DEUXIEME PARTIE : VIE ET MORT CHEZ LES LOBI
Introduction à la partie
Après l'étude exégétique de Jn 11,
1-44, dans la perspective d'incarner la Parole de Dieu dans une culture humaine
bien définie, nous envisageons de découvrir dans cette
deuxième partie de notre travail une société africaine
dans sa quête religieuse et métaphysique. Les Lobi du Burkina Faso
et de la Côte d'Ivoire sont un exemple de terre africaine prête
à accueillir la Parole de Dieu jetée par le Semeur, le Verbe
incarné. Il convient de connaître cette « Béthanie
» où le Christ est attendu pour tirer du tombeau les frères
et amis retenus dans les liens de la mort.
Pour ce faire, nous découvrirons ensemble le contexte
historique, social et religieux des Lobi (Chapitre 3) avant
d'aborder leurs croyances relatives à la vie et à la mort
(chapitre 4). Notre présentation se limitera surtout
aux aspects qui nous seront utiles, dans la dernière partie du travail,
à amorcer un dialogue vrai entre l'Evangile et cette culture
africaine.
CHAPITRE 3 : ETUDE DU CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE ET
RELIGIEUX DES LOBI
Introduction
Dans ce chapitre, nous étudierons le contexte
historique, social et religieux des Lobi pour mieux connaître cette
société de l'Afrique de l'Ouest où l'Evangile du Christ a
été prêché il y a de cela plus de 75 ans
déjà. Cette étude nous donnera l'état des lieux, en
ce début du XXIème siècle, en ce qui concerne
l'accueil de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. Le lien avec notre
étude exégétique sera sous-entendu dans les aspects
socio-anthropologiques que nous développerons152. Nous
pensons que le contexte biblique et surtout celui de la
société
152 Dans l'étude exégétique de Jn 11,
1-44, nous avons rencontré une communauté de foi, la
communauté johannique issue de la société juive avec ses
croyances traditionnelles sur la mort et sur la résurrection des morts.
Nous avons surtout saisi l'essentiel du message évangélique que
St Jean a voulu adresser à cette communuauté. Dans ce chapitre,
il s'agira de découvrir une communauté humaine traditionnelle
africaine à la rencontre de ce message évangélique de Jn
11,1-44. Il s'agit du peuple des Lobi à situer dans l'espace et le
temps.
biblique du temps des Evangiles peuvent être retenus en
arrière-plan quand nous découvrirons le contexte social des
Lobi.
1. Contexte sociopolitique des Lobi
Les Lobi sont un peuple de l'Afrique de l'Ouest
installé sur un territoire qui chevauche sur trois pays : le Ghana, le
Burkina-Faso et la Côte d'Ivoire. Leur histoire et leur organisation
sociale continuent d'intriguer les quelques chercheurs qui s'aventurent dans
leur zone culturelle.
1.1. Petite histoire des Lobi
L'histoire des Lobi demeure encore un mystère
puisqu'ils n'ont pas la même notion du fait historique que notre
pensée moderne. Les Lobi privilégient le souvenir de leurs rites
et non le souvenir événementiel.
1.1.1. Origine des Lobi
Le souvenir des Lobi de leur origine ne dépasse pas le
XVIIIème siècle où ils étaient
installés au Nord-Ouest du Ghana. Leur mobilité
perpétuelle a fait conjecturer sur leur probable origine autour du lac
Tchad, en tout cas vers les zones de contact entre la culture égyptienne
et la culture négroïde153. Mais la mémoire des
Lobi ne s'arrête qu'au XVIIIème siècle à
l'époque des guerres esclavagistes qui les ont poussé à
traverser la rive gauche de la Volta pour se réfugier en territoire
burkinabé154. L'origine la plus indiscutable est celle du
Ghana d'où sont venus les Lobi du Burkina comme ceux de la Côte
d'Ivoire. Cette origine est devenue mythique pour ces populations qui l'ont
intégrée dans leur rite d'initiation traditionnelle nommée
J*r*. Encore une fois, leur notion de l'histoire défie celle de
l'Occident. C'est dans ce rite d'initiation que nous apprenons leur origine des
deux derniers siècles.
153 Dans ce sens, Dominique Banlène GUIGBILE
écrit : « Avec de très nombreuses autres petites
entités du Nord Ghana, du Togo, du Bénin ou du Sud du Burkina
Faso, qui traditionnellement avaient une structure sociopolitique similaire,
ils ont formé de très longue date une sorte de zone-tampon entre
les peuples de la forêt et les grands royaumes et empires soudanais, ce
qui les exposait aux razzieurs d'esclaves venus des deux côtés.
