De nos références communes à nos différences culturelles( Télécharger le fichier original )par Emmanuelle DECREAU IUT B de Tourcoing (Lille 3) - DUT Carrières Sociales option Animation Sociale et Socio-Culturelle 2008 |
IV.2. D'autres associations où il existe de fait un multiculturalismeLes Portes du Soleil et l'Association Baptiste Entraide pour la Jeunesse (ABEJ) sont deux associations d'accueil pour sans-abri dans lesquelles j'ai effectué mes stages dans le cadre de mon DUT. De fait, il existe dans ces associations un mélange des cultures. Les Portes du Soleil : Mon stage aux Portes du Soleil est encore récent. Les informations que j'y ai récoltées vis-à-vis de l'écriture de mon mémoire sont donc plus exhaustives que celles prises à l'ABEJ Solidarité. Les Portes du Soleil sont aujourd'hui un foyer de
stabilisation pour les sans-abri, c'est à dire que l'accueil des
personnes s'y fait en continu, de jour comme de nuit. C'est « un lieu
d'accueil pour tous quelque soit son origine, sa situation, son histoire... et
particulièrement un lieu d'accueil et d'hébergement pour les
personnes très marginalisées » écrit la
présidente de la structure, dans son rapport annuel de 2006. En 2006, il
était comptabilisé 18,29 % de 18-24 ans, 49,39 % de 25-39 ans,
31,32 % de Compte tenu de la diversité du public accueilli, la structure s'adapte. L'accueil est aujourd'hui ouvert tous les jours 24h/24 alors qu'il n'était ouvert que deux jours par semaine en 2004. Les permanences santé ont triplé depuis 2003, les activités culturelles et de loisirs se multiplient... Les discussions de salariés à héberger sont plus fréquentes, individuellement ou en collectivité. Aujourd'hui, deux salariés sont chargés d'établir des plannings d'activités deux mois avant leur lancement. Ces activités sont multiples : sorties cinéma, concert, théâtre, conte, musée, exposition, jardinage, marche, footing, foot, poterie, art déco, soirée billard, DVD, jeux de société, cuisine... J'ai participé à quelques-unes d'entres elles et mon observation porte principalement sur celles-ci. Il me semble en effet que ce soit au travers des discussions et de ces différentes activités que l'interculturalisme est mis en place dans la structure. Cependant la problématique interculturelle n'a jamais été discutée entre salariés. Dans des structures comme les Portes du Soleil (et l'ABEJ Solidarité), il n'est effectivement nulle part écrit que l'objectif des salariés est de favoriser l'interculturalité même si quelques-uns admettent quand même que cela relève de leur travail. Si certains y sont favorables, d'autres ne comprennent pas le sens de cette notion. - Les discussions du salarié à l'accueilli ont lieu soit dans les bureaux de l'association, afin de permettre une intimité des propos échangés, soit dans les différents lieux de vie de l'association (salle à manger, cuisine, coin fumeur...) Les personnes accueillies se confient sur leur situation et/ou sur les problèmes rencontrés avec autrui. Les travailleurs sociaux écoutent et conseillent. Les discussions trouvent aussi leur place au cours des activités, et sont même parfois instituées par celles-ci. On note ici, l'importance d'une relation de confiance pour que l'accueilli ose parler de lui sans oublier qu'il existe, de fait, une hiérarchie entre les participants au dialogue. « On croit alors que tout se réduit à un problème de communication, qu'il suffit d'ajuster nos codes culturels réciproques pour que la relation soit harmonieuse [...] pourtant le travailleur social se trouve en position de pouvoir face à ces interlocuteurs : les deux partis le savent plus ou moins et feignent de l'ignorer, cela peut parasiter la relation. » (Claudio Bolzman42(*), 2002 in Le travail social face à l'interculturalité édition l'Harmattan, 2006, 341 pages). Le dialogue est également institué lors de réunions prévues pour les accueillis. Une fois par semaine, les accueillis et travailleurs sociaux sont invités à discuter ensemble autour d'une table de ce qui va ou ne va pas dans la structure. Lorsque j'ai assisté aux réunions, un thème récurent revenait : celui du respect. Certains accueillis se plaignaient que d'autres ne les respectent pas (insultes...), ou ne respectent pas les locaux (dégradation). L'un des accueillis a proposé des cours de civisme, d'autres ont demandé à ce que les travailleurs sociaux soient plus autoritaires vis-à-vis du règlement. - Les jeux de société auxquels j'ai souvent participé permettent de rassembler des personnes qui n'ont pas forcément l'habitude de communiquer entre elles. Même si le dialogue n'est pas toujours présent à travers le jeu, le fait d'avoir à défier l'autre reste sujet à l'échange. Les rires, les cris exprimés sont aussi révélateur d'un bien être des personnes et permettent de créer une relation. Il s'agit d'un moyen de nouer un premier contact avant d'aller plus loin dans la rencontre. Malheureusement, le jeu reste assez peu exploité comme moyen d'interaction entre les personnes dans la structure. Aucune réflexion n'est menée à ce propos. - Les séances cinéma sont organisées autour de différents thèmes. Dans le cadre de mon stage, je suis allée voir le film « Samia ». C'est l'histoire d'une jeune fille dont les parents sont d'origine algérienne. Elle vit à Marseille, refuse les traditions du « bled » et se heurte ainsi à sa famille. La séance a été suivie d'un débat, l'occasion pour les sans-abri que j'accompagnais de s'exprimer sur la question et ils n'ont pas été « frileux ». En effet, lors du débat, une femme a affirmé « que si les hommes algériens en France battaient leurs filles ou soeurs pour faire respecter les traditions, la violence devait être pire au Maghreb ». L'un des sans-abris, d'origine algérienne, a alors pris la parole pour lui expliquer qu'il s'agissait simplement d'une réaction propre à la situation