UNESCO
INSTITUT INTERNATIONAL DE PLANIFICATION
DE L'EDUCATION
PROGRAMME DE FORMATION APPROFONDIE
EN PLANIFICATION ET GESTION DE L'EDUCATION
STRATEGIES D'AMELIORATION DE LA GESTION
DES ENSEIGNANTS AU CAMEROUN
Mémoire de Mastère présenté
par Louis AJOUNTIMBA
Sous la direction de Dr Dramane OULAI
Décembre 2005
INTRODUCTION
La fonction sociale d'un système éducatif a
été pendant longtemps la plus en vue ; cependant, d'autres
approches destinées à mieux l'appréhender se sont
développées. Ces approches permettent d'avoir différentes
vues du système éducatif qui comme tout système,
révèle ses éléments en fonction de la grille de
lecture utilisée. Entre autres images qui se dégagent de ces
approches, celle du système éducatif comme organisation de la
production fait du chemin.
Le système éducatif est une organisation de la
production ; elle est un investissement dans le capital humain. Le
système éducatif se propose par les processus d'enseignement et
d'apprentissage, de transformer les individus qui lui sont confiés en
personnes munies de compétences, d'attitudes et de connaissances ayant
une valeur dans la vie sociale. Ces « nouveaux individus » ne sont
pas les seuls extrants du système car les connaissances issues de la
recherche sont aussi un produit dudit système. En amont de ces extrants,
des intrants sont apportés au système pour assurer la
transformation ; il s'agit des ressources diverses allouées au
système : ressources financières, matérielles et
humaines.
La logique de l'investissement voudrait que la poursuite de la
rentabilité soit une préoccupation permanente. L'analyse
coût bénéfice offre un cadre pratique pour procéder
à la comparaison des différents facteurs afin d'évaluer la
rentabilité de l'investissement.
Cette préoccupation observée en matière
d'investissement en général est aussi pertinente dans le
système éducatif comme organisation de la
production : les indicateurs de rendement sont
périodiquement recherchés dans le système. Autant que pour
toute organisation, le souci du rendement impose la maîtrise des facteurs
de production et la rationalisation de la gestion des ressources
allouées.
La gestion du système éducatif recouvre
essentiellement trois fonctions : - la fonction pédagogique
(développement des curricula, manuels scolaires,...);
- la fonction stratégique (planification,
budgétisation et
programmation);
- la fonction opérationnelle (administration des
ressources et des institutions).
La disponibilité des ressources n'est pas la garantie
de rendement espéré ; bien qu'étant une condition
nécessaire de réussite, elle est loin d'être suffisante.
L'application des normes de gestion de ces ressources peut véritablement
conduire au rendement espéré. Au-delà du poids relatif de
chaque type de ressource dans la production du rendement, la rationalisation du
mode gestion de celles-ci demeure opportune.
Dans le cadre de cette étude, nous nous sommes
intéressés aux ressources humaines et en particulier le personnel
enseignant du secondaire général; leur poids dans
l'élaboration du rendement a déjà fait l'objet de
plusieurs études notamment en matière de qualité de
l'éducation. Facteur de médiatisation des autres ressources,
elles sont au centre des processus d'enseignement et d'apprentissage. Leurs
caractéristiques (qualification, formation, ancienneté,...) ont
un effet de différenciation sur le rendement, l'effet
maître.
La gestion des enseignants s'organise autour de plusieurs axes
qui s'étalent de la formation à la mise en retraite ; il s'agit
notamment de :
- la formation initiale qui s'offre à l'Ecole Normale ,
à défaut dans les
Facultés ;
- le recrutement et l'intégration à la Fonction
publique ;
- la gestion de carrière et la mobilité interne et
externe, activités du Ministère de l'Education nationale ;
- la formation continue, qui peut intervenir pour un enseignant
en activité ;
- la gestion des postes de travail, postes repérables dans
les établissements scolaires et dans les structures de gestion.
I 1- Justification de l'étude
Cette étude se propose de contribuer à la
rationalisation de la gestion des ressources humaines au ministère de
l'éducation nationale, spécialement le personnel enseignant de
l'enseignement secondaire général.
La rationalisation signifie qu'en dépit de la
rareté de ces ressources, leur gestion tienne compte des
caractéristiques des personnes d'une part et des besoins réels
des établissements scolaires d'autre part. Elle signifie aussi que les
outils de gestion actuels soient améliorés. La prise en compte de
ces aspects permet d'optimiser l'utilisation de ce personnel. En même
temps, le souci d'équité participe de cette rationalisation en ce
sens que les établissements scolaires soient servis proportionnellement
à leurs besoins et dans les délais.
I 2- Problématique
Pour comprendre la gestion des enseignants du secteur public
au Cameroun, il convient de situer le contexte institutionnel de gestion de
l'éducation formelle de façon générale.
L'éducation formelle au Cameroun est
gérée par trois Ministères : Ministère de
l'éducation nationale, Ministère de l'enseignement technique et
de la formation professionnelle et Ministère de l'enseignement
supérieur. Nous nous intéresserons seulement au personnel du
Ministère de l'éducation.
