1.3. La nécessité d'Etat.
La notion de la nécessité d'Etat exprime en
premier lieu, cette indépendance de l'Etat qui est source de ses propres
règles de conduite. Elle traduit l'idée qu'en situation
d'exception se justifie une suspension des règles communes et, par
conséquent, qu'il faut distinguer ce qui relève de
l'éthique de ce qui relève de la politique. C'est ce que nous
avons essayé de démontrer au chapitre précédent.
Dans la notion de la nécessité d'Etat, repose et se justifie la
validité même du sujet développé autour de cette
question. Lors- que la nécessité d'Etat s'impose, aucune violence
du politique ne peut encore être conçue comme
préjudiciable.
La nécessité d'Etat se veut suprême et
même universelle. Elle contribue non seulement au bien être
individuel, d'un groupe des gens mais aussi de l'humanité
entière. Elle sublime en raison toute violence égoïste qui
agite et perturbe l'ordre public. Si le concept de nécessité
d'Etat a vu le jour dans la renaissance italienne, l'on retiendra cependant que
l'idée qu'il profile derrière lui, n'est pas du tout nouvelle.
Car, Platon le soulignait déjà: « Le mensonge est utile aux
hommes, comme une espèce de pharmakon dont l'emploi doit être
réservé aux médecins et interdit aux profanes. C'est donc
aux gouvernants de l'État qu'il appartient de tromper les ennemis et les
citoyens dans l'intérêt de l'État et personne d'autre n'y
doit toucher » . C'est donc en ces mots que le sage Platon osait
véhiculer la subtilité de l'art politique pensé et
repensé aujourd'hui comme indépendant de toutes actions
moralement orientées.
En effet, la métaphore du pharmakon employée ici
ne se comprend qu'en relation avec ce que Machiavel écrit au chapitre
XVIIIè, lors qu'il met à nu ce qu'autrefois la tradition ne
pouvait mettre à la lumière du jour : « cette règle
fut enseignée aux princes en paroles voilées par les anciens
auteurs qui écrivaient comme Achille et plusieurs autres de ces grands
seigneurs du temps passé furent donnés à élever au
Centaure Chiron pour les instruire sous sa discipline » . Les
écrits de Platon sont justement à classer parmi les tant d'autres
dont parle Machiavel. En effet, de même que le secret de l'usage du
pharmakon (qui est un remède et un poison) doit être gardé
aux seuls hommes de l'art dont les médecins, de même il revient
aux seuls responsables politiques, donc au gouvernement, de sauvegarder
à tout prix la nécessité, (l'existence première, la
vie, la bonne marche et la quiétude) d'Etat. La nécessité
d'Etat s'inscrit dans la logique du salut public et s'oppose contre toute
tendance égoïste du pouvoir.
La nécessité d'Etat ne peut se réclamer
que de celui qui en a la légitimité, le cas
échéant, de l'homme politique suprême. « Aussi est-il
nécessaire au prince qui se veut conserver, qu'il apprenne à
pouvoir n'être pas bon, et d'en user ou n'user pas selon la
nécessité » . La nécessité dont il est
question ici, c'est donc ce mouvement hasardeux de l'histoire de l'ordre au
désordre, et du désordre à l'ordre, ces
inéluctables révolutions du monde qui contraignent le prince bon
à des mesures d'exception. L'on s'aperçoit combien, dans le
combat politique, la loi de la fortune ne cesse de revenir au galop. C'est donc
en cela que consiste la nécessité, cette matière à
laquelle le prince doit donner la forme adéquate grâce à la
vertu politique. Le prince a ainsi un devoir d'oeuvrer pour l'équilibre
politique de son Etat.
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