3 - La pastorale de la libération des Lobi
L'étude de l'épisode de la libération de
Lazare des liens de la mort nous invite à réfléchir
à toutes les actions pastorales qu'il convient d'engager afin de
libérer les chrétiens lobi des forces oppressives et mortelles
actuelles. Ce chemin de libération passe par le souci des veuves et des
orphelins et la prise en compte du besoin des Lobi d'être en communion
perpétuelle avec leurs ancêtres qui les ont
précédé dans la mort.
3.1. Communion et libération dans les rapports
entre vivants et morts
Il importe de libérer le chrétien lobi de toutes
les pratiques culturelles et sociales qui l'empêchent de vivre en paix et
en harmonie avec ses frères et avec Dieu. Tout sera mis en oeuvre afin
de soigner sa relation existentielle avec Dieu, avec tous ses ancêtres
qui l'ont précédé dans la mort et avec les vivants, ses
compagnons de route sur cette terre.
3.1.1. La libération des orphelins et des
veuves dans la communauté chrétienne
De tout temps, la situation des orphelins et des veuves, dans
les sociétés humaines, a toujours été
précaire. La Bible recommande bien l'assistance aux veuves et aux
orphelins349. Elle invite à les protéger (cf. Ex 22,
20-23 ; Dt 14,28-29 ; 24,17-22). Malheur à ceux qui abusent de leur
faiblesse (cf. Is 10,2 ; Mc 1 2,40p) ! Jésus, comme Elie, rend à
une veuve son fils unique mort (cf. Lc 7,11-15 ; 1R 17,17-24). Le Maître,
sur la croix, prit le soin de confier sa mère au disciple
bien-aimé (cf. Jn 1 9,26s). Et dans le service quotidien de l'Eglise
primitive, les besoins des veuves étaient pris en compte (cf. Ac 6,1).
Si ces veuves n'ont plus de parenté (cf. 1 Tm 5,16 ; Ac 9,36-39), la
communauté doit les prendre en charge, comme l'exige la
piété (cf. Jc 1,27 ; Dt 26,12s ; Jb 31,16).
Dans la société des Lobi, les orphelins et les
veuves vivent aussi une situation précaire. Durant la période de
deuil, ils sont frappés par une certaine impureté rituelle. Plus
que les orphelins, les veuves vivent durement leur veuvage350. La
situation des veufs est moins contraignante. Les veuves sont obligées de
vivre en réclusion avant la fin du deuil. Elles ne sont pas
autorisées à se laver, à s'habiller décemment,
à se déplacer librement. Elles se badigeonnent le corps d'argile
et de glaise chaque matin avec des eaux lustrales. Elles sont alors très
sales. Tout est fait pour qu'elles ne soient pas attirantes et même
qu'elles soient
349 Cf. AAVV, Vocabulaire de théologie biblique,
Paris, Cerf, 1991, art `veuves' col. 1343-1344.
350 Nous évoquons ici le temps du veuvage qui va des
premières funérailles aux secondes funérailles
puisqu'à la fin du deuil, chez les Lobi, la veuve peut de remarier
rapidement.
dégoûtantes. Et elles peuvent vivre dans cet
état pendant une année entière avant les dernières
funérailles. C'est ce qui rend leur condition de vie
préoccupante. Certes, la société voudrait par là
les protéger contre la souillure de l'esprit de leur défunt mari
et contre les hommes pervers. Mais une telle condition de vie est
généralement imposée par la peur de la mort. Elles sont
soumises ainsi à un grand nombre d'interdits très stricts.
Alors, il est bien heureux que les veuves chrétiennes
soient déchargées de ce lourd fardeau qu'on impose dans la
société traditionnelle aux veuves. Les veuves chrétiennes
se lavent au début de leur veuvage par une eau dans laquelle est
ajoutée de l'eau bénite et elles se rasent la tête comme
toutes les veuves et les orphelins de leur société en signe de
deuil. Elles ont pris l'habitude de porter un habit de deuil de couleur noire,
pendant que la couleur de deuil dans la société des Lobi est le
blanc. On y voit une volonté expresse de couper court avec les
contraintes d'une culture traditionnelle trop astreignante. Mais elles se
réfugient là dans des pratiques funéraires
influencées par la civilisation occidentale ou par d'autres cultures.
