1.2. Le politique.
Le politique machiavélien doit se caractériser
non seulement par son désir du conquérant mais aussi par sa force
d'action. Si du désir de conquérant doit lui revenir honneur
(grâce à son audace presque invincible), alors sa force le
transporte sans cesse au-dessus des petites vertus et lui imprime le
caractère indéniable de grands hommes politiques capables
d'initiative. Que le politique soit naturellement porté par le
désir de conquérir, cela est tout à fait ordinaire. Seule
l'attitude contraire (qui se manifeste parfois par l'extrême violence
soit par une miséricorde et une tolérance
démesurées) mériterait alors blâme. Le politique ici
doit se distinguer par son sens de la mesure.
C'est surtout dans l'hardiesse que le politique
machiavélien est appelé à lutter contre les caprices de la
fortune dont la manie est de réagir à la manière d'une
femme ; cédant ainsi à la brutalité de jeunes gens qui la
traitent avec moins de respect et plus de férocité. Le politique
machiavélien devra se laisser cultiver par l'esprit de la grandeur. Car,
la fortune semble être inoffensive aux grands hommes. La fermeté
de leur esprit les rend moins vulnérables à l'inconstance de la
fortune. Toujours tourné vers la quête de l'intérêt
commun, le politique doit employer toute son industrie pour attirer à
lui tout le pouvoir.
En effet, la sagesse exige qu'on ne condamne pas celui qui a
usé d'un moyen hors de lois communes pour ordonner une monarchie ou
fonder un Etat : « Ce qui est à désirer, c'est que si le
fait l'accuse, le résultat l'excuse ; si le résultat est bon, il
est acquitté ; tel est le cas de Romulus. Ce n'est pas la violence qui
restaure, mais la violence qui ruine qu'il faut condamner » . Le politique
doit se complaire dans la doctrine de bons effets. Selon la logique de
l'efficacité, la violence du politique s'écarte du
caractère fatal que l'on rattache communément aux passions
naturelles.
A entendre Marie-Claire Lepape, elle est tout d'abord une
violence restauratrice, elle constitue la réponse de la volonté
humaine aux violences de la fortune. C'est finalement lorsqu'on s'est
initié à l'école de la virtù que l'on devient petit
à petit « un bon politique » . Le politique qui se conservera
dans son Etat, c'est celui qui non seulement a la capacité d'être
bon mais aussi de ne faire preuve de sa bonté que si, celle-ci l'aide
à réaliser le but qu'il poursuit. Sans quoi, l'on doit se garder
de toute bonté mal éclairée. Le politique doit, si non par
peur de s'éteindre soi-même, du moins par la
nécessité d'Etat, marcher contre quelques évidences
morales classiques. Le rang social et la fonction que recouvre un politique le
rendent déjà redoutable de certains de ses sujets.
Cependant, le politique machiavélien n'est pas à
élever au rang de surhomme. Aussi, a-t-il besoin de partager sa vie avec
les autres (ses sujets, amis et collègues). Toute la question, c'est de
savoir quelle est la meilleure des attitudes que le politique doit adopter dans
ses rapports. Autrement dit, quel est le sentiment qui doit accompagner ses
relations ? Est-ce celui d'être aimé ou craint ? Devant cet
embarras de choix, Machiavel conseille au politique d'être à la
fois aimé et craint. Une suggestion qui est trop difficile à
réaliser. Car, il n'est pas aisé d'être aimé et se
faire craindre en même temps. Ce sont là deux attitudes qu'il
n'est pas toujours commode de concilier dans la pratique. Le don de susciter
à ses sujets une intensité presque égale d'amour et de
crainte reste un caractère politique qui n'est pas donné à
tout politique.
Puisqu'il parait difficile de marier ces deux tendances,
Machiavel ajoute et précise qu'« il est beaucoup plus sûr de
se faire craindre qu'aimer, s'il faut qu'il y ait seulement l'un des deux
» . Il vaut mieux pour un politique d'être craint qu'aimé. On
nuit moins à un homme redoutable qu'à celui qui se fait aimer.
Une chose est d'être aimé, une autre c'est d'être
aimé d'un véritable amour. Il est bon que le politique soit
craint plutôt que d'être haï ou aimé d'un amour
versatile. Le politique chez Machiavel est comme cet opportuniste dont seul
l'exercice de la vertu doit orienter l'efficacité de l'action.
La sagesse lui est naturelle car la bonne action de son
industrie ne peut en aucun cas trouver son fondement de bons cerveaux qui
l'entourent. Voilà pourquoi Machiavel dit : « Cette règle
générale n'est jamais en défaut, qu'un prince, s'il n'est
sage de soi-même, ne saurait être bien conseillé, à
moins que d'aventure il ne se repose et remette entièrement sur un seul
qui le gouverne en tout, et que celui-là soit homme fort sage » .
La fameuse réputation qui plane sur la cour royale ne se fonde que sur
la sagesse du prince. Car le prince a l'obligation de refléter à
travers la bonne gouvernance de ses ministres et sujets.
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