3.2. La résurrection comme re-création ou
communion avec Dieu en Jésus-Christ
La résurrection du Christ est la base de la foi
chrétienne. Nous avons vu comment elle s'est élaborée dans
le judaïsme tardif pour atteindre sa pleine révélation dans
le mystère chrétien295. Saint Paul la présente
comme le pilier de la doctrine chrétienne (cf. 1 Co 15, 1-24). Mais les
Lobi croient déjà à une vie après la mort et nous
avons vu comment ils redoutent la résurrection matérielle des
morts depuis que le mythe des origines a rendu cette perspective
impossible296. Alors comment annoncer le mystère de la
résurrection de Lazare, signe de la résurrection du Christ et de
tous les croyants, à des peuples africains297 comme les Lobi
du Burkina-Faso, de la Côte d'Ivoire et du Ghana ? Il nous faut donc
élaborer un discours théologique qui soit ancré dans le
schème culturel de ces hommes et femmes du continent africain tout en
sauvegardant la nouveauté radicale de ce mystère de foi.
3.2.1. La nouveauté radicale du mystère
de la résurrection du Christ
Partant de notre étude exégétique de
l'épisode de la résurrection de Lazare et en ayant en
mémoire le mythe de l'entrée de la mort chez les
Lobi298, nous pensons proposer un discours qui se veut
inculturé pour annoncer la nouveauté du dogme chrétien de
la résurrection. Nous pensons pouvoir exploiter le mythe
téléologique de l'entrée de la mort dans l'histoire des
hommes pour expliquer aux africains lobi le mystère de la
résurrection de Jésus. La vérité de la
résurrection du Christ est en soi une nouveauté radicale. C'est
un événement exceptionnel et fondateur d'une nouvelle histoire et
d'une nouvelle communauté. Et il s'impose comme tel aux hommes. Mais
pour qu'il soit compris chez des africains comme les Lobi, nous
suggérons, dans la dynamique littéraire johannique, de trouver le
meilleur canal
295 Cf. Supra, Excursus sur l'idée de la
résurrection dans la mentalité juive, pp. 63-65.
296 Cf. Supra, 3.5. Réincarnation et résurrection
en contexte lobi, p. 99-100.
297 C'est aussi la grosse interrogation de l'abbé Jean
Bosco MATAND BULEMBAT, op. cit., pp. 146-147, à la fin de son
article : « Dans quelle mesure l'annonce de la résurrection du
Christ peut être entendue et reçue, comprise et
interprétée comme une ``bonne nouvelle'' ? Faut-il vraiment
insister sur cette nouveauté de l'Evangile, quand chaque membre de
famille sait d'avance que la mort d'un des leurs n'éloigne pas ce
dernier (...) du bonheur parmi les ancêtres ? Autrement dit, si la
résurrection du Christ a constitué une grande espérance et
une bonne nouvelle pour ceux qui croyaient que la mort n'était qu'une
perdition dans le royaume de l'oubli éternel, et une séparation
irréversible d'avec les êtres chers et même d'avec Dieu, ou
pour ceux qui croyaient à la puissance invincible de la mort, comment
peut-elle être annoncée là où l'on croit
déjà que la mort n'est aucune menace à la communion de vie
entre les êtres chers, particulièrement entre les membres d'une
même famille ? ».
298 Cf. Supra, 3.1. L'origine de la mort selon les Lobi, pp.
93-94.
de communication et de transmission. Tout comme chez saint
Jean, il s'agira de déployer une herméneutique qui passe de la
tradition ancestrale (juive ou lobi) à la révélation
chrétienne299. Ce faisant, nous ne pourrons certainement pas
être exempt de malentendu. Et si le malentendu était là
pour nous rappeler le caractère inédit et inépuisable de
sens du mystère même de la résurrection du Christ et de
tout discours sur ce mystère ?
3.2.2. Une foi traditionnelle à porter à
accomplissement
Les Lobi, comme la plupart des peuples africains, croient
à une vie après la mort300. Le passage de la mort
à la vie est ce qu'on appelle résurrection. Sa modalité
est hors de l'expérience sensible. Elle est de l'ordre du
méta-physique. Dans ce sens, on peut bien dire que les Lobi croient en
la résurrection des morts. Ce disant, nous ne nous contredisons
guère. En fait, les Lobi redoutent plutôt la réanimation
des morts301 et non la résurrection comme vie alternative
à la mort. Mais selon leur foi traditionnelle, cette vie ne peut se
passer sur cette terre302. Et de plus, la vie après la mort
est certes béatifique mais elle est encore confinée dans les
villages et les familles issues de l'expérience terrestre
passée303. Cette vie est bien harmonie avec les esprits, les
différentes principautés ou puissances invisibles, mais elle
n'est pas centrée avant tout sur une communion avec le divin. Elle est
centrée sur la communion familiale. Certes, une telle mentalité
traditionnelle a besoin de retouches catéchétiques, mais elle est
aussi une véritable `semence du Verbe,' qui ne demande que la
pédagogie du Christ se révélant à Marthe, pour la
faire germer et porter du vrai fruit théologique. Le Christ est la
résurrection véritable qui fait entrer dans la vie totale, dans
l'harmonie originelle avec Dieu. Si la mort est un voyage vers l'au-delà
dans la communion avec les ancêtres lobi, la résurrection du
Christ est l'agrégation des Lobi, au-delà de la mort, à la
communion avec Dieu et avec toutes les familles humaines, enfin
réconciliées par l'Agneau Pascal304.
