Rapport du Conseil national de la consommation sur
la publicité et l'enfant NOR : ECOC0000415X
Rapporteurs : Mme Christine
Reichenbach, pour le collège des
professionnels ; M. Pierre de
Bernières, pour le collège des consommateurs et
usagers.
Le présent rapport est commun aux deux collèges
consommateurs et professionnels. La publicité s'adresse aux enfants
dès leur plus jeune âge et le CNC a donc souhaité adopter
un mandat en octobre 1999 qui avait pour but d'établir un état
des lieux sur ce sujet et de faire des propositions constructives dans
l'intérêt des enfants pour éviter des dérives
éventuelles, liées notamment à l'émergence et au
développement de nouvelles techniques de communication.
Après avoir délibéré, pendant
plusieurs mois, sur la base du mandat, il a été convenu de
réserver au rapport toute la partie analytique de la situation actuelle
et de regrouper dans l'avis les recommandations concrètes qui ont
été discutées puis énoncées au cours des
travaux du groupe de travail.
Le groupe de travail auquel ont participé
régulièrement 11 associations de consommateurs et les
organisations professionnelles représentatives, s'est réuni six
fois en séances plénières et a procédé
à l'examen des textes législatifs et réglementaires
intéressés ainsi qu'à plusieurs auditions. Deux
réunions internes aux consommateurs ont été tenues en mars
et en mai dans le cadre du CNC pour affiner la position commune des
associations de consommateurs. Enfin, de nombreuses concertations ont eu lieu
entre les rapporteurs tout au long des travaux du
groupe.
Le rapport comporte donc trois
parties : I. - Un
état du contexte social et
réglementaire ; II. - Le
rappel de certains principes fondamentaux qui doivent régir le
comportement des opérateurs économiques et des professionnels de
la
publicité ; III. - Les
perspectives.
I. - Etat du contexte social et
réglementaire
Le CNC retient comme définition
des enfants et des jeunes, le mineur en âge scolaire, conformément
à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant
(article 1er).
Le CNC prend acte du fait que les mineurs sont de plus en plus
impliqués dans la vie économique. Toutefois, s'il n'est pas
réaliste de les en mettre à l'écart, il convient
néanmoins de tenir compte de l'importance du marché qui les
concerne (de 12 milliards à près de 600 milliards selon
que l'on prend en compte les produits qu'ils achètent directement ou
qu'il s'agisse des produits intéressant plus largement la
famille) (1).
Le CNC admet que la population des enfants-consommateurs doit
être appréciée en fonction de leur âge, de leur
degré d'expérience et de leur capacité de
discernement.
Le CNC reconnaît que la valeur à protéger, le
développement mental, spirituel, éthique, civique et physique des
enfants est un intérêt social majeur.
Le CNC insiste sur la nécessité de
prendre en compte l'intervention d'un événement important, depuis
ses derniers travaux sur ce thème, à savoir l'émergence et
l'évolution rapide de nouvelles techniques de communication justifiant
une particulière attention. En effet, l'interactivité,
l'immédiateté et la fluidité des échanges,
l'ouverture des espaces de communication - internet, téléphone,
plus largement la convergence des médias - soulèvent d'une
façon générale la question de la nécessaire
protection des enfants dans ce monde nouveau.
Le CNC souligne la nécessité de prendre en compte
la dimension éminemment subjective de l'impact et de
l'interprétation des images en général, dimension qui ne
peut être ramenée aux seuls effets de la
publicité.
Le CNC est soucieux de préserver à la
publicité son rôle économique et social, son
caractère créatif et sa dimension
culturelle.
Le CNC prend acte de la nécessité, au niveau
communautaire sinon international, d'intégrer la publicité dans
une réflexion commune entre Etats sur les régimes normatifs des
nouveaux modes de communication, nouveaux médias électroniques
interactifs ; réflexion qui doit être reliée au
respect des droits de l'homme, à l'importance de la
réglementation et des codes de conduite, à une tradition de
coopération culturelle entre les Etats, à des principes
démocratiques communs, à une certaine conception de la culture
dans l'espace public.
Le CNC constate une tendance croissante dans la
société à exiger, dans les divers médias ainsi que
sur les nouveaux moyens de communication électronique et les supports
interactifs, une réduction des présentations montrant des
scènes susceptibles d'induire des comportements asociaux (alcoolisme,
drogue, pornographie, affiliation à des sectes ou violence gratuite,
etc.) ou susceptibles de s'avérer, à terme, néfastes pour
la santé des intéressés.
