1.3.2. La famille lobi et ses diverses ramifications
claniques
La famille chez les Lobi peut désigner la cellule
familiale ou cù*r, le matriclan ou caar comme le patriclan ou
kù*n.
Le cù*r ou maison, en contexte lobi, ne désigne
donc pas seulement la forteresse en banco dans laquelle vivent les gens, mais
surtout l'unité de production et de consommation, où
l'autorité du paterfamilias, ou c*daarkuun, fait
loi171. Elle comprend le chef de la maisonnée, ses diverses
épouses et leurs enfants, tous placés sous la protection des
mêmes entités spirituelles ou Th<la, que l'on peut apercevoir
à l'entrée de la maison, sur la terrasse ou dans le
sanctuaire domestique contigu à la chambre de la
première épouse (la c*daarkh$r)'72.
Au delà de la cellule familiale, le matriclan d'ego ou
caar revêt une grande importance pour le Lobi. Il comprend un très
grand nombre de personnes, réunies par le lien du sang et par leur
commune descendance d'un ancêtre féminin. Il y a quatre matriclans
majeurs en milieu lobi qui constituent des matronymes avec de multiples
subdivisions internes : Kambiré/Kambou, Hien, Da et
Palé173. Chaque matriclan a ses interdits et son
entité spirituelle ou Wath<l. Ces matriclans sont
alliés deux à deux. Les Kambiré sont alliés aux
Hien et les Da aux Palé. Des relations culturelles et sociales les lient
fermement.
Le patriclan ou Kù*n est capital pour le Lobi. Celui-ci
est intégré dans son clan qu'il découvre à
l'initiation septennale du J*r*. C'est à l'occasion de cette longue
marche ou Hù* q<<r<, qui le conduit en pèlerinage
initiatique et culturel aux bords de la Volta que traversèrent ses
premiers ancêtres, que le Lobi découvrira les interdits, les
coutumes et les secrets liés au culte de son patriclan (Kù*n)
dont l'entité spirituelle est le th<lkhaa. Ce culte
patriclanique est central dans la vie religieuse des Lobi.
2. Contexte religieux des Lobi
Les Lobi croient en l'existence d'un seul Dieu,
créateur des êtres invisibles et des choses visibles. Dieu est
toute Providence mais, il n'intervient pas directement dans la vie des hommes,
depuis son éloignement de la terre. Une multitude d'êtres
invisibles assurent la médiation entre Lui et l'Homme lobi.
2.1. Un monothéisme
médiatisé
Au sommet de la pyramide religieuse des Lobi se trouve le Dieu
suprême, appelé
Thâgba. La voûte céleste symbolise
son lieu de repos. C'est lui le créateur et l'ordonnateur de toute chose
dans le cosmos. Transcendant et inaccessible des hommes, Thâgba le
Dieu Providence n'est jamais objet de culte précis en milieu lobi.
Un mythe explique d'ailleurs l'éloignement de Dieu des
affaires des hommes. Comme chez de nombreux peuples, les Lobi attribuent
à une femme la faute originelle : « ``Dabuole,'' en ce
temps-là dit le conteur, il y avait une grande famine sur la terre, les
femmes qui accouchaient nouvellement en souffraient plus que tout le monde ; le
ciel était très bas, à hauteur d'homme, les femmes alors s
'entendirent un jour et toutes ensemble se
mirent à crier et à frapper les nuages avec
leurs mains en disant : ``Thffgba, taa si, kamfren-
kw ser'', c 'est-à -dire, Dieu, sauve-nous, la faim
nous tue ! Le Dieu les exauça en leur disant ``Désormais toute
femme qui vient d'accoucher prendra un canari (poterie traditionnelle) qu 'elle
posera sur le feu, y mettra de l 'eau, prendra ensuite un couteau, sortira et
coupera les nuages ; elle les mettra dans le canari et posera dessus un
couvercle. Elle n 'ouvrira pour en manger que lorsque les vapeurs en sortiront
en quantité et qu 'elle entendra l 'eau bouillir avec grand bruit.
Toutes firent comme le Dieu l 'avait ordonné, mais un jour, l 'une
d'elles était tellement affamée qu 'elle ouvrit le canari avant
ébullition. Qu 'arriva-t-il ? Les nuages qui étaient dans le
canari s 'échappèrent avec fracas et emportèrent ainsi le
firmament loin de la terre. Tout le monde, hommes et femmes, s 'en prirent
à cette dernière en disant ``Tu ne reconnais pas la bonté
même, ton ingratitude devient une punition pour tous les hommes.'' C 'est
ainsi que d 'une façon banale le ciel s 'éloigna de la terre
».174 Le ciel désigne ici la manne céleste.
