3.4. La commémoration des ancêtres
Comment devient-on ancêtre ou ktin chez les Lobi ? Tout
Lobi qui meurt ne reçoit pas automatiquement le titre et la
qualité d'ancêtre. Cet honneur est réservé aux
ascendants défunts qui répondent à un certain nombre de
critères sociaux bien définis237. Il faut être
un homme ou une femme décédé dans la vieillesse
après avoir réussi socialement sa vie. Il faut être un
grand-père ou une grand-mère avant de mourir. Il faut être
bien mort et en paix avec ses ancêtres. Il faut avoir vécu de
manière méritoire aux yeux des hommes et des ancêtres. Des
consultations divinatoires seront faites avant la canonisation rituelle d'un
défunt. Un fils, après le décès de son père
dans de telles conditions, est tenu à lui rendre un culte. C'est le
culte du `père' ou Th<r$, important dans la vie d'un
lobi238. Chaque année et aux périodes troubles de
l'existence humaines (maladies, malheurs, initiations, décès...),
les fils lobi sacrifient toujours à l'autel de leurs pères ou
ancêtres masculins239. Un culte est aussi rendu aux
ancêtres féminins surtout quand on est en quête de
fécondité pour les femmes. C'est le culte du birbi-th<l
ou du n<gba en langue des Lobi (lobiri). Les femmes et les filles
sont plus attentives à un tel culte féminin lié à
leur fécondité240.
Mais pour avoir un autel construit dans la grande maison lobi,
il faut que l'ancêtre qui désire être honoré de
manière spéciale par ses descendants se révèle
à eux de manière manifeste. Les songes, les
événements sociaux et autres signes interprétés par
le devin ou bù*rdaar le révèleront241.
Sinon, après les dernières funérailles, le bâton ou
gboo du grandpère ou de la grand-mère rejoindra ceux de ses
devanciers dans la mort dans la grande maison paternelle. Quand on invoquera
les ancêtres ou Ktina au pluriel, il ou elle en fera partie. Ceux qui ont
connu une mauvaise mort ou une mal-mort ne peuvent être invoqués
comme
236 Lire « la figure de l'ancêtre : mémoire et
sacralisation » de D. BAGNOLO, in AAVV, Images d'Afrique et Sciences
Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala &
ORSTOM, 1993, pp. 447-457.
237 J. M. ELA, op. cit., p. 54, écrit à
cet effet : « Dans la tradition africaine, revêtir la dignité
d'Ancêtre suppose qu'on a excellé dans la pratique de la vertu au
long de son existence ». Voir aussi L.-V. THOMAS et R. LUNEAU, La
terre africaine et ses religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 100. Cf. E.
J. PENOUKOU, op. cit., p. 86 : « Qui devient ancêtre, se
demande-t-il ? En principe, toute personne qui décède d'une bonne
mort. Car la mauvaise mort (eku bada) demeure pour la famille du défunt
un objet de déshonneur et même porte-malheur, et qui n'oblige
guère à aucun culte ».
238 Cf. Madeleine PERE, op. cit.,pp.
225-227.
239 Les Lobi font des sacrifices aux ancêtres à
chaque début et à chaque fin d'année agricole. Les
libations sur l'autel des ancêtres sont quasi quotidiennes. Les
ancêtres participent à la vie des vivants.
240 Voir J. A. KAMBOU, op. cit., pp. 167-168.
241 Cf. D. BAGNOLO, op. cit., p. 447.
ancêtres242. Selon les Lobi, certains d'entre
eux se réincarnent dans d'autres familles ou dans d'autres ethnies pour
racheter leur existence brisée par la mort prématurée.
3.5. Réincarnation et résurrection en
contexte lobi
Les Lobi ont une certaine croyance à la
réincarnation. La réincarnation n'est pas systématique
pour tous les défunts. Mais elle est une réalité qui
existe selon les Lobi. Pour jouir totalement du paradis de l'au-delà, il
faut avoir réussi son parcours initiatique sur cette terre des hommes.
Pour ceux qui sont morts de manière prématurée selon les
Lobi243, (nourrissons, jeunes, adultes) et même quelques
ancêtres désireux de redresser leur famille en déconfiture,
peuvent se réincarner dans la race des hommes. On est habitué
dans la société des Lobi au va-et-vient incessant de certains
mauvais enfants qui éprouvent le malin plaisir à éprouver
leurs parents en naissant et en mourant à plusieurs reprises. C'est la
croyance des Lobi 244 . Ils nomment ces enfants k$rabura ou revenants.
