4. Le contexte de l'évangélisation des
Lobi
L'évangélisation des Lobi du Burkina Faso et de
la Côte d'Ivoire a été faite dans le large contexte
colonial du début du XXème siècle. Ce contexte
nous permet de comprendre pourquoi, même de nos jours, la religion
chrétienne est considérée par les Lobi comme la religion
des Blancs.
4.1. L'impact de la colonisation occidentale sur la
société des Lobi
Les annales de l'histoire coloniale française notent
fortement la résistance héroïque des Lobi face à la
colonisation. Les documents d'archives donnent bien une image assez uniforme de
la situation politique du pays lobi, de la conquête (1898-1902) jusqu'au
début des années quarante (du 20ème
siècle). Ces archives ne présentent qu'une suite de rixes,
de rapts, de vols, d'assassinats, d'attaques à main armée, de
batailles entre villages, de vendetta ou vengeances entre clans ; elles
décrivent une atmosphère d'insécurité qui
était donc peu propice à une vie sociale paisible et à une
exploitation économique rentable de la région. « L
'insoumission des Lobi et leurs attaques contre les représentants du
pouvoir colonial entretenaient l 'insécurité
sont très respectées. Ce sont elles bien souvent
qui ont la mémoire vivace sur le déroulement des nombreux rites
sociaux. Et leur présence aux diverses initiations est toujours
rassurante, même pour les hommes. 191 L'homme lobi est avant tout un
« être-bien-avec ». C'est un `être' en harmonie avec son
environnement, avec sa famille ou sa communauté de vie, avec les forces
naturelles et surnaturelles, avec Dieu son créateur. C'est l'homme comme
relation mais une relation harmonique. C'est l'homme comme réseau de
liens familiaux, claniques et amicaux. Réussir ce pari ne peut procurer
à l'homme lobi que le bonheur. Mais c'est avant tout une quête
perpétuelle car le monde naturel comme surnaturel est souvent hostile.
C'est pourquoi l'homme lobi est souvent physiquement et spirituellement
armé pour faire face à l'adversité.
dans la région, rendant aléatoire toute
exploitation économique »192. Il fallut
mater de main forte cette tribu dite rebelle pour en venir à la pacifier
après la seconde guerre mondiale. Mais les migrations rurales de
nombreux Lobi vers le Ghana et surtout vers les grandes plantations de la
Côte d'Ivoire devinrent la nouvelle méthode de résistance
coloniale. Du coup, l'économie coloniale avec l'avènement de la
monnaie, la charge de l'impôt de capitation, et les diverses migrations
sociales donnèrent naissance à des fléaux sociaux tels que
l'individualisme, la recherche exagérée du gain et le parasitisme
des masses pauvres dans la société lobi. L'économie de
consommation s'attaqua aux coutumes traditionnelles (comme la dot dans le
mariage qui n'est plus symbolique mais motif d'enrichissement) qui de nos jours
s'en trouvent vraiment fragilisées. Il faut y ajouter l'impact de la
scolarisation et de l'évangélisation avec ses valeurs
différentes de celles de la société lobi.
Toutes ces influences historiques et culturelles donnent de
nos jours une société lobi en pleine mutation sociale. On sent
encore en son sein des résistances de la part du puissant courant
conservateur des traditions ancestrales, qui est aux prises avec les violents
coups de boutoir de la mondialisation actuelle, qui globalise tout de
gré ou de force193. On aboutit à un malaise culturel.
Le Lobi lui-même devient un homme mal à l'aise, comme assis entre
deux chaises : la chaise ancestrale et la chaise moderne. Bien plus, le
chrétien lobi devient le prototype de cet homme écartelé
entre « Tradition et Changement » comme l'a compris l'anthropologue
Madeleine Père qui a intitulé ainsi un de ses écrits sur
les Lobi194. Il vit dans une société à la fois
ancrée sur des acquis traditionnels où le spirituel et le
culturel sont bien imbriqués et dans une société en passe
d'être moderne du fait de la compénétration des cultures du
monde actuel. Cette dialectique sociale et culturelle ne ménage pas le
domaine des croyances comme l'eschatologie. La synthèse harmonieuse
tarde à se dessiner pour aider le Lobi, surtout le chrétien lobi,
à être à l'aise dans sa société. Le
chrétien lobi a besoin d'être en harmonie avec sa foi, ses
croyances et ses idéaux sociaux. Le chrétien lobi a besoin
d'être un homme de sa culture, de son milieu et de son temps. Mais la
société lobi actuelle, dans son évolution, peut-elle
s'ouvrir à cette Bonne Nouvelle que lui apporte le Christ ?