C'est ainsi qu'en Côte d'Ivoire, l'habitude s'impose de plus en plus de
faire un uniforme vestimentaire pour les membres de la famille concernée
par les funérailles. Outre les dépenses multiples et les
différentes frustrations que cela peut occasionner, nous constatons le
développement de pratiques funéraires, nouvelles à la
société et non moins contraignantes. Il convient alors que les
pasteurs et les chrétiens soient attentifs à dénoncer et
à freiner de telles pratiques. Il faudrait libérer les veuves du
lourd carcan traditionnel sans leur en ajouter davantage. Mais il importe
surtout que les pasteurs aident les veuves par des sacramentaux adéquats
et des gestes symboliques apaisants afin de les sauver des tentations
syncrétistes.
Nous proposons, dans la ligne de la pratique de l'Eglise
primitive, qu'il y ait dans la communauté chrétienne une
institution des veuves (cf. 1Tm 5,9). Une telle association des veuves
chrétiennes sera un cadre de rencontre, de partage, de soutien et de
prière (cf. 1 Tm 5,4). Les pasteurs auront souci de les former davantage
à la vie chrétienne. La communauté organisera une aide
matérielle quand il le faut, afin que les orphelins et les veuves de
l'EgliseFamille bénéficient de soutien effectif. Les veuves d'un
certain âge, vraiment seules et dégagées de toute
obligation familiale, s'adonneront davantage à une vie de prière
(cf. 1Tm 5,5s) et d'évangélisation. Nous avons rencontré
dans la paroisse saint André Kaggwa de Bouna en Côte d'Ivoire une
telle organisation de veuves bien dynamique. Ces veuves chrétiennes lobi
se soutiennent dans leur vie chrétienne. Dans la paroisse de Kampti, on
les retrouve pour la plupart dans le groupe de prière de la
Légion de Marie et leur apostolat est important. Notre souhait est que
la communauté chrétienne soit soucieuse de leur prise en
charge comme le recommande l'apôtre (cf. 1Tm 5,16). Cela
les aidera à mener une véritable vie chrétienne de
prière, de chasteté et de charité (cf. 1 Tm 5,10). Ainsi
pourront-elles être respectées dans la société
où elles vivent. Elles pourront s'occuper particulièrement des
orphelins et de tous les enfants abandonnés. En ces temps de
pandémie du Sida, elles seront attentives à la situation de ces
nombreux orphelins et femmes stigmatisés à cause de ce
fléau. Les pasteurs devraient avoir ce souci pastoral qui devient de
plus en plus crucial dans nos communautés chrétiennes. C'est
l'invitation à vivre à fond notre idéal d'Eglise-Famille,
solidaire de tous ses membres, surtout des plus fragiles. Cette
solidarité de l'Eglise devrait embrasser aussi tous ceux qui sont partis
vers la maison du Père.
3.1.2. La communion avec les fidèles
défunts
Dans la société traditionnelle lobi, les vivants
sont bien solidaires des morts351. Ils les aident dans leur
pèlerinage vers l'au-delà en consentant à faire tous les
sacrifices à même de débloquer tout sur leur passage de la
vie de ce monde à celui de l'au-delà. Et ils sont convaincus que
les morts, après avoir pris place au milieu des ancêtres de toute
la société, leurs seront bénéfiques. Les vivants
d'ailleurs vivent en communion perpétuelle avec les ancêtres qui
les aident à être fidèles aux idéaux de la
société traditionnelle et à vivre dans une certaine
harmonie avec Dieu, les esprits et la nature. Ils ont leur place dans le giron
familial. Des autels leur sont érigés dans la maison familiale et
clanique. Ils communient aux joies et aux peines de leurs
descendants352.