des immigrés en France : c'est une réaction à l'impuissance des hommes dans un contexte culturel trop différent. - Durant mon stage, j'ai aidé à la mise en place d'un projet : la création de panneaux en liège pour permettre l'accrochage d'affiches, de photos ou de cartes postales dans les chambres des personnes accueillies. Le but étant de mieux s'approprier les locaux, rendre les chambres moins impersonnelles, j'ai souhaité discuter des modalités du projet avec l'ensemble des personnes concernées. La première réunion a permis l'échange d'idées sur la façon dont allait prendre forme ce projet. Ma tutrice et moi-même avons dû canaliser la discussion et donner des réponses quant aux attentes de chacun. Pour certains (travailleurs sociaux comme personnes accueillies), il ne s'agissait que d'un moyen occupationnel, et c'est vrai en partie, mais cela va au-delà : l'activité culturelle et de loisir trouve son sens dans l'épanouissement et dans la relation positive qu'elle induit entre les personnes. En tant que travailleurs sociaux, nous essayons d'avoir un regard attentif envers les personnes sans avoir de préjugés sur elles. Et c'est aussi cette façon de penser que nous essayons de transmettre aux hébergés, car les propos portant atteinte aux autres sont courants dans la structure. On entend souvent dire de la part des accueillis que tel ou tel salarié, bénévole ou stagiaire, n'est pas compétent, que tel ou tel accueilli est fou, qu'il ne cherche pas à se sortir de sa situation, que les sans-abri en général sont des « fainéants » (sous entendu : « moi, pas »). A nous d'expliquer ou de permettre le dialogue entre les personnes en situation de conflit pour faire disparaître peu à peu les jugements de valeur trop simplistes. Stratégie d'évitement au « communautarisme » : Combattre les jugements de valeur s'avère être une lutte quotidienne aux Portes du Soleil. Faire face au « communautarisme » s'explique dans ce contexte. Dans les chambres par exemple, on favorise la mixité. Les places données sont choisies en fonction du tempérament des personnes, de leurs affinités et non forcément en fonction de leurs origines. L'ABEJ : L'ABEJ Solidarité est un accueil de jour pour les sans-abri de plus de 25 ans. Les personnes accueillies y viennent dans la journée pour se mettre au chaud, trouver du réconfort autour d'un café, prendre leur courrier, une douche, et régler leur situation dans les bureaux des assistantes sociales, des médecins ou des psychologues. Les sans-abri présents dans la structure sont de toutes origines culturelles confondues. Notons cependant que les sans-papiers y viennent de moins en moins puisque la police, par ordre du préfet de la région, fait des rondes régulièrement devant l'association pour en arrêter certains. Si l'ABEJ Solidarité propose bien moins d'activités qu'aux Portes du Soleil, il me semble avant tout que ce soit dû à son statut : c'est un accueil de jour et non un foyer, beaucoup sont seulement de passage. Il s'agit plus d'un lieu d'urgence. Par opposition, les Portes du Soleil devient un foyer de « stabilisation ». Puisque ce sont surtout des objectifs à court terme qui sont tenus à l'ABEJ Solidarité, la construction d'un réel échange entre accueillis et sans abri est moins évident. L'interculturalité s'inscrit dans le temps car elle nécessite une relation de confiance, elle est censée susciter un changement dans les représentations qu'ont les personnes vis-à-vis des autres et d'elles-mêmes, or nul ne peut changer en quelques jours. C'est un travail de longue haleine. L'an passé, lorsque j'étais encore en stage dans l'association, j'avais insisté sur le fait que des activités d'ordre socioculturel aidaient les personnes à apprendre à vivre ensemble. Une salariée avait proposé de créer une salle d'activités, où des débats autour d'un film pourraient être proposés. Le projet était bien monté : elle pensait réutiliser une salle qui était peu occupée pour réaliser son idée... et l'équipe semblait d'accord. Aujourd'hui, cette salle n'a toujours pas vu le jour, et la salariée engagée dans cette initiative m'a dit que l'équipe avait finalement décidé d'attendre les travaux dans la structure avant de réaliser le projet. Est-ce un prétexte ? Je ne sais pas. Toujours est-il que les échanges restent donc bel et bien embryonnaires. La difficulté rencontrée dans des associations comme les "Portes du Soleil" ou l'ABEJ Solidarité, c'est qu'elles travaillent dans l'urgence même si elles peuvent avoir des objectifs à long terme pour la « réinsertion » dans la société. Est-ce pour cela que les personnes accueillies sont si peu nombreuses aux activités proposées (en moyenne, 3 personnes sur 25 y participent aux Portes du Soleil) ? Ou est-ce parce qu'elles ont d'autres préoccupations, celle de pouvoir manger à leur faim, de trouver un logement dans la durée, un travail également, d'être en bonne santé, d'avoir des papiers en règle... ? Ou puis-je également dire que si les personnes accueillies sont aussi peu nombreuses aux activités proposées, c'est qu'elles n'en voient pas leur utilité ? Peut-être y a-t-il encore un travail à faire de ce côté là, sur le but, la finalité du travail d'animation. Enfin, comme me le confiait une salariée des Portes du Soleil, peut-on croire que les individus, d'une manière générale, n'opèrent plus qu'une démarche de consommation et se désintéressent totalement des activités culturelles, si elles impliquent un relatif engagement ? Il s'agit de consommer de la nourriture, de consommer du service... et de s'en satisfaire. Et à ce titre, faut-il se demander quel est l'avenir des actions interculturelles dans une société où l'accent est mis sur l'individualisme et la consommation à tout prix ? * 42 Claudio Bolzman est enseignant-chercheur en sociologie. |
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