La faute originelle fut avant tout une ingratitude humaine. Mais pour les Lobi,
l'éloignement de Dieu n'a pas mis fin à sa
générosité ontologique. Il continue d'abreuver la terre
par la pluie et de combler les hommes de toutes ses largesses. J.A. Kambou
174 Nous avons opté de respecter la transcription
française faite par notre aîné J.A. Kambou depuis 1972. Cf.
J.A. KAMBOU, Le Dyoro ou Initiation sociale au Sud de la
Haute-Volta, Paris, C.R.C., 1972, pp. 38-39.
trouve dans l'étymologie même de Thâgba
cette notion de générosité175 :
Tâg/T<</Terre et G ba/Prends (Que la terre recueille touj ours !).
Dieu a préposé comme gardiennes de ses créatures dans
l'univers, une multitude d'entités spirituelles ou êtres
supérieurs que le Lobi appelle Thila. Et c'est par leur truchement que
l'homme passe pour prier désormais son Dieu. C'est à
Thâgba Dieu que sont destinées donc toutes les
prières des Lobi en dernier ressort, par la médiation de ces
nombreuses entités spirituelles appelées
Thtla'76.
C'est pourquoi nous reconnaissons à cette
société un monothéisme sans ambiguïté mais un
monothéisme avec de nombreuses médiations assurées par des
entités spirituelles diverses (Thila), un monothéisme fortement
médiatisé donc177.
2.2. Les Thila ou entités
spirituelles des Lobi
Les Th<la sont des forces surnaturelles que Dieu
Thâgba donna dit-on aux Lobi. Ces entités spirituelles sont
objet de culte et sont représentées par des autels multiples. Les
Th<la
les plus fréquents en milieu lobi sont
Thãgba-foudre178, le d<th<l ou culte de la terre
villageoise, le Wath<l qui est l'esprit tutélaire du matriclan (caar)
et le Th<lkhaa qui est l'esprit tutélaire du patriclan lobi
(Kù*n). D'innombrables Th<la des cours d'eau ou poo, des cavernes
ou Kaar, des montagnes ou Kuri, des marchés, de la
brousse, de la chasse, de la fécondité, de la richesse etc., sont
objet de culte. « Ils révèlent leurs volontés aux
humains directement ou par l'intermédiaire du devin
(bù*rdaar). Ils peuvent récompenser ou châtier.
179» Leur place centrale dans le système
religieux lobi développe un animisme très fort et beaucoup
superstitieux. A l'entrée des villages ou des maisons des Lobi, les
nombreux autels de ces entités spirituelles ne passent jamais
inaperçus. Nous avons dénombré devant une concession de
Moulera au Burkina Faso, une vingtaine de ces autels faits sous forme de
cônes ou de
175 J.A. KAMBOU, op. cit., p. 39.
176 Toutes les invocations avant les sacrifices rituels
commencent par le nom de Dieu Thâgba ! Voir J. A. KAMBOU, op.
cit., pp.157-164 et M. PERE, op.cit., 169-172.
177 Mais « c'est bien lui [Dieu] l'ultime destinataire
des sacrifices et des offrandes, même si les adorateurs n'en sont pas
toujours conscients » remarque E. J. PENOUKOU, Foi chrétienne
et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la
mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co
15, tome 1, Institut Catholique de Paris, 1979, p. 12. De même
écrit J. M. ELA, dans Ma foi d'africain, Paris, Ed. Karthala,
1985, p. 46 « c'est là un trait important de la mentalité
africaine qui se manifeste dans les plus petites choses : si l'on doit
transmettre un message, on ne s'adresse pas directement à la personne
concernée, mais à un tiers, même en sa présence
».
178Cf. M. PERE, op. cit., p.
203-229. Madeleine Père explique clairement que la foudre
considérée comme une émanation de Thâgba-Dieu est
objet de culte particulier. Elle n'est jamais confondue avec le
Créateur. Elle est souvent représentée par une latte de
bois surmontée d'une poignée de tiges sèches. Elle
protège les champs et les récoltes des vols à cause de ses
sanctions mortelles en cas de pluie.
179 M. KAMBOU, op. cit., p. 23.
monticules en terre ou en pierre. Sur la terrasse de la
maison, une dizaine de Thila tiennent la garde de la maison et de ses environs.
A l'intérieur de la grande forteresse lobi, une chambre sanctuaire est
réservée aux multiples entités spirituelles. Le Lobi vit
souvent au milieu d'une véritable horde de ``dominations''
spirituelles.
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