Ils portent la marque des scarifications que les fossoyeurs leur font dans la
tombe, souvent à l'insu même de leurs parents. Nous avons
été plusieurs fois témoins de tels cas qui n'ont pas fini
de jeter le trouble dans notre esprit.
Pour les Lobi, les méchants hommes comme les sorciers,
les grands voleurs, les criminels, qui ont du mal à traverser le fleuve
sacré de la Volta pour rejoindre l'au-delà, se réincarnent
en vies animales ou en bestioles. Les rainettes sont désignées
par exemple comme les réincarnations des mauvais enfants morts à
bas âge. Les femmes enceintes surtout doivent s'en méfier. Les
chasseurs doivent se protéger contre les mauvaises âmes humaines
réincarnées dans les animaux sauvages qu'ils tuent. Ils doivent
recourir à la protection de leurs entités spirituelles ou
Th<la avant d'entrer en brousse pour la chasse. Ils peuvent facilement avoir
affaire à des âmes hostiles incarnées dans ces animaux ou
simplement aux
242 Chez les Lobi, la bonne mort est celle qui survient
après une vieillesse tranquille. Une telle mort est fêtée
dès les premières funérailles. Beaucoup de plaisanteries
sont faites, à l'occasion, aux parents. Tout Lobi rêve d'une telle
mort. La mauvaise mort ou khi-puu est celle qui arrive
prématurément dans la force de l'âge. On peut parler aussi
de mal-mort pour juger de la qualité de la mort : « mourir au loin
et risquer d'être ainsi privé de funérailles ; mourir sans
laisser d'enfants, pour accomplir les rites ; mourir en couches etc. »
Nous citons ici L.- V. THOMAS et R. LUNEAU, La terre africaine et ses
religions, Paris, l'Harmattan, 1975, p. 250. Et J. M. ELA, op. cit.,
p. 38, écrit dans ce sens : « Pour l'Africain, la mort n'est
pas une assimilation de l'être. En rigueur, on ne craint pas la mort. Ce
que l'on redoute, c'est de ``mourir'' sans enfant. L'absence des
garçons, en particulier, est la pire des malédictions pour le
Noir ».
243 Les Lobi qualifient une telle situation par le proverbe
suivant « bar b<< n hale s< okôo n ji », le
karité mûr peut demeurer sur l'arbre et celui qui n'est pas encore
mûr peut tomber ! Il n y a pas toujours de logique devant la mort !
244 Cf. J. B. MATAND BULEMBAT, « ``Le Christ est
ressuscité d'entre les morts, prémices de ceux qui se sont
endormis'' (1Co 15,20). Appartenance au Christ et liens familiaux au village
des ancêtres » in ASSOCIATION PANAFRICAINE DES EXEGETES CATHOLIQUES,
Eglise-famille et Perspectives bibliques, Kinshasa, Editions J.B.
Matand et Alii, 1999, pp. 127-1 50.
âmes errant en brousse après leur rejet de la
porte du village des morts. Les Lobi ont donc une notion de damnation
éternelle des âmes incapables d'entrer dans le pays des morts. Ces
âmes errent dans les brousses et elles sont toujours dangereuses. Ce sont
elles qui viennent enquiquiner les hommes en fantômes ou en
phénomènes effrayants dans certains lieux redoutables.
Mais les Lobi ont-ils une croyance en la résurrection ?