Le CNC prend note que cette exigence sociale s'applique de
plus en plus aux publicités que reçoivent des mineurs qui vont
retenir ces images et ces textes et peut-être « imiter ces
exemples », même lorsque ces publicités ne les
concernent pas directement. Le CNC se
félicite des initiatives prises par des organismes publics (mise en
place de pédagothèque), des organisations de consommateurs,
d'entreprises et des organisations et/ou groupements professionnels, voire
d'organismes privés, pour l'éducation à la
publicité à l'école.
Le CNC prend acte des négociations entre le
ministère de l'économie, des finances et de l'industrie et le
ministère de l'éducation nationale en vue d'établir un
accord pour développer l'éducation du jeune
consommateur.
Dans le but de bien prendre en compte toutes les données
existantes dans les domaines législatifs, réglementaires et
déontologiques ont été
examinées :
la Convention internationale relative aux droits de
l'enfant du 24 novembre 1989 ; les
directives européennes relatives à la publicité trompeuse,
à la publicité comparative et à la
télévision sans frontières (notamment en son
article 16) ;
les dispositions législatives et réglementaires
nationales portant sur : la protection de l'enfance dans les
domaines de l'emploi des enfants de moins de seize ans dans la publicité
ou dans la mode comme mannequins (loi du 12 juillet 1990) et dans le
domaine des publications destinées à la jeunesse (loi du
16 juillet 1949 modifiée par les lois du 29 novembre 1954 et
31 décembre 1987) ; l'escroquerie : articles 313-1
du code pénal et L. 231-1 du code de la consommation ; la
publicité trompeuse ou de nature à induire en erreur :
articles L. 121-1 et suivants du code de la
consommation ; la publicité pour certains produits (tabacs et
alcools notamment) : loi Evin du 10 janvier 1991, articles 17 et
suivants du code des débits de boissons et des mesures contre
l'alcoolisme, articles L. 355-24 et suivants du code de la
santé publique, titre 8 (Lutte contre le tabagisme) ; les
messages à caractère violent ou pornographique dans tous les
médias : article 227-24 du code
pénal ; le
contrôle de la publicité télévisée par le
Conseil supérieur de l'audiovisuel : loi du
17 janvier 1989 ;les règles de l'affichage : loi du
29 décembre 1979 sur la publicité extérieure et
l'affichage, l'article R. 624-2 du code pénal,
l'article L. 2212-2 du code des collectivités territoriales
(pouvoirs des maires et maintien de l'ordre public) ; les dispositions
législatives et réglementaires, en matière de
publicité, de nos partenaires de l'Union européenne et d'autres
Etats européens membres de l'OCDE le code de bonnes pratiques
commerciales de la chambre de commerce internationale, notamment en son
article ; l'étude commandée par la Commission
européenne sur le marketing à l'école en
1998 ; les codes de déontologie du bureau de
vérification de la publicité et de l'Alliance européenne
pour l'éthique en matière de publicité ;les
règles d'autodiscipline des professionnels de la
télévision ; les
règles d'autodiscipline de l'Association des fournisseurs d'accès
et de service internet ; les règles d'autodiscipline de
l'Union de la publicité extérieure (UPE) ;le code
édicté par le Syndicat des éditeurs de logiciels de
loisirs (SELL).
Dans ce but ont été également
auditionnés un certain nombre d'experts et acteurs dans le domaine de la
publicité et de l'enfant, que ce soit en France ou à
l'étranger : un expert
psychologue-psychanalyste, directeur de thèse sur le
développement de l'enfant et plus particulièrement de sa
socialisation économique, et un expert psychiatre-psychanalyste,
chargé de cours universitaires sur l'impact des images et de missions
confiées notamment par le ministère de la
culture ; un représentant de
l'ambassade de Suède qui a présenté le régime
juridique de son pays fondé sur une interdiction de la publicité
à la télévision en direction des enfants de moins de
douze ans ; le BVP (bureau de
vérification de la publicité) organisme d'autodiscipline
créé par l'interprofession (annonceurs, agences de
publicité et supports) pour mener une action en faveur d'une
publicité loyale, véridique (présidé par une haute
personnalité indépendante, son conseil d'administration, outre
des représentants de l'interprofession, comprend un représentant
de l'INC). Sa mission s'agissant de la publicité et des enfants est
particulièrement importante. Il est, en effet, en charge de veiller
au respect des règles déontologiques citées plus haut. En
matière de publicité télévisée il s'est vu
confier en 1991 (décision no 91-690 du 25 juillet
1991) par le CSA le contrôle systématique avant diffusion des
publicités télévisées, le CSA continuant à
en effectuer le contrôle a
posteriori ; l'organisation
européenne qui coordonne les actions nationales en matière
d'autodiscipline (EASA - l'Alliance européenne pour
l'éthique en publicité). L'EASA a notamment mis en place une
procédure de traitement des plaintes transfrontières que peuvent
saisir toutes les parties intéressées dont les consommateurs et
leurs associations. Le CNC a insisté sur la
nécessité, non seulement pour les autorités de
contrôle compétentes (DGCCRF, CSA, etc.), mais également
pour les organismes d'autodiscipline dont le BVP, de veiller avec une toute
particulière vigilance au respect des réglementations et
principes inscrits dans les présents rapport et avis. La
« Commission de concertation » créée en 1979
et réunissant de façon paritaire consommateurs et professionnels,
devra être réactivée (cf. avis). En particulier,
s'agissant de la bonne application des principes et orientations définis
dans l'avis du CNC sur la publicité et les enfants, elle devra jouer un
rôle déterminant dans le suivi des actions du BVP en la
matière. D'une façon plus
générale, cet état des lieux a mis en lumière que
la France semble dotée, pour les médias classiques, d'un
régime qui répond, dans la plupart des cas, de façon
satisfaisante - sous réserve de quelques ajustements et rappels qui
sont traités ci-dessous dans l'avis - aux préoccupations de
protection des enfants et des adolescents. Le groupe
de travail a considéré après ces examens que les
régimes fondés sur l'interdiction ne constituent pas une solution
réaliste. Dans un monde où la publicité sous toutes ses
formes fait partie de la vie, il serait illusoire et inefficace de mettre
à l'écart les enfants de cette dimension économique de la
société. Le groupe de travail a en
revanche privilégié l'étude des principes qui devaient
gouverner le contenu des messages publicitaires afin de prendre en compte
l'impact particulier que pouvaient avoir certains types de communication en
direction des enfants et des adolescents (appréciés en fonction
de leur âge, de leur manque d'expérience, de leur liberté
de choix, de leur capacité plus grande à être
influencés qu'un consommateur adulte) et de les protéger en tant
que de besoin contre tout dommage psychologique, mental, spirituel,
éthique et physique.
II. - Les principes
fondamentaux
Compte tenu de la très rapide
évolution des techniques de communication et d'une utilisation
croissante par les enfants des nouveaux médias interactifs (rapport
OCDE), le CNC a souhaité rappeler les principes fondamentaux qui doivent
gouverner la publicité concernant les
enfants. Ces principes doivent en effet s'appliquer
non seulement sur les médias traditionnels mais sur tout nouveau support
de communication, non seulement sur les supports de diffusion nationale mais
aussi sur ceux qui sont susceptibles d'une diffusion transfrontière
(télévision, internet, télécoms, etc.).
