EXCURSUS sur l'idée de résurrection dans
la mentalité juive
Dans l'Ancien Testament, dans les plus anciens livres
sacrés, il n'est point fait d'allusion formelle à l'idée
d'une résurrection corporelle145. L'idée contraire est
même communément exprimée, non pour nier la
possibilité d'une résurrection, mais pour constater que, dans le
cours ordinaire des choses, elle ne se produit pas : cf. Jb 14,12 cf. Ps 41,9 ;
43,17 ; Am 8,14. Cependant, si la loi, qui fait retourner à la
poussière l'homme tiré de la poussière (cf. Gn 3,19), ne
comportait pas d'exception, il était possible d'espérer une
résurrection future, un retour des corps de l'état de
poussière à l'état de vivant. Cette espérance fut
lente à poindre en Israël. L'idée de résurrection
vint aux Hébreux par d'antiques traditions que la
révélation éveilla, précisa et développa peu
à peu.
Dans une première série de textes bibliques,
l'image de la résurrection est employée pour traduire
l'espérance collective du peuple d'Israël à une restauration
par Dieu : cf. Os 6,2- 3 ; 14,14 ; Is 26,19. Après l'épreuve de
l'exil, Dieu ressuscitera son peuple comme on ramène
145 Cf. AAVV, Dictionnaire de la Bible. Tome 5,
Paris, Ed. Letouzey et Ané, 1912, article ``Résurrection des
morts''. Voir aussi AAVV, Vocabulaire de théologie biblique,
Paris, Cerf, 1991, article ``Résurrection,'' col. 1100-1108.
L'excursus sur l'éveil de la pensée de la résurrection des
morts dans la mentalité juive surtout vétérotestamentaire,
non seulement vient compléter le premier excursus sur la mort et le
deuil que nous avons eu à la fin du premier chapitre, mais aussi il
vient éclairer notre étude sur ce thème à travers
le récit de Lazare en Jn 11, 1-44. Nous le plaçons à ce
niveau car il nous permettra de faire le lien avec la révélation
chrétienne et la société traditionnelle africaine lobi.
à la vie des ossements déjà secs (cf. Ez
37,1-14)146. Il réveillera Jérusalem et la fera lever
de la poussière où elle gisait comme morte (cf. Is 51,17 ; 60,1).
Il fera revivre les morts, se réveiller ceux qui se sont couchés
dans la poussière (Is 26,19). Résurrection métaphorique,
sans doute, mais déjà vraie délivrance de la puissance du
Schéol (Os 13,14). Surtout que la tradition religieuse ne manquait pas
de cas de personnes ressuscitées : Elie ressuscita le fils de la veuve
de Sarepta (cf. 1R 17, 7-24) Elisée opéra un miracle semblable
pour le fils de la shunamite (cf. 2R 4,18-37). Mais même prise comme
terme de comparaison, la résurrection des morts s'imposait comme notion
spirituelle à l'époque des prophètes comme
Ezéchiel. Car pour ce prophète, l'argumentation consistait
à dire qu'aussi réellement que les morts ressuscitent à la
voix de Dieu, le peuple aussi sera tiré de son état de servitude
et d'abjection présente (cf. Ez 37, 1-14). Mais c'est avec le
prophète Daniel (167-164 av. J.C.) que la doctrine de la
résurrection des morts trouve sa formule précise (cf. Dn 12,
1-3). Le contexte est celui des persécutions. Et la formule d'ailleurs
n'est pas encore complète. Il faut attendre la crise maccabéenne
pour que la révélation fasse un pas de plus dans cette notion de
la résurrection individuelle147. Au milieu des
épreuves, les martyrs trouvent soutien dans l'espérance à
la résurrection future (cf. 2M 7,9.11.22 ; 14,46). A partir de cette
époque tardive, la doctrine de la résurrection devient un bien
commun du judaïsme. Les peuples égyptiens et babyloniens alentours
avaient pourtant depuis des siècles une idée de la
résurrection des morts148. Mais si elle ne s'est pas
imposée à Israël tout de suite, c'est que la
révélation s'inscrit dans une histoire et une économie du
salut dont Dieu seul est le Maître. Si la secte sadducéenne, par
souci d'archaïsme, n'admet pas la résurrection des morts (cf. Ac
23,8) et même la raille en posant des questions ridicules à son
sujet au Christ dans l'évangile (cf. Mt 22,23-28), elle était
professée par la plupart des Juifs et surtout par les
pharisiens149.
146 On peut bien se référer ici à ce
brillant article de P. POUCOUTA sur « une théologie de la vie : la
résurrection des ossements desséchés (Ez 37, 1-14) »
à l'occasion du onzième congrès de l'Association
Panafricaine des Exégètes catholiques tenu au Caire du 6-12
septembre 2003 avec pour thème Prophétie et prophètes
dans la Bible, édité à Kinshasa sous la direction de
Jean Bosco MATAND-BULEMBAT, 2004, pp. 119-138.
