CHAPITRE. I :
LE PARADOXE DE L'EFFICACITE POLITIQUE DANS LE
PRINCE.
1. Le politique et son but primordial.
L'image du politique machiavélien se résume fort
bien en la personne du prince. En effet, le prince machiavélien
accède au trône par deux moyens, à savoir le moyen de la
fortuna ou celui de la virtù. De ces deux manières la
préférence ne semble plus être que du côté de
la virtù. La fortune est trop capricieuse pour maintenir pendant
longtemps un prince au trône s'il n'a pas appris par lui-même
à lui donner la forme nécessaire par ses talents.
Dès lors, le politique machiavélien est
appelé à cultiver (en lui), l'idée d'une recherche
continuelle du sens de la mesure. C'est dans la dialectique entre virtù
et fortuna que le politique machiavélien peut désormais
quêter le but qui lui revient en sa qualité d'homme d'Etat.
Mettant en garde l'oeuvre pure et simple d'une heureuse fortune, Machiavel
écrit : « De plus les Seigneuries qui viennent si vite, comme
toutes les autres choses naturelles qui naissent et croissent soudain, ne
peuvent avoir les racines et d'autres fibres assez fortes pour que le premier
orage ne les abatte » .
Cet extrait, riche en sens, renferme mutatis mutandis
l'objectif que se doit fixer le politique machiavélien. L'accession au
trône revêtant ici d'un caractère grave, rappelle en
même temps que l'on ne doit pas se complaire d'une simple oeuvre de la
fortune. Car la fortune n'est guerre la condition d'efficacité
même si elle peut en constituer la chiquenaude initiale. Il n'est donc
pas question de poursuivre un but éphémère qu'un premier
coup d'orage aussi passager pourrait écrouler. Le politique
machiavélien est façonné par l'idée de
conservation. Il s'agit d'une conservation durable, résistible contre
tous les assauts, l'oeuvre capricieuse et incontrôlable de la fortune.
C'est justement ce que Machiavel reproche aux princes de
l'Italie qui ne purent jamais porter à bien le destin de leur peuple :
« N'ayant en temps de paix jamais pensé que ce temps peut changer
[...] quand, après, les orages sont venus, ils ont plutôt
pensé de se sauver que de se défendre, ayant espérance que
le peuple excédé de l'insolence des vainqueurs les dût
rappeler » . S'il est vrai que le (commun) défaut de tous les
hommes, c'est d'oublier la fureur de la tempête durant la bonace, il est
tout aussi vrai que le politique machiavélien doit demeurer un prince
prévoyant sur qui reposent le destin du peuple et la
nécessité d'Etat. N'est-ce pas cela même le synonyme de
gouverner ?
Si but primordial il y a chez le politique
machiavélien, cela s'inscrit de facto dans la ré-dynamisation du
bien commun. En ce sens, le politique machiavélien comme celui du monde
actuel sont tous deux en quête de paix, de justice mieux, d'une
quiétude à la dimension de toute la population. Autrement dit, le
but dont le politique machiavélien se charge reste encore plausible dans
les climats historiques du monde actuel bien que la réalisation n'en
soit plus la même. Si autrefois la réalisation d'un tel but
concourait du caractère politique du prince qui pouvait tout
légitimer, aujourd'hui (sans pour autant verser dans la
permissivité) l'organisation de l'ordre étatique se propose de
passer par les moyens constitutionnels démocratiques. Elle est le fruit
d'un dialogue qui convoque à un accord intersubjectif,
c'est-à-dire à l'objectivité d'interlocuteurs.
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