles sont », sans
préjugés ni parti pris ». C'est la « valorisation des
idéaux de désintéressement, de mise en commun et
d'universalité. Une rupture avec le sens commun, les apparences, le
monde du vécu, ... »63
Ainsi, un idéal que les sociologues, depuis Durkheim,
ont toujours cherché à approcher sans réussir
véritablement à l'atteindre, les cadres expatriés des ONG
internationales au Burundi le vivraient pleinement. L'on serait donc
tenté de dire que ces derniers sont les premiers des sociologues, tous
sans exception. Mais le réel ne saurait souffrir d'une lecture aussi
simpliste.
Loin de nous l'idée de mettre en doute leur bonne
volonté, nous remarquons juste que dans l'histoire du Burundi, rare sont
les étrangers (occidentaux) qui sont entrés en contact avec la
société burundaise et en sont partis sans que leurs consciences
individuelles ne soient profondément marquées et
imprégnées par les tendances
dominantes en matière de représentations
collectives sur l'ethnie. Depuis la période coloniale, nombreux sont les
ethnologues et autres pseudo scientifiques qui ont cru déceler des
caractéristiques physiques et culturelles spécifiques dans les
deux principales ethnies du Burundi, véhiculant plus les
idéologies raciales (voire racistes) alors en vogue en Occident vis
à vis des peuples d'Afrique. Il suffit de lire les théories
fallacieuses sur les peuples du Burundi et du Rwanda des plus
célèbres d'entre eux, à l'instar de Mgr. J.
GORJU64, le Père Bernard ZUURE65, Hans
MAYER66, Pierre RYKMANS67 , ou encore E.
SIMONS68 pour s'en convaincre définitivement.
Défendant une approche dite évolutionniste dans leurs «
analyses » des faits ethniques, ils avancent notamment que les clivages
ethniques observés au Burundi et au Rwanda seraient un
phénomène naturel et atavique, le fait de populations encore
« sauvages », poursuivant leur évolution vers les
sociétés civilisés...
Les spéculations mentales de ces missionnaires et
coloniaux convertis en ethnologues ayant été
élevées au rang de théories scientifiques
contribuèrent à cristalliser et à consolider les divisions
ethniques qui déchirent la région des Grands Lacs aujourd'hui.
Pourtant, c'est de ces mêmes lectures qu'est nourri le simple citoyen
occidental lorsqu'il daigne s'intéresser à l'histoire et aux
cultures des peuples des Grands Lacs.
Il est ainsi clair que, à l'arrivée au Burundi,
les cadres expatriés se font déjà une certaine idée
du Burundi et de son peuple, de par les recherches documentaires qu'ils font
obligatoirement avant de regagner leurs postes d'affectation, et les
récits des collègues ayant déjà effectué des
séjours plus ou moins prolongés dans ce pays. Une fois sur place,
ils chercheront tout simplement à infirmer ou à confirmer leur
« connaissances » sur le pays auprès de leur collègues
Burundais. On comprend par là combien il est important pour les cadres
Burundais d'être parmi les hommes de confiance du coordinateur
expatrié car, de la peinture qu'ils lui feront de
63 FERREOL Gilles et alii, Dictionnaire de
sociologie, Armand Collin, Paris, 2004, 242 p.
64 GORJU J., En zigzag à travers
l'Urundi, Mission d'Afrique, Anvers, 1927 ; et Face au royaume hamite
du Rwanda. Le royaume frère de l'Urundi, Vramart, Bruxelles,
1938
65 ZUURE B, L'âme du Murundi, Gabriel
Beauchesne et ses fils, Paris, MCMXXXII
66 MAYER H., Les Barundi : Une étude
ethnologique en Afrique orientale, (trad. de l'Allemand par
Françoise Willmann : éd. Critique présentée et
annotée par Jean Pierre CHRETIEN), Société
française d'Histoire d'Outre-mer, Paris, 1984
67 RYCKMANS P., Une page de l'histoire coloniale.
L'occupation allemande dans l'Urundi, Bruxelles, 1953 ; et Dominer
pour servir, Bruxelles, 1931
la réalité locale dépendra la lecture qu'il
en aura. Cela peut être déterminant dans l'orientation qu'il
donnera à la gestion des ressources humaines.
Plus concrètement, si cette peinture de la
réalité locale est faite sur un fond ethnique en défaveur
de telle ou telle autre ethnie, il faudrait qu'il soit solidement
préparé, notamment sur le plan académique et de
l'expérience du terrain, pour ne pas céder aux sentiments
d'antipathie, de sympathie ou de compassion. Et si d'aventure, il lui arrivait
de vivre des expériences malheureuses répétées,
impliquant des personnes d'une certaine ethnie, cela ne pourrait que sceller
définitivement le sens de son jugement.
« [...] Au bout de trois ans ici, je n'arrive pas encore
à distinguer qui est de telle ethnie ou de telle autre ». Cette
déclaration constitue l'une des phrases que nous avons le plus entendues
lors de nos entretiens avec les managers expatriés. En s'exprimant
ainsi, nos interlocuteurs tentaient de nous démontrer à quel
point ils ne veulent pas s'ingérer dans des problèmes
exclusivement burundais. Pour eux, aller jusqu'à ignorer
l'identité de leurs collaborateurs directs serait un gage de
neutralité.
Mais à travers cette déclaration, on
perçoit distinctivement un refus de s'exprimer sur un sujet qu'ils
disent pourtant considérer comme étant un non problème.
Parfois, nous étions même confrontés à des
résiliations de rendez-vous d'entretien, sous prétexte de manque
de temps, dès que nos interlocuteurs prenaient connaissance du
thème de notre recherche. Cette attitude que nous observions, jusque
là, chez nos enquêtés Burundais, nous donnait de
précieux indicateurs quant à la réelle perception que
certains managers expatriés ont de la question ethnique dans la gestion
des ressources humaines locales.
Forts de toutes ces observations, nous pouvons avancer que les
managers expatriés des ONG internationales opérant au Burundi,
aussi bien ceux adoptant l'approche interculturelle que ceux invoquant le
principe de non ingérence, jouent un rôle de premier plan dans le
jeu de dupes qui met en scène, dans ces organisations, les
différents groupes ethniques engagés dans la « lutte »
pour la maîtrise des sources de richesse. Ils ont le beau rôle qui
est celui d'arbitres, les uns en usant
68 SIMONS E., « Coutumes et institutions des
Barundi », in Bulletin des juridictions indigènes et du
d'interventionnisme, pendant que les autres se mettent en
retrait en faisant fi de ne pas voir les enjeux qui se jouent. Les premiers
veulent imposer les équilibres tandis que les seconds favorisent
(peut-être inconsciemment) le maintien des déséquilibres,
préférant la sécurité du statu quo à
l'imprévisibilité du changement.
Dans le discours des deux catégories de managers, on
perçoit un soupçon de paternalisme à l'égard de
l'employé Burundais. Il est décrit comme étant très
renfermé sur lui-même, caractérisé par la
duplicité dans les relations interindividuelles. Il serait alors
question que les responsables expatriés des ONG, auréolés
de leur objectivité et de leur bon sens, amènent les
employés locaux qui sont sous leur leadership, à plus d'ouverture
sur le monde, à plus de tolérance, etc. Il ne semble pas leur
venir à l'idée que parfois la mobilisation de l'ethnie par les
locaux dans les relations professionnelles comme dans la vie de tous les jours,
loin d'être un atavisme culturel, n'est qu'un instrument comme tant
d'autres, de positionnement sur les différents échiquiers de la
vie en société.
En réalité, les expatriés sont parfois
pris en otage par les cadres locaux. Pensant être au dessus de la
mêlée, ils ne se rendent pas compte qu'ils constituent la
pièce maîtresse dans le jeu auquel se livrent ces derniers. En
effet, ayant réussi à s'ériger en « collaborateurs de
confiance », les cadres locaux sont ceux qui manoeuvrent dans l'ombre,
toujours prêt à donner des conseils avisés à la
hiérarchie étant donné qu'ils maîtrisent mieux les
éléments du contexte local. Ainsi, selon qu'ils sont «
coopératifs », « joueurs » ou « irréductibles
», en matière de gestion des ressources humaines, ils peuvent faire
pencher la balance en influant sur les décisions de recrutement. Ils ne
sont pas ceux qui décident, mais leur avis compte dans la
décision finale. En fin de compte, qu'importe l'objectivité du
choix opéré, à partir du moment où la
décision finale est endossée par le responsable expatrié
de l'ONG, elle jouit d'une neutralité indiscutable auprès de
l'opinion et des bailleurs de fonds.
On voit ainsi que, bon gré mal gré, les managers
expatriés, de par les choix de gestion des ressources humaines
opérés, contribuent à raffermir ou à réduire
les conditions de relance du conflit en renforçant ou non,
indirectement, le pouvoir
droit coutumier congolais, Elisabethville, N° 7-12,
1943-1944
économique de certains groupes plus que d'autres. Il
faut cependant relativiser l'impact du phénomène qui ne s'observe
peut-être qu'à un niveau microscopique d'un secteur parmi tant
d'autres de la vie socio-économique du Burundi : le secteur des ONG
internationales.
IV-3- Les perspectives de la question ethnique dans le
management des staffs locaux
Pour endiguer les manifestations négatives de
l'ethnicité, est-il possible de trouver une approche idéale de
management des ressources humaines locales ? C'est une question à
laquelle il est difficile de répondre. En effet, nous avons vu que les
comportements et les attitudes des employés locaux en la matière
sont fluctuants en fonction des données du contexte ; c'est ainsi que
nous avons parlé de comportements de situation.
En réalité, il n'y a pas d'approche
idéale ; confrontés aux problèmes d'ethnicité au
sein du personnel, les managers qui réussissent le mieux sont ceux qui
savent adapter leur politique aux exigences de l'environnement. Ils se doivent
ainsi d'avoir à l'esprit deux éléments essentiels :
Atteindre les objectifs des projets mis en oeuvre par les ONG
;
Ne pas créer ou contribuer à créer les
conditions de déclenchement ou de relance du conflit ethnique dans la
société globale. Il peut sembler exagéré d'avancer
que les politiques de gestion des ressources humaines appliquées dans
quelques ONG internationales puisse avoir un quelconque impact sur le contexte
socio-politique et économique d'un pays. Mais lors de la
présentation des différentes approches, surtout celle du «
Do No Harm », nous avons vu dans quelle mesure un tel
scénario est envisageable.
Il est alors question d'élaborer ponctuellement des
stratégies flexibles aux moments les plus sensibles de la gestion du
personnel. Dans le cas concrets des ONG internationales au Burundi, quelque
soit l'approche préconisée, nous identifions les moments suivants
comme étant sensibles lorsqu'ils sont mis en rapport avec la question de
l'ethnicité :
Le recrutement (dans toutes ses huit phases69)
L'évaluation : c'est une étape d'une
sensibilité extrême car d'elle dépendra l'évolution
de la carrière de l'employé au sein de l'organisation ; des
manoeuvres subjectives peuvent ainsi voir le jour en faveur ou en
défaveur de certaines personnes.
L'avancement (promotion)
Les moments de conflit (cas des employés de type
irréductibles évoqués dans le chapitre III)
Etant donné que les employés locaux dans leur
majorité accordent une certaine attention au facteur ethnique dans leurs
relations interindividuelles, le manager de l'ONG ne peut pas
complètement ignorer cette donne car elle est de nature à influer
sur le rendement au travail. Tout en gardant sa supposée
neutralité, il est possible qu'il définisse les processus et les
procédures devant garantir l'équité en matière
d'ethnicité dans la prise de décisions lors des moments sensibles
que nous venons d'identifier ci-haut. Mais dans les faits, c'est la
capacité du manager à faire une appréciation juste du
contexte ou de l'environnement qui est déterminante dans la prise en
compte ou non du facteur ethnique en matière de gestion des staffs
locaux.
Toutefois, si les ONG internationales inscrivent leurs projets
humanitaires et de développement dans la dynamique et la logique de la
construction d'une société multiethnique
réconciliée avec son histoire, il semble inévitable de
mettre un accent particulier sur le caractère multiethnique qui doit
être inhérent à chaque équipe sur le terrain.
Néanmoins, il ne suffit pas de construire une
équipe multiethnique pour prétendre régler le
problème ; encore faut-il savoir en gérer les soubresauts et les
zones de turbulence. En effet, lorsque les membres d'une même
équipe sont issus de plusieurs ethnies supposées être en
situation de belligérance sur le plan politique, il est
inévitable que des conflits interindividuels ou intergroupes naissent.
Mais cela n'est pas une fatalité ; une équipe, aussi
homogène soit-elle est forcement confrontée à des moments
de crise et de conflits relationnels.
69 Cf. Chapitre I, pages 35 et 36
S'il est avéré que le conflit entraîne un
certain nombre de désagréments pour les individus comme pour
l'organisation, il est aussi de plus en plus admis que le conflit n'est pas
forcement porteur d'éléments négatifs. Au contraire, il
offre une lecture du changement ; il permet au manager de connaître les
problèmes qui minent le staff et de les résoudre de la meilleure
manière qui soit. Il met également en lumière les rapports
de forces entre les acteurs (membres de l'équipe), les enjeux et les
stratégies que les uns et les autres mettent en oeuvre.
Les situations conflictuelles sont toujours instructives pour
le manager. En effet, les stratégies déployées par les
membres du staff donnent une idée du pouvoir réel dont ils
disposent. A partir de ces données de base, il peut ainsi
connaître les racines probables des dynamiques négatives ainsi que
leur degré de nuisance.
Ainsi, dès lors que le manager identifie le facteur
ethnique comme étant l'une des clés du conflit, il lui appartient
de savoir le comportement adéquat à adopter pour maintenir les
membres de l'équipe orientés vers l'atteinte des objectifs. Il
est vrai que cela est sensiblement plus facile à dire qu'à mettre
en application. C'est alors en ce moment que le manager doit
véritablement jouer l'un de ses rôles : effectuer des choix,
« manipuler » les hommes dans le but des les amener à
atteindre les objectifs désirés. C'est une gymnastique qui
relève presque de l'art.
Au-delà des ONG internationales, il est tout de
même impératif que la réflexion sur la question ethnique
dans le management des ressources humaines locales soit menée au niveau
des instances étatiques compétentes. Si les managers de ces
organisations ont tant de mal à définir des politiques qui
conviennent au contexte particulier de l'après conflit ethnique, c'est
également parce qu'il y a un vide juridique sur la question pour ce qui
concerne les ONG internationales. Mais lorsque l'on sait à quel point
l'ethnisme caractérise les acteurs politiques au Burundi, on se demande
s'il serait pertinent, voire opportun d'attirer leur attention sur cette
question. En effet, aux vues des antécédents, il est permis
d'émettre de solides réserves quant à leur capacité
à traiter ce genre de thématique de manière lucide,
dépassionnée et avec recul.
|