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Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le croyant Lobi en route pour l'au-delà. Lecture africaine de Jn 11,1-44.

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par Sansan Hervé POODA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.), Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.) - Licence Canonique (Maîtrise académique) en Théologie Biblique 2007
  

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3.4. La commémoration des ancêtres

Comment devient-on ancêtre ou ktin chez les Lobi ? Tout Lobi qui meurt ne reçoit pas automatiquement le titre et la qualité d'ancêtre. Cet honneur est réservé aux ascendants défunts qui répondent à un certain nombre de critères sociaux bien définis237. Il faut être un homme ou une femme décédé dans la vieillesse après avoir réussi socialement sa vie. Il faut être un grand-père ou une grand-mère avant de mourir. Il faut être bien mort et en paix avec ses ancêtres. Il faut avoir vécu de manière méritoire aux yeux des hommes et des ancêtres. Des consultations divinatoires seront faites avant la canonisation rituelle d'un défunt. Un fils, après le décès de son père dans de telles conditions, est tenu à lui rendre un culte. C'est le culte du `père' ou Th<r$, important dans la vie d'un lobi238. Chaque année et aux périodes troubles de l'existence humaines (maladies, malheurs, initiations, décès...), les fils lobi sacrifient toujours à l'autel de leurs pères ou ancêtres masculins239. Un culte est aussi rendu aux ancêtres féminins surtout quand on est en quête de fécondité pour les femmes. C'est le culte du birbi-th<l ou du n<gba en langue des Lobi (lobiri). Les femmes et les filles sont plus attentives à un tel culte féminin lié à leur fécondité240.

Mais pour avoir un autel construit dans la grande maison lobi, il faut que l'ancêtre qui désire être honoré de manière spéciale par ses descendants se révèle à eux de manière manifeste. Les songes, les événements sociaux et autres signes interprétés par le devin ou bù*rdaar le révèleront241. Sinon, après les dernières funérailles, le bâton ou gboo du grandpère ou de la grand-mère rejoindra ceux de ses devanciers dans la mort dans la grande maison paternelle. Quand on invoquera les ancêtres ou Ktina au pluriel, il ou elle en fera partie. Ceux qui ont connu une mauvaise mort ou une mal-mort ne peuvent être invoqués comme

236 Lire « la figure de l'ancêtre : mémoire et sacralisation » de D. BAGNOLO, in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp. 447-457.

237 J. M. ELA, op. cit., p. 54, écrit à cet effet : « Dans la tradition africaine, revêtir la dignité d'Ancêtre suppose qu'on a excellé dans la pratique de la vertu au long de son existence ». Voir aussi L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 100. Cf. E. J. PENOUKOU, op. cit., p. 86 : « Qui devient ancêtre, se demande-t-il ? En principe, toute personne qui décède d'une bonne mort. Car la mauvaise mort (eku bada) demeure pour la famille du défunt un objet de déshonneur et même porte-malheur, et qui n'oblige guère à aucun culte ».

238 Cf. Madeleine PERE, op. cit.,pp. 225-227.

239 Les Lobi font des sacrifices aux ancêtres à chaque début et à chaque fin d'année agricole. Les libations sur l'autel des ancêtres sont quasi quotidiennes. Les ancêtres participent à la vie des vivants.

240 Voir J. A. KAMBOU, op. cit., pp. 167-168.

241 Cf. D. BAGNOLO, op. cit., p. 447.

ancêtres242. Selon les Lobi, certains d'entre eux se réincarnent dans d'autres familles ou dans d'autres ethnies pour racheter leur existence brisée par la mort prématurée.