Dans l'Eglise, la communion avec les apôtres et les
martyrs des premiers siècles est attestée par la
tradition353. Dès le milieu du IIème
siècle en Orient et au IIIème siècle en
Occident, les chrétiens ont pris l'habitude de se réunir
près des tombes des martyrs ou sur les lieux de leur supplice, en
particulier le jour anniversaire de leur mort pour célébrer
l'anniversaire de leur entrée au ciel.354 C'est ainsi que se
développa dans l'Eglise le culte des martyrs et des saints. La communion
des saints est même devenue un article de notre credo. Et
l'abrégé du catéchisme de l'Eglise catholique
définit la communion des saints non
351 Cf. Supra, 3.4. La commémoration des ancêtres,
p. 97.
352 Cf. J.M. ELA, Ma foi d'Africain, Paris, Karthala,
1985, pp. 36-48.
353 Cf. AAVV, Théo. L 'encyclopédie catholique
pour tous, Droguet&Arman/Fayard, Paris, 1992, p. 29.
354 « La communauté chrétienne en effet,
sans aucun débat, a tout de suite regardé comme entrés
dans la gloire de Dieu ceux qui ont versé leur sang pour lui, et
l'habitude est prise très tôt de marquer fortement le lien entre
leur sacrifice et celui du Christ sur la croix en célébrant
l'eucharistie sur leurs tombes. Ce rassemblement est favorisé par
l'usage qu'avaient les Romains de se réunir autour des tombes de leurs
défunts et d'y prendre des repas ; ainsi le ``banquet eucharistique''
des chrétiens autour de la tombe des martyrs était-il admis par
ceux-là même qui avaient mis à mort ces derniers »,
Ibid, p. 29a. Nous pouvons remarquer que cette tradition
ecclésiale était inculturée à cette époque
et à la coutume romaine de ce temps.
seulement comme « la participation commune de tous les
membres de l'Eglise aux réalités saintes : la foi, les
sacrements, en particulier l'eucharistie, les charismes et les autres dons
spirituels 355» mais aussi comme « la communion
entre les personnes saintes, à savoir entre ceux qui, par grâce,
sont unis au Christ mort et ressuscité. Les uns sont en
pèlerinage sur la terre, d'autres, ayant quitté cette vie,
achèvent leur purification, soutenus aussi par nos prières,
d'autres enfin jouissent déjà de la gloire de Dieu et
intercèdent pour nous. Tous ensemble, ils forment dans le Christ une
unique famille, l'Eglise, à la louange et à la gloire de la
Trinité356 ». C'est au nom de cette foi que les
chrétiens catholiques prient et célèbrent la sainte
eucharistie pour les fidèles défunts. Et chaque année, le
2 novembre, au lendemain de la solennité de tous les saints, l'Eglise
rassemble, dans une commune prière, le souvenir de tous les
fidèles défunts. Et à côté de cette
commémoration collective, les familles chrétiennes ont
gardé la coutume de faire célébrer une messe à
l'anniversaire de la mort d'un de leurs
membres357.