Les Etats généraux de l'Education1
organisés au Cameroun en 1995 notaient en matière de gestion des
ressources humaines l'absence d'une politique clairement définie des
affectations, mutations, et nominations de personnel. En outre, l'absence d'une
politique globale de planification des ressources humaines était
déplorée. A la suite de ce constat, des recommandations
étaient faites dans le sens de la rationalisation de la gestion des
ressources humaines. La mise en oeuvre de ces recommandations a consisté
en la publication de textes officiels relatifs à l'orientation de
l'éducation au Cameroun2, à l'organisation du
Ministère, au statut des personnels.
En effet dans un contexte de restrictions budgétaires,
la gestion sous optimale des personnels enseignants, de leur allocation et
utilisation en poste pose un problème crucial.
De façon générale, la répartition des
personnels enseignants par province se présente tel que l'indique le
graphique ci-dessous.
1 République du Cameroun, Ministère de
l'éducation nationale, Rapport des Etats généraux de
l'éducation, mai 1995
2 Loi n°98/004 du 14 avril1998 d'orientation de
l'éducation au Cameroun
Graphique 1 : Répartition du ratio
élèves par enseignant par province
35,0
30,0
25,0
20,0
15,0
10,0
5,0
0,0
13,9
17,4
Ratio Elèves/ Enseignant par province
19,4
21,3 21,7 22,3
Provinces
27,9
29,4
31,9 32,1
Ratio El/ Ens
Source : Ministère de l'éducation
nationale, Annuaire statistique 2000-2001
De ce graphique, il ressort que le ratio moyen
d'élèves par enseignant est d'environ 24. Les valeurs
extrêmes de ce ratio sont respectivement 13,9 et 32,1 ; cet écart
traduit la dispersion spatiale de cet indicateur dans le pays. La province du
Sud-Ouest qui a le ratio élèves/enseignant le plus bas
présente par ce fait un taux d'encadrement théorique au moins
deux fois plus élevé que la province du Centre avec un ratio de
32,1. Le ratio de la province du Sud ouest est proche de la moitié du
ratio moyen national.
Deux groupes de provinces se forment au regard de ce ratio :
- les provinces ayant un ratio inférieur ou égal
à 22, soit Sud Ouest, Nord Ouest, Adamaoua, Extrême Nord et Est
;
- les provinces ayant un ratio supérieur à 28 et
variant jusqu'à 32, soit Sud, Ouest, Centre, Littoral et Nord.
La large distribution de cet indicateur traduit la
différence observée dans la distribution des enseignants du
secondaire dans les provinces du pays : certaines sont mieux pourvues que
d'autres, voire qu'elles attirent et retiennent les enseignants davantage que
d'autres ; la différence d'effectifs montre que dans certains cas, ce
ratio passe du simple à plus du double.
Cette même inégale répartition des
enseignants existe aussi sous l'aspect de leur qualification3. Le
pourcentage des enseignants qualifiés varie en effet de 41% à 59%
selon les provinces, et les variations intra- provinciales sont parfois encore
plus larges.
Face à ces déséquilibres, on peut
s'interroger sur les facteurs qui font obstacle à une allocation
équitable et notamment, ceux selon lesquels les gestionnaires pourraient
intervenir pour améliorer la situation.
La gestion des ressources humaines au Ministère de
l'éducation repose sur un dispositif réglementaire composé
de textes officiels : organigramme du Ministère de l'Education
Nationale, Statut général de la Fonction Publique, Statut
particulier des corps de l'éducation nationale. Elle se
réfère aussi à des pratiques professionnelles
érigées en best practices, surtout en l'absence de
réglementation précise.
La logique de cette gestion s'organise en fonction des
préoccupations officielles contenues dans les textes à savoir
:
3 Tous les enseignants n'ont pas reçu une formation
pédagogique bien qu'ayant suivi des études universitaires; seuls
les enseignants ayant suivi une formation pédagogique sont
qualifiés.
- un accès égal à l'offre
d'éducation qui voudrait que dans le cas d'espèce les enseignants
soient équitablement mis à la disposition des
établissements scolaires ;
- mise à disposition pertinente des ressources humaines
; la pertinence ici traduit l'adaptation de la satisfaction au besoin
réel ;
- similitude des postes de travail, qui, au-delà des
considérations géographiques, culturelles, financières,
tous les postes de travail s'équivalent car ils se trouvent tous sur le
territoire national.
Dans la pratique, la situation est quelque peu
différente ; elle n'est pas conforme à la logique des
règlements. L'occupation des postes traduit une souplesse dans
l'observation des critères réglementaires d'affectation. Il
semble que des comportements déviants aient été
développés ici dans la mise en oeuvre de la gestion des
ressources humaines ; ces comportements s'inscrivent dans une logique propre
impliquant des acteurs et des négociations. Crozier (1977) montre que
dans les organisations, les comportements des individus sont mus par leurs
intérêts ; acteurs, ils développent des démarches
stratégiques pour gérer les situations d'incertitude auxquelles
ils ont à faire face.