En effet, la colonisation française, s'étant
butée à la complexité et à la résistance
sociales des Lobi face à sa politique de pacification, fit appel
à l'évangélisation dans cette région. L'histoire de
l'évangélisation du pays lobi est riche de
péripéties. Si des espoirs sont
192 J - M. KAMBOU - FERRAND, Guerre et résistance
sous la période coloniale en pays lobi /birifor (Burkina Faso) au
travers de photos d 'époque, dans AAVV, Images d'Afrique et
Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala
& ORSTOM, 1993 p. 85.
193 Cf. M. PERE, « La société lobi actuelle et
ses problèmes », in AAVV, Images d'Afrique et Sciences
Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala &
ORSTOM, 1993, pp. 277-29 1.
194 Cf. M. PERE, Les Lobi. Tradition et changement, tome 1 et
2, Laval, Edition Siloë, 1988.
permis dans le sens de l'évangélisation des Lobi au
regard de l'état actuel de leurs conversions au Christ, il faut noter
que plusieurs défis majeurs sont à relever dans ce domaine.
4.2. L'histoire de l'évangélisation en
pays lobi195
En tournée à Gaoua le chef lieu du Cercle lobi
dans l'ex-Haute-Volta, en Juillet 1928, alors qu'il vient de fonder la mission
catholique de Bobo-Dioulasso, Mgr Esquerre est invité par
l'administrateur Adam à fonder une ou deux missions en pays lobi
voltaïque196.
4.2.1. L'arrivée des premiers missionnaires en
pays lobi voltaïque
Au début du mois de novembre 1929, le Père
Ferrage est envoyé par Mgr Esquerre à Gaoua. Monseigneur,
accompagné du R. Père Galland et de Abdoulaye, un
catéchumène originaire de Sikasso, se rendra à son tour
à Gaoua dès le 7 novembre 1929 avec l'intention d'ouvrir un poste
missionnaire dans le pays lobi sous colonisation française.
Le 9 novembre 1929, Mgr Esquerre et les Pères Galland
et Ferrage optèrent d'ouvrir un poste missionnaire à Bomoï,
village lobi proche de Nako et de Malba, deux villages frontaliers à la
Gold-Coast et qui sont habités de Lobi et de leurs cousins les Birifor.
Mais cela ne plaisait point à l'administration locale.
En effet, selon l'administrateur Fardet, commandant de Cercle
de Gaoua, Bomoï n'est pas un lieu sain pour le début du
christianisme dans ce pays encore sauvage des Lobi. Surtout que quelques jours
avant l'arrivée des missionnaires, un Lobi avait été
criblé à mort de soixante coups de flèches à
Bomoï. Et il y aurait immanquablement des représailles et des
batailles entre familles et villages lobi. L'administration projette
opérer des manoeuvres militaires dans la région, question de
dissuader les belligérants. Il serait donc dangereux pour les
Pères d'être présents dans cette région en pareilles
circonstances. Fardet proposa aux Pères d'aller s'installer ailleurs
comme Nyoronyoro ou Tiankoura. Mais les Pères
préférèrent toujours Bomoï pour sa situation
géographique et surtout parce qu'ils « étaient
flattés par la sympathie que les habitants leur manifestaient
»197 malgré la désapprobation nette du
pouvoir
colonial de Gaoua. De Bomoï, les Pères
Missionnaires peuvent étendre leur zone d'influence et sur les Lobi de
la Haute-Volta et sur les Lobi de la Gold Coast.