Partant de cette foi en la communion des saints et de la
pratique ecclésiale de prier pour les fidèles défunts,
comment les chrétiens lobi peuvent-ils vivre de manière
inculuturée leur rapport avec ceux qui sont partis ? Nous ne pouvons
qu'encourager cette riche tradition de l'Eglise catholique que les Lobi
chrétiens ont bien adoptée en priant et en
célébrant pour leurs fidèles défunts. Ils cherchent
à vivre touj ours cette communion profonde avec leurs ancêtres et
tous leurs fidèles défunts qu'ils recommandent à la
miséricorde de Dieu358. Ils demandent souvent des Messes et
prient pour ces frères défunts359. Ils savent
célébrer avec foi la commémoration des fidèles
défunts du 2 novembre. Il convient de soigner davantage cette
célébration qui semble limiter les prières pour les
défunts de l'année écoulée seulement. Il faudrait
que ce soit un véritable rendez-vous de prière pour tous les
défunts de tous les âges de toutes les familles
chrétiennes. De plus, il faudrait accentuer le fait que tous ces
défunts issus de plusieurs familles et clans lobi,
intégrés dans la famille de Dieu dans le baptême en Christ,
font désormais partie d'une même famille Eglise. Le 2 novembre,
sera donc célébrée la mémoire des ancêtres de
l'Eglise-Famille de Dieu qui doit comprendre tous les défunts qui sont
morts dans la miséricorde du Christ. Dans une véritable foi au
Dieu de Jésus-Christ, qui
355 Catéchisme de l'Eglise catholique.
Abrégé, Liberia Editrice Vaticana, le Vatican, 2005,
n°194.
356 Ibid., n° 195.
357 Cf. P. JOUNEL, La célébration des
Sacrements, Paris, Desclée, 1983, p. 979.
358 En effet, comme le dit le Pape JEAN-PAUL II, dans
l'exhortation post-synodale Ecclesia in Africa de 1995, « Les
fils et les filles de l'Afrique aiment la vie. De cet amour de la vie
découle leur grande vénération pour leurs ancêtres.
Ils croient instinctivement que les morts ont une autre vie, et leur
désir est de rester en communication avec eux. Ne serait-ce pas, en
quelque sorte, une préparation à la foi dans la communion des
saints ? » EIA n°43. 359 La plupart des demandes de Messe
sont en faveur des fidèles défunts dans les paroisses du milieu
lobi. Cela traduit le souci des chrétiens Lobi d'être toujours en
communion profonde avec leurs frères défunts.
est en dehors du temps et de l'histoire - et qui n'est
limité par aucun espace, même religieux - on ne pourrait exclure
nos ancêtres lobi qui ne l'ont pas connu mais qui ont vécu de
manière méritoire selon la volonté du Créateur
inscrite dans leur conscience.
3.2. Le christianisme libérateur des structures
sociales de mort
Le Lobi tout comme Lazare est encore lié par un certain
nombre de liens de mort desquels le Christ devrait le libérer. Il est
encore sous la domination d'un certain nombre de structures et de
mentalités traditionnelles qui l'empêchent de vivre pleinement. Le
Christ, qui est la vie totale, vient pour l'en libérer.
3.2.1. La libération du poids de la tradition
du passé
L'organisation sociale des Lobi est fondée sur des
valeurs du passé où la sécurité du groupe social
était tout le temps menacée. L'habitat dispersé et la
construction des maisons forteresses répondaient à ce souci
pratique d'autodéfense sociale. Les initiations diverses avec les
séances de bizutage et les divers sévices infligés aux
différents candidats répondaient à un code de valeurs
sociales significatives dans le passé. Entre temps, la colonisation et
le brassage des populations ont porté un coup dur à
l'organisation sociale des Lobi. De plus en plus, on constate un changement,
certes timide, mais perceptible dans leur mode de vie360.
Mais le conservatisme des Lobi est toujours vivace. Les
initiations traditionnelles, même si elles n'ont plus le même
engouement que dans le passé, demeurent attrayantes même pour les
chrétiens lobi. Elles ne semblent pas évoluer ou s'adapter aux
nouvelles exigences de la vie. On continue de voir, par exemple, les
initiés déambuler presque nus dans les villages et les zones semi
urbaines des milieux lobi pour quémander leur pitance. Certains villages
lobi continuent à privilégier l'habitat traditionnel
malgré les possibilités qui leur sont offertes d'améliorer
leur cadre de vie. Nous avons connu des villages lobi, qui refusent encore
aujourd'hui d'accueillir les agents de vaccination contre la polio ou la
méningite, malgré les risques d'épidémie de plus en
plus accrus. La culture en semis ou l'agriculture attelée a encore du
mal à entrer dans la vie paysanne des Lobi. Les semences du passé
qui exigeaient de longs mois de pluviométrie continuent d'être
privilégiées malgré les changements climatiques profonds.
Alors, la faim et les épidémies continuent bien de faire des
ravages.
