2.3. Les génies ()Kt$$ et les ancêtres
()ktina
Au troisième degré de la pyramide religieuse
lobi se placent les Kt$$ ou génies qui sont des êtres surnaturels
de petite taille à cheveux roux et aux membres exagérément
difformes, habitant les montagnes, les bois sacrés, les cours d'eau ou
les brousses lobi. Gardiennes de la nature, ces puissances chtoniennes peuvent
être apprivoisées pour le bonheur des humains qui tiennent d'eux
l'art de la culture, de la musique, de la chasse, de la médecine etc.
Les plus méchantes s'en prennent aux hommes chez qui elles peuvent
provoquer la démence.
Au bas de l'échelle des croyances religieuses lobi, se
trouvent les Ktina ou ancêtres à qui les Lobi rendent
toujours un culte pour leur médiation dans leurs relations avec les
Th<la
ou avec Thâgba, le Dieu suprême. Les
ancêtres ou les pères (th<r$) sont honorés par de
multiples sacrifices sanglants et par de nombreuses libations rituelles.
Même au cabaret, le Lobi versera quelques gouttes de dolo, la
bière de mil locale, au sol pour les ancêtres avant sa
première rasade. « Disons que c'est en vivant dans cette symbiose
de la nature et du spirituel que le Lobi trouve son équilibre. Toute son
activité religieuse tendra à manifester et à maintenir
cette harmonie. La séparation du sacré et du profane n'existe pas
dans l'esprit d'un Lobi.180 » Cela l'amènera à
privilégier une hiérarchie de valeurs sociales propres.
3. Quelques valeurs sociales lobi
Les Lobi ont un système de valeurs sociales qu'il nous
faut connaître pour mieux comprendre leur cosmogonie d'une part et
d'autre part leur philosophie de la vie ou de la mort.
3.1. La solidarité familiale et la vie de
l'homme
La solidarité familiale ou la solidarité de
groupe est à notre avis la première et la plus importante des
valeurs sociales lobi. Cette solidarité intervient dans le bonheur comme
dans le malheur. La richesse d'un individu profite à tout le groupe. La
faute d'un individu est imputée
à tout le groupe. C'est pourquoi les sanctions divines
ou sociales lors des diverses initiations frappent tout le groupe. La grande
conséquence de cette solidarité est bien le devoir ou
l'obligation de vengeance lorsqu'un des membres du groupe est attaqué ou
tué. La loi du talion devient la base des rapports sociaux. Elle
justifie donc la vendetta lobi qui menace tout le temps des vies humaines
`innocentes'.
Et pourtant le Lobi a un très grand respect de la vie
et des droits humains, même si ce n'est pas l'avis de l'administrateur
Labouret selon qui « dans ce pays où le respect de la vie
humaine n 'existe qu 'entre parents assez rapprochés, le meurtre
était et est encore le secret de tous les jeunes gens ; ils y sont
amenés par l'ambiance locale, les conversations journalières, les
excitations des femmes »181. Joseph Antoine
KAMBOU reconnaît que « la vie humaine pour les populations du
Sud Voltaïque est un bien. Tout ce qui concourt à son bien est
à respecter ; au contraire il faut écarter ou détruire
tout être ou comportement qui lui porte (ou semble lui porter) atteinte.
»182. C'est la raison des infanticides, dont
sont victimes les enfants malformés ou monstrueux issus souvent des
mariages préférentiels consanguins, et des homicides des Lobi
pour défendre la vie de leurs protégés sociaux. La vie
humaine est à protéger à tout prix chez les Lobi,
même au prix de la mort183.
3.2. La force et le courage dans les
épreuves
La société lobi exalte le courage et la force
qu'elle tient pour des valeurs éducatives éminentes. L'homme ou
la femme lobi doit faire montre de ces valeurs sociales, que ce soit dans les
travaux champêtres qu'à la chasse, dans la guerre comme dans la
lutte quotidienne. Le `lobiduur ou l'idéal d'homme lobi l'exige.
Il est exalté dans les kû-qiri ou surnoms d'homme ou
même par les noms d'initiation du J*r*184.
Bien plus, cet idéal d'homme traditionnel tient aux
valeurs sociales de l'honneur et de la bonne réputation sociale. Le Lobi
s'y accroche tellement qu'on l'a affiché de barbare et de
sauvage185 ; car l'honneur de l'individu et de sa famille ou de son
groupe de vie est au dessus de toutes normes sociales même si subsiste
l'interdiction absolue de nuire à son parent ou à son
allié social. Jouir d'une bonne réputation exige qu'on respecte
tous les interdits sociaux
181 H. LABOURET, Les Tribus du Rameau Lobi, Institut
d'ethnologies, Paris, 1931, p. 393.
182 J. A. KAMBOU, Le Djoro ou initiation sociale au Sud de la
Haute-Volta, Mémoire, Paris, 1972, p. 167.
183 « Cela relève du principe selon lequel l'ennemi
de la vie est un traître avec lequel on ne peut plus pactiser »
écrit F. KABASELE-LUMBALA, dans Catéchiser en Afrique
aujourd'hui, Kinshasa, Ed. Baobab, 1995, p. 27.