Ils devraient constituer dans la réflexion européenne une
plate-forme commune de travail. Le CNC
réaffirme donc les principes fondamentaux qui figurent dans les textes
et les normes en usage suivants : Ne sont pas
admissibles, qu'il s'agisse de messages explicites et/ou
implicites : 1. Les
publicités visant les mineurs qui peuvent être
préjudiciables à leur développement psychologique,
éthique, spirituel, civique ou
physique ; 2. La diffusion, dans les
médias traditionnels mais aussi, désormais, sur les
réseaux numériques, des publicités dont le
caractère commercial n'est pas clairement reconnaissable et qui peuvent
créer une confusion dans l'esprit des plus jeunes enfants ou
détourner leur
intérêt ; 3. Les
publicités comportant des présentations visuelles ou des
déclarations qui pourraient mettre en danger la santé et/ou la
sécurité des mineurs ou être susceptibles de les induire
à des comportements au mépris des règles
élémentaires, à court et long terme, de santé et de
sécurité des personnes, de protection des biens et de
l'environnement (comportements dangereux et
violents) ; 4. Les publicités
pouvant porter atteinte aux valeurs sociales telles que jeter le
discrédit sur l'autorité, la responsabilité, le jugement
ou le goût (les choix) des parents ou des éducateurs ou inciter
à transgresser la loi ou les valeurs civiques, ou encore sembler
cautionner des comportements illicites ou répréhensibles au
regard de la loi ; 5. Les
publicités qui créent une incitation abusive en invitant
directement les jeunes à acheter (« Tu dois
acheter »...) ou qui, profitant de leur manque d'expérience ou
de leur crédulité, exercent la même pression en jouant sur
des registres variés de sentiments ou encore qui contiennent un message
direct visant à les inciter à persuader leurs parents ou tout
autre adulte à acheter certains produits ou services (« Dis
à ta maman d'acheter »...) ; le CNC rappelle que
certaines publicités valorisant les décisions de l'enfant dans le
choix de biens ne doivent pas le faire sortir de son cadre de
référence économique et psychologique ni transférer
sur lui la responsabilité des
parents ; 6. Les publicités
qui, profitant du manque d'expérience ou de la crédulité
des enfants, joueraient sur des sentiments tels que la suggestion que la seule
possession ou l'utilisation d'un produit lui donnerait un avantage physique,
social ou psychologique sur les autres enfants de son âge ; ou qui
exploiteraient le sentiment de peur des enfants ou adolescents sans
justification d'ordre éducatif ou
social ; 7. Les publicités
mettant en scène des situations de compétition et/ou de
concurrence présentées comme étant à la
portée des enfants et qui seraient disproportionnées par rapport
à leur
âge ; 8. L'organisation de
manifestations ou d'événements qui dissimuleraient des
opérations publicitaires totalement étrangères à
l'objet de l'événement ou de la manifestation mis en avant dans
la publicité initiale (avant-première offerte, adhésion
à des clubs d'enfants, parrainage, etc.).
III. - Les perspectives
Les évolutions techniques et les
différents chantiers qui sont menés à la fois en France et
à l'échelon européen, en particulier en matière de
société de l'information, et de ses développements
à la fois technologiques et juridiques, ont conduit le groupe de travail
à ressentir le besoin de procéder à un nouveau rendez-vous
pour en apprécier les résultats. Les
associations de consommateurs ont notamment considéré qu'il
était utile de procéder de leur côté à des
études complémentaires sur la psychologie et le comportement des
enfants dans ce nouveau contexte. C'est ainsi qu'au
terme de ce rapport et dans le cadre de la procédure de suivi des avis
du CNC, le groupe de travail « Publicité et enfant »
est convenu de se réunir dans douze ou dix-huit mois
pour : examiner si
l'évolution des technologies des nouveaux médias et supports
interactifs, ou l'apparition de nouvelles pratiques, non prises en compte dans
l'avis, justifient l'adoption de recommandations nouvelles en matière de
publicité. A cet égard, le groupe « Publicité et
enfant » a réalisé ses travaux dans la suite de l'avis
du groupe de travail du CNC « Consommateurs et fournisseurs
d'accès » ; examiner,
au regard de ses travaux actuels et des recommandations qu'il préconise,
des éléments d'informations fournis par le groupe
« Agroalimentaire et nutrition » et relatifs à des
questions qui n'avaient pas été, de la volonté des
collèges consommateurs et professionnels, retenues dans le
présent mandat pour ne pas interférer avec les travaux de ce
dernier groupe ; examiner les
suites données à ses recommandations sur la publicité par
le groupe « Education du jeune consommateur ». En effet, le
thème de l'éducation ayant été une
préoccupation majeure et permanente du groupe
« Publicité et enfant », devrait donner lieu
à une attention particulière du groupe « Education du
jeune consommateur ». Par ailleurs les éléments
constitutifs de la partie IV « Marketing scolaire, partenariats
scolaires et éducation du jeune consommateur à la
publicité » devraient être intégrés aux
travaux plus larges du groupe « Education du jeune
consommateur ».
(1) Ces chiffres sont
approximatifs, ils dépendent des produits ou services compris dans
l'assiette des produits ou services que l'on estime à un moment
donné intéresser directement ou indirectement les enfants, notion
difficile à cerner et nécessairement évolutive.
(c) Ministère de l'Économie, des
Finances et de l'Industrie- 08 janvier 2001
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