3. Pour la réalisation d'un ordre objectif.
Machiavel décrit la réalité politique
comme un lieu de méchanceté, de médiocrité, de
sottise des hommes. A cela, il convient de préciser que l'idéal
machiavélien n'est pas d'affirmer nécessairement la
méchanceté ou la sottise des hommes. Moins encore, il ne s'agit
pas de concevoir l'action politique comme étant essentiellement
violence. Ce qui est en jeu et qu'il faut bien révéler ce que la
condition des hommes mal éduqués , extravagants constitue aussi
l'objet de la politique. Dès lors, l'idée de l'ordre qui traverse
la pensée machiavélienne est donc d'essence protectrice et
même vitaliste. Elle s'insère dans l'idéal du projet
initialement entrepris : maintenir et sauver l'Etat. Pour Machiavel il n'y a
pas de situation politique si fâcheuse que celle dans laquelle les
appétits individuels troublent la quiétude du prince et partant
celle de tous les peuples.
Hormis les appétits divergents, le manque d'ordre peut
aussi signifier qu'on n'a pas suffisamment estimé les situations
émouvantes dans lesquelles l'on se trouve. Ainsi pense Machiavel «
Gouverner c'est mettre [ses] sujets hors d'état de [te] nuire et
même d'y penser ; ce qui s'obtient soit en leur ôtant les moyens de
le faire, soit en leur donnant un tel bien-être qu'ils ne souhaitent pas
un autre sort » . La réalisation d'un ordre objectif au sein de
l'Etat s'étend pratiquement sur deux niveaux à différentes
échelles. On doit vieller à la fois à l'ordre
intérieur qu'à la sécurité de ses frontières
en vue de favoriser un voisinage sain.
Au niveau de l'intérieur, c'est-à-dire parmi ses
sujets, il faudrait veiller à l'attitude de son peuple. Un peuple
opprimé peut ne pas se montrer collaborateur à l'ordre public.
Car, il vit une incohérence intérieure. Une incohérence
qui résulte d'une insatisfaction profonde (est en fait le fruit d'un
besoin existentiel) encore inassouvi. La caractéristique d'un peuple
déchiré est de bâtir des châteaux en espagne.
Rêvant ainsi d'une cité dont les conditions de possibilité
doivent passer par la détérioration de l'ordre publique dans
lequel ils vivent. L'analyse de Machiavel va plus loin jusqu'à la source
des symptômes épidermiques qui soulèvent l'ordre de l'Etat.
L'on pourrait à ce point croire que l'ordre étatique
n'était que la conséquence d'une satisfaction adéquate de
besoin de la population. Mais il y a plus que cela.
L'Etat doit aussi tirer son honneur en sachant comment punir
ceux de ses citoyens qui commettront quelques actes inciviques. A ce sujet,
Machiavel préconise que : « Le prince qui ne traite pas un criminel
de manière qu'il ne puisse plus le devenir passe pour ignorant ou pour
un pleutre » . Outre la sécurité soutenue à
l'intérieur d'Etat, un bon chef doit faire de la consolidation de ses
frontières un souci personnel. Ainsi surgit l'importance
d'établir une armée efficace que l'on doit nécessairement
marier aux bonnes lois.
Aux yeux de Machiavel, seule l'armée constituée
de ses concitoyens a du prix pour assurer l'ordre efficace dans l'Etat. Cette
présomption montre le peu d'estime que Machiavel avait dans le fait
d'associer à son armée les forces extérieures quelle que
soit leur renommée. Le prince reste le seul garant de l'ordre
étatique sous le regard du peuple. L'idée de l'ordre chez
Machiavel culmine dans l'assimilation de la cause d'Etat à la nature du
prince. Laquelle nature doit être veillée avec tant de soins
possibles ! Cette auto-assimilation du prince à la res publica, on ne la
trouve ni chez le peuple (car il reste versatile) ni chez les ministres (car on
n'en trouve de mauvais). Seul le prince dont la justification dernière
se confond à la cause d'Etat est l'icône de l'ordre suprême
de la nation. Pour mieux veiller l'ordre public le prince doit être un
homme dont l'entreprise ne peut en aucun cas laisser le pays choir dans
l'impasse.
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