147 Cf. Ibidem, pp. 129-130. Voir aussi E. J.
PENOUKOU, op. cit., p. 130 et AAVV, « la crise maccabéenne
»in Cahiers Evangile n°42, Paris, Cerf, 1982.
148 Cf. le mythe d'Osiris mort et ressuscité
grâce à la ténacité d'Isis sa femme Voir N. SOEDE,
Sens et enjeux de l 'éthique. Inculturation de l 'éthique
chrétienne. Approche théologique africaine, Abidjan,
éditions UCAO, 2005, pp. 35-37. Comparer par exemple l'Histoire
véridique de Satmi-kharnoïs et de son fils Sénosiris
(datée du VIème av. J.C. Papyrus D.CIV du British
Museum) et la parabole du riche et de Lazare dans l'évangile en Lc
16,19-31 cf. AAVV, « l'au-delà dans le Nouveau Testament » in
Cahiers Evangile n°41, Cerf, Paris, 1982, p. 20.
149 Mais cela veut dire aussi que la doctrine de la
résurrection n'était pas évidente pour tous. La doctrine
était neuve encore au temps de Jésus. On la retrouve dans l'A.T.
seulement à partir du IIème siècle av. J.C. Et
la communauté de Qumram ne l'avait pas clairement adoptée :
« En tout cas, on n'a pas réussi à trouver dans les
écrits qumrâniens une affirmation claire de la résurrection
corporelle » écrit M. GOURGUES, , « L'au-delà dans le
Nouveau Testament » in Cahiers Evangile n°41, Paris, Cerf,
1982, p. 12.
Dans le Nouveau Testament, la résurrection du Christ
devient la base de la foi chrétienne (cf. 1 Co 15, 1-34). Elle devient
le gage de la résurrection des morts. Jésus promet de ressusciter
celui qui croira en lui (cf. Jn 6,39-40). A Marthe, Jésus déclare
qu'il est ``la résurrection et la vie'' c'est-à-dire le principe
de la résurrection pour ceux qui auront cru en lui (Jn 11,25). Les
images du dernier jugement (cf. Mt 24-25) supposent que le Souverain Juge fera
comparaître devant lui tous les hommes en corps et en âme. Dans les
évangiles, Jésus a opéré des résurrections
(celle du fils de la veuve de Naïn en Lc 7,11-17 ; celle de la fille de
Jaïre en Mt 9,18-26 et celle de Lazare en Jn 11, 1-44 qui est
véritablement une préfiguration de sa propre résurrection
des morts (cf. Jn 20,1s ; Mc 16, 1s ; Lc 24, 1s ; Mt 28,10s ; Ac
2,24)150. Les apôtres et Saint Paul surtout annonceront cette
bonne nouvelle de la résurrection de Jésus, gage de la
résurrection des morts, à tous les chrétiens (cf. 2Co 4,14
; 5,4 ;Ph 3,10-11 ; 2Tm 2,18 ; He 6,2 ; Ap 20,5-6)151. La
résurrection demeure ainsi le fondement de la foi des Chrétiens
de tous temps.
*********** Conclusion à la première
partie
Cette première partie de notre étude a
porté sur l'analyse exégétique de Jn 11, 1-44 que nous
avons passé sous le prisme de l'analyse historico-critique et de
l'analyse synchronique. Cela nous a permis de bien lire cette péricope
johannique et de mieux en saisir la portée théologique et
christologique. Nous avons ainsi compris que le récit de Lazare
n'était pas à lire comme un reportage d'événement
mais comme un récit savamment composé dans un but nettement
kérygmatique. La résurrection de Lazare est au fait une simple
réanimation de corps. Si en cela elle peut être un signe et une
préfiguration de la résurrection du Christ et des croyants, elle
demeure différente de la résurrection glorieuse du Christ et de
celle qu'il promet aux chrétiens et en particulier aux Lobi.
150 Mais comme on l'a déjà remarqué avec
M. E. BOISMARD et A. LAMOUILLE, op. cit., p. 287, il ne s'agit pas de
résurrection au sens strict du terme mais plutôt de
réanimations de cadavres. Elles n'ont rien de comparable avec la
résurrection comme celui de Jésus-Christ avec un corps glorieux.
Mais elles en sont véritablement des préfigurations et des images
incontestables. Voir aussi L. MONLOUBOU et F. M. DU BUIT, Dictionnaire
biblique universel, Paris, Desclée, 1984, art.
``résurrection de la chair''.
151 Même si les cultes à mystères grecs
développèrent dans le Moyen Orient ancien la notion de
mort-résurrection comme communion et consécration à la
divinité dans l'initiation à ses mystères, la
résurrection matérielle envisagée dans le christianisme
était tout à fait nouvelle. Saint Paul en apprit à ses
dépens à Athènes (ville grecque) en Ac 17, 22-3 3 quand il
aborda ce sujet dans sa prédication.
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