299 Nous pensons qu'ici réside l'originalité de
notre démarche théologique qui s'inscrit bien dans la ligne d'une
hermeneutique africaine inculturée de la Bible. Voir P. POUCOUTA,
Lectures africaines de la Bible, Yaoundé, Presses de l'UCAC,
2002.
300 Cf. Supra, 3.3. L'au-delà chez les Lobi, p. 97.
301 Cf. Supra, 1.3.2. Critique lobi de la
mort-résurrection de Lazare, pp. 112-113.
302 Nous revenons sur l'importance des initiations sociales
chez les Lobi où il y a toujours une mort-résurrection symbolique
qui n'est pas sans nous rappeler les cultes à mystères grecs et
cultes orientaux (cf. Supra, note 245, p. 100). Les Lobi ont donc une notion de
la résurrection. Le langage initiatique comme le pense l'abbé
Antoine de Padoue POODA, un pasteur chevronné du milieu lobi, peut
certainement nous aider à mieux traduire aux Lobi les mystères
chrétiens. Ce que vit symboliquement l'initié lobi
(vie-mort-vie), le Christ peut l'amener à le vivre réellement et
pleinement.
303 Cf. J. B. MATAND BULEMBAT, op. cit., p. 148.
304 C'est là une manière nouvelle et originale
de proposer une compréhension africaine lobi de la résurrection.
Nous la déduisons de l'hermeneutique africaine lobi de l'épisode
de Lazare que nous avons étudié. Voir aussi Compendium du
Catéchisme de l'Eglise Catholique, Abrégé, Abidjan,
Paulines Editions, 2006, n° 131.
Pour les Lobi, si dans le mythe originel c'était des
animaux305 (le chien et le bouc : animaux pour le sacrifice) qui
furent les messagers des hommes et de Dieu pour trancher sur la question de la
mort ou de la résurrection dans la société des
hommes306, le Christ, Dieu et Homme, se présente comme
`l'envoyé de Dieu venant dans le monde' (Jn 11,27). Voici enfin celui
qui peut dire ex cathedra « Je suis la résurrection et
la vie » (Jn 11, 25) c'est-à-dire celui qui vient apporter la
Bonne nouvelle aux Lobi, aux Africains, à tous les peuples (cf. Lc
4,16-19). Il vient crier enfin que Dieu a accédé aux
désirs secrets des hommes et à l'éternité
bienheureuse d'une vie pleine dans une communion familiale, divine, cosmique.
C'est son Fils que le Dieu Créateur a envoyé en ces temps qui
sont les derniers pour nous parler en son nom (cf. He 1,1-2)307 :
maintenant, si on meurt on revient à la vie ! Pour exemple, Lazare sort
de son tombeau par l'autorité de la voix puissante du Christ qui fixe
son regard vers les cieux ; des morts ressuscitent le vendredi saint à
la mort du nouvel agneau pascal par excellence (cf. Mt 27,53) ; des
témoins voient et touchent l'Esprit du Ressuscité (cf. Jn
20,19-29). Désormais la mort définitive est vaincue. La vie dans
l'au-delà n'est plus cantonnée à des villages ou à
des familles bâties sur le modèle terrestre. L'envoyé de
Dieu a réconcilié désormais le ciel et la terre. Le ciel
et la terre se retouchent désormais. On n'a plus besoin de la
médiation des nombreux esprits ou des puissances intermédiaires
pour avoir l'harmonie avec Dieu Providence. Le ciel et la terre sont
désormais unis par la croix du Christ. C'est cette croix qui fait
l'unité entre toutes les familles, tous les villages, tous les peuples
pour former une seule famille en Dieu (cf. Eph 2,11-22). Désormais ceux
qui croient en sa puissance, ceux qu'il possède par son Esprit (cf. Ac
16,7 ; Ph 1,19), vivront sans craindre la mort définitive. Ils auront la
vie pleine déjà sur cette terre. Et s'ils meurent, ils vivront
avec lui dans son royaume, dans le village du Père où il leur a
préparé des demeures (cf. Jn 14,2). Il reviendra à la fin
des temps de son voyage vers le Père pour récapituler tout et le
remettre sous l'autorité de son Père (cf. 1Co 15, 24-28 ; Ap 20,
11s ; 21,1s ; 22,12s). Il viendra conduire dans sa gloire ceux qui seront
encore sur la terre (cf. 1 Th 4,13-18), et qui auront cru en lui.