I 3- Objectifs
L'objectif général de cette étude est de
contribuer à l'amélioration de la qualité de
l'enseignement secondaire général au Cameroun, tout au moins de
l'ordre public. Deux objectifs spécifiques sont envisagés :
- proposer des éléments d'élaboration d'une
politique de gestion des
ressources humaines dans l'enseignement secondaire
général ;
- identifier quelques axes d'amélioration de la
planification des ressources humaines dans l'enseignement secondaire
général.
I 4- Question de recherche
La gestion des ressources humaines au Ministère de
l'éducation laisse entrevoir deux logiques : une officielle et l'autre
déviante. Cette double logique occasionne une gestion non rationnelle
des ressources alors qu'elles ont un poids déterminant dans
l'efficacité du système. Il devient impérieux de
s'interroger sur l'existence de celle-ci, en s'intéressant
principalement aux possibilités d'amélioration de la gestion des
ressources humaines. La préoccupation centrale est de savoir s'il existe
une relation entre le cadre organisationnel de la gestion des enseignants et
les déséquilibres observés dans la répartition de
ceux-ci au Cameoun. Pour y parvenir, il convient au préalable
d'identifier les facteurs susceptibles d'expliquer cette gestion des ressources
humaines et cette double logique car c'est en agissant sur ceux-ci que l'on
peut espérer une modification des pratiques professionnelles.
Dans la perspective de l'amélioration de cette gestion,
plusieurs hypothèses sont envisagées :
- le cadre institutionnel est un facteur explicatif de
l'actuel mode de gestion ; les activités de gestion des ressources
humaines obéissent d'abord à une réglementation officielle
mais sont aussi accompagnées de procédures non écrites
;
- la logique des acteurs impliqués dans la gestion des
ressources humaines explique le mode actuel de gestion de celles-ci ; les
gestionnaires et les personnels ont fait de la gestion une opération
à enjeux où des intérêts sont
défendus. Ils ont créé un système d'acteurs qu'il
conviendra de déceler ;
- les outils de gestion des ressources humaines ne sont pas
suffisamment valides pour permettre une visibilité appropriée des
données relatives aux dites ressources ; ces outils manquent une
dimension prospective.
I 5- Limites de l'étude
Les limites de cette étude se situent à un
double niveau : méthodologique et contextuel.
Sur un plan méthodologique, l'échantillon sur
lequel a porté l'enquête est très faible par rapport
à la population de référence. Pour cela, les conclusions
auxquelles l'étude pourra conduire auront un caractère
exploratoire et mériteraient d'être soumises à une nouvelle
confrontation pour acquérir davantage de validité.
Sur un plan contextuel, le système éducatif du
Cameroun comporte deux sous-systèmes : anglophone et francophone. Les
contraintes matérielles et de temps nous obligent à nous limiter
à la réalité du sous système francophone.
Néanmoins, la méthode utilisée pour analyser la question
peut également être transférée au sous
système anglophone.
I 6- Plan de l'étude
La revue de la littérature relative à la gestion
des ressources humaines (GRH) nous donne d'abord une présentation
historique et théorique de la question au fil du temps et des
écoles, ensuite, elle fait ressortir les dimensions, les
démarches et les outils de la GRH aujourd'hui, avant de
dégager la spécificité de la GRH dans les
administrations publiques, particulièrement la gestion des enseignants;
c'est l'objet du chapitre 1.
La présentation du contexte socio économique du
Cameroun est axée sur les données démographiques et
macroéconomiques, susceptibles d'avoir une incidence sur le
développement de l'éducation. Les données de scolarisation
sont présentées globalement, avant une insistance sur
l'enseignement secondaire général au Cameroun, champ de notre
étude. Ce niveau d'enseignement est envisagé en termes
d'organisation pédagogique, des effectifs d'élèves et
d'enseignants. Le chapitre 2 est consacré à ces
présentations.
Le chapitre 3 traite de la méthodologie utilisée
tout au long de l'étude ; il s'agit de la définition des
variables, des procédures d'échantillonnage et d'enquête,
de l'élaboration des outils de collecte et du traitement de
données collectées.
Les résultats de l'enquête meublent le chapitre 4
en dégageant les insuffisances liées aux textes
réglementaires et aux outils de gestion actuels, la perception des
postes de travail par les enseignants et leurs démarches dans la
perspective de gestion de carrière.
Des propositions d'amélioration du système de
gestion des ressources humaines sont contenues dans la Conclusion. Ces
propositions sont orientées dans deux directions : la
réglementation et les enseignants d'une part, le système de
gestion d'autre part. La première direction pourrait conduire à
l'émergence d'un contexte moins opaque dans lequel la communication
facilite d'abord la circulation de l'information entre l'administration et les
enseignants, ensuite la participation des
enseignants à la préparation des de la prise de
décision. La seconde direction permettrait de situer le système
de gestion dans une approche prospective et dynamique qui rompt avec la gestion
au quotidien et permet une organisation séquentielle autour de trois
pôles : l'identification des besoins, l'évaluation des ressources
humaines et la recherche des stratégies de réduction des
écarts entre les besoins et les ressources disponibles.
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