1.2. La démarcation ou le réalisme
machiavélien.
La tradition philosophique politique s'est longtemps
préoccupée à la question de savoir « quel est le
meilleur régime politique » qu'il fallait adopter. Cette question a
été largement problématisée par Platon chez les
Grecs (dans La République mais également dans Les Lois, La
Politique et Le Critias) ; Cicéron pour les Romains (dans La
République et Les Lois) ; S. Augustin pour les chrétiens (dans La
Cité de Dieu). Ces ouvrages se caractérisent par un effort
considérable des constructions idéelles, utopiques et même
impressionnantes pour l'esprit (de par leurs formes).
Machiavel en sa qualité d'écrivain politique est
davantage captivé par la réalité et le tourment
(politiques) de son temps. Comme tout bon fidèle lecteur des anciens, il
a sans doute parcouru leurs écrits, espérant y trouver une
solution efficace et salutaire à la situation désastreuse que
traversait son pauvre pays, l'Italie de la renaissance. De ses lectures des
anciens, se dégage un constant : « les anciens auraient discouru
sur des républiques et les principautés qui ne furent jamais vues
ni connues pour vraies » . C'est ce même constat que nous
replaçons à la source du désir refondateur qui a
caractérisé les réflexions politiques de Machiavel. La
démarcation, dont il est question, est d'abord portée par le
souci de penser et de produire des choses qui soient efficaces et profitables
à la postérité politique.
Il importe dès lors, de retenir de la
réalité ce qui est utile pour agir efficacement ; c'est dire que
l'on doit s'exercer « à pourvoir n'être pas bon et d'en user
ou n'user pas selon la nécessité » . D'où
l'importance de la recommandation stratégique qui se profile
derrière le concept d'apparence. Il est donc paradoxalement
réaliste que Machiavel favorise l'apparence plutôt que
l'être authentique comme ce sur quoi il voulait autrefois fonder ses
réflexions politiques. Cela se justifie du fait que les hommes se fient
sans recule à l'image de la vertu que leurs responsables donnent
d'eux-mêmes. Mais encore, l'on notera que « le vulgaire ne juge pas
que de ce qu'il voit et de ce qui advient ; or en ce monde il n'y a que le
vulgaire » .
|