1.2.2. La fortune et la vertu.
Deux concepts philosophiquement importants par lesquels
Machiavel explique le cours de l'histoire. Dans la tradition philosophique le
concept de vertu a été souvent pensé en rapport avec le
bien moral et partant en rapport avec le bonheur de l'homme. Avec Machiavel la
vertu (en italien virtù), cesse d'être un concept moral. Elle est
désormais un concept politique désignant premièrement les
qualités qui rendent un homme propre à l'exercice du pouvoir
politique. La vertu chez Machiavel se confond alors avec la force du
caractère entendue comme une grande énergie mise au service d'une
grande ambition. Elle est aussi le talent politique voire le bon sens
politique, mieux une aptitude à bien évaluer et à savoir
exploiter une situation politique qui peut être l'oeuvre de la fortune.
Le rapport entre la fortune et la vertu ressort
fortement dans les chapitres six et sept du Prince. Parlant des exemples de vie
des hommes éminents qui ont fait preuve de courage et d'intelligence
face aux situations concrètes auxquelles ils ont été
confrontés pour conserver leurs Etats, Machiavel écrit ceci
:« Et en examinant bien leurs oeuvres et vie, on ne trouve point qu'ils
aient rien eu de la fortune que l'occasion, laquelle leur donna la
matière où ils pussent introduire la forme qui leur plaisait ;
sans cette occasion, les talents de leur esprit se seraient perdus, et sans
leurs talents, l'occasion se fut présentée en vain » . Cet
extrait permet de comprendre que la virtù et la fortuna ne sont pas par
principe irréconciliables. La valeur politique est l'intelligence des
situations historiques mieux, un discernement assidu des signes du temps.
De la sorte, elle ne peut ni négliger les
occasions favorables au projet entrepris (maintenir et sauver l'Etat) ni agir
à contre temps. La valeur politique est la capacité d'adapter
l'action aux circonstances tout en modelant celles-ci aux fins poursuivies.
Bref, la vertu politique a pour fonction de donner une forme à la
matière des événements ; c'est, selon Machiavel, ce qu'ont
remarquablement réussi les grands exemples qu'il donne (aux chapitres VI
et VII). Les pénibles épreuves que traversaient leurs peuples
furent pour eux littéralement une chance, celle de montrer leur valeur
et d'orienter favorablement le cours de l'histoire. Par-là, Machiavel
entend montrer que nulle situation n'est jamais pitoyable pour l'homme
vaillant, c'est-à-dire un politique chez qui le savoir-faire politique
est devenu comme une seconde nature.
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