Sigles et abréviations
CDA: The Collaborative for Development Action
CNDD-FDD : Conseil National pour la Défense de la
Démocratie - Front pour la
Défense de la Démocratie
FNL-PALIPEHUTU : Front National de Libération - Parti pour
la Libération du Peuple
Hutu
JRS : Jesuit Refugee Service
ONG: Organisation Non Gouvernementale
RESO: Rassemblement Echange et Solutions entre ONG UCAC:
Université Catholique d'Afrique Centrale
Introduction générale
Contexte
Au Burundi, treize ans de conflit armé ont vu la
diminution de la dimension de l'Etat et la réduction de son
efficacité dans plusieurs secteurs. Aussi, plusieurs organisations non
gouvernementales (ONG) locales et internationales ont-elles pris le relais pour
palier à la fin de « l'Etat providence ». Actuellement, la
richesse économique est devenue extrêmement rare, le secteur
privé anémié et la création des emplois par
celui-ci réduite presque à néant. Parallèlement, le
système éducatif continue à déverser, chaque
année, des centaines de diplômés sur le marché du
travail.
La voie la plus accessible à tous pour acquérir
les moyens de consommation semble alors résider dans l'économie
populaire, mais l'emploi y est précaire et les revenus faibles. Une
autre voie est celle de postuler aux postes de responsabilité dans les
institutions républicaines via des réseaux politiques. Mais,
devant le nombre limité de ces postes et les risques
élevés d'élimination physique liés à
l'activité politique au Burundi, la meilleure option qui s'offre au
chercheur d'emploi est de se faire embaucher par une ONG internationale.
Le secteur des organisations non gouvernementales au Burundi
est régit par la loi du 23 juin 1999 sur les ONG. Aux termes de
l'article 27 de ladite loi, les zones et les domaines d'intervention des ONG
sont déterminés de commun accord par ces organisations et les
départements ministériels concernés, en tenant compte des
priorités du Gouvernement. En principe, les ressources des ONG sont
orientées vers des programmes dont l'objectif est l'amélioration
du niveau de vie des populations. Il s'agit notamment de programmes d'adduction
d'eau et d'assainissement, de santé, d'éducation, d'agriculture
et d'élevage, des droits de l'homme, de réconciliation des
communautés ethniques, etc.
Tel que stipulé dans l'Ordonnance Ministérielle
n°660/086/92 du 17 février 1992 relative au personnel des
organisations de droit étranger, la main d'oeuvre
étrangère ne doit pas dépasser 1/5 des salariés de
l'entreprise par catégorie professionnelle. Cette loi s'applique
également aux ONG étrangères. Par ailleurs, le secteur
associatif et des organisations étrangères se
révèle être un des domaines qui créent le plus
d'emplois, à court terme. En effet, suite à la signature des
Accords d'Arusha et à
l'élection présidentielle de juin 2005, on
assiste à la multiplication des projets de développement et des
programmes humanitaires financés par les organismes internationaux. De
plus, les montants des salaires octroyés aux agents de ces organisations
sont largement supérieurs à la moyenne générale des
salaires payés dans les entreprises burundaises.
Il s'avère alors que ces organisations constituent des
partis de premier choix pour les chercheurs d'emploi. La fonction employeur y
occupe ainsi une place importante. Elles contribuent à répondre
au problème de l'emploi et servent pour beaucoup, de source
privilégiée de revenus financiers, sous forme de
rémunération du travail. En effet, une étude menée
en 2004 portant sur 33 organisations internationales réunies au sein
d'un réseau appelé RESO (Rassemblement, Échanges et
Solutions entre ONG) montre que celles-ci ont utilisé un budget de plus
de 51 millions de dollars américains au cours de la même
année. Sur l'année 2005, les prévisions faisaient
état de 60 millions de dollars américains. Ces fonds ont
notamment permis la création de 2748 emplois locaux. Le résultat
de cet état de choses est que, d'une part, la majeure partie de l'offre
de travail (diplômés à la recherche du premier emploi,
chômeurs, employés de la fonction publique, salariés des
entreprises privées) s'oriente vers ces organisations. D'autre part,
ceux qui y ont déjà un emploi élaborent des
stratégies de positionnement pour le conserver. Il s'agit alors pour ces
derniers, dans la mesure du possible, de limiter les nouvelles entrées
dans le secteur afin de ne pas perdre les privilèges acquis.
