« l'unicité-universalité » de Jésus-Christ dans la foi chrétienne. Préambule pour une théologie des religions chez Jacques Dupuis( Télécharger le fichier original )par Antoine BASUNGA Nzinga,sj ITCJ - Théologien 2008 |
4. Le sens du Christ dans le plan divin.La question du sens du Christ dans le plan divin vise, à vrai dire, le sens même du mystère de l'incarnation. Dans la foi chrétienne, Jésus-Christ est le médiateur universel entre Dieu et l'humanité. C'est par lui que nous sommes sauvés. C'est un fait. Cependant ce fait n'a pas manqué de poser un vrai problème théologique. Le passage de la particularité de l'événement sauveur de Jésus de Nazareth à la valeur universelle attribuée au fait demeure aux yeux de certains, un vrai scandale historique. La question du sens du Christ prend beaucoup plus d'ampleur encore dans le contexte du pluralisme des traditions religieuses et de la théologie des religions. Pourquoi le Christ ? Il ne s'agit pas d'une question nouvelle, elle est aussi vieille que le christianisme lui-même. Cette question a fait objet de plusieurs débats dans la tradition chrétienne. Mise en exergue par Saint Anselme dans son « Cur Deus homo », cette question a fait école et a entretenu un long débat théologique entre thomistes et scotistes.17(*) En effet, on a fait dire à Saint Anselme que la rédemption de l'humanité pécheresse (en son offense infinie à Dieu) exigeait que justice soit faite à Dieu18(*). On a ainsi collé au mystère du salut une connotation purement juridique. Le Christ se serait ainsi offert simplement en signe d'expiation réparatrice19(*). Pour les thomistes, l'incarnation est sans façon ramenée à des raisons de convenances. Il convenait que le fils incarné satisfasse aux exigences de la justice et mérite le salut de l'humanité. Le Christ, ainsi réduit à sa fonction rédemptrice, ferait du monde chrétien, un monde vraiment accidentel. Car hormis le péché, le monde chrétien n'aurait jamais vu le jour. Il n'en est pas question quant aux scotistes. Pour ces derniers, le Christ est présent en Dieu dès l'abord du mystère créateur comme la couronne et le centre, mieux, comme le principe même qui rend ce cosmos crée intelligible. Il est hors de question de réduire le Christ à une seconde pensée dans le plan de Dieu. Même si l'homme n'avait pas péché, le fils se serait incarné en Jésus-Christ pour couronner le plan divin de la création. Bien que cette thèse soit proche du message néo-testamentaire, en particulier de S. Paul, bien qu'elle débouche sur une christologie plus radicale, pense J. Dupuis, la thèse scotiste comme d'ailleurs la thomiste pèchent en ce qu'elles lisent le mystère de la rédemption par rapport au temps. De ces deux thèses, il ressort que l'absolu est réduit au fait historique20(*). En effet, pour S. Thomas et les siens, Jésus-Christ était absent du plan divin dans un premier temps et y est entré en tant que sauveur en un temps second. Par contre, Duns Scot et ses successeurs reconnaissent dès le premier temps la présence de Jésus-Christ dans le plan de Dieu. Seulement dans ce premier temps, ils n'attribuent guère à Jésus-Christ l'acte sauveur. Jésus-Christ le devient en un second temps après que l'humanité ait péché. Pour J. Dupuis, la question sur « le motif de l'incarnation » convoque à une reconnaissance a priori de la gratuité entière de la part de Dieu dans « l'événement Jésus-Christ ». C'est dans le principe de l'« auto-communication immanente » de Dieu que se trouve la lumière du motif de l'incarnation. Par le Christ, l'auto-donation créatrice et réparatrice de Dieu nous enveloppe, libre de toute succession de temps dans le plan divin. L'incarnation est donc à percevoir dans une vision d'adoption où la rédemption cède la place à la déification. L'incarnation du Christ est l'autre face de notre adoption. Dans un mouvement similaire de l'incarnation dont le Christ est la tête, nous sommes « christifiés » par la surabondance de l'amour divin. C'est ainsi que nous avons pris part à notre vraie identité : des dignes fils de Dieu (Jn 1,12 ; 3,11-17). Saint Paul affirme avec force l'immanence du Christ par qui l'humanité a été rachetée (Rm 5,12-20). Cette même vision est présente chez les Pères de l'Eglise lors qu'ils insistent sur le don divin fait à l'humanité en Jésus-Christ. En effet, ils mettent en exergue l'immanence du Christ, mieux son identification réelle avec l'humanité pécheresse. C'est l'idée que véhiculent certains axiomes répétés dans la patristique : « il s'est fait homme afin que nous soyons divinisés » ; à cet effet, il a assumé tout ce qui est humain, car « ce qui n'a pas été assumé n'a pas été sauvé »21(*). Certes, le plan divin en Jésus-Christ tel qu'il est compris ici, pose toujours problème dans le contexte du pluralisme religieux et du dialogue. Il s'agit d'un problème qui n'est pas récent. Mais il s'agit aussi d'un problème qui s'annonce long. Il persistera toujours si pas sur le sens de l'incarnation par rapport à la liberté et la dignité de l'homme, du moins sur sa portée historique et son universalité prétendument unique. « Qu'une culture particulière ait presqu'exclussivement recueilli l'héritage d'un événement unique de salut, lui-même inséré dans une tradition religieuse particulière, semble faire fi des autres traditions religieuses et cultures de l'humanité »22(*), cela reste un scandale23(*). Les revendications du christianisme au sujet de l'événement-Jésus face à ses obscurités historiques plus accessible aujourd'hui pose un réel problème. Il s'agit d'un problème qui remet en cause la validité même des dites revendications. Suffit-il encore à notre temps, pour défendre le christocentrisme, de le dire non exclusif mais inclusif ? Autrement dit, le christocentrisme traditionnel de la théologie chrétienne résiste-t-il au choc de la rencontre actuelle entre culture et traditions religieuses ? En tout, disons avec Karl Rahner que s'il est une urgence qu'on puisse assigner à la christologie, c'est de montrer la signification universelle et cosmique de l'événement Jésus-Christ, : « Le Christ apparaîtrait alors comme le sommet de l'histoire (du salut), dont la christologie serait le dernier mot ».24(*) * 17 A ce sujet, J. Dupuis renvoie au livre de J.B. Carol, Why Jesus Christ ? Thomistic and Scotistic and conciliatory Pespectives, Manassas, Trinity Communications, 1986. * 18 Seul le Dieu-homme peut faire cette réparation d'une offense infinie. (Cf. Cur Deus Home, livre 2, chapitre 6.) * 19 Dans son petit livre, on voit que pour S. Anselme, le salut de l'homme est très important. * 20 Ici les vues de J. Dupuis deviennent très discutables. Voilà pourquoi nous concluons avec K. Rahner. * 21 Jacques Dupuis, Op. Cit. , p. 131. * 22 Ibid. p. 132. * 23 Ici J. Dupuis néglige la tension universel-particulier dans le mode divin de se comporter avec l'humanité. Cette tension est essentielle pour bien illuminer l'événement-Christ. * 24 K. Rahner, « Problèmes actuels de christologie », Ecrits théologiques, Vol. I, Paris, Desclée de Brouwer, 1958, p. 138. |
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