La résurrection des morts semble une notion difficile à concevoir
chez les Lobi. Certes, le mythe de l'origine de la mort en parle comme d'une
éventualité qui échoua. Dès lors, la
résurrection des morts n'est plus matériellement envisagée
par les Lobi245. Des histoires drôles racontent
l'expérience de certains morts qui surgissent de leurs tombes. Mais ils
sont, dans ce cas, obligés de vivre dans la clandestinité pour ne
pas être reconnus de leurs parents. Un mort qui ressuscite en pleines
funérailles est déjà mal vu. On va le soupçonner de
sorcellerie. On en rencontre quelques cas dans la société des
Lobi. Un mort qui reviendrait du pays des morts sans une réincarnation
intra-utérine serait alors un phénomène ou
h&&r& en langue des Lobi. Depuis donc l'échec mythique des
hommes dans le choix entre la mort éternelle et la résurrection,
il est devenu inconcevable pour les Lobi d'envisager une résurrection
sur cette terre. Mais si on envisage la résurrection comme une autre vie
après la mort, les Lobi y croient de toutes leurs pensées. Cela
nous laisse entrevoir la délicatesse de notre mission
d'évangélisation de cette culture africaine avec ses croyances et
ses rites en face de la mort. Comment faire comprendre aux Lobi la
réalité de la résurrection de Lazare, par exemple, comme
une bonne nouvelle laissant entrevoir notre commune résurrection future
des morts, lorsque ces hommes considèrent toute résurrection
comme un phénomène redoutable ?
245 Mais les Lobi, tout comme les Egyptiens de
l'Antiquité et les babyloniens ou dans les cultes à
mystères grecs, ont une large notion eschatologique de vie-mort-vie (cf.
N.Y. SOEDE, Sens et enjeux de l'éthique, op. cit., et E. J.
PENOUKOU, op. cit. ). Ils le manifestent bien dans leurs initiations
traditionnelles du J*r* et du Buur où il y a toujours une
mort-résurrection symbolique et rituelle. Mais à aucun moment,
dans l'Antiquité égyptienne ou chez les Lobi, l'eschatologie
n'est liée à un événement historique fondateur
comme la résurrection chez les chrétiens, même si les
mythes égyptiens et lobi sur le voyage de l'âme vers
l'au-delà ne sont pas déniés de toute
référence historique ou sociale.
Voir PLUTARQUE, OEuvres morales. Isis et Osiris,
Paris, Edition ``les belles lettres'', 1988 ; F. LE CORSU, Isis, mythe
et mystères, Paris, Société d'édition ``les
belles lettres'', 1977 ; H.S. VERSNEL, Ter Unus. Isis, Dionysos, Hermes,
Three Studies in Henotheism, Leiden E. J. Brill, 1990 ; W. BURKERT,
Ancient Mystery Cults, Harvard University Press, Massachussetts, 1987
; A.J. FESTUGIERE, Etudes de religion grecque et hellenistique,
Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1972.
Conclusion du chapitre
Dans ce chapitre, nous avons voulu présenter la
conception des Lobi de la maladie, de la mort et de la vie dans
l'au-delà. Nous avons découvert que les Lobi avaient un grand
respect de la vie humaine et qu'ils s'investissent pour la protéger. Ils
ont aussi un grand respect des morts qui font partie intégrante de leur
vie sociale. A travers des rites funéraires complexes, les Lobi
célèbrent la mort comme un voyage vers un au-delà
paradisiaque. Ils entretiennent une relation quasi existentielle avec leurs
ancêtres défunts. Ceux-ci interviennent dans leur marche vers
l'harmonie originelle perdue que seule la mort permet de retrouver.
Jésus peut-il avoir une place dans une telle marche des hommes Lobi vers
leur eschatologie ? Comment la notion lobi de la mort comme voyage peut-elle
s'intégrer dans une théo-logie inculturée sur la mort en
contexte africain d'aujourd'hui ? Ce sont autant d'interrogations à la
fin de ce chapitre que la dernière partie de notre travail devrait
prendre en compte.
Conclusion de la deuxième partie
Dans cette deuxième partie de notre parcours, nous
avons découvert les notions de vie et de mort chez les Lobi du Burkina
Faso, de la Côte d'Ivoire et du Ghana246. En
référence à notre étude exégétique,
nous avons voulu découvrir une culture africaine, celle des Lobi
où le Christ est appelé à venir afin de répondre
à la demande pressante de ses amis pour guérir les `Lazare'
malades ou pour ressusciter ceux que la mort tient encore captifs du tombeau.
C'est dans ce sens que l'étude du contexte socio-historique et religieux
des Lobi et l'analyse des croyances sur la maladie, la mort et la vie dans
l'au-delà chez les Lobi nous ont intéressé247.
Cela nous ouvre mieux la perspective d'une inculturation africaine lobi du
message évangélique étudié dans la première
partie de notre travail. Notre dernière partie aura donc une
visée théologique et pastorale en vue de l'inculturation du
donné révélé dans la culture des Lobi que nous
connaissons mieux maintenant.
|