Dès lors que le travail dans le secteur des ONG
internationales devient l'objet de toutes les convoitises, il y a un risque de
déplacement ou de reproduction des scénarii conflictuels à
caractère identitaire dominant dans la société globale
burundaise.
Il est d'usage d'opposer les fonctionnaires de l'Etat aux
« gens des ONG »1 pour qualifier deux mondes
radicalement différents, avec comme distinctif principal
la qualité des ressources allouées sous forme de salaires et
d'autres avantages. Cela
1 Traduction littérale de l'expression en
kirundi : abo mu ma ONG. Elle exprime une impression de distance voire
de fossé entre les conditions de vie des salariés des ONG
internationales et celles de ceux qui ne le sont pas.
est de nature à rendre particulières les relations
professionnelles au sein de ces organisations.
Dans l'imagerie populaire, il est courant de lier promptement
les présomptions identitaires fondées sur l'ethnie aux
entreprises privées et surtout, à l'administration publique
burundaise. Ces allégations ne sont pas dénuées de tout
fondement. Effectivement, dans le souci principal de préserver les
équilibres et la paix sociale, un nombre important de postes sont
attribués, dans l'administration publique, en fonction de l'ascendance
ethnique, de l'appartenance aux partis politiques ou alors en fonctions de
régions géographiques, du genre et des religions. Mais est-ce
pour autant que les ONG internationales constituent un secteur vierge de toute
pratique à caractère ethniciste ?
A ce stade, la question qui se pose à nous est celle de
savoir si un environnement ethnicisé a une incidence réelle sur
la nature des relations professionnelles au sein des staffs locaux des ONG
internationales opérant au Burundi ?
Des pistes de réponses peuvent être
recherchées dans l'histoire du pays. Au regard de la guerre civile qu'a
connu le Burundi depuis 1993, il apparaît avec clarté que le
conflit a une coloration identitaire indéniable. En fait, le contexte
socio-politique actuel du pays est fortement marqué par le poids de
l'histoire. Nous rejoignons ici Maurice KAMTO2, dans son analyse sur
l'ethnicité en Afrique. Pour lui, même si la situation actuelle
dans beaucoup de pays africains ne peut se réduire à une simple
opposition entre des ethnies ou aux seuls effets déstructurants de la
colonisation ou de la gestion post-coloniale, elle est assurément le
produit d'une trop forte division au sein de la société. C'est le
cas de la société burundaise actuelle. Cette division trouve ses
fondements sociaux et idéologiques dans la colonisation et son
renforcement dès l'indépendance. En d'autres termes, le
repliement principalement ethnique constaté en cas de crise trouve ses
origines tant dans la construction d'une identité ethnique et sa
manipulation que dans l'entretien de ce repliement par l'élite politique
et par les communautés.
2 KAMTO Maurice, L'urgence de la
pensée, Mandara, Yaoundé, 1993
Pourtant, comme l'écrit André
GUICHAOUA3, ce serait une erreur simplificatrice que de
prétendre que le Burundi précolonial connaissait une totale
unité nationale qui aurait été détruite
progressivement à partir de l'arrivée des Européens.