3.2.3. La nécessité d'une conversion
pour croire en la résurrection
La nouveauté de la foi chrétienne est nette et
ses conséquences peuvent être incalculables dans la vie des Lobi.
Ceux-ci devraient accepter de se convertir pour s'ouvrir à l'accueil du
nouvel envoyé de Dieu (Thâgbaa-Thth-yùù), qui
n'est plus présent en chair et en os au milieu des hommes, mais dans sa
Parole (Th<m<<r). C'est cette parole qui est à la limite
du mythe et de la ratio que les Lobi devront intégrer désormais
dans leurs mentalités308. C'est dans ce sens qu'ils devront
comprendre l'épisode de la résurrection de Lazare comme `signe
mythique' ou signe du nouveau mythe de la résurrection des
hommes309. Avec le Christ, ils entrent dans une nouvelle histoire,
dans une nouvelle création, dans une nouvelle harmonie qu'ils
recherchaient depuis la nuit des temps comme à tâtons : l'harmonie
avec Dieu, la communion originelle avec le divin. Ce nouveau discours ou mythe
sur Dieu et l'homme marquera désormais leur vie sociale. Il fondera un
nouveau type de rapport entre l'homme et Dieu, et entre les
hommes310. Le Christ, l'homme total (Tibil-Yiri) et Fils de
Dieu (Tâgbaa-Bikuun), a ouvert par sa mort la nouvelle voie de la
résurrection (Q<<r<).
Par ailleurs, ce mythe est nettement plus
élaboré que le premier, car l'initiative vient désormais
de Dieu, l'envoyé vient de la sphère divine, il est le premier
à vivre la Bonne nouvelle qu'il a apportée aux hommes. Il meurt
et il ressuscite. Il monte vers son Père et notre Père à
tous désormais, pour préparer à tous des places dans la
demeure divine. Par sa résurrection, une nouvelle fondation de
société est inaugurée. Une nouvelle création ou
recréation est amorcée dans une nouvelle société,
la société ecclésiale où tous les hommes sont
appelés à être frères, solidaires les uns des
autres, et à vivre en enfants d'un même Père dans les
Cieux. Une nouvelle route est ouverte désormais. Une nouvelle initiation
est fondée311. Ce
308 En réalité, affirme, M. GOURGUES, op.
cit., in Cahiers Evangile n°41, p. 16, « l'utilisation du
mythe et du symbole est la seule ressource que nous ayons pour parler de
l'au-delà ». Cf. J. M. ELA, op. cit., pp. 59-68, sur le
symbolisme négro-africain. Lire aussi J. NDI-OKALLA, (Sous la dir.),
Inculturation et conversion. Africains et Européens au synode des
Eglises d'Afrique, Paris, Ed. Karthala, 1994, pp. 130-136.
309 L'épisode de Lazare qu'on a dans le dernier scrutin
préparatoire au Baptême, le premier des sacrements de l'initiation
chrétienne, peut bien être expliqué aux Lobi comme le mythe
de fondation du mystère chrétien en prélude à
l'événement fondateur du christianisme qu'est la
résurrection de Jésus lui-même le matin de Pâques. Ce
mythe, où il est question de mort-résurrection de l'ami, le
chrétien lobi peut bien le comprendre si un tel discours est
sociologiquement et linguistiquement inculturé à partir surtout
des initiations sociales qu'on trouve chez les Lobi comme le J*r* et le
Buur.
310 Faut-il le rappeler, le mythe ne saurait être
confondu à la légende ou à une histoire sans fondement
véritable. Pour les Lobi, les vérités essentielles et
transcendantales se traduisent sous forme de Mythe. Parler de la
résurrection chrétienne en langage de mythe pour une telle
société ne dégrade en rien ce mystère de foi. Bien
au contraire, le mythe, chez les Lobi, coupe court à toutes discussions
inutiles pour enseigner la vérité essentielle et fondamentale.
311 L'image de la route ou du chemin est très forte
chez les Lobi. L'initiation sociale J*r* elle-même est appelée
hù-q<<r< (littéralement, marcher la route). Si la
mort est un voyage vers l'au-delà chez les Lobi, il convient de leur
expliquer la résurrection en terme d'arrivée chez soi, de retour
au bercail, d'accueil dans la patrie céleste.
nouveau mythe de la résurrection-recréation de
l'homme par Dieu en Jésus-Christ devrait marquer et renouveler par
exemple la célébration de la mort. Il n'est plus donc question de
célébrer la mort comme un voyage vers la maison d'un
ancêtre familial particulier mais de célébrer la mort comme
un voyage vers la maison d'un unique Père des hommes. Car par elle, nous
sommes recrées ou renés à une vie nouvelle chez Dieu. Nous
sommes ressuscités et accueillis dans un nouveau monde glorifié.
Nous sommes introduits dans un au-delà de paix, d'harmonie totale
retrouvée.
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