De même, les Lobi sont encore pour la plupart
attachés à de nombreux rites traditionnels contraignants. De
nombreuses cérémonies traditionnelles et initiatiques exigent
une énorme quantité de vivres et beaucoup de
moyens. Malgré la cherté de la vie actuelle, ils sont nombreux
les Lobi qui se sentent obligés d'accomplir de telles
cérémonies à coup de lourdes dettes. La solidarité
du passé manque de nos jours pour pallier aux diverses dépenses.
Malgré cela, les Lobi se sentent obligés de tout faire comme dans
le passé. Cet attachement au passé et à ses rites devient
mortifère. Il empêche le Lobi d'accéder au bonheur
recherché sur cette terre et même dans l'au-delà. Il
convient qu'une force nouvelle soit redonnée à la
société pour qu'elle réinvente de nouveaux idéaux
et de nouvelles valeurs, qui ne renient pas certes son passé, mais qui
s'adaptent à son présent et à son avenir, dans un monde de
plus en plus en évolution. Nous pensons trouver dans le christianisme
cette nouvelle force intérieure qui pourra donner à la
société des Lobi un nouveau dynamisme.
Mais pour que le christianisme soit chemin de salut pour la
société des Lobi, il faut qu'il accepte dialoguer en vue d'une
inculturation réelle dans la vie des hommes et des femmes du
milieu361. Le Christ doit venir chez les Lobi pour ordonner qu'on
enlève la grosse pierre qui les enferme encore dans bon nombre
d'obscurantismes et d'autarcies passéistes. Les chrétiens
convaincus de leur foi devraient être ces auxiliaires du Christ,
prêts à répondre à l'invitation du Christ afin de
libérer les Lobi du poids de la pierre de leurs traditions. Il y aura
sûrement des Marthe qui redouteront les puanteurs et les pesanteurs d'une
telle opération salvifique. Mais ceux qui croient au Christ verront
certainement la gloire de Dieu se révéler tôt ou tard pour
cette société en quête de véritable
délivrance.
3. 2.2. La délivrance des liens des forces du
mal
Jésus délivre Lazare de la mort et
préfigure ainsi sa victoire sur sa propre mort et toutes les forces du
mal. Il vient encore au lieu du deuil des Lobi pour les délivrer de la
mort et des diverses forces du mal qui les tiennent dans leurs liens. Dans la
religion traditionnelle des Lobi, un grand nombre d'esprits
intermédiaires (les esprits tutélaires des clans, les esprits du
village, les forces de la nature, les esprits des ancêtres) angoissent
les hommes et les femmes qui peuvent se sentir en insécurité
perpétuelle à leur compagnie. Les Lobi sont dans le souci
quotidien de les satisfaire par un grand nombre de sacrifices d'animaux et de
libations rituelles. Malgré cela, ils peuvent se montrer insatisfaits et
infliger la mort aux Lobi. Toute faute à leur égard
entraîne bien souvent des sanctions terribles dont tous les membres d'une
famille ou d'un groupe sont solidaires. Ils ne connaissent souvent pas de
pitié. Ils prennent
361 Nous rêvons ici de ce christianisme de la vie dont
parle KÄ MANA dans la nouvelle évangélisation de l
'Afrique, Paris, Karthala, 2000, p. 27-30, un christianisme
dépouillé de préjugés et de mépris à
l'égard des peuples et des coutumes traditionnelles africaines. Cf. J.
M. ELA, Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère,
Paris, Karthala, 2003, pp. 191-240.
ainsi en otage la vie des hommes lobi. Ceux-ci sont
obligés tout le temps de consulter les devins pour connaître leurs
attentes insatiables. Ils n'arrivent pas alors à entrer en relation
intime avec Dieu leur Créateur.
Nous pensons que la religion des Lobi contient là une
véritable structure de mort qui maintient les hommes dans une
perpétuelle dépendance vis-à-vis des forces surnaturelles
et trop exigeantes. Il importe que les Lobi s'en libèrent. Et nous
pensons que Celui qui a libéré Lazare du tombeau est le mieux
indiqué pour apporter ce salut total aux Lobi. Les Lobi ont donc besoin
du Christ comme libérateur par excellence de toutes les forces
religieuses traditionnelles qui les oppressent. Le Christ doit venir
libérer ces hommes afin qu'ils puissent vivre totalement en toute
quiétude et en toute confiance dans la bonté du Dieu
Créateur362. Il est le seul médiateur compatissant et
miséricordieux qui sait pardonner aux hommes leurs fautes. Son fardeau
est léger et son joug est facile à porter (cf. Mt 11,30).
Le christianisme se présente alors comme la seule force
capable de révolutionner la mentalité des Lobi et de les
libérer des différentes oppressions spirituelles et religieuses.
Mais l'histoire de la rencontre du christianisme avec la société
des Lobi s'est faite avec du plomb dans l'aile363. Le canon a fait
appel à la croix pour mieux dompter le rebelle. Cela a
négativement joué sur l'image que les Lobi ont du
christianisme364. Celui-ci a eu aussi en aversion tout ce qui est de
la culture et de la religion du Lobi, jetant à la fois l'eau du bain et
le bébé. Il est venu le temps de la réconciliation et du
dialogue afin que les Lobi puissent accueillir sereinement le salut du Christ.
Ce Christ arrive tard certes, comme encore à Béthanie, mais Dieu
aime aussi les païens. Il vient se révéler et aussi pleurer
avec les Lobi leurs misères et leur mort. Il prie pour eux et avec eux.
Il les délivre des liens de la mort. Il les ressuscite. Il les fait
sortir du tombeau.
3.2.3. La sortie du tombeau structurel et
social
Jésus par son autorité et sa Parole fait sortir
Lazare de son tombeau. Une herméneutique africaine nous autorise
à voir en cela une image de nos peuples sortant de la
362 La libération des forces oppressives sociales est
la résurrection véritable qu'attendent les Lobi aujourd'hui. Si
la mort est un voyage vers un au-delà de vie, la résurrection
qu'opère le Christ est cette agrégation des hommes dans la
liberté et dans la félicité de Dieu. Et cette
résurrection qui est pour demain commence dans l'aujourd'hui de ces
hommes.
363 Cf. Supra, 4.2. L'histoire de
l'évangélisation en pays lobi, pp. 79-82. Voir aussi M. SOME,
op. cit., pp. 269- 273.
364 Les ancêtres lobi ont formellement prononcé
de véritables anathèmes contre « la chose du Blanc »
dans les villages. L'école, l'armée et la religion
chrétienne dite religion du Blanc furent frappés
d'anathèmes sévères encore en cours dans certains villages
lobi. Cf. M. PERE, op. cit., pp. 343-388.
misère et de l'obscurantisme. C'est la
résurrection d'une société comme celle des Lobi qui peut
bien se lire à travers la résurrection de
Lazare365.
En effet, à l'heure de la mondialisation et de la
globalisation, nos structures sociales traditionnelles comme le mariage, la vie
en unité de production familiale, clanique et villageoise sont mises
à rude épreuve. Il convient d'inventer de nouveaux codes de vie
et de nouvelles valeurs sociales. Le Christianisme s'impose comme la religion
qui a su valoriser l'Homme et son aspiration au bonheur véritable dans
l'histoire des hommes. Il devient la planche de salut pour la
société lobi en crise actuellement. Par exemple, des institutions
traditionnelles comme le mariage366 préférentiel ou le
lévirat, les initiations traditionnelles avec leurs contraintes diverses
inadaptées à la fragilité de l'homme lobi d'aujourd'hui,
les funérailles avec leur lourd tribut, sont autant de tombeaux ou de
carcans d'où le Christ peut nous aider à sortir. Toute
institution traditionnelle qui continue de maintenir le Lobi dans un
état d'insécurité et de peur morbide est un tombeau
d'où il doit sortir avec la force du Christ. Notre désir de
respect des valeurs authentiques de la société lobi ne doit pas
nous empêcher de voir ces nombreux trous dans lesquels sont
enfermés bon nombre de nos frères les hommes. Par exemple, de
plus en plus de Lobi réussissent dans les travaux champêtres. Ils
sont aussi nombreux à voir leur situation économique
s'améliorer à partir des plantations d'arbres comme le cacao ou
le café. Mais ils sont nombreux aussi les Lobi qui n'osent pas investir
pour améliorer leur cadre de vie ou leur alimentation journalière
de peur d'être victimes des sorciers jaloux. Certains esprits de leur
culte leur interdisent même de profiter du fruit de leur labeur par des
interdits saugrenus. Nous avons rencontré plusieurs hommes et femmes qui
sont venus au christianisme pour être soulagés d'un tel
enfermement dans le tombeau structurel traditionnel. Il est bien urgent que le
Christ libère totalement les Lobi de toutes ces institutions
mortifères.