3.5. Réincarnation et résurrection en contexte lobi

Les Lobi ont une certaine croyance à la réincarnation. La réincarnation n'est pas systématique pour tous les défunts. Mais elle est une réalité qui existe selon les Lobi. Pour jouir totalement du paradis de l'au-delà, il faut avoir réussi son parcours initiatique sur cette terre des hommes. Pour ceux qui sont morts de manière prématurée selon les Lobi243, (nourrissons, jeunes, adultes) et même quelques ancêtres désireux de redresser leur famille en déconfiture, peuvent se réincarner dans la race des hommes. On est habitué dans la société des Lobi au va-et-vient incessant de certains mauvais enfants qui éprouvent le malin plaisir à éprouver leurs parents en naissant et en mourant à plusieurs reprises. C'est la croyance des Lobi 244 . Ils nomment ces enfants k$rabura ou revenants. Ils portent la marque des scarifications que les fossoyeurs leur font dans la tombe, souvent à l'insu même de leurs parents. Nous avons été plusieurs fois témoins de tels cas qui n'ont pas fini de jeter le trouble dans notre esprit.

Pour les Lobi, les méchants hommes comme les sorciers, les grands voleurs, les criminels, qui ont du mal à traverser le fleuve sacré de la Volta pour rejoindre l'au-delà, se réincarnent en vies animales ou en bestioles. Les rainettes sont désignées par exemple comme les réincarnations des mauvais enfants morts à bas âge. Les femmes enceintes surtout doivent s'en méfier. Les chasseurs doivent se protéger contre les mauvaises âmes humaines réincarnées dans les animaux sauvages qu'ils tuent. Ils doivent recourir à la protection de leurs entités spirituelles ou Th<la avant d'entrer en brousse pour la chasse. Ils peuvent facilement avoir affaire à des âmes hostiles incarnées dans ces animaux ou simplement aux

242 Chez les Lobi, la bonne mort est celle qui survient après une vieillesse tranquille. Une telle mort est fêtée dès les premières funérailles. Beaucoup de plaisanteries sont faites, à l'occasion, aux parents. Tout Lobi rêve d'une telle mort. La mauvaise mort ou khi-puu est celle qui arrive prématurément dans la force de l'âge. On peut parler aussi de mal-mort pour juger de la qualité de la mort : « mourir au loin et risquer d'être ainsi privé de funérailles ; mourir sans laisser d'enfants, pour accomplir les rites ; mourir en couches etc. » Nous citons ici L.- V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 250. Et J. M. ELA, op. cit., p. 38, écrit dans ce sens : « Pour l'Africain, la mort n'est pas une assimilation de l'être. En rigueur, on ne craint pas la mort. Ce que l'on redoute, c'est de ``mourir'' sans enfant. L'absence des garçons, en particulier, est la pire des malédictions pour le Noir ».

243 Les Lobi qualifient une telle situation par le proverbe suivant « bar b<< n hale s< okôo n ji », le karité mûr peut demeurer sur l'arbre et celui qui n'est pas encore mûr peut tomber ! Il n y a pas toujours de logique devant la mort !

244 Cf. J. B. MATAND BULEMBAT, « ``Le Christ est ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont endormis'' (1Co 15,20). Appartenance au Christ et liens familiaux au village des ancêtres » in ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES, Eglise-famille et Perspectives bibliques, Kinshasa, Editions J.B. Matand et Alii, 1999, pp. 127-1 50.

âmes errant en brousse après leur rejet de la porte du village des morts. Les Lobi ont donc une notion de damnation éternelle des âmes incapables d'entrer dans le pays des morts. Ces âmes errent dans les brousses et elles sont toujours dangereuses. Ce sont elles qui viennent enquiquiner les hommes en fantômes ou en phénomènes effrayants dans certains lieux redoutables.

Mais les Lobi ont-ils une croyance en la résurrection ? La résurrection des morts semble une notion difficile à concevoir chez les Lobi. Certes, le mythe de l'origine de la mort en parle comme d'une éventualité qui échoua. Dès lors, la résurrection des morts n'est plus matériellement envisagée par les Lobi245. Des histoires drôles racontent l'expérience de certains morts qui surgissent de leurs tombes. Mais ils sont, dans ce cas, obligés de vivre dans la clandestinité pour ne pas être reconnus de leurs parents. Un mort qui ressuscite en pleines funérailles est déjà mal vu. On va le soupçonner de sorcellerie. On en rencontre quelques cas dans la société des Lobi. Un mort qui reviendrait du pays des morts sans une réincarnation intra-utérine serait alors un phénomène ou h&&r& en langue des Lobi. Depuis donc l'échec mythique des hommes dans le choix entre la mort éternelle et la résurrection, il est devenu inconcevable pour les Lobi d'envisager une résurrection sur cette terre. Mais si on envisage la résurrection comme une autre vie après la mort, les Lobi y croient de toutes leurs pensées. Cela nous laisse entrevoir la délicatesse de notre mission d'évangélisation de cette culture africaine avec ses croyances et ses rites en face de la mort. Comment faire comprendre aux Lobi la réalité de la résurrection de Lazare, par exemple, comme une bonne nouvelle laissant entrevoir notre commune résurrection future des morts, lorsque ces hommes considèrent toute résurrection comme un phénomène redoutable ?