« De nombreuses identités traversaient la société
burundaise, mettant en oeuvre de nombreux clivages (claniques,
régionales et ethniques). Mais en aucun cas ils ne constituaient un
facteur déstructurant dans cette société et, pour la
plupart, ne concernaient que les seules élites ». Cependant, selon
cet auteur, il semble y avoir à cette époque un potentiel de
conflit apte à se transformer en un conflit réel «
dès lors qu'une nouvelle règle se substituerait à celle de
la société coutumière et qu'en même temps se
pétrifieraient les rapports entre les ethnies »4. Cette
propension va être exploitée par le colonisateur à des fins
politiques et économiques, sous couvert d'une volonté de «
civiliser » le pays. La politique coloniale va alors structurer la
société en fonction de l'appartenance ethnique.
Cette action va cristalliser dans la conscience populaire la
différenciation essentiellement sur base ethnique. En
conséquence, cette division fondée sur des critères
idéologiques va se lester d'une charge sociale, puisque l'appartenance
ethnique va, pendant longtemps, déterminer le statut des individus dans
la société ainsi que leur accès au pouvoir. Ainsi,
dès l'indépendance du pays en 1962, « il s'est
créé un mécanisme de rétroaction entre les
stratégies sociales autochtones sous- jacentes à la colonisation
et l'édification de l'appareil étatique »5. Cela
a alors contribué à asseoir une conscience ethnique aiguë
dans les deux principales communautés ethniques du Burundi (les Hutu et
les Tutsi). Les élections présidentielle et législative de
juin 1993 n'ont fait que confirmer le phénomène. L'avortement du
processus démocratique déboucha depuis le 21 octobre 1993 sur une
guerre civile qui fit, jusqu'en 2000, entre 250 000 et 400 000 victimes, 800
000 exilés et 180 000 déplacés à l'intérieur
du pays6.
Au moment où nous avons mené cette étude,
les acteurs politiques étaient en pleine application de l' «
Accord d'Arusha pour la Paix et la Réconciliation au Burundi »
3 GUICHAOUA André, Les crises politiques au
Burundi et au Rwanda, Karthala, Lille, 1995
4 LEMARCHAND R., Génocide sélectif
au Burundi, Minority Rights Group, Rapport num 20, novembre 1974, p.6,
cité par GUICHAOUA André.
5 KAMTO Maurice, Idem.
6 Chiffres officiels publiés en 2000
conclu le 28 août 2000 entre les différentes
parties au conflit burundais à Arusha7. Cet accord a aboutit
à un cessez le feu signé par le principal mouvement rebelle hutu,
alors nommé CNDD-FDD, après plus de dix ans de lutte politique et
militaire. Cela a permis l'adoption d'une nouvelle Constitution par
référendum le 1er mars 2005 et la tenue peu après des
élections législative et présidentielle remportées
par l'ancienne rébellion muée quelques temps avant en parti
politique. Parmi les chantiers déjà achevés ou en cours de
réalisation, il y a la réforme de l'armée et des forces de
sécurité, en tenant compte des identités ethniques. Il
s'agit de mettre en place une armée composée de 40% de Tutsi en
majorité issus de l'ancienne armée régulière, et
60% de Hutu essentiellement issus des rangs de l'ancienne rébellion
CNDD-FDD. Le contrôle de l'armée constituait l'un des facteurs les
plus importants de la lutte militaire. Toutefois au moment de notre descente
sur le terrain, il y avait encore un mouvement rebelle, le FNL-PALIPEHUTU, qui
était encore en activité, ce qui signifie que le conflit
armé n'était pas entièrement terminé. Par ailleurs
la pacification du pays ne signifie nullement la fin du conflit qui peut
revêtir plusieurs formes.
Le contexte global reste donc un contexte de conflit latent,
parfois ouvert, mettant en scène divers acteurs. Par ailleurs, on
constate que la mobilisation de l'identité ethnique est
régulière et systématique, dans l'organisation des
différents secteurs de la vie du pays. L'identité ethnique semble
alors être au centre de la régulation sociale. C'est dans ce
contexte que sont amenés à travailler les ONG internationales
opérant au Burundi.
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