DEUXIÈME
PARTIE :
MULTICULTURALISME / INTERCULTURALISME :
DEUX
NOTIONS OPPOSÉES ?
Il existe aujourd'hui deux modèles communément
reconnus de gestion de la diversité culturelle : le modèle
multiculturel anglo-saxon, qui donne la possibilité à tout
individu d'appartenir à une communauté autre que celle de
l'Etat-Nation ; et l'orientation interculturelle, d'inspiration francophone,
qui n'a pas encore donné lieu à des prises de position
officielles et stabilisées, ni en politique, ni en éducation,
mais qui n'en présente pas moins une alternative forte face au courant
multiculturel.
I LE
MULTICULTURALISME : des interprétations différentes selon
les pays.
I.1. Définition
générale
Pour certains, le terme multiculturalisme n'a qu'une valeur de
constat. Il désigne la coexistence de différentes cultures au
sein d'un même ensemble (au sein d'un pays par exemple).
« L'adjectif est recensé pour la
première fois dans la langue anglaise en 1941 où il
désigne une société cosmopolite, composée
d'individus sans préjugés ni attaches pour qui les nationalistes
d'antan ne signifient plus rien » (Lacorne14(*), 1997).
Pour d'autres, la notion est plus complexe et tous ne
s'accordent pas sur son origine : le multiculturalisme, en tant que concept,
semble être apparu aux États-Unis dans les années 1960
lorsque les hommes politiques ont commencé à se soucier des
problèmes que pouvaient poser les différentes vagues
d'immigration au sein du pays, politique migratoire alors
caractérisée par l'idéologie du melting-pot15(*). Mais, en 1970, le
multiculturalisme désigne aussi en Australie et au Canada les politiques
publiques dont le but est de valoriser la diversité culturelle.
De manière générale, il est reconnu que
le multiculturalisme à « l'américaine »
repose sur les valeurs suivantes : la liberté de chacun et
l'égalité de tous. En m'aidant du livre Le
multiculturalisme de Milena Doytcheva16(*), je me suis rendu compte que celui-ci repose sur un
certain nombre de principes et de postulats :
- La priorité donnée au groupe d'appartenance :
l'individu est vu comme faisant partie d'un groupe et c'est l'identité
groupale qui prime sur l'identité singulière.
- Le multiculturalisme donne une vision
« mosaïque » de la société, chaque
groupe étant une composante de cette mosaïque. Chaque groupe est
par ailleurs supposé homogène. Les groupes sont
officialisés, identifiés, catégorisés,
classés voire hiérarchisés de manière implicite ou
explicite en fonction d'une norme.
- Une spatialisation des différences. Celle-ci se
traduit par exemple par la création de quartiers ethniques avec leurs
dérives dans la formation de ghettos.
- Le multiculturalisme crée autant d'espaces publics
spécifiques qu'il y a de différences.
- L'expression des différences dans l'espace publique.
Chaque institution (écoles, maison de quartiers...) doit reproduire les
différences culturelles et les rendre sociologiquement visibles.
- Une juridiction spécifique et complexe qui garantit
les droits de chacun. La reconnaissance juridique des minorités
(ethniques, sexuelles, religieuses, etc.) implique des droits : politique de
quotas, discrimination positive17(*).
En France, c'est dans les années 1975 que l'on commence
à parler de multiculturalisme, lorsque Valery Giscard d'Estaing met en
place des dispositifs pour renvoyer certaines catégories
d'immigrés dans leur pays d'origine (primes de départ) et
tente par ailleurs de permettre à la population qui reste sur le
territoire de se sentir « intégrée ».
De manière générale en Europe, le terme
multiculturalisme est aujourd'hui utilisé lorsque l'on parle des
minorités considérées comme ayant pour devoir de
s'intégrer. En France, le multiculturalisme est souvent associé
au communautarisme18(*)
pour cette raison.
* 14 Denis Lacorne est
philosophe politique aux Etats-Unis, il a écrit Le multiculturalisme
est-il un communautarisme ? en 2004.
* 15 Le terme melting-pot a
été emprunté au titre d'une pièce d'Israël
Zangwill (1908), l'expression désigne l'intégration des
immigrants de toutes provenances et de toutes conditions sociales dans une
même culture.
* 16 DOYTCHEVA Milena,
Le multiculturalisme, édition La découverte, collection
Repères, 2005, 123 pages. Doytcheva est maître de
Conférences en sociologie, Université Lille 3.
* 17 La discrimination
positive est un ensemble de mesures visant à égaliser les chances
de certaines catégories de personnes ayant subi des discriminations
systématiques par le passé.
* 18 Le terme
« communautarisme » est explicité dans la partie
I.4, page 21.
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