V. Conclusion
Au delà de la diversité thématique apparente
caractérisant la nomenclature des anthroponymes et des toponymes, il y a
lieu de rappeler que l'anthroponymie - avec sa consoeur la toponymie
(étude des noms des lieux) - est une classe de l'onomastique. Les
données de l'onomastique font comprendre, au delà du sens
littéral, les événements et les attitudes qui justifient
leurs choix et leurs usages. Il ne saurait y avoir une étude des lieux
et des noms de personne sans une confrontation de ces lieux ou de ces personnes
avec la réalité historique et sociale dont ils sont un
élément. Les noms en question sont des messages que les acteurs
sociaux profèrent, toujours en engageant le réel de
référence physique ou humain, numineux ou social. Les noms de
personnes ou anthroponymes, pour nous limiter à ceux là, sont
donc une réalité linguistique puisque ce sont les messages
verbaux dont les signes sont ceux de la langue quotidienne. Ils sont aussi une
réalité ethnologique car ils sont le lieu de l'expression
culturelle, dans sa genèse et son contenu. Ils sont également une
réalité psychosociale car ils disent, et par là
même, ils affirment et renforcent le réseau des relations dans
lequel l'individu se définit socialement et dans lequel il joue sa
personnalité. Ils sont enfin, une réalité politique car
ils disent l'objet de décisions au sein d'un conflit entre la tradition
et la modernité et dans la visée d'un dépassement pour une
authenticité culturelle, et plus précisément africaine. La
vie de l'enfant, par le nom qu'il porte, est assurée par de multiples
références numineuses, circonstancielles, et sociales. Il sera
ainsi un être intégré dans la communauté garant
d'une permanence de la tradition vivante. L'anthroponymie n'a pas que
d'intérêt en tant que qu'inventaire des noms, mais comme
témoin et reflet d'une culture et d'attitudes. Elle est l'un des
langages que les humains utilisent pour véhiculer de sens qui sont des
engagements pratiques à l'égard du monde numineux et de la
société42 .
Pigafetta, 1581 dit « les noms des hommes et des femmes ne
sont pas propres à des êtres raisonnables, mais sont commun aux
plantes, aux pierres, aux oiseaux et aux bêtes », dans Relatione
del Congo reame(Rome), publié à Rome.
Sur l'aspect toponymique, les nations et les peuples se
définissent tant par leurs caractères identitaires que par les
territoires qui sont les leurs. Entre ceux-là et ceux-ci, les groupes
humains ont établi des relations qu'ils ont inscrites dans le
vocabulaire géographique que constituent les noms des lieux.
La toponymie reste le reflet éloquent de la symbiose qui
unit la terre et les sociétés qui l'habitent. Il importe donc de
tout mettre en oeuvre pour conserver ce trésor afin d'éviter que
ne se perde une mémoire collective qui demeure fragile tant qu'elle
n'est pas inventoriée, consignée et diffusée.
Les choix qui président donc aux noms individuels sont
donc bien en rapport avec l'expérience et les donateurs. Les noms de
lieux ou toponymes traduisent l'histoire de deux façons
différentes :
? par leur signification lexicale, certaines catégories
des noms des lieux communiquent des informations d'ordre historique,
? par leur distribution géographique, nous constatons, par
exemple, que la distribution relative des noms provenant de la flore avait
tendance à refléter la durée d'occupation des lieux. Ces
deux critères, parmi d'autres, permettent de construire quelques aspects
de l'histoire interne d'un peuple en termes de courbes migratoires et
l'implantation de celui-ci sur un territoire spécifique. Le message
collectif des noms des lieux dans une telle tradition se développe
autour d'une double identité (cf. Lisimba, 1997 et 2000) et à
propos des), comme entité concrète et entité abstraite
à la fois. Loin d'apparaître comme des qualifications
opposées, le concret et l'abstrait restent les traits d'une même
réalité, représentant respectivement une vision du monde
externe et une vision du monde interne. Les noms de lieux (toponymes) se
présentent ainsi à la fois comme création palpable de
l'homme et un reflet de son état mental.
?Sur l'aspect physique et dans la vision du monde externe, les
toponymes racontent l'histoire de l'homme avec son milieu naturel et social,
dans sa tentative pour suivre et diriger sa propre destinée (cf.
Lisimba, 1997, à propos de Les noms de villages dans la tradition
gabonaise).
? Sur l'aspec t d'expérience vécue, un moyen de
communication, un objet de réflexion où les appellations sont
principalement des expressions verbales plutôt que de simples nominaux.
Ils sont un état d'esprit, et aussi un miroir de sentiments parmi
lesquels figurent : (la joie de vivre, la peur, la honte, le doute, etc.),
sentiments qui traduisent généralement la précarité
de l'existence humaine (cf. Lisimba, 1997).
Les noms de lieux illustrent les constantes dans l'esprit humain
lorsqu'il s'agit de dénommer les lieux que l'homme habite. Ils attestent
des mouvements culturels qui ont été importants par le
passé, et qui ont façonné notre présent. Si le nom
de lieu individuel et son explication intéresse souvent le grand public,
le linguiste s'intéressera davantage aux leçons qui se
dégagent de la synthèse d'un corpus toponymique important.
Alors que les noms de lieux font souvent preuve d'une grande
stabilité au cours de l'histoire, les systèmes anthroponymiques
(noms de personnes: prénoms et noms de famille) changent
fréquemment, les porteurs de ces noms ayant une durée de vie
limitée.
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