245 Mais les Lobi, tout comme les Egyptiens de l'Antiquité et les babyloniens ou dans les cultes à mystères grecs, ont une large notion eschatologique de vie-mort-vie (cf. N.Y. SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, op. cit., et E. J. PENOUKOU, op. cit. ). Ils le manifestent bien dans leurs initiations traditionnelles du J*r* et du Buur où il y a toujours une mort-résurrection symbolique et rituelle. Mais à aucun moment, dans l'Antiquité égyptienne ou chez les Lobi, l'eschatologie n'est liée à un événement historique fondateur comme la résurrection chez les chrétiens, même si les mythes égyptiens et lobi sur le voyage de l'âme vers l'au-delà ne sont pas déniés de toute référence historique ou sociale.

Voir PLUTARQUE, OEuvres morales. Isis et Osiris, Paris, Edition ``les belles lettres'', 1988 ; F. LE CORSU, Isis, mythe et mystères, Paris, Société d'édition ``les belles lettres'', 1977 ; H.S. VERSNEL, Ter Unus. Isis, Dionysos, Hermes, Three Studies in Henotheism, Leiden E. J. Brill, 1990 ; W. BURKERT, Ancient Mystery Cults, Harvard University Press, Massachussetts, 1987 ; A.J. FESTUGIERE, Etudes de religion grecque et hellenistique, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1972.

Conclusion du chapitre

Dans ce chapitre, nous avons voulu présenter la conception des Lobi de la maladie, de la mort et de la vie dans l'au-delà. Nous avons découvert que les Lobi avaient un grand respect de la vie humaine et qu'ils s'investissent pour la protéger. Ils ont aussi un grand respect des morts qui font partie intégrante de leur vie sociale. A travers des rites funéraires complexes, les Lobi célèbrent la mort comme un voyage vers un au-delà paradisiaque. Ils entretiennent une relation quasi existentielle avec leurs ancêtres défunts. Ceux-ci interviennent dans leur marche vers l'harmonie originelle perdue que seule la mort permet de retrouver. Jésus peut-il avoir une place dans une telle marche des hommes Lobi vers leur eschatologie ? Comment la notion lobi de la mort comme voyage peut-elle s'intégrer dans une théo-logie inculturée sur la mort en contexte africain d'aujourd'hui ? Ce sont autant d'interrogations à la fin de ce chapitre que la dernière partie de notre travail devrait prendre en compte.

Conclusion de la deuxième partie

Dans cette deuxième partie de notre parcours, nous avons découvert les notions de vie et de mort chez les Lobi du Burkina Faso, de la Côte d'Ivoire et du Ghana246. En référence à notre étude exégétique, nous avons voulu découvrir une culture africaine, celle des Lobi où le Christ est appelé à venir afin de répondre à la demande pressante de ses amis pour guérir les `Lazare' malades ou pour ressusciter ceux que la mort tient encore captifs du tombeau. C'est dans ce sens que l'étude du contexte socio-historique et religieux des Lobi et l'analyse des croyances sur la maladie, la mort et la vie dans l'au-delà chez les Lobi nous ont intéressé247. Cela nous ouvre mieux la perspective d'une inculturation africaine lobi du message évangélique étudié dans la première partie de notre travail. Notre dernière partie aura donc une visée théologique et pastorale en vue de l'inculturation du donné révélé dans la culture des Lobi que nous connaissons mieux maintenant.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery