4.2.3. L'expansion missionnaire en milieu lobi à
partir du poste de Kampti
Le 21 février 1943 la chapelle de Gaoua est
bénie. Mais il faut attendre le 6 janvier 1960 pour voir
l'érection canonique de la paroisse de Gaoua jusque là succursale
de Kampti. Ici l'évangile touche et les Lobi et les Birifor assez
majoritaires dans la région. L'école de la mission à
Kampti est une source de convertis et de Lobi évolués, plus
ouverts au christianisme. Le dispensaire tenu par les religieuses Franciscaines
Missionnaires de Marie dès 1946 a une influence considérable dans
la région de Kampti. De même l'ordination sacerdotale du premier
prêtre lobi, Toho Joseph Antoine Kambou le 28 avril 1962 à Bouti,
consacra les assises de l'Evangile en pays lobi du côté
voltaïque. Du côté ivoirien, la création de la
paroisse de Bouna le 10 octobre 1970 rapproche les campements d'installation
des Lobi de la zone d'influence des Pères de l'Eglise catholique. Le 27
janvier 1980, l'Eglise de Kampti fêtait son cinquantenaire après
avoir fondé la paroisse de Batié en 1971.
Mais en 1986, du côté voltaïque, les
Pères Missionnaires européens abandonneront la mission
d'évangélisation des Lobi à des prêtres africains.
Ceux-ci poursuivront la mission dans un contexte de changement de
mentalité et de méthodes d'apostolat.
L'évangélisation se heurtera à divers problèmes
pastoraux difficiles à résoudre. Et pourtant,
l'évangélisation des Lobi progressera avec de grandes conversions
et la naissance de communautés chrétiennes
199 Voir aussi l'étude critique de
l'évangélisation en pays lobi faite par M. SOME, La
christianisation de l 'OuestVolta. Action missionnaire et réactions
africaines. 1 92 7-1960, Paris, Editions l'Harmattan, 2004, pp.
269-273.
vivantes parmi les Lobi immigrés en Côte
d'Ivoire. Au Burkina Faso, l'ex-Haute-Volta, Kampti fondera en 1994 la paroisse
de Dipéo pendant que Gaoua créera celle de Nako en 1997.
L'expansion missionnaire en pays lobi progresse donc encore de
nos jours. Parallèlement, il faut signaler que dès 1931, le
protestantisme fut bien ancré aussi dans la région lobi avec
comme poste central le village de Broum-Broum en Haute-Volta et Bouna en
Côte d'Ivoire. Les conversions aux diverses églises protestantes
sont de plus en plus fortes chez les Lobi de la Côte d'Ivoire que chez
ceux du Burkina Faso. D'ailleurs, du côté catholique, le
même constat peut être fait au regard de l'état actuel de
l'évangélisation en milieu lobi.
4.3. Etat actuel de l'évangélisation en
milieu lobi
Après 75 ans d'évangélisation, il importe
de constater l'évolution, lente certes, mais non négligeable, du
christianisme chez les Lobi.
4.3.1. L'exemple de la paroisse de Kampti
La paroisse de Kampti est la plus vieille des paroisses de la
région lobi du Burkina Faso. C'est pourquoi elle retient notre attention
dans cette analyse de l'évangélisation du milieu lobi. Elle fut
surtout la première mission chrétienne fondée dans la
région du Sud-Ouest de la Haute-Volta d'alors. Elle a bâti la
première église de tout le pays lobi. En 1980, pendant qu'elle
soufflait ses cinquante bougies d'existence, elle ne comptait que 1.468
baptisés sur une population globale de 65.000 habitants200.
Et en 1990, alors qu'elle couvrait toujours plus de 3.900 km2 avec une
population de plus de 80.000 habitants, la paroisse de Kampti ne comptait que
2.153 chrétiens soit une progression seulement de 685 chrétiens,
à peu près le nombre obtenu entre 1970 et 1980. Les
dernières statistiques ne sont guère très fameuses. Au
jubilé des 75 ans de la paroisse en 2004, elle ne comptait que 6 651
baptisés (soit 8.55% de la population locale). La tâche
missionnaire reste encore abondante. De plus, la communauté
chrétienne est surtout composée de personnes vieilles et
fatiguées, accrochées à un christianisme conservateur. Le
problème pastoral récurrent demeure le syncrétisme et le
retour aux pratiques superstitieuses des coutumes
traditionnelles201. Issu de cette paroisse, nous
200 Cf. A.A.V.V., Pour un meilleur devenir chrétien
lobi, Kampti, I.S., 1984, p. 24.
201 Le syncrétisme est manifeste surtout chez les
jeunes générations qui n'ont pas transité par l'animisme
avant d'être chrétiennes. Les jeunes, la plupart du temps, par
curiosité et souvent par mimétisme, se lancent dans des pratiques
animistes tout en étant fidèles à leur rendez-vous du
dimanche à l'église.
partageons régulièrement les soucis des pasteurs
actuels en ce domaine. Mais l'espoir est touj ours permis en matière de
pastorale !
4.3.2. Le dynamisme missionnaire dans les autres
paroisses du pays lobi
Si Kampti présente des signes visibles de
vieillissement et même d'essoufflement dans le dynamisme missionnaire, ce
n'est pas le cas des autres paroisses de la région où vivent
d'importantes communautés chrétiennes lobi.
Dans la paroisse de Gaoua, la communauté
chrétienne lobi, malgré ses nombreux problèmes pastoraux,
présente un visage missionnaire radieux. C'est son dynamisme
missionnaire qui a abouti à la fondation de la paroisse de Nako en 1997.
Du côté de la Côte d'Ivoire, se fondent de plus en plus de
fortes communautés chrétiennes lobi à Bouna, à
Téhini, à Bondoukou et à Doropo. Ces communautés,
jeunes certes, sont très dynamiques et expansives. Les conversions
chrétiennes, tout comme les vocations sacerdotales, augmentent davantage
chaque année. Du côté burkinabé, il faut souligner
le dynamisme missionnaire des communautés chrétiennes lobi des
paroisses de Dipéo et de Batié, même si elles demeurent
aussi toutes marquées par les graves défis actuels de
l'évangélisation des Lobi en général.
4.4. Les principaux défis de
l'évangélisation des Lobi
Les défis de l'évangélisation en milieu
lobi vont de l'organisation sociale à la loi du talion ou de la
vengeance en passant par les problèmes de mariage, de l'initiation du
J*r* et des funérailles traditionnelles.
4.4.1. L'organisation sociale ou le poids de la
tradition lobi
L'organisation socio-religieuse des Lobi et leurs coutumes ont
souvent été décriées par les Missionnaires. Ceux-ci
interdirent très tôt aux chrétiens de se faire initier aux
traditions de leur société202. Les chrétiens
devaient renoncer à leur être de Lobi, cet être dit sauvage
et barbare. Mais les cas d'abandon de la foi chrétienne avec le retour
aux pratiques ancestrales sont touj ours fréquents en milieu lobi.
Pendant que la mission chrétienne anathématisait les coutumes
lobi telles que les initiations, la société traditionnelle
anathématisait aussi " la chose du Blanc" telle que l'école, la
religion chrétienne et ses structures de développement,
etc203. Une telle situation a créé et continue de
créer le malaise dans l'évangélisation des Lobi, assez
traditionalistes sur les bords dit-on. Il parait urgent de
lancer un véritable dialogue entre l'évangile du Christ et la
société lobi après toutes ces périodes de
méfiance et de mépris mutuels.
4.4.2. Le problème du mariage et de la
moralité lobi
Depuis le début de l'évangélisation en
milieu lobi, le mariage traditionnel a posé problème pastoral. On
lit à cet effet, en juin 1932 sur un rapport de la paroisse de Kampti
ces interrogations : " La jeunesse devant les lois du mariage
chrétien aura-t-elle la force nécessaire pour rompre avec les
coutumes païennes ? Les unions matrimoniales se font et se défont
ici avec une telle facilité qu'on peut être un peu inquiet pour
l'avenir des Chrétiens catholiques"204. Et de
nos jours, le mariage chrétien avec continence complète avant les
noces, demeure absurde pour le Lobi. De même, si l'adultère
demeure une faute grave et une cause de multiples bagarres chez les Lobi, la
fornication des jeunes gens n'est pas condamnée par la
société traditionnelle. Une telle moralité s'oppose
à la morale chrétienne. On comprend alors pourquoi peu de jeunes
lobi se convertissent au Christianisme qui apparaît ainsi à leurs
yeux très exigeant. Mais le paradoxe est aussi que la morale humaine
s'avère bien souvent plus sapée dans les milieux fortement
christianisés que dans les villages traditionalistes des Lobi. On trouve
par exemple plus de filles-mères, des cas de scandales sexuels et des
cas de vol, plus dans les villages et familles de chrétiens que chez les
Lobi animistes. La peur des sanctions sociales et religieuses en milieu
traditionnel suffit-elle à expliquer cet état de
fait205 ? Enfin, le mariage par rapt de la femme avec son
consentement est de nos jours à la mode chez les Lobi qui continuent de
privilégier la coutume par rapport au modernisme, d'où leur
attachement à l'initiation traditionnelle du J*r*.
4.4.3. L'initiation traditionnelle du J*r*
La grande initiation sociale du J*r* pose toujours
problème à l'évangélisation des Lobi. Les
Pères Missionnaires ont anathématisé cette initiation
septennale qui consacre et intègre le Lobi dans sa
société. Malgré cette position, depuis toujours, des
chrétiens lobi participent à cette marche communautaire de retour
aux sources ancestrales.
En effet, l'initiation traditionnelle du J*r* se pratique chez
les Lobi tous les 7 ans et elle concerne les hommes et les femmes
ensemble206. D'abord, elle consacre comme Lobi les jeunes de 7
à 21 ans qui y participent pour la première fois. Cette
initiation des jeunes comprend une longue phase préparatoire de
purification sociale et familiale de près d'une année et une
phase proprement rituelle. Cette dernière phase consiste en une marche
initiatique qui conduit les jeunes lobi de leurs villages jusqu'aux abords du
fleuve mythique qu'est la Volta ou le Mouhoun en passant par les sanctuaires
locaux de leur clan. Au fleuve, les candidats sont consacrés à
l'entité spirituelle du J*r* pour devenir ses fils (J*r*bi :
enfants du J*r*) par divers rites dont une mort-résurrection symbolique
avec rasage de cheveux, changement radical de nom, absorption du `lait' ou de
la substance initiatique, baptême au fleuve etc207. Un temps
de réclusion ou de retraite permet aux initiés de vivre en
couvent en brousse pour apprendre les règles de la
société, la langue secrète des initiés, la danse
initiatique et la morale traditionnelle. Ce sont autant de rites traditionnels
auxquels on invite le chrétien lobi à renoncer au baptême
en Jésus-Christ mais qu'il a du mal à s'en départir
réellement.
En dépit des anathèmes prononcés contre
les chrétiens qui continuent de se rendre aux initiations
traditionnelles et malgré les diverses sanctions pastorales prises
à leur encontre, des chrétiens lobi pensent pouvoir participer
à l'initiation traditionnelle, dans le souci de demeurer touj ours lobi,
selon eux, sans renier leur être de chrétiens. Notre conversion
à Christ nous exige-t-il en tant que chrétiens de devenir
étrangers à notre culture lobi d'origine ? Devonsnous devenir des
``Blancs'' être chrétiens ? Christ peut-il devenir lobi avec les
Lobi ?208 Autant de défis actuels que
l'évangélisation des Lobi se doit de relever !
4.4.4. Les funérailes
traditionnelles
Les Pères Missionnaires s'attaquèrent très
tôt aussi aux rites funéraires lobi. Ils eurent le souci
d'épurer la coutume pour la rendre chrétienne. Pour ce faire, on
supprima alors tel ou
206 Cf. J. A. KAMBOU, Le Dyoro ou initiation sociale au
Sud de la Haute-Volta, Paris, C.R.C., 1972 ; M. DIEU, « Quelque chose
de nouveau à l'initiation » in AAVV, Images d'Afrique et
Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala
& ORSTOM, 1993, pp. 369-377 ; T. J. A. KAMBOU, « Histoire d'un rite de
passage : le J*r*» in AAVV, Images d'Afrique et Sciences Sociales. Les
pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala & ORSTOM, 1993, pp.
360-366 ; B. M. SOME, Approche pèlerine de l'initiation pan-ethnique
Djoro et esquisse d'une théologie chrétienne des
pèlerinages, Abidjan, I.C.A.O., 2000.
207 Autant de rites initiatiques qui nous rappellent bien les
cultes à mystères grecs. Cf. AAVV, Encyclopédie des
religions, Paris, Bayard Editions, 1997, pp. 33-117.
208 Ce sont autant d'interrogations ressenties
déjà en 1956 par le collectif Des prêtres noirs s
'interrogent, Paris, Cerf, 1956, p. 154 : « le christianisme, tel
qu'il est, ne comporte-t-il pas pour le Nègre un péril
d'aliénation ? En d'autres termes, le Nègre peut-il être
chrétien sans renoncer à sa négritude ? ».
tel rite traditionnel durant les funérailles des
chrétiens lobi. On introduisit par exemple le port de l'habit noir de
deuil en remplacement du Kaolin blanc dont se fardent les veuves ici avant les
dernières funérailles. Le noir devient le signe de deuil chez les
chrétiens, bien influencés par la culture européenne,
alors que la couleur de deuil chez les Lobi est bien le blanc (couleur de
l'habit du mort, du fantôme quand on le voit, du kaolin que s'enduisent
les veuves en signe de deuil...). On ne peut s'en douter qu'un tel
travestissement de la coutume avec du vernis européen n'entame nullement
l'eschatologie lobi demeurée très coriace au milieu même
des chrétiens. L'inculturation ne consistera pas ici à supprimer
tel ou tel geste aux funérailles traditionnelles mais à
évangéliser, à éclairer toute cette culture de la
lumière du Christ. Tout en prenant en compte par exemple les conceptions
traditionnelles de la mort, la nouveauté du message chrétien sur
la résurrection des morts ne peut être occultée. ``Je ne
suis pas venu abolir, mais accomplir'' (Mt 5 : 1 7b).
Conclusion au chapitre
Dans cette étude du contexte socio-religieux des Lobi,
nous avons voulu présenter ce peuple dans son histoire, sa
géographie, son organisation sociale, ses valeurs morales, sa rencontre
avec l'Occident et avec l'évangile de Jésus-Christ. Cela nous
permettra de comprendre la philosophie de la vie et de la mort de cette
société où nous voulons proclamer la Parole de Dieu que
nous avons lue en Jn 11, 1-44 en première partie de notre
travail209. Le prochain chapitre se focalisera donc sur la notion de
la vie et de la mort dans la société des Lobi.
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