Le 15 novembre 1929, cinquante gaillards lobi aidèrent
volontairement les Pères Missionnaires à ériger leur
campement dans un endroit idéal. Et le 19 novembre 1929, fut
célébrée la première Messe en pays lobi à
Bomoï. Cela n'empêcha pas l'opération de représailles
lobi redoutée par l'administration d'avoir lieu. Mais les Lobi ne
s'attaquèrent point aux Pères Missionnaires. Dès le
départ, l'évangélisation en milieu lobi fut occasion de
tensions entre Missionnaires et pouvoir colonial sur fond de situation de
vengeance lobi. C'est d'ailleurs cette situation qui amènera le 4
décembre 1929 l'administrateur Fardet à réitérer sa
demande de voir les Pères Missionnaires quitter Bomoï car il
prévoyait une opération punitive dans la région. Et selon
lui, cette entreprise mettrait en danger la sécurité des
Pères. Ceux-ci refusèrent néanmoins d'obtempérer. A
partir du 6 décembre 1929, le capitaine Abeille, à la tête
d'une forte expédition militaire, détruisit complètement
le village de Bomoï. Mais les Pères ne le quittèrent que le
21 décembre après avoir reçu les ordres de Mgr Esquerre,
harcelé par l'administrateur Fardet. Ils s'installeront provisoirement
à Gaoua, le chef lieu du cercle lobi, avant de prospecter vers Daboura
et ensuite Kampti que leur proposait depuis longtemps l'administration
coloniale qui n'aimerait pas les voir durer à Gaoua.
4.2.2. La création du poste missionnaire de
Kampti en 1930
Le 18 janvier 1930, les Pères s'installent à
Kampti avant de visiter Batié en compagnie de la fameuse
expédition militaire qui détruisit Domatéon et tous les
derniers postes de résistance lobi-birifor à la colonisation. Ils
durent regretter cette compromission avec le pouvoir militaire 198 . Il faut
att endre le 5 janvier 1931 pour que les Pères soient
définitivement installés dans leurs constructions de Kampti-Bouti
situé à près de 250 kms de Bobo-Dioulasso et d'une
vingtaine de kilomètres seulement de la frontière ivoirienne. La
Côted'Ivoire étant colonie française, c'est un
éventuel champ pastoral pour les Missionnaires.
L'évangélisation en pays lobi fut
définitivement engagée. Par le biais de l'éducation
scolaire et la catéchèse, les Pères Blancs s'attireront la
sympathie des Lobi. Le 30 juin 1931, 24 personnes recevront la médaille
dans l'Eglise Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus de Kampti.
A Noël, le catéchiste Tiorihinte, ancien élève de
l'école de Bobo sera le premier baptisé à Kampti. La
mission progresse dans le pays lobi avec 337 médaillés en 1933 et
323 postulants
198 Beaucoup de Lobi et leurs cousins culturels les Birifor
ont vu là la confirmation de la coalition entre la Croix et le Canon
contre leur société. Cela a provoqué un traumatisme social
qui perdure encore de nos jours dans les mentalités des habitants de la
région. La religion chrétienne continue d'être
accusée de violence et d'ennemie de la société
traditionnelle.
inscrits au catéchisme. Les diaires des Missionnaires
nous en font écho avec une note de fierté199.
Mais le 14 septembre 1934, le poste missionnaire de Kampti qui
commence à avoir des conflits avec le pouvoir coutumier local, à
cause du grand zèle des convertis qui sapent à loisir les
coutumes traditionnelles, sera fermé pour quatre ans. Notons qu'un
manque de personnel s'est fait ressentir à cette période
où le Père Galland, premier curé de la paroisse de Kampti,
tomba malade et fut rapatrié en France pour des soins. Pendant cette
période de vacance du poste de Kampti, un jeune
catéchumène lobi du nom de Dibe Kambou, s'illustrera dans
l'animation de la communauté, encore catéchuménale.
Le poste sera rouvert le 18 octobre 1939 avec le retour du
Père Galland qui sera aidé des Pères Guilbault et Jules le
Bris envoyés par Mgr Groshenry de Bobo-Dioulasso. L'accent sera
désormais mis sur la formation des catéchistes comme
aide-missionnaires. Le 1 er octobre 1939 s'ouvre la première
école des catéchistes en pays lobi. Elle fournira un personnel
autochtone mieux formé pour l'expansion missionnaire dans la
région.
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