2.3. Critique du genre littéraire du texte
Après avoir déterminé le genre
littéraire de Jn 11,1-44, nous explorerons le Sitz im Leben dans lequel
il aurait vu le jour43.
2.3.1. Le genre littéraire de notre
texte
En Jn 11,1-44, nous sommes en présence d'un récit
de résurrection, celle de Lazare. On peut faire la comparaison avec
d'autres récits de résurrection des morts dans les
42 C.H. DODD, La tradition historique du quatrième
évangile, Paris, Cerf, 1987, p. 296.
43 L'analyse du vocabulaire, du style et de la grammaire viendra
par la suite à l'intérieur de l'analyse synchronique de notre
texte.
Synoptiques (Mt 9,18-26 et par. ; Lc 7,11-17) dont l'intrigue
est beaucoup plus simple. Dans notre récit, nous retrouvons bien le
schéma classique de ce genre littéraire, proche du «
récit de miracle » : description de la situation, demande de
miracle à Jésus, obstacles à surmonter, exigence de la
foi, puis miracle de résurrection opéré par Jésus.
Mais saint Jean l'utilise de manière originale et particulière.
Tout en suivant une logique narrative qui va de l'exposition au
dénouement en passant par des péripéties de complications,
il harmonise bien récits, dialogues et discours. Cela dédramatise
certes la narration, mais ça lui permet d'anticiper sur la signification
des faits rapportés. L'objectif de l'auteur est certainement moins de
raconter que d'enseigner.
En effet, les discours, qui occupent une bonne place dans ce
récit, sont kérygmatiques. Ils sont noués autour de
dialogues entre Jésus et les principaux personnages du récit :
Jésus et les disciples, Jésus et Marthe, Jésus et Marie,
Jésus et Lazare. Jésus occupe bien le devant de la scène
et son enseignement est bien mis en exergue dans le procédé de
malentendu qui revient plusieurs fois et que saint Jean affectionne bien. Par
d'autres artifices littéraires comme la prolepse, les gloses, les
doublets, les inclusions, les chiasmes, les répétitions, saint
Jean cherche à accrocher le lecteur sur l'essentiel de son message : la
foi au Christ, Maître de la vie. Ce souci kérygmatique
établit un décalage entre l'inévitable contingence du
récit avec ses péripéties successives
d'éloignements et de rapprochements, de pleurs et de
frémissements devant la mort. Et la hauteur quasi temporelle de la
Révélation de Jésus et la confession de foi même de
Marthe conduisent bien de nombreux critiques à douter de
l'homogénéité et de la cohérence du
récit.
On peut remarquer que Lazare dont on raconte l'histoire de la
résurrection est muet du début jusqu'à la fin. Sa
résurrection même qui constitue le sommet du récit est
comme relativisée à la fin. Bien plus, la confession de foi de
Marthe forme dans le récit un sommet qui compromet le suspense entretenu
depuis le début autour du destin particulier de Lazare. De même,
les versets 1-3 présentent le malade en fonction de Marie pendant que la
suite du récit donne une prééminence nette à
Marthe. L'ordre de nomination même des deux soeurs est fluctuent : «
Marie et sa soeur » (v.1), « Marthe et sa soeur » (v. 5). Au
verset 39 Marthe est qualifiée de « soeur du défunt »,
précision qui surprend par son caractère tardif et inutile.
Toutes ces remarques viennent corroborer le fait que l'auteur
de notre texte, tout en s'inscrivant dans les grandes lignes d'un genre
littéraire donné, celui du récit de résurrection,
se focalise sur un objectif kérygmatique bien net, si bien que les
détails narratifs sont moins fignolés. Comme le dit Alain
Marchadour, « l'union indissociable ici du kérygmatique et du
narratif est une des caractéristiques des récits
johanniques et de l'épisode de Lazare 44». Cela à
côté des thèmes théologiques (signe, gloire de Dieu,
croire, voir, vie, résurrection, mort...) qui s'ajustent bien dans
l'intrigue développée dans le récit, fait
l'originalité du genre littéraire utilisé par l'auteur.
Cela nous laisse à peine deviner le Sitz im Leben du
récit.
|