Mais le Christ, pour libérer entièrement Lazare,
demande aux témoins de délier les liens coutumiers qui le
tenaient dans la réalité du tombeau. Il est bien question ici
aussi des acteurs de la libération des Lobi des liens de la mort. Nous
pensons que les chrétiens et leurs
365 Comme l'écrit P. POUCOUTA , « Une
théologie de la vie : la résurrection des ossements
desséchés (Ez 37,1- 14) » dans ASSOCIATION PANAFRICAINE DES
EXEGETES CATHOLIQUES, Prophétie et prophètes dans la Bible.
Exigences du prophétisme au sein de l 'Eglise Famille de Dieu en
Afrique, Actes du onzième congrès au Caire, Egypte du 6-12
septembre 2003, Kinshasa, J.B. MATAND BULEMBAT Editor, 2004, p. 136 :
« Lazare devient la figure paradigmatique de la vie nouvelle en
Jésus-Christ ». Dans sa résurrection, on peut voir le
continent africain en général comme le développe aussi
KÄ MANA, op. cit., p. 208 dans sa théologie de la
reconstruction, on peut voir aussi chaque peuple comme par exemple les Lobi.
366 Le mariage préférentiel chez les Lobi est le
mariage avec la cousine germaine. Cette consanguinité provoque souvent
la naissance de beaucoup d'enfants fragiles beaucoup plus exposés aux
épidémies et à de nombreuses tares ataviques. Quant au
lévirat, c'est le remariage de la veuve avec le frère de son mari
défunt. Cela est à la base aussi de plusieurs catastrophes
familiales en ces périodes de pandémie de Sida.
pasteurs sont ceux qui pourront efficacement délier les
Lobi de ces liens. L'action de chaque chrétien lobi est
nécessaire pour soulever la pierre des pesanteurs qui pèse sur le
tombeau social lobi et ensuite pour libérer chaque homme des liens qui
l'empêchent de voir la lumière, de suivre le Christ. La
contribution des amis et des soeurs de Lazare a été
précieuse pour sa libération de la mort. Les frères et
soeurs lobi ne peuvent se dérober à leur tâche d'être
les acteurs privilégiés du salut en Jésus-Christ de leur
société. Certes, en Eglise-Famille, nous sommes tous
frères et soeurs d'un même Père des cieux. Mais il n'en
demeure pas moins que cette famille est située dans un temps et dans un
espace donné. Et pour ce faire, chaque communauté est responsable
de la mission d'évangélisation de son milieu de vie afin que
l'Evangile du Christ atteigne tous les peuples et toutes les nations jusqu'au
bout du monde (Cf. Mt 28, 19 ; Ac 1 ,8b). Les chrétiens lobi sont bien
responsables du salut de leurs congénères lobi. La mission de
libération chrétienne de leurs frères leur incombe en
premier.
