4. L'impasse ou l'inefficacité.
Un point saillant qui prépare le terrain au
débat aussi important que nous aurons dans la suite de nos
investigations : il s'agit du débat entre politique et morale. Nous
sommes dans un contexte où le prince est déjà en plein
exercice du pouvoir. Un prince initié à la pensée ou
à la virtù machiavélienne se doit nécessairement
heurter contre bien des difficultés dans l'application des tactiques qui
lui sont proposées pour conserver et sauver la nation.
Rappelons que si en politique d'une part, la
nécessité d'Etat devient la catégorie par excellence
à laquelle se doivent jauger toutes les autres décisions dans la
cité, d'autre part, les recommandations de Machiavel sont toujours
orientées vers la quête d'une mesure qui soit favorable à
la fois et à l'apparaître du prince et au projet entrepris :
« je dis que ce serait bien d'être tenu pour libéral ;
toutefois, être libéral dans la mesure qu'il faut pour en avoir la
réputation, c'est te nuire à toi-même ; car, l'étant
avec mesure et comme il se doit, tu ne seras pas connu pour tel, et le mauvais
renom du contraire ne te sera pas épargné » . Il est certain
qu'un prince qui ignore la vraie mesure de son peuple, rencontrera autant
d'obstacles capables d'emboîter le pas à l'efficacité de
ses entreprises.
Il est nécessaire que l'efficacité politique ne
se ramène pas seulement à une « réponse de la
volonté humaine aux violences de la fortune [l'efficacité n'est
pas seulement une] violence exemplaire, un avertissement destiné
à combattre l'excès sur son propre terrain, à rivaliser
dans l'audace avec la passion elle-même, a laquelle elle oppose une
cruauté réfléchie et dominée, une ruse
maîtrisée ou, tout aussi bien, une bonté mesurée
» . L'efficacité est plus qu'un simple extincteur du feu qui
brûlera sur divers recoins de la cité. Plus que l'action d'une
puissante garnison qui viendrait mater les situations émouvantes -
violence de la fortune - comme le conçoit Marie-Claire Lepape,
l'efficacité politique chez machiavel embrasse aussi le vaste champ de
la gestion de l'Etat notamment le domaine de l'économie.
Devant l'élargissement du sens machiavélien du
concept d'efficacité, la virtù revêt derechef d'une
importance noble. En effet, elle permet de travailler de telle façon que
l'efficacité dont l'Etat a besoin trouve son fondement
déjà dans la volonté participante des citoyens à la
gestion de la res publica. Nous retrouvons par ce fait même, le sens
propre du verbe « gouverner » chez Machiavel : mettre ses sujets hors
d'état de nuire à l'Etat voire d'y penser. Il ne s'agit pas
d'avilir ses sujets par je ne sais quelle pratique ascétique ! Il s'agit
de récréer des conditions telles que les sujets n'en viennent pas
verser dans ce que Alexis de Tocqueville appellerait « le despotisme doux
» . Autrement dit, le peuple doit collaborer à la bonne marche de
l'Etat avec autant de responsabilité et le même empressement que
les gouvernants. Le jeu de la mesure où le peuple est de facto
participant est fortement recommandé ici. La règle du jeu doit
être la vertu opérante dont le prince en premier doit faire
preuve.
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