b/ Fabrique d'un besoin
Le « 104 » semble vouloir
détourner la question de la production pour rester dans celle de la
création. Voir l'art en train de se faire par les artistes, sans penser
toujours à la finalité.
La programmation du 104 par ses fondateurs qui va
vers le collectif, les équipements
dont il dispose, le nombreux personnel administratif et de
régie technique, visent à en faire un outil original, performant,
exemplaire. Mais justement, l'importance de l'équipement et des moyens,
paradoxalement, ne va-t-elle pas en contre avec ce qui fait la force
créative des friches : la nécessité de s'organiser,
l'état d'urgence, de précarité, l'absence de normes de
sécurité, la légèreté
financière ?
Le « 104 » correspond à un
nouveau rêve qui découlerait du mouvement des débuts de la
performance et des squats artistiques et d'une inclusion totale du public dans
l'art. Le mouvement de mai 68 et de l'avant-garde américaine ont
laissé dans les esprits cette image du « vivre
ensemble », d'une vision plus communautaire et d'un art qui peut se
faire à partir de n'importe quelle matière. Réduire la
distance spectateur-acteur et inciter la rencontre collective tels sont les
objectifs communs de l'art depuis la fin des années 1950 et tels sont
les objectifs du « 104 ». Sortir des lieux
conventionnels, à l'image ennuyante pour le public comme les
théâtres et les musées, pour se promener et vivre un
événement dans un espace total. C'est, je pense le nouveau
rêve artistique du 21ème siècle dans lequel
s'inscrit ce lieu.
Les squats artistiques naissent généralement des
besoins d'un artiste de s'approprier un espace qui favorise son art. Il va
contre les valeurs traditionnelles de l'institution. Au 104,
l'institution cède le lieu à l' artiste, ce n'est plus lui qui
s'en empare, ce qui correspondait déjà au début de l'acte
artistique. Avec cette organisation, la notion de spontanéité de
l'occupation du lieu disparaît. Le 104 est un projet
initié en 2005 et qui verra le jour en octobre 2008, soit après
trois ans de travaux, de préparation, et déjà de
sensibilisation. La notion d'urgence qui apparaît dans les friches qui
répondent à des besoins d'acuité, au moment,
disparaît alors pour laisser la place à l'anticipation. Les
artistes qui veulent être en résidence au 104
déposent des dossiers, passent en études, il n'y a plus cette
notion de spontanéité de l'acte, bien qu'elle existe toujours
pour le public qui voit l'art en train de se faire. C'est peut-être
là que le 104 se distingue en premier de la friche. Il ne
naît pas dans le danger, et les artistes qui y seront pourront travailler
dans la sécurité. C'est bien d'actualité que de faire un
lieu « sécurisé ». À la question
« pensez-vous qu'on peut parler de friche
institutionnelle ? » Frédéric Fisbach fait
remarquer que c'est un paradoxe que de dire « friche
institutionnelle ». Il est vrai que la friche relève de ce
qui est abandonné et délaissé, alors que l'institution,
c'est ce qui est reconnu. Malgré ses ressemblances extérieures,
ses influences artistiques, évoqués et sa volonté sociale
de s'inscrire dans un espace de la vie, le 104 ne peut pas être,
par sa nature, considéré comme une friche. Le geste
créatif qui se fait dans la liberté absolue au sein d'une friche
est ici commandé et anticipé.
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