184 Les Lobi ont des surnoms qu'ils se donnent et qui sont de
véritables programmes de vie. Ces noms exaltent la bravoure et le
courage dans l'adversité. Les noms d'initiation sont donnés
toujours par les parents agnatiques. Ils ont toujours un lien avec les valeurs
cardinales de la famille lobi.
185 Cf. E.C. SANDWIDE, Histoire de l'Eglise au Burkina Faso,
Traditio, Receptio et Re-expressio: 1899-1979, Rome, 1999, p. 141.
tout en assumant bien ses devoirs sociaux (par exemple,
nourrir suffisamment sa maisonnée, défendre ou venger ses
parents, honorer les divers cultes, participer aux diverses initiations
sociales, etc.)186.
3.3. L'idéal d'homme et de femme chez les
Lobi
Un certain nombre de valeurs sociales entrent en jeu dans
l'idéalisation de l'homme lobi accompli. L'homme lobi qui a
réussi sa vie est celui qui, étant à l'aise
spirituellement et matériellement, est chef d'une grande famille
humaine. Il commande 3 à 4 femmes avec de nombreux enfants réunis
dans une grande maison forteresse187. Ce chef de famille, qui est en
même temps prêtre des autels domestiques, occupe un rang important
dans les structures matri-claniques et patri-claniques. Au niveau de son
village, il est respecté et écouté. Non seulement il jouit
d'une fécondité humaine, conséquence de sa réussite
spirituelle et sociale, mais il est ``père'' d'une multitude de parents
qui lui font recours à plusieurs niveaux des relations sociales : soit
il est maître d'initiation, soit il est un oncle qui arrive à
assumer correctement ses responsabilités matrimoniales à
l'égard de tous ses neveux188. Une telle vie féconde
et aisée est admirée de tous les Lobi.
La femme lobi idéale est celle qui est avant tout
féconde, c'est-à-dire mère d'une multitude d'enfants
légitimes et adoptifs. Une telle femme jouit d'une stabilité
matrimoniale et économique189. Elle est respectée et
consultée par les femmes et les hommes de toute la
société. Elle prend part aux grandes cérémonies
initiatiques et religieuses qui concernent son clan et le village. Elle fait
preuve de grandes qualités de bienveillance, d'hospitalité, de
courtoisie, de discrétion, de bravoure et de sagesse. La femme
idéale lobi n'est pas faible. Elle est forte physiquement et moralement.
Elle est en définitive le pilier et la mémoire de la
société. A la ménopause, la femme lobi peut surpasser en
droit tous les hommes dans la
société190.
186 Cf. P. BONNAFE et M. FIELOUX, op. cit., pp.
101-114.
187 Les maisons traditionnelles lobi sont de véritables
forteresses. M. PERE in op. cit., p. 27, les désigne comme des
châteaux-forts : ``le plus souvent, en effet, on ne voit qu'une seule
porte et point de fenêtre. C'est une sorte de ferme
fortifiée...''.
188 La société des Lobi est bilinéaire,
c'est-à-dire matrilinéaire et patrilinéaire.
L'héritage des biens et puissances spirituels se fait par ligne
agnatique et l'héritage des biens matériels par ligne
utérine. Le neveu hérite de son oncle. Le fils ne peut
hériter de son père que de ses entités spirituelles, de la
maison et des champs.
189 On a souvent accusé d'instables les jeunes femmes
lobi. Elles sont éprises de beaucoup d'indépendance et elles
n'acceptent aucune maltraitance de la part des hommes. Elles sont à la
base des fréquents remariages et divorces dans la société.
De plus, elles tiennent en main la petite économie villageoise car elles
seules ont quelque sens du commerce dans la société. Elles
luttent fortement pour leur émancipation sociale. Elles sont souvent
libres de se marier à qui elles veulent.
190 A la ménopause, la femme n'a plus à
respecter les nombreux interdits liés aux menstruations et qui
éloignent les femmes des grandes instances de décision dans la
société. Les vieilles femmes qui font preuve de sagesse
Mais l'homme idéal comme la femme idéale lobi
est en quête permanente d'une harmonie de vie, non seulement au sein de
sa famille, de son village et de sa société, mais aussi avec le
cosmos. C'est la recherche de son bonheur ainsi. Le bonheur de l'homme lobi
réside donc dans la quête de l'harmonie originelle perdue avec le
Créateur, avec les puissances diverses de la nature et entre les
hommes191. Tout ce qui peut contribuer à créer un peu
plus d'harmonie entre l'homme et son environnement socio-religieux est
désiré par les Lobi. Cette harmonie devient la valeur cardinale
recherchée dans la société.
C'est d ans un tel contexte social et religieux que la
colonisation et l'évangélisation sont arrivées chez les
Lobi. Le choc fut bien rude, mais la résistance des Lobi fut aussi
tenace, si bien que après plus d'un siècle, leur
société traditionnelle défie toujours l'esprit moderne et
tous nos projets d'évangélisation.
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