Enfin, les lieux de libération ecclésiale
peuvent être la catéchèse, la liturgie des sacrements et la
vie ecclésiale. C'est dans l'évangélisation directe
à travers la catéchèse et les sorties missionnaires que
les chrétiens proposeront le salut de Jésus-Christ à leurs
frères lobi. Il s'agit d'une catéchèse inculturée
dans le temps et dans l'espace de la vie des hommes de cette
société particulière367. Les sorties
missionnaires à la rencontre des villages et des populations lobi non
encore informées des avantages du christianisme se feront dans un esprit
de dialogue et de respect à leur égard. C'est avant tout l'amour
qui incorpore au Christ. Il ne s'agit pas de se lancer dans un
prosélytisme violent et méprisant de l'autre. Il s'agit de
proposer aux Lobi la voie du Christ qui est, à notre avis, la plus
sûre pour l'accomplissement du Lobi en route pour l'au-delà.
Jésus-Christ devient le chemin par excellence qui conduit le Lobi, au
terme de son pèlerinage terrestre, vers cet autre pèlerinage de
la mort qui finit auprès de Dieu son créateur. Les sacrements
sont les forces que le Christ propose à son Eglise encore aujourd'hui
pour la soutenir dans sa marche à sa suite. Ce sont autant de moments de
libération qu'il faut proposer avec pertinence et pragmatisme aux Lobi
qui ont besoin d'être rejoints là aussi dans leur imaginaire
religieux. Les sacramentaux s'adapteront à l'esprit pragmatique des Lobi
en quête de signes visibles de libération spirituelle. Ils ne
seront pas du tout négligés quand le deuil frappe les Lobi. Ils
peuvent contribuer à lui apporter la paix et le salut total en
Christ.
367 Le synode diocésain de Diébougou attirait
l'attention des acteurs de l'évangélisation dans ce sens : «
les agents pastoraux, notamment prêtres, auront à coeur de
préparer de façon très soignée la première
rencontre du message chrétien avec le milieu païen, surtout lorsque
cette annonce n'est pas seulement individuelle mais communautaire (sorties
missionnaires) », DIOCESE DE DIEBOUGOU, op. cit., p. 38.
Conclusion au chapitre
Dans ce dernier chapitre de notre étude, notre souci a
été d'élaborer des pistes d'application pastorale de
l'herméneutique africaine de l'épisode de la résurrection
de Lazare. Nous avons ainsi dessiné les grandes lignes d'une pastorale
renouvelée et efficace en milieu lobi dans le domaine de
l'accompagnement des personnes malades et des personnes éprouvées
par le deuil. En invitant à une inculturation audacieuse du
christianisme en pays lobi, nous n'avons pas occulté les lieux de
libération et de conversion dont la société des Lobi
actuelle a besoin. Nous avons présenté clairement le Christ comme
le véritable libérateur et la véritable voie
d'accomplissement total de l'homme Lobi en pèlerinage sur cette terre et
dans son ultime pèlerinage de la mort vers l'au-delà de Dieu.
Conclusion à la troisième
partie
Dans cette troisième et dernière partie de notre
parcours, nous avons fait dialoguer les deux cultures, biblique et lobi, autour
des notions de mort et de résurrection étudiées dans les
parties précédentes. Nous avons mis en lumière des
difficultés de compréhension mutuelle, mais nous avons aussi
dégagé les lieux d'échange et de jonction entre les deux
cultures. Cela nous a permis de préciser les pistes pastorales,
où nous devons orienter nos efforts d'inculturation, afin que les
africains lobi puissent accueillir aujourd'hui la Bonne Nouvelle de la
résurrection et de la vie de Jésus-Christ. Nous avons surtout
indiqué les liens mortifères qui bloquent encore les Lobi dans le
noir tombeau, d'où le Christ peut venir les tirer, à notre
prière et à notre sollicitude pastorale. Cette pastorale
d'inculturation, que nous avons encouragée, ne sera certainement pas
facile. Elle est une oeuvre de longue haleine. Et elle concerne tous les
acteurs de la mission en pays lobi. Prions qu'avec le secours de la grâce
de Dieu, tous nos efforts, en vue de libérer en Jésus-christ les
hommes et les femmes de leurs maladies et de leurs morts actuelles, soient
couronnés de succès.
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