Leo Forbenius les a glorifiés dans sa revue des ``peuples nus'' comme
Altnigritier, ``paléonigritiques,'' autrement dit comme
représentatifs d'une ``négritude'' aux racines
particulièrement anciennes. » dans Vie, mort et
ancestralité chez les Moba du Nord Togo, Paris, l'harmattan, 2001,
p. 130.
154Cf. M. FIELOUX, Les sentiers de la
nuit. Les migrations rurales lobi de la Haute-Volta vers la Côte
d'Ivoire, Paris, ORSTOM, 1980, p. 17.
1.1.2. Les migrations des Lobi
Depuis 1770, selon les chercheurs sur le milieu, les Lobi ont
fait leur entrée sur le territoire de l'actuel Burkina-Faso
(ex-Haute-Volta) et vont s'installer dans le Sud-Ouest. « Vers 1880-1890,
les Lobi vont dépasser les zones frontières
ivoiro-voltaïques (...) et continuer par un glissement naturel leur
progression vers le Sud. Ils sont maintenant installés en grand nombre
sur le territoire de l'actuelle Côte d'Ivoire. »155 Mais
il ne s'agit pas aux yeux des Lobi d'un passage d'un territoire à un
autre. Leur mobilité est motivée par la recherche de terres
fertiles et d'un cadre de vie adapté à leur mode de vie paysanne.
En 1960, ils étaient près de 8 000 sur le territoire
ivoirien,156 et de nos jours, ils sont évalués
à plus de 650 000 Lobi installés en Côte d'Ivoire, soit 5%
de la population de Côte d'Ivoire157. Ce fort mouvement
migratoire dépeuple peu à peu les villages lobi du Burkina Faso
au profit des zones d'exploitation forestière et agricole de la basse
Côte158.
1.1.3. De la période coloniale à nos
jours
Les Lobi, semble-t-il, ont fui l'influence des peuples Dagomba
et Gondja du Nord Ghana du XVIIIème et
XIXème siècles pour se réfugier au-delà
de la Volta, du côté burkinabé, parce qu'ils n'ont jamais
en fait voulu se soumettre à une quelconque
hégémonie159. « Ils ont résisté
victorieusement aux tentatives dirigées par les Jula de Bobo-Dioulasso,
les colonnes de Kong, les bandes de Samori et ne furent soumis à
personne 160». Mais la colonisation
française aura eu raison de leur indépendance au début du
XXème siècle. Cependant, comme le note l'historienne
Jeanne Marie KAMBOU, « la lecture des documents d'archives donne du
reste une image assez uniforme de la situation politique du pays lobi, de la
con quête (1898- 1902) jusqu'au début des années quarante
(du 20ème siècle). Ces archives ne présentent
qu'une suite de rixes, de rapts, de vols, d'assassinats, d'attaques à
main armée, de batailles entre villages, de vendetta ; elles
décrivent une atmosphère d'insécurité peu propice
à une vie
155 Ibid., p.18.
156 Ibid., p.18
157 AAVV, Encyclopaedia Universalis France S.A., 2003,
article `Lobi'.
158 Cf. G. SAVONNET, « Voyage en zig-zag dans le temps et
dans l'espace en pays lobi (1954-198 1) » in AAVV, Images d'Afrique et
Sciences Sociales. Les pays lobi, birifor et dagara, Paris, Ed. Karthala
& ORSTOM, 1993, pp. 503-508.
159 Cf. M. PERE, Les Lobi. Tradition et changement, tome 1,
village et traditions, Laval, Edition Siloë, 1988, pp. 73-7 5.
160 Ibid., p. 96.
sociale paisible et à une exploitation
économique rentable161 ». Il faut attendre
le début de la seconde guerre mondiale pour voir une accalmie de la
région coloniale lobi. Mais les migrations et l'instabilité de la
région seront toujours le lot des Lobi jusqu'à la période
des indépendances. Après la décolonisation, les Lobi
reprendront leur migration toujours plus vers le Sud de la Côte d'Ivoire
et vers les grandes villes de l'intérieur de ce pays. Cette migration
continue inexorablement jusqu'à nos jours, étendant davantage la
carte de peuplement lobi.
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