B. Des résolutions contradictoires entre elles
A partir de sa quarante quatrième session, et au
même jour où elle a adopté sa résolution 44/146
relative au "renforcement de l'efficacité du principe
d'élections périodiques et honnêtes",
l'Assemblée Générale de l'O.N.U. a adopté la
résolution 44 /147 du 15 décembre 1989 portant le titre
"Respect des principes de la souveraineté nationale et de la non
ingérence dans les affaires intérieures des États en ce
qui concerne les processus électoraux". Contrairement à la
première, la résolution 44/147 n'a pas été
adoptée par consensus mais par une majorité de 113 voix pour,
onze abstentions et 23 votes contre.
Parmi les États qui se sont opposés à
cette résolution nous pouvons citer les États Unis
d'Amérique, le Canada, le Japon et les douze membres de la
Communauté européenne. Il n'est pas difficile de deviner que
cette opposition est due à ce que la résolution 44/147 vient
presque neutraliser la précédente.
En effet, dans le préambule, l'Assemblée
Générale a pris le soin de rappeler les dispositions de l'article
2 (7) de la Charte de l'O.N.U. Elle a considéré par
conséquent que "les principes de la souveraineté nationale et
de la non ingérence dans les affaires intérieures de tout
État doivent être respectés
lors du déroulement d'élections"77 . De
plus, l'Assemblée Générale a considéré dans
le préambule de cette résolution "qu'il n'existe pas de
système politique unique de processus électoral convenant
également à toutes les nations et à tous les peuples et
que les systèmes politiques et les processus électoraux sont
conditionnés par des facteurs historiques, politiques, culturels et
religieux".
Cette disposition se justifie si on garde à l'esprit
qu'elle a été proposée par les pays en
développement78. D'ailleurs, un auteur a
considéré que cette résolution "reflétait
l'inquiétude des États totalitaires et autoritaires
appuyés par de nombreux pays du tiers monde, devant cette avancée
démocratique des Nations Unies"79.
Nous dirons, à propos de cette affirmation,
qu'abstraction faite du mobile politique de ces États
"totalitaires", la résolution objet de ce commentaire s'est
limitée à rappeler des principes fortement ancrés en droit
international positif que sont les principes de la souveraineté et de la
non ingérence dans les affaires intérieures des États.
La référence faite, dans cette
résolution, aux facteurs historiques, politiques, culturels et religieux
a été jugée "en opposition avec la conception
universaliste des droits de l'Homme et de la démocratie"80.
Or, par définition, la démocratie exige la diversité
et la différence faute de quoi cette "avancée
démocratique des Nations Unies" risque de se transformer en un
dogme et par conséquent préparer sa propre négation.
Par ailleurs, l'Assemblée Générale a
réaffirmé dans le dispositif de cette résolution que
"tous les peuples ont le droit de déterminer librement et sans
ingérence extérieure leur statut politique et d'assurer librement
leur développement économique, social et culturel et que chaque
État a le devoir de respecter ce droit conformément aux
dispositions de la Charte"
77 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante quatrième session, volume I, 19 septembre - 29 décembre
1989, documents officiels, supplément N° 49.
78 C'est une résolution proposée par
l'Afghanistan, l'Angola, Cuba, le Yémen, l'Irak, la Libye, le Nicaragua,
la Tanzanie, le Vietnam, la Zambie et la Chine. voir BEIGBEDER (Y), op.
cit. p. 56.
79 BEIGBEDER (Y), op. cit. p. 58.
80 Ibid. op. cit. loc. cit.
et qu' "il appartient aux seuls peuples de décider
des méthodes à suivre et des institutions à mettre en
place aux fins du processus électorale, ainsi que des moyens de mettre
ce processus en oeuvre conformément à la constitution et à
la législation nationales".
Nous le constatons donc, la résolution ne nie pas les
droits relatifs aux processus électoraux, seulement, ces droits doivent
s'exercer en dehors de toute ingérence extérieure et de toute
pression internationale.
Une autre remarque s'impose à propos de ces extraits.
En fait, cette résolution qui constitue une riposte à la
résolution 44/146 relative au "renforcement de l'efficacité
du principe d'élections périodiques et honnêtes" n'a
pas non plus reconnu expressément aux États le libre choix de
leurs systèmes politiques et de leurs institutions
électorales.
Désormais, c'est au peuple qu'appartient le droit de
choisir ses méthodes électorales, ce choix, notons-le, doit
s'exercer dans le cadre et les limites du droit national.
Donc, paradoxalement, une résolution portant le titre
"renforcement de l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes" reconnaît expressément
dans son préambule que le droit de choisir et de développer
librement leur système politique, économique, social et culturel
est un droit qui appartient aux États alors que ce même droit est
reconnu aux peuples dans le dispositif d'une résolution intitulée
"Respect des principes de la souveraineté nationale et de la non
ingérence dans les affaires intérieures des États en ce
qui concerne les processus électoraux".
Ce paradoxe ne peut être résolu que si on
considère que "la logique du droit international n'est pas de faire
prévaloir le droit des peuples ou les droits de l'Homme sur la
souveraineté, mais de faire en sorte que la souveraineté des
États soit une émanation du droit des peuples et que celui ci
soit une manifestation collective des droits politiques de l'Homme. Une
véritable synthèse de la contradiction ne peut être
qu'immanente. Elle ne peut se réaliser par l'élimination d'un de
ses termes, en l'occurrence la
souveraineté, mais par la réalisation de
l'harmonie naturelle qu'il y a entre... "81.
Cependant, il ne nous semble pas que cette "harmonie"
soit évidente dans tous les cas, il nous suffit de voir le nombre
d'États où les droits fondamentaux de la personne, auxquels
aucune dérogation n'est permise, sont bafoués; à plus
forte raison les droits civils et politiques sont- ils loin d'être
garantis aux gouvernés.
Ajoutons, enfin, que mise à part la résolution
dont nous venons d'analyser la portée, l'Assemblée
Générale de l'O.N.U. a, depuis cette date, adopté à
chaque session une résolution portant le même titre. C'est ainsi
qu'elle a adopté la résolution 45/151 du 18 décembre 1990,
une reproduction intégrale de sa précédente, la
résolution 46/130 du 17 décembre 1991, la résolution
47/130 du 18 décembre 1992, la résolution 48/124 du 20
décembre 1993 et la résolution 49/180 du 23 décembre
1994.
Ces résolutions sont identiques dans la plupart de
leurs termes. Seulement, on peut remarquer que dans la résolution 48/124
figure l'idée que les "États devraient instituer les
mécanismes et les procédés nécessaires pour
garantir la pleine participation des peuples aux processus
électoraux"82.
Cette disposition a été reprise dans la
résolution 49/180. Elle nous paraît significative dans la mesure
où l'emploi du conditionnel nous prouve que l'Assemblée
Générale n'entend pas créer une obligation aux
États de garantir le droit aux élections périodiques et
honnêtes à leurs gouvernés et qu'il s'agit, pour reprendre
l'expression de M. Rafâa BEN ACHOUR de normes souhaitables de lege
ferenda relatives aux élections83 ou d'un "droit
vert relatif aux élections"84.
81 LAGHMANI (S), art. cit. P. 277.
82 Résolutions et décisions
adoptées par l'Assemblée Générale au cours de sa
quarante huitième session, volume I, 21 septembre - 23 décembre
1993, documents officiels, supplément N° 49.
83 BEN ACHOUR (R), "Normes internationales
souhaitables de lege ferenda relative aux élections",in.
Liberté des élections et contrôle international des
élections, op. cit, pp. 197-210.
84 VASAK (K), "Les normes internationales
existantes relatives aux élections et leur mise en oeuvre", in.
Liberté des élections et observation internationale des
élections, op. cit. L'auteur parle dans cet article de droit vert
relatif aux élections qui se forme au sein de l'O.N.U. contrairement a
un droit mûr établi par les instruments internationaux.
Pour conclure nous pouvons affirmer que ces résolutions
adoptées par l'Assemblée Générale de l'O.N.U. et
qui concernent les élections n'ont pas imposé aux États
une obligation juridique de garantir à leurs citoyens un droit aux
élections périodiques et, honnêtes et par suite,
d'établir un régime démocratique.
Toutefois, il y a là "des tendances nouvelles, dont
il est probablement prématuré d'affirmer qu'elles aboutiront
à la formation de normes juridiques indiscutables, en tout cas au plan
universel, mais qui n'en témoignent pas moins d'un changement
d'état d'esprit"85.
En tout cas, la seule conséquence concrète de
ces résolutions qui ont visé la promotion de la démocratie
par le renforcement de l'efficacité du principe d'élections
périodiques et honnêtes, s'est manifestée sur le plan de
l'action de l'O.N.U. par l'assistance qu'elle a apporté aux États
au cours